TITRE III : DISPOSITIONS DIVERSES ET TRANSITOIRES

Article 14 A Dispositions transitoires applicables à l'autorisation d'exploitation par satellite d'oeuvres faisant l'objet de certains contrats de coproduction internationale


Le Sénat avait « délocalisé » à cet article additionnel les dispositions prévues par l'article 3 du projet de loi et reprenant celles de l'article 7-3 de la directive 93/83, dont il avait jugé qu'en raison de leur caractère transitoire elles ne devaient pas être insérées dans le code de la propriété intellectuelle.


• L'Assemblée nationale
a approuvé cette démarche. Elle a en outre apporté un aménagement rédactionnel au texte de l'article pour faire référence aux coproducteurs « établis » (en France ou dans un autre État) et non aux coproducteurs « ayant un établissement » (en France ou dans un autre État).


Position de la commission

Il convient de noter que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale pourrait être interprété comme ne visant que les coproductions dont les producteurs ont leur principal établissement, et non « un établissement », en France ou dans un autre État.

Cependant, l'article 14 A reproduisant textuellement les dispositions de la directive 93/83, cette légère ambiguïté rédactionnelle ne devrait avoir aucune conséquence.

Votre commission a adopté cet article dans le texte de l'Assemblée nationale.

Article 14 Adaptation des contrats concernant l'exploitation par satellite d'oeuvres ou d'éléments protégés


• Le Sénat
avait adopté une nouvelle rédaction de cet article.


• L'Assemblée nationale
a amélioré le texte du Sénat, et simplifié ses conditions d'application, en supprimant l'obligation de mise en conformité avec la directive 93/83, avant le 1er janvier 2000, des clauses des contrats de diffusion par satellite qui lui seraient contraires. Ces clauses seront simplement réputées non écrites. Elle a par ailleurs réparé une omission de référence à l'article L. 122-2-2 nouveau du CPI.


Position de la commission

Votre commission a adopté cet article dans le texte de l'Assemblée nationale.

Article 15 Dispositions transitoires relatives à l'application des dispositions du Titre II du projet de loi


• Le Sénat
avait adopté plusieurs amendements à cet article :

- il avait introduit un paragraphe IA nouveau fixant au 1er juillet 1995, conformément à la directive 93/98, la date d'entrée en vigueur du titre II du projet de loi, et modifié en conséquence les autres dispositions de l'article ;

- il avait adopté au paragraphe I un amendement de précision ;

- il avait adopté une nouvelle rédaction du paragraphe III qui précisait, afin de mieux assurer le respect des droits de l'auteur, la portée du « droit de préférence » accordé à l'éditeur cessionnaire à la date d'entrée en vigueur de la directive.


L'Assemblée nationale, outre deux amendements rédactionnels et un amendement de précision, a modifié les dispositions de l'article applicables aux oeuvres dérivées d'une oeuvre ou d'un élément protégé rappelés à la protection.

Elle a en effet jugé équitable que celles-ci, comme les oeuvres originaires, puissent continuer d'être exploitées en franchise de droits pendant un délai d'un an.

À l'issue de ce délai, les ayants droit de l'oeuvre originaire ne pourront prétendre qu'à un droit à rémunération, sans pouvoir s'opposer à l'exploitation de l'oeuvre dérivée.


Position de la commission

Votre commission a adopté cet article dans le texte de l'Assemblée nationale.

Article 16 (article L. 122-5 du CPI) Extension des exceptions au droit exclusif de reproduction des oeuvres graphiques ou plastiques


• Le Sénat
avait adopté un amendement du Gouvernement tendant à exonérer du droit de reproduction les reproductions d'oeuvres d'art graphiques ou plastiques figurant dans les catalogues des ventes aux enchères publiques effectuées par un commissaire-priseur, pour les exemplaires mis à la disposition du public pour décrire les oeuvres mises en vente. À l'initiative de votre rapporteur, il avait prévu d'étendre cette exception aux oeuvres diffusées, en vue de leur commercialisation, sur les « autoroutes de l'information », qui sont un vecteur très efficace pour faire connaître les auteurs et élargir leur public.


L'Assemblée nationale a supprimé cette adjonction, jugeant qu'elle entraînerait des exceptions trop importantes au droit exclusif de reproduction.

Par ailleurs, son rapporteur avait proposé une nouvelle rédaction -considérablement améliorée- de l'article, qui précisait notamment que l'exception ne pouvait s'appliquer qu'aux catalogues mis gratuitement à la disposition du public. Le Gouvernement s'est opposé à cette dernière précision, en faisant valoir qu'il ne convenait pas d'interdire que les catalogues puissent être vendus « à un prix modeste ». Il a toutefois précisé que l'exonération du droit de reproduction ne pourrait s'appliquer que si cette vente ne produisait aucun bénéfice. En raison de cet engagement, qui s'imposera aux rédacteurs du décret en Conseil d'État qui doit fixer les caractéristiques et les conditions de distribution de ces documents, le rapporteur de la commission des Lois a accepté la suppression de l'exigence de mise à disposition « gratuite » des catalogues.

L'Assemblée nationale a adopté l'article 16 dans la rédaction proposée par son rapporteur et ainsi modifiée.


Position de la commission

Votre commission observe que :

- la suppression de l'exigence de mise à disposition gratuite du public des catalogues réalisés en exonération de droits ne peut effectivement être admise que s'il ressort explicitement des travaux préparatoires que la vente de ces catalogues ne peut en aucun cas être génératrice de bénéfices. Elle demandera donc au Gouvernement de réitérer l'assurance que seuls sont visés à cet article les catalogues distribués gratuitement ou vendus à prix coûtant.

- l'évolution prochaine du statut des commissaires-priseurs et l'ouverture du marché des ventes publiques en application de la réglementation communautaire devraient restreindre le champ d'application de l'article 16, à partir de 1998, aux ventes judiciaires résultant d'une saisie ou du règlement d'un contentieux, qui échappent au droit communautaire.

Votre commission note enfin que le dispositif de l'article 16 est contraire à l'article 34 de la Constitution, en tant qu'il renvoie à un décret le soin de définir l'étendue d'une dérogation à un droit de propriété.

Sous réserve de ces observations, votre commission a adopté l'article 16 dans le texte de l'Assemblée nationale.

Article 16 bis (nouveau) (article L. 131-8 du C.P.I.) Extension du privilège des auteurs aux créances indemnitaires réparant le préjudice causé par les contrefaçons


• L'article 16 bis (nouveau) a été inséré dans le projet de loi par un amendement adopté par l'Assemblée nationale.

Cet article étend le privilège dont bénéficient les auteurs pour le paiement des redevances contractuelles dues pour la cession, l'exploitation ou l'utilisation de leurs oeuvres, au paiement, en cas de contrefaçon, des « dommages et intérêts compensant le non-paiement desdites redevances ou rémunérations ».

Le privilège des auteurs, prévu par l'article L. 131-8 du CPI, est défini par référence aux dispositions du code civil relatives au privilège général sur les meubles et les immeubles reconnu aux salariés (article 2101-4° et 2104) et donne, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire de leur débiteur, aux redevances contractuelles qui leur sont dues pour les trois dernières années le même rang qu'aux salaires dus pour les six derniers mois.

En étendant l'assiette de ce privilège à des créances indemnitaires, l'article 16 bis (nouveau) en modifie la nature.

La commission des Lois de l'Assemblée nationale avait rejeté l'amendement pour trois motifs que son rapporteur avait brièvement exposés et qui cernent parfaitement le problème posé par cet article additionnel : « l'adoption d'une telle disposition modifierait sensiblement les règles de détermination des créanciers privilégiés , lesquelles pourraient d'ailleurs être revues , mais dans le cadre d'un texte spécifique et , paradoxalement , placerait sur le même plan l'exploitation des droits en bonne et due forme et les contrefaçons. Enfin , et surtout , cet amendement introduirait une confusion entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle ».

L'amendement a néanmoins été adopté au nom « d'une protection renforcée des auteurs ».


Position de la commission

Qui ne souscrirait au renforcement de la protection des auteurs ?

Il convient cependant, avant de céder à l'enthousiasme, de s'assurer qu'il est justifié.

Or, si l'on examine de plus près la portée et les conséquences de l'article 16 bis (nouveau), on doit constater qu'il constitue un exemple parfait des improvisations risquées auxquelles correspondent souvent des « cavaliers législatifs » trop hâtivement examinés et trop hâtivement adoptés.

Certes, on peut comprendre et partager le souci qui a guidé l'Assemblée nationale quand elle a adopté l'amendement qui est devenu l'article 16 bis nouveau.

Les moyens de reproduction et les techniques actuellement disponibles ont déjà permis à l'utilisation illicite des oeuvres, à l'édition « pirate » de livres, de disques ou de vidéogrammes de devenir une véritable industrie, et un commerce prospère. Les nouvelles technologies ouvrent de nouveaux champs d'action à ces pratiques frauduleuses, non d'ailleurs en raison d'un vide juridique -la contrefaçon d'une oeuvre reste une contrefaçon, qu'elle soit réalisée de façon artisanale ou en recourant aux techniques les plus sophistiquées, qu'elle soit diffusée sur support papier, sur bande magnétique, sur disque ou sur Internet- mais du fait de la multiplication et du perfectionnement des moyens techniques auxquels peuvent recourir les contrefacteurs.

De toute évidence, la position prise par l'Assemblée nationale répondait à la volonté d'assurer aux auteurs, dans cette perspective, une réparation plus efficace des dommages que leur cause la contrefaçon.

De toute évidence, aussi, ce problème aurait mérité une réflexion plus approfondie, et appelait sans doute d'autres solutions qu'un « cavalier » que la commission des Lois a rejeté pour des motifs de droit très sérieux, auxquels elle aurait pu d'ailleurs ajouter une objection de fait.

On sait, en effet, que l'actif d'une entreprise en cessation de paiement correspond à peu près à 25 % de son passif, et qu'en cas de redressement, la situation faite aux créanciers est souvent moins favorable encore qu'en cas de liquidation judiciaire. On sait aussi que, dans ce dernier cas, une fois réglées les créances « superprivilégiées » du Trésor et des salariés, et les frais de justice, il ne reste généralement rien à répartir entre les autres créanciers, qu'ils soient privilégiés ou chirographaires : la portée de l'extension proposée du privilège des auteurs, comme celle du privilège lui-même, risque donc d'être bien symbolique.

Quoiqu'il en soit, votre rapporteur n'a pas souhaité rejeter sans examen la solution proposée, ni laisser passer une occasion de chercher à améliorer la définition des droits des auteurs.

C'est pourquoi il vous proposera une nouvelle rédaction de l'article 16 bis (nouveau) fondée sur deux constatations :


tel qu'il a été adopté, l'article 16 bis présente de graves inconvénients et pourrait, loin de renforcer les droits des auteurs, risquer de les remettre en question ;


• afin de minimiser ces inconvénients et ces risques, il convient que l'extension proposée du privilège des auteurs soit cohérente avec les principes et les motifs qui avaient présidé, en 1957, à sa définition par le législateur.

1°) Les inconvénients du texte adopté par l'Assemblée nationale

Ils sont de deux ordres :

- l'article 16 bis (nouveau) affaiblit la portée du droit exclusif ;

- il n'est pas cohérent avec la définition du privilège des salariés, ni d'ailleurs avec celle des privilèges en général.


L'affaiblissement du droit exclusif.

La critique principale qu'appelle l'article 16 bis (nouveau) est qu'il place sur le même plan, comme l'avait très justement souligné la commission des Lois de l'Assemblée nationale, la cession contractuelle des droits d'auteur et l'exploitation illicite des oeuvres.

En effet, il convient de ne pas oublier que la contrefaçon ne prive pas seulement les auteurs de leur droit à rémunération, elle les prive aussi du droit exclusif d'autoriser l'exploitation ou l'utilisation de leurs oeuvres.

Considérer que les indemnités réparant le dommage causé par une contrefaçon « compensent le non paiement de rémunérations ou de redevances » contractuelles équivaut donc à banaliser la contrefaçon : le problème posé par celle-ci n'est pas seulement, en effet, que l'auteur n'a pas été rémunéré pour l'exploitation de son oeuvre. Il tient aussi, et quelquefois surtout, au fait que l'oeuvre a été utilisée sans son autorisation, voire contre sa volonté, ou dans des conditions auxquelles il aurait refusé de consentir, même moyennant « redevances et rémunérations ».

Imagine-t-on, d'ailleurs, un auteur dont on a pillé ou dénaturé l'oeuvre fondant sa réclamation sur la rémunération qu'il aurait pu retirer d'un contrat conclu avec le contrefacteur ?

Même si la rédaction particulièrement inadaptée de l'article accentue le « paradoxe » dénoncé par la commission des Lois de l'Assemblée nationale, la disposition adoptée pose bien un problème de fond, et si l'on poussait plus loin le raisonnement sur lequel elle se fonde, on en viendrait vite à considérer que, tout compte fait, la licence légale est le plus sûr moyen de garantir aux auteurs une rémunération pour toute exploitation ou utilisation de leurs oeuvres ...

Est-ce à cela que l'on veut arriver ?

Actuellement, on le sait, le droit exclusif est menacé par l'internationalisation de l'exploitation des oeuvres, par l'évolution technologique qui multiplie les risques de « piratage » et favorise aussi l'extension de la gestion collective, peu compatible avec l'exercice du droit exclusif.

La prépondérance des « industries culturelles » anglo-saxonnes est par ailleurs un facteur puissant de développement de l'influence du système du copyright , auquel ne seraient sans doute pas opposés bien des producteurs, diffuseurs ou éditeurs européens soucieux de rentabiliser les droits qu'ils détiennent.

Contre ces menaces, le gouvernement français s'efforce -et il faut lui en rendre hommage- de défendre, dans les instances communautaires ou internationales, la conception du droit d'auteur qui a toujours inspiré la législation nationale.

Il peut donc paraître pour le moins maladroit, au moment où se déroulent dans le cadre de l'OMPI des négociations pour la révision des conventions de Berne et de Rome, d'inscrire dans le code de la propriété intellectuelle une disposition fondée sur une conception selon laquelle les dommages et intérêts accordés à un auteur victime de contrefaçon ont pour objet de « se substituer » aux redevances contractuelles « qu'il aurait dû percevoir » 4 ( * ) , et selon laquelle, par conséquent, l'indemnisation d'une atteinte au droit exclusif est considérée comme un mode normal de rémunération des auteurs.


• Une disposition incohérente avec la définition du privilège des salariés, et des privilèges en général.

* C'est pour des raisons bien précises que le privilège des auteurs a été assimilé à celui des salariés. En distendant un peu plus le lien, à l'origine très fort, établi entre les créances salariales et celles correspondant aux droits d'auteur, et en étendant l'assiette du privilège à des créances indemnitaires, l'article 16 bis (nouveau) risque d'affaiblir les justifications qui fondent le privilège des auteurs.

Lorsqu'il a été institué par l'article 58 de la loi de 1957, qui reprenait le texte d'une proposition de loi précédemment adoptée par l'Assemblée nationale, le privilège des auteurs, alors limité aux dettes éditoriales, était justifié par la similitude de fait entre la situation d'un auteur lié à un éditeur par un contrat exclusif et celle d'un salarié : les droits versés à l'auteur, comme le salaire perçu par le salarié, représentaient le seul revenu qu'il pouvait tirer de son oeuvre, la seule rémunération de son « travail ». Sa créance sur l'éditeur était donc, comme celle du salarié sur son employeur, une créance alimentaire dont dépendaient ses moyens d'existence.

Comme l'écrivait l'auteur de la proposition de loi reprise par la loi de 1957, Me Moro-Giafferi : « si pour un fabricant de papier , un brocheur , un imprimeur , la faillite d'un débiteur représente une lourde perte , que dire alors pour l'écrivain ? Ceux-là ont en principe plusieurs sources de revenus ; celui-ci n'en a qu'une la plupart du temps , le contrat d'édition prévoyant en règle générale la clause d'exclusivité » . Or, poursuivait l'exposé des motifs de la proposition de loi, « dans l'état actuel des lois , l'auteur ne bénéficie d'aucun privilège , il est un simple créancier chirographaire , mis sur le même pied que ces fabricants , ces brocheurs , ces imprimeurs » .

Le rapporteur de la proposition de loi (M. Maurice Grimaud) avait ratifié cette analyse, reprise ensuite par Me Isorni, rapporteur du projet de loi qui devait devenir la loi de 1957, qui avait proposé de substituer le texte de la proposition de loi à l'article ayant même objet du projet de loi.

Il convient de noter que le privilège ainsi reconnu aux auteurs revêtait un caractère exceptionnel : c'était -et c'est resté- le seul exemple de rémunération d'un « travail indépendant » bénéficiant d'un privilège.

Mais cette exception était justifiée par la cession exclusive, par l'auteur, des droits sur son oeuvre.

En étendant le privilège aux créances des auteurs sur les producteurs, la loi de 1985 restait dans la même logique.

La jurisprudence s'en est en revanche écartée, en élargissant le privilège à toutes les créances contractuelles. Certes, cette extension n'était pas contraire à la lettre de l'article 58, mais elle atténuait considérablement la justification « alimentaire » du privilège des auteurs : il faut bien convenir que la créance, par exemple, des auteurs de la « musique d'ambiance » diffusée dans un magasin ou un restaurant n'est pas tout à fait de même nature que celle des salariés de l'entreprise.

* Mais l'extension du privilège à des créances indemnitaires va beaucoup plus loin encore :

- elle dissocie totalement, dans sa nature comme dans son étendue, le privilège des auteurs et celui des salariés. Ce dernier ne s'applique en effet qu'à des créances liées à l'exécution ou à la rupture d'un contrat.

C'est d'ailleurs pour cette raison que le professeur H. Desbois ne pensait pas que « le privilège puisse être étendu aux sommes dues aux auteurs en dehors de relations contractuelles , du fait d'exploitations et d'utilisations non autorisées , sur le terrain délictuel » .

- Elle fait venir en concurrence des créances contractuelles, celles des salariés et celles des auteurs ayant cédé leurs droits par contrat, et des créances indemnitaires dont l'origine, la nature juridique et le mode de fixation sont totalement différents ;

- le problème est d'ailleurs plus large que celui de la « concurrence » entre auteurs et salariés, puisque le privilège des auteurs, qui est déjà, on l'a dit, le seul privilège portant sur la rémunération d'un travail non salarié, devient aussi le seul privilège général sur les meubles et les immeubles résultant de la mise en oeuvre d'une responsabilité délictuelle. Toutes les créances définies aux articles 2101 et 2104 du code civil sont en effet des créances résultant d'obligations conventionnelles ou légales. C'est d'ailleurs le cas, d'une manière générale, de toutes les créances privilégiées, la seule exception étant le privilège mobilier du bailleur (art. 2102) qui a été étendu par la loi de 1948 aux créances « résultant de l'occupation des lieux à quelque titre que ce soit » pour prévoir les cas de réquisition ou de maintien dans les lieux (mais il paraît difficile d'étendre aux auteurs le privilège des bailleurs...).

2°) L'extension du privilège des auteurs doit être cohérente avec les principes qui ont justifié sa reconnaissance.

Pour les motifs que l'on vient d'exposer, l'article 16 bis (nouveau), tel qu'il est rédigé, risque de « fragiliser » le privilège des auteurs qui devient un privilège « sui generis » . Si l'on souhaite éviter que l'extension de ce privilège conduise à sa remise en cause, il faut revenir à la conception qui était celle du législateur de 1957, et redonner tout son sens au caractère « alimentaire » et personnel du privilège des auteurs. Il convient aussi, pour atténuer quelque peu la contradiction entre l'extension du privilège et le droit exclusif -et aussi pour faciliter l'application du texte- de définir autrement la créance indemnitaire à laquelle sera étendue le privilège.


Le caractère « alimentaire » du privilège des auteurs.

Il ne paraît guère envisageable de revenir sur l'extension jurisprudentielle du privilège des auteurs à toutes les créances contractuelles, d'autant moins que la codification, en 1992, du code de la propriété intellectuelle l'a implicitement confirmée en plaçant l'article L. 131-8 parmi les « dispositions générales » relatives à l'exploitation des droits patrimoniaux des auteurs.

Il n'en est pas moins indispensable, si l'on veut éviter que soit mise en question l'assimilation du privilège des auteurs à celui des salariés, de rétablir un certain équilibre entre ces deux catégories de créanciers bénéficiant du même privilège.

À cet égard, il convient de noter qu'une des raisons pour lesquelles la situation faite aux auteurs par l'article L. 131-8 peut être jugée plus favorable que celle des salariés tient au fait que le privilège des auteurs peut être invoqué pendant toute la durée de protection des droits, que le projet de loi porte uniformément à 70 ans p.m.a. Il bénéficie donc non seulement aux auteurs eux-mêmes, mais aussi à leurs héritiers.

Or, s'il est tout à fait normal, en ce qui concerne l'auteur lui-même, que les droits qu'il perçoit de son vivant soient considérés comme une créance alimentaire et assimilés, à ce titre, à un salaire, cette assimilation est beaucoup moins convaincante en ce qui concerne les droits perçus après son décès par ses ayants droit.

La limitation du privilège à la durée de la vie de l'auteur, qui ne remettrait évidemment nullement en cause le droit reconnu à ses héritiers de jouir pendant toute la durée de protection de l'oeuvre du droit de l'exploiter et « d'en tirer un profit pécuniaire », permettrait donc de rétablir une certaine égalité dans les conditions d'application aux auteurs et aux salariés du privilège défini aux articles 2101-4° et 2104 du code civil, et réaffirmerait de manière incontestable le caractère alimentaire des créances des auteurs sur les cessionnaires et les exploitants de leurs droits.


Le privilège doit rester un droit propre de l'auteur.

À l'origine, le privilège bénéficiait à l'auteur pour la créance qu'il détenait à l'égard du cessionnaire exclusif de ses droits. Le professeur H. Desbois, relevant que l'article 58 de la loi de 1957 ne visait que « les auteurs, compositeurs et artistes », et que ce texte devait faire l'objet d'une interprétation stricte, avait souligné que l'on pouvait hésiter sur la légitimité de l'extension du privilège aux cessionnaires des droits d'auteurs. Il avait cependant estimé que « l'intérêt des auteurs eux-mêmes militait en faveur de l'extension », car ils « auront de meilleures chances d'être désintéressés par le cessionnaire si celui-ci peut se prévaloir du privilège dans ses rapports avec les exploitants ».

La Cour de Cassation a apparemment été du même avis, puisqu'elle a jugé que les ayants cause des auteurs - et en particulier les SPRD - pouvaient réclamer le bénéfice du privilège au profit de ces derniers (Cass. Civ. Géniteau c/SACEM, 1er mars 1988).

Elle a également jugé qu'un distributeur de films, commissionnaire des producteurs, pouvait invoquer le privilège pour le recouvrement des créances de ces derniers, « qui bénéficient du privilège légal ». (Cass. Civ. Crédit Mutuel de Remiremont, 11 avril 1995).

Il importe, à cet égard, de prévenir toute dérive : si les cessionnaires des droits des auteurs peuvent se réclamer du privilège, cela ne doit être, effectivement, qu'au profit des auteurs, qui n'ont pas de recours contre le « sous-cessionnaire » de leurs droits.

En d'autres termes, s'il est logique que le cessionnaire des droits puisse invoquer le privilège de l'auteur pour pouvoir recouvrer et lui verser la rémunération qui lui est due, il ne serait pas admissible, au regard du principe de l'interprétation stricte des privilèges, qu'il puisse lui-même devenir un créancier privilégié.

Quelque légitime que puissent être en effet leurs créances, la loi n'a jamais entendu assimiler les éditeurs, les producteurs ni les SPRD à des salariés, ni faire venir leurs créances, en cas de cessation de paiement de leurs débiteurs, au même rang que celle des salariés de ces débiteurs.

On sait que ce n'est pas la position de certaines sociétés de perception et de répartition des droits, qui soutiennent que la totalité de la redevance forfaitaire qu'elles perçoivent auprès des utilisateurs des oeuvres qu'elles gèrent doit être privilégiée, même si le produit de cette redevance couvre, outre les sommes réparties entre les sociétaires, les frais de gestion de la société, et même si une partie des sommes réparties bénéficie à des sociétaires qui n'ont pas la qualité d'auteur.

Votre rapporteur ne songe aucunement à nier qu'il soit tout à fait normal que les sociétés « de gestion collective » prélèvent leurs frais de gestion sur les redevances qu'elles perçoivent, de même qu'il est parfaitement légitime que l'exploitation des oeuvres ne bénéficie pas seulement à leurs auteurs, mais également aux éditeurs ou aux producteurs.

Mais un fait « incontournable » demeure : seule la créance des auteurs est privilégiée, celles correspondant aux frais de gestion des SPRD, à la rémunération des éditeurs ou des producteurs ne le sont pas, et rien ne justifierait que ces diverses créances soient assimilées à celles des salariés et des auteurs, qui présentent un caractère alimentaire.

Certes, les SPRD, lorsqu'elles sont cessionnaires des droits de leurs adhérents, ne sont pas « des cessionnaires comme les autres », puisqu'elles exploitent pour le compte des cédants les droits dont elles sont devenues titulaires : c'est en ce sens que la cession dont elles bénéficient a pu être qualifiée de « fiduciaire » 5 ( * ) .

Mais elles ne se confondent pas pour autant avec les auteurs. Comme l'a souligné, à propos de la SACEM, la Cour de Cassation, cette société, « organisme professionnel de gestion » ne peut « être confondue avec les auteurs eux-mêmes des oeuvres de l'esprit auxquels , en tant que tels , la loi française accorde certains droits et prérogatives 6 ( * ) ».

Et il ne peut faire aucun doute que le bénéfice du privilège défini aux articles 2101 et 2104 du code civil fait partie des droits accordés aux auteurs « en tant que tels ». Il serait d'ailleurs difficile de soutenir qu'ils « cèdent » leur privilège en même temps que leurs droits, puisque ce privilège leur a précisément été accordé afin de faciliter le recouvrement de leur créance sur le cessionnaire du droit d'exploitation 7 ( * )

* La définition de la créance indemnitaire à laquelle peut être étendu le privilège

Il ne faut pas se dissimuler que l'extension du privilège à des créances indemnitaires posera inévitablement des problèmes d'application.

La définition de la créance indemnitaire privilégiée retenue par l'article 16 bis (nouveau), outre qu'elle insiste malencontreusement sur une équivalence supposée entre l'indemnité réparant le préjudice de contrefaçon et la rémunération de l'exploitation licite des oeuvres, risque de renforcer considérablement ces difficultés.

* La difficulté « inévitable » tient au fait que l'indemnité accordée à la victime d'une contrefaçon peut réparer des troubles d'une autre nature que le gain manqué , par exemple le préjudice commercial résultant de la contrefaçon, celui causé par la dépréciation de l'oeuvre dans l'esprit du public, l'atteinte au droit moral 8 ( * ) ...

Or, aucun texte ne fait obligation au juge du fond de préciser les divers éléments ayant servi à déterminer le montant des dommages et intérêts alloués, et encore moins de « ventiler » ces derniers entre différents chefs de préjudice.

Il pourra donc être bien difficile au juge-commissaire ou au liquidateur de déterminer la part de l'indemnité accordée compensant la perte de revenu, et qui devra donc être privilégiée.

Il sera également délicat, si le délit de contrefaçon s'est prolongé pendant plus de trois ans, de déterminer la fraction de la perte de revenu correspondant aux « trois dernières années ».

* Mais la rédaction de l'article 16 bis ( nouveau ) accentue encore cette difficulté en donnant une définition du gain manqué qui ne sera généralement pas celle sur laquelle pourra se fonder l'évaluation du préjudice.

Celui-ci peut en effet être apprécié en fonction de la perte de chiffre d'affaires subie par la victime, ou, plus fréquemment (et plus aisément) en fonction du profit réalisé par le contrefacteur, ou d'autres éléments. Mais il peut en tout cas difficilement l'être sur la base des rémunérations prévues par un contrat qui, par définition, n'a jamais été conclu.

La référence au « non paiement des rémunérations » pourra certes être un élément d'appréciation utile dans le cas des redevances forfaitaires perçues par les sociétés de perception : mais faut-il rappeler que ces sociétés n'ont pas le monopole de l'exercice de l'action en contrefaçon ?

Et en dehors du cas ou le « contrat » se solde par l'application d'un barème, il sera impossible de déterminer la part de l'indemnité compensant le non paiement de rémunérations contractuelles « virtuelles ».

Votre rapporteur vous propose donc que le privilège soit étendu, tout simplement, à l'indemnité compensant la privation de gain subie par la victime de la contrefaçon.

Une fois cette indemnité déterminée, si elle est accordée non pas à l'auteur lui-même mais au cessionnaire de ses droits, il suffira, pour apprécier la part revenant à l'auteur, d'appliquer à cette indemnité le pourcentage proportionnel représentant la rémunération de l'auteur, ou, si le cessionnaire est une SPRD, d'en soustraire le montant du prélèvement opéré avant répartition des rémunérations perçues -et, éventuellement, la part de ces rémunérations qui ne bénéficierait pas à des auteurs.


En fonction des observations qui précèdent, votre commission a adopté un amendement proposant une nouvelle rédaction de l'article 16 bis (nouveau).

Le texte proposé répond à des préoccupations de fond autant que de forme :

* Quant au fond, l'amendement a pour objet :

- d'étendre le privilège des auteurs à l'indemnité compensant, en cas de contrefaçon, le gain dont ils ont été privés « pendant les trois dernières années » ;

- de préciser que le privilège ainsi étendu bénéficie aux auteurs leur vie durant ;

- de prévoir que le cessionnaire des droits d'auteur ne peut se prévaloir du privilège que pour le compte de l'auteur -comme l'a déjà précisé la cour de Cassation- et pour la part de sa créance qui doit revenir à l'auteur.

* Quant à la forme, il paraît nécessaire d'harmoniser la rédaction de l'article L. 131-8 avec celle des autres articles du chapitre du code dans lequel il est inséré

Article 16 ter (nouveau) Validation de la décision administrative fixant le barème de la rémunération due par les exploitants de discothèques aux artistes interprètes et aux producteurs de phonogrammes

L'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle a prévu un régime de licence légale applicable à la radiodiffusion et à la diffusion publique des phonogrammes du commerce, ces utilisations devant donner lieu au versement, par les utilisateurs, d'une rémunération au profit des artistes interprètes et des producteurs.

Le législateur, qui avait fixé l'assiette et les modalités de perception et de répartition de cette rémunération, s'en était remis, pour la détermination de son barème et des modalités de son versement, à des accords conclus par branche entre les organisations représentatives des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et des utilisateurs. La durée de ces accords peut être comprise entre 1 et 5 ans (article L. 214-3 du code de la propriété intellectuelle).

À défaut d'intervention d'un accord -ou de son renouvellement en temps utile- il revient à une commission réunissant des magistrats de l'ordre administratif et judiciaire, une personnalité qualifiée et des représentants des parties intéressées de fixer le barème et les modalités de versement de la rémunération (article L. 214-4).

Le moins qu'on puisse dire est que ces procédures n'ont pas parfaitement fonctionné.

Déjà, en 1993, le législateur avait dû intervenir -dans un domaine bien éloigné de sa compétence- pour pallier les conséquences de l'annulation partielle d'une décision du 9 septembre 1987 de la commission de l'article L.214-4, et fixer lui-même le taux et les modalités de versement de la rémunération équitable due par certains services de radiodiffusion sonore, afin de combler le vide juridique créé par l'annulation, et de prévoir les règles applicables pendant le délai nécessaire à l'intervention d'un nouvel accord ou d'une nouvelle décision.

Cette fois, c'est à propos de la rémunération due par les discothèques qu'il est fait appel au Parlement.

D'après les informations dont a pu disposer votre rapporteur, la situation dans ce secteur paraît se caractériser par une certaine confusion.

Apparemment, la décision du 9 septembre 1987 de la commission de l'article L. 241-4 qui avait fixé le barème applicable aux discothèques a été inégalement respectée.

Cette décision n'a été « modifiée » que par une décision du 28 juin 1996, applicable à compter du 1er août de la même année, ce qui ne correspond guère à la périodicité envisagée par le législateur.

La décision du 28 juin 1996 fait quant à elle l'objet de recours en annulation, fondés sur des motifs de procédure et sur le fait que le terme de son application est supérieur à cinq ans : elle doit en effet s'appliquer pour 5 ans, mais son application pourra être prolongée jusqu'à l'entrée en vigueur d'un nouveau barème.

Enfin, il semble que l'organisme percepteur de la rémunération équitable, la Société pour la Perception de la Rémunération Équitable (SPRE), ait mécontenté les utilisateurs qui s'étaient plus ou moins conformés à leurs obligations en consentant des conditions particulièrement favorables, pour l'apurement de leurs dettes, à ceux qui n'avaient pas appliqué la décision de 1987. Ce qui, il faut en convenir, ne constitue pas une incitation au respect des dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-5 du code de la propriété intellectuelle, ni de la décision du 28 juin 1996.

L'article 16 ter (nouveau) adopté par l'Assemblée nationale a pour objet de valider, à compter du 1er janvier 1996 et jusqu'au terme (incertain) de son application, la décision prise le 28 juin 1996 par la commission prévue par l'article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle.


Position de la commission

Manifestement, les parties concernées par le régime de la rémunération équitable n'ont pas fait le meilleur usage de la liberté de négociation qu'avait entendu leur laisser le législateur. On peut également s'étonner, devant les difficultés d'application de la décision de 1987, que n'ait été recherché aucun accord, ou que les parties qui avaient la possibilité de convoquer la commission ne l'aient pas fait plus tôt, au lieu de laisser « pourrir » ainsi la situation et accessoirement, de laisser s'appliquer, au moins théoriquement, le même barème pendant plus de huit ans, ce qui ne correspondait pas, non plus, à l'intention du législateur.

Mais il ne revient pas au législateur de pallier une fois de plus leur carence, d'autant qu'il n'existe pour l'instant aucun vide juridique. On peut de surcroît douter que la validation de la décision du 28 juin 1996 mettrait un terme au conflit entre les discothèques et la SPRE, puisque celui-ci porte désormais sur l'apurement des dettes accumulées par certains débiteurs de la rémunération équitable sous l'empire de la décision de 1987.

Par ailleurs, outre que l'article 16 ter (nouveau) constitue un « cavalier législatif », il cumule deux motifs d'inconstitutionnalité :

- la durée de son application est subordonnée à l'intervention d'un accord interprofessionnel ou d'une décision administrative. Or, il n'appartient qu'au législateur de fixer les conditions d'entrée en vigueur ou d'abrogation des règles qu'il édicte ;

- la validation rétroactive de la décision du 28 juin 1996 ne se fonde pas, comme l'exige désormais le Conseil constitutionnel, sur un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets d'une décision de justice à intervenir, et à priver de l'exercice de leur droit à recours les personnes qui avaient un intérêt à agir en vue de son annulation.

Pour ces motifs, votre commission a adopté un amendement de suppression de l'article 16 ter (nouveau).

Intitulé du projet de loi


• Sur proposition de sa commission des Lois, l'Assemblée nationale a considérablement simplifié et abrégé l'intitulé du projet de loi.


• Position de la commission

La commission a adopté la rédaction de l'intitulé du projet de loi telle que modifiée par l'Assemblée nationale.

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Sous réserve de l'adoption des amendements proposés, votre commission demande au Sénat d'adopter, en deuxième lecture, le présent projet de loi.

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* *

* 4 Exposé des motifs de l'amendement adopté par l'Assemblée nationale. Sans doute n'est-ce pas un hasard si l'article additionnel 16 bis nouveau est soutenu non pas par des auteurs , mais par des SPRD , tant il est vrai que « confiés à une société de gestion collective , les droits exclusifs se réduisent à de simples droits à rémunération » ( H. Cohen Jehoram , « Principes fondamentaux des sociétés de gestion collective » in Le Droit d'Auteur , juillet-août 1990 ) .

* 5 A. et H.-J. Lucas - Traité de la propriété littéraire et artistique ( LITEC 1994 )

* 6 Cass.civ. Mme  Rey c/SACEM , 28 mai 1984.

* 7 mais ils peuvent bien entendu céder à un tiers leur créance privilégiée ( art.2112 du code civil ) .

* 8 cf. les exemples donnés par A. et H.-J. Lucas , op. cit. , p. 640 et suivantes.

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