b) Incertitudes liées à la définition des activités des volontaires

La définition des activités des volontaires retenues par le projet de loi interdit de confier aux volontaires des missions qui pourraient être accomplies dans le cadre d'un contrat de travail ou dans celui d'un emploi permanent régi par les statuts de la fonction publique. Le critère proposé par cet article est que les fonctions confiées aux volontaires ne doivent pas être "nécessaires au fonctionnement normal de l'organisme d'accueil".

. La première difficulté posée par cette définition est de parvenir à cerner la notion d'activité non nécessaire au fonctionnement normal d'un organisme , l'idée étant que les fonctions nécessaires sont celles qu'assurent des salariés permanents ou des agents publics sous statut.

A l'évidence, les appelés actuellement mis à disposition de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger effectuent un travail équivalent à celui qu'accomplirait un enseignant sous statut. Une manière de contourner l'obstacle serait d'estimer que des volontaires peuvent être affectés à des établissements d'enseignement pour satisfaire un besoin ponctuel, lié à une évolution non confirmée des effectifs français expatriés. Si en revanche ces effectifs se stabilisent, et que se confirme le besoin d'un poste permanent, celui-ci devrait être confié à un "professionnel" (si toutefois l'on en trouve). La même argutie pourrait être imaginée à l'égard du volontariat en entreprise : une entreprise peut confier à un volontaire la prospection d'un marché. Si celui-ci confirme l'opportunité d'une implantation de l'entreprise à l'étranger, c'est à un expatrié sous contrat de travail qu'il conviendra alors de recourir. La question est toutefois de savoir si des personnels par nature temporaires et étrangers à l'entreprise peuvent déterminer valablement l'opportunité d'une expansion de ladite entreprise à l'étranger, sans avoir de celle-ci une connaissance assez familière.

. L'imprécision qui caractérise la définition des activités des volontaires retenue par le projet de loi pourrait donc se traduire par le dilemme suivant :

- l'organisme d'accueil ne respecte pas la loi , et confie aux volontaires des fonctions équivalentes à celles qu'assurent actuellement les appelés du contingent ,

- l'organisme d'accueil respecte la loi . Dans ce cas deux possibilités sont ouvertes : soit proposer aux volontaires des activités qui, non "nécessaires" (à son )fonctionnement normal", pourraient être jugées inintéressantes par les volontaires dont la ressource tarirait immanquablement , soit recourir à une autre ressource que les volontaires , pour être en mesure de faire accomplir des tâches "nécessaires (à son) fonctionnement normal".

Cette dernière solution, préconisée notamment par la Gendarmerie nationale, illustre très nettement les faiblesses du projet de loi à l'égard de la définition des activités susceptibles d'être confiées aux volontaires.

En effet, le projet de loi exclut de confier aux volontaires la qualité d'agents de police judiciaire adjoint, comme la Gendarmerie le prévoyait à l'origine, obligeant ainsi à affecter les volontaires à des missions de renfort, notamment au sein des unités de la gendarmerie départementale.

La loi de programmation ayant assis sur le seul développement du nombre de volontaires l'augmentation des effectifs de la Gendarmerie, celle-ci a engagé une réflexion sur la possibilité de répondre aux besoins de sécurité de la population et de faire face à l'accroissement de ses missions en remplaçant les gendarmes auxiliaires par deux catégories de personnels : d'une part, des volontaires employés en renfort, d'autre part, une nouvelle catégorie de professionnels sous contrat , ayant la qualité d' agents de police judiciaire adjoints , et recrutés pour une courte durée (2 ans) éventuellement renouvelable.

Selon M. Bernard Prévost, Directeur général de la Gendarmerie nationale, la création de cette nouvelle catégorie de professionnels sous contrat ne devrait pas affecter l'équilibre de la loi de programmation. Les 16 200 postes de volontaires que celui-ci prévoit d'affecter à la Gendarmerie entre 1997 et 2002 représenteraient, en effet, un coût équivalent au recrutement d'environ deux-tiers de professionnels sous contrat servant au moins deux ans, dont la rémunération se situerait entre 5 000 et 6 000 F, et d'un tiers de volontaires indemnisés 2 000 F par mois, et servant pendant un an.

Si le projet tendant à créer ces professionnels sous contrat est mis en oeuvre, il n'est pas exclu que la cohabitation, au sein de la Gendarmerie, de deux catégories de personnels servant pour une courte durée ne dévalorise les volontaires, affectant ainsi le succès de cette formule. La définition des activités des volontaires retenue par le projet de loi pourrait donc avoir un effet contreproductif en décourageant les vocations des volontaires.

Une démarche similaire pourrait conduire le Ministère des Affaires étrangères à privilégier le recrutement de recrutés locaux de préférence à celui de volontaires. Cette formule présenterait en effet l'intérêt, pour nos postes diplomatiques et consulaires et pour nos établissements culturels, de garantir la stabilité d'une ressource, par ailleurs peu coûteuse. Les obstacles juridiques à l'emploi de volontaires, joint aux difficultés liées au caractère aléatoire de cette ressource, pourrait donc décourager les organismes d'accueil de recourir au volontariat . Ces difficultés se posent en termes particuliers dans les armées . Celles-ci ont besoin de la ressource volontaire notamment pour occuper les places que laisseront vides les scientifiques du contingent, et pour assurer des fonctions à caractère civil (coiffeurs, métiers de bouche, professions du bâtiment...) actuellement assurées par des appelés.

Le recours à des volontaires pour des activités comparables à celles que l'on confie à des scientifiques du contingent pourrait être facilité par le fractionnement. Ainsi la Marine et l'Armée de l'air envisagent-elles de proposer des stages fractionnés, qui s'intégreraient dans le cursus des étudiants : on peut penser que le fractionnement, induisant l'idée de fonction temporaire, permet d'assimiler les activités des volontaires à des activités non nécessaires au fonctionnement de leur armée d'affectation.

En revanche, le recours aux volontaires pour assurer des fonctions équivalentes aux "emplois militaires à caractère civil" ne permet pas d'échapper à la difficulté juridique posée par le projet de loi. Les emplois de coiffeurs, de serveurs de mess et d'électriciens pourraient, en effet, être assurés par des militaires professionnels.

. Un argument pourrait toutefois permettre aux armées d'échapper aux rigueurs juridiques du projet de loi. En effet, les armées recruteront des personnels professionnels en fonction des effectifs et des moyens définis par la loi de programmation 1997-2002. Celle-ci précise également le nombre de volontaires sur lesquels pourront s'appuyer les armées (27 171 postes seront ouverts pendant la période). Les volontaires ne risquent donc pas d'accaparer un emploi permanent. Dans cette logique, rien ne s'oppose à ce que des volontaires servent comme officiers, ce qui serait très favorable dans la perspective de la constitution de forces de réserve adaptées aux besoins d'une armée professionnelle. Votre rapporteur regrette, à cet égard, que l'interprétation du projet de loi par le Ministère de la Défense s'oppose à la possibilité, pour des volontaires, de servir en tant qu'officiers.

. Il semble difficile d'attirer des effectifs réguliers et suffisants de volontaires en s'en tenant rigoureusement à la loi : cette réflexion d'un élève de l'ESSEC est très éclairante du degré d'exigence qui, de la part des jeunes, pourrait résulter du passage au volontariat, une fois disparue l'obligation militaire dont l'effet répulsif est pour beaucoup à l'origine des motivations des CSNE : " Ce volontariat (en entreprise) peut être une porte ouverte vers l'étranger. Mais il faudrait qu'il permette un travail vraiment intéressant. Aujourd'hui on s'accommode de CSNE souvent assez médiocres, en pensant que c'est toujours mieux qu'un service militaire classique. Dans un contexte de volontariat, les gens seront beaucoup plus exigeants sur la qualité de ce qu'on leur proposera " [19] .

Par ailleurs, " interrogés sur ces perspectives, des élèves des grandes écoles de commerce déclarent, avec un assez bel ensemble, que l'année qu'il leur est désormais possible de passer dans une entreprise étrangère en cours d'études leur paraît une formule plus intéressante que ce volontariat (en entreprise) "1.

Ces réflexions montrent assez clairement que le succès du service national en entreprise est en partie lié à l'effet répulsif du service militaire . Le succès du futur volontariat en entreprise pourrait donc être subordonné à l'intérêt des postes qui seront proposés par les entreprises concernées.

. En conséquence, il paraît indispensable de reformuler la définition des activités susceptibles d'être proposées aux volontaires en se bornant à interdire que les activités offertes à ceux-ci ne peuvent se substituer à des emplois permanents .

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