PRATICIENS DES COURS D'ASSISES

M. Henri-Claude Le Gall, conseiller à la Cour de cassation,
vice-président de l'Association nationale des praticiens des cours d'assises,
M. Dominique Riboulleau, conseiller à la cour d'appel de Pau,
président de la cour d'assises des Landes,
M. Claude Soulier, greffier en chef,
M. Eric Enquebecq, avocat général à la cour d'appel de Caen,
avocat général à la cour d'assises du Calvados,
Mme Marie-Agnès Credoz, président de la cour d'assises du Doubs

M. Henri-Claude Le Gall a indiqué que son association était favorable à l'instauration d'un double degré de juridiction en matière criminelle. Il a cependant estimé nécessaire de prendre en considération l'impératif de ne pas allonger une procédure comprenant déjà une phase préparatoire, avec l'intervention possible de la chambre d'accusation, et le fait que les cours d'assises siégeaient actuellement de façon intermittente.

Il a rappelé que le premier projet de réforme envisagé par la Chancellerie tendait à instaurer une juridiction de premier degré permanente et composée de magistrats professionnels, ce qui devait permettre la rédaction de décisions motivées au vu du dossier et des débats, et une possibilité d'appel devant la juridiction criminelle dont la composition demeurait inchangée.

Il a exprimé sa préférence pour ce premier projet en estimant que le projet soumis au Parlement présentait le double inconvénient d'alourdir la procédure avec une motivation difficilement compatible avec un vote secret " en conscience " des jurés et de porter atteinte au principe du contradictoire par la mise à la disposition des jurés du dossier au cours du délibéré.

Se référant à un article de doctrine de M. Henri Angevin paru dans la Revue de Droit Pénal, il s'est interrogé sur le caractère réaliste de l'exigence de motivation en évoquant les trois hypothèses de préparation de sa rédaction : soit par anticipation, soit en cours de délibéré, soit de façon différée dans un délai de quinze jours suivant le délibéré. Il a, à nouveau, souligné une contradiction entre cette exigence et le caractère secret du vote des jurés.

Après avoir rappelé que le code de Brumaire An IV avait fixé à 30 ans l'âge minimum pour être juré, abaissé en 1972 à 23 ans, soit l'âge requis pour être candidat à la députation, il s'est déclaré défavorable au choix de l'âge de 18 ans qui ne reposait pas sur une véritable justification.

Il a en outre considéré qu'un simple enregistrement sonore des débats ne constituait pas une mesure techniquement adaptée à des débats susceptibles d'être houleux, car il serait alors impossible d'identifier les différents intervenants.

Tout en s'interrogeant sur les moyens mis à la disposition des juridictions pour la mise en oeuvre de ces innovations, il a indiqué qu'un enregistrement audiovisuel serait préférable.

M. Dominique Riboulleau s'est à son tour déclaré défavorable à l'abaissement à 18 ans de l'âge requis pour être juré.

Il s'est interrogé sur les incidences pratiques de l'instauration d'un double degré de juridiction, en particulier pour les juridictions de taille petite ou moyenne. Il a estimé qu'une telle mesure nécessiterait la création de 100 postes de magistrats du siège et de 150 postes de greffiers, les 40 postes de greffiers annoncés étant jugés insuffisants. Il a considéré que cela impliquerait la réalisation d'infrastructures nouvelles et que l'exigence d'un enregistrement sonore des débats aurait un coût non négligeable.

M. Dominique Riboulleau a considéré que la juridiction d'appel serait fréquemment appelée à siéger, à l'initiative soit du ministère public, soit du condamné en première instance, et que la désignation de 35 jurés titulaires pour la liste de session et de 10 jurés suppléants risquait de se révéler insuffisante.

Concernant la référence à la notion de " situation maritale notoire ", motif d'incompatibilité pour les jurés ou les témoins, il a souligné qu'elle serait difficile à appréhender et, partant, susceptible de générer des contentieux.

Il s'est déclaré défavorable à l'enregistrement sonore des débats, techniquement inapproprié, et s'est interrogé sur les modalités du contrôle sur la transcription des interventions.

Il a considéré inadmissible la faculté offerte au seul avocat de l'accusé de rappeler à tout moment au président son devoir d'impartialité dans la conduite des débats.

S'agissant de la motivation des décisions, il a estimé qu'elle serait techniquement malaisée, soit qu'une motivation stéréotypée soit inutile, voire sanctionnée par la Cour de cassation, soit qu'une motivation a posteriori soit inadaptée.

Il a souligné que la faculté ouverte aux avocats et au ministère public d'interroger directement l'accusé ou toute personne appelée à la barre constituait une amorce de procédure accusatoire susceptible de nuire à la sérénité des débats. Il a rappelé que si cela correspondait à une pratique communément admise, le président pouvait actuellement revenir à une application stricte des règles de procédure en cas de dérive.

Constatant que l'accusé pouvait s'exprimer directement, contrairement à la partie civile représentée par son avocat, il a suggéré que cette dernière puisse intervenir à la barre. Il a estimé qu'une telle mesure serait en cohérence avec la possibilité offerte à la partie civile de décider si le procès devait se dérouler publiquement ou à huis clos.

M. Claude Soulier a estimé que la mise en oeuvre de la réforme nécessiterait la réalisation préalable de nouvelles infrastructures ainsi que des aménagements des locaux existants pour procéder à l'enregistrement des débats. Se référant aux procès Barbie à Lyon, Touvier à Versailles et Papon à Bordeaux, il a souligné que ces aménagements seraient très onéreux.

Considérant que les 40 postes de greffiers annoncés par le garde des sceaux seraient insuffisants, qu'il s'agisse de créations ou, a fortiori, de redéploiements, il a précisé que les tâches incombant aux greffiers étaient déjà lourdes et qu'il était exclu de leur demander de veiller aux manipulations requises pour l'enregistrement des débats. Il a estimé nécessaire de prévoir des appariteurs. La création de 150 postes de greffiers lui est apparue constituer un minimum.

En réponse à M. Robert Badinter , il a précisé que le greffier ne devrait pas intervenir dans la rédaction de la motivation des décisions, tâche incombant nécessairement à un magistrat.

Sur une intervention de M. Michel Dreyfus-Schmidt , M. Dominique Riboulleau a rappelé que la convocation des jurés, actuellement effectuée par les préfets, incomberait désormais aux greffiers et que leur charge de travail serait également accrue par la nécessité induite par le double degré de juridiction d'établir des procès-verbaux plus nombreux.

M. Claude Soulier a cependant estimé que les tâches supplémentaires confiées aux greffiers par le projet de loi pourraient être compensées par l'informatisation des cours d'assises, qu'il a jugée très performante dans les juridictions parisiennes.

M. Eric Enquebecq a tout d'abord évoqué le problème de l'âge minimum requis pour être juré. A cet égard, il a fait valoir que l'évolution de la nature du contentieux des cours d'assises, composé à Caen pour plus de 80 % d'affaires de moeurs, nécessitait pour les jurés une expérience de la vie que l'on a rarement à 18 ans.

A propos de la motivation, il a émis les mêmes réserves que ses collègues. Il a fait observer que les principes de l'intime conviction et du secret du délibéré apparaissaient contradictoires avec l'exigence d'une motivation. En outre, il s'est interrogé sur l'intérêt d'une motivation rendue plusieurs jours après la décision.

Considérant que la motivation résultait des réponses apportées aux questions posées au jury, il s'est prononcé en faveur soit d'une absence totale de motivation, soit d'une motivation limitée à la première instance et destinée à permettre au condamné de connaître les motifs de la décision prise à son égard. Une motivation des décisions des cours d'assises d'appel ne lui a pas paru s'imposer.

Abordant ensuite certains points plus techniques, il a souhaité une simplification de la procédure de serment des témoins et a fait part de sa perplexité devant la disposition prévoyant que le dossier serait emporté dans la salle du délibéré. Sur ce point, il a fait observer qu'aucune disposition ne permettait aux parties de s'assurer que le dossier ne serait consulté que pour vérifier des éléments évoqués au cours des débats. Compte tenu des risques techniques liés à l'enregistrement, il s'est déclaré partisan d'une sténotypie des débats.

Après avoir admis la possibilité d'un rappel à l'ordre du président par l'avocat de la défense, il a considéré que la lecture préalable du jugement de première instance devant la cour d'assises d'appel serait susceptible de créer un préjugé dans l'esprit du jury.

Enfin, au sujet du nombre des magistrats du parquet supplémentaires qui devraient être recrutés pour assurer la mise en oeuvre de la réforme, il a noté que le problème du renforcement des effectifs se poserait uniquement dans les départements où se trouvait une cour d'appel, dans la mesure où dans les autres départements les parquetiers de l'actuelle cour d'assises pourraient être affectés au futur tribunal d'assises. A titre d'exemple, il a estimé qu'il faudrait prévoir deux ou trois postes supplémentaires pour le ressort de Caen.

Mme Marie-Agnès Credoz a considéré que l'on aurait dû mettre en application depuis longtemps le principe du double degré de juridiction, rappelant que la France avait ratifié en 1989 le protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'Homme.

Elle s'est présentée comme un " ardent défenseur des jurés " et a constaté que ceux-ci posaient toujours des questions pertinentes même si l'infaillibité du jury ne constituait pas à ses yeux un principe intangible. Elle a cependant déclaré qu'elle n'aurait pas été hostile à un système de " cours d'assises tournantes ".

A propos de la proportionnalité des votes, elle a souhaité que pour les décisions défavorables à l'accusé une majorité des trois quarts soit requise aux deux niveaux de juridiction.

Attachée au principe de l'oralité des débats, elle s'est interrogée sur la disposition prévoyant que le dossier serait amené dans la salle du délibéré.

Elle s'est déclarée favorable à une sténotypie des débats.

Par ailleurs, elle a contesté le fait que l'ordonnance de prise de corps puisse désormais concerner les personnes renvoyées pour délits connexes et a fait observer qu'aucun délai n'était prévu pour le jugement en cour d'assises d'appel.

Elle s'est déclarée opposée à l'abaissement à 18 ans de l'âge minimal des jurés, manifestant le souci de protéger les jeunes des affaires sordides évoquées en cour d'assises. La fixation de cet âge minimal à 21 ans lui est toutefois apparue envisageable.

Elle a jugé inadéquate l'exigence d'une motivation des décisions qui, selon elle, pouvaient résulter de motifs très différents, voire contradictoires, et qui pourraient -si elles étaient motivées- être influencées par la médiatisation de certaines affaires. En revanche, elle s'est déclarée favorable à une extension des questions posées au jury, souhaitant notamment que l'on rétablisse l'obligation de poser la question relative aux causes d'irresponsabilité.

Enfin, elle a estimé indispensable de prévoir une formation obligatoire des présidents de cours d'assises, constatant que les formations actuellement dispensées à la Cour de cassation et à l'Ecole nationale de la magistrature n'étaient pas suffisantes. Elle s'est prononcée en faveur du maintien de l'article 353 du code de procédure pénale, relatif à l'adresse faite aux jurés, dont le texte lui a paru constituer un élément essentiel de la solennité des débats d'assises.

M. Eric Enquebecq a, pour sa part, ajouté qu'il conviendrait de ne plus permettre à l'accusé de se désister de l'appel de son jugement après une mise en demeure qui serait effectuée au moment de la notification de la date d'audience de la cour d'assises d'appel.

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