II. TOUTES LES INTERROGATIONS SOULEVÉES PAR LA CRÉATION D'EUROPOL N'ONT PAS ÉTÉ LEVÉES

A. LES INCERTITUDES LIÉES À L'ÉQUILIBRE ENTRE CONFIDENTIALITÉ DES INFORMATIONS ET PROTECTION DES PERSONNES

L'information -la façon dont elle est fournie et dont elle circule- apparaît ainsi au coeur du fonctionnement d'Europol. Il est naturel que la convention lui consacre ainsi l'essentiel de ses dispositions.

Un système comme Europol soulève deux questions cruciales : la confidentialité des informations d'une part, la protection des droits de la personne d'autre part. Au moment des négociations, la présidence française avait avancé un compromis équilibré entre ces deux exigences. Si les propositions relatives aux garanties de confidentialité ont été retenues dans la convention, il n'en est pas de même, en revanche, de la protection des droits de la personne où l'accord retenu s'écarte des solutions françaises.

1. Les garanties de confidentialité

L'architecture du système informatisé d'Europol repose sur deux éléments :


· un système d'information ;


· des fichiers créés aux fins d'analyse.

a) Un système d'information

Le système d'information, d'une part, comprend les informations relatives aux personnes qui, au regard du droit national de l'Etat membre concerné sont soupçonnées d'avoir commis une infraction ou participé à une infraction relevant de la compétence d'Europol et, d'autre part, aux personnes pour lesquelles certains faits graves laissent présumer qu'elles commettront des infractions relevant de la compétence d'Europol (art. 8, par. 1). Les données qui peuvent être ainsi enregistrées sont précisément déterminées : nom, date et lieu de naissance, nationalité, sexe et, le cas échéant, d'autres éléments permettant d'établir l'identité (art. 8, par. 2). Les unités nationales auront un accès direct à ces données.

Mais le système d'information peut comprendre en outre des indications complémentaires relatives à ces personnes : les infractions, les moyens utilisés, les services traitants, la suspicion d'appartenance à une organisation criminelle (art. 8, par. 3). Ces données se caractérisent par un plus large degré de confidentialité  et les unités nationales ne pourront y avoir accès que par l'intermédiaire de leurs officiers de liaison et pour les besoins d'une enquête déterminée.

Si la procédure ouverte à l'égard de l'intéressé est définitivement clause ou si celui-ci est acquitté, les données concernées par cette décision doivent être effacées (art. 8, par. 5).

Les informations sont fournies directement par les Etats par le biais des unités nationales et des officiers de liaison ou par Europol pour les données communiquées par des Etats ou des institutions tiers et les données résultant d'analyses conduites par Europol lui-même. Par ailleurs, parmi le personnel d'Europol, seuls le directeur, les directeurs adjoints et les agents d'Europol " dûment habilités " ont le droit d'introduire directement ou de rechercher des données dans le système d'information.

Seule l'unité qui a introduit les données est autorisée à les modifier, les rectifier ou les effacer (art. 9, par. 2).

b) Les fichiers d'analyse

La mise en place de fichiers de travail à des fins d'analyse constitue toutefois l'aspect le plus novateur d'Europol car il marque l'introduction de la notion d'analyse criminelle à l'échelon européen.

Ces fichiers se distinguent du système d'information de par leur fonction, de par leur contenu et enfin, de par leurs modalités d'utilisation.

En premier lieu, les fichiers sont créés aux fins de l'analyse, dans le but d' appuyer l'enquête criminelle (art. 10, par. 2).

En second lieu, les fichiers concernent non seulement les personnes visées à l'article 8 mais également les personnes pouvant être appelées à témoigner à l'occasion d'enquête, des personnes ayant été victimes d'infractions, des personnes servant de contacts ou d'accompagnateurs, ainsi, enfin, que des personnes pouvant fournir des informations sur les infractions considérées.

Les données ainsi stockées permettent l'établissement d'un système d'index que peuvent consulter le directeur d'Europol, les directeurs adjoints, les agents dûment habilités et les officiers de liaison. Ce système d'index doit permettre à l'officier de liaison d'établir que les fichiers contiennent des informations concernant son Etat membre d'origine.

Toutefois, les informations contenues dans ces fichiers ne sont pas d'accès direct. Leur utilisation passe par le relais d'un groupe d'analyse. En effet, chaque projet d'analyse entraîne la constitution d'un groupe d'analyse qui associe d'une part les analystes et les autres agents d'Europol désignés par la direction de cet organisme et d'autre part, les officiers de liaison et les experts des Etats à l'origine des informations ou concernés par l'analyse.

Les informations sont transmises par les Etats de leur propre initiative ou à la demande d'Europol. Europol peut également s'adresser à des organismes tiers tels qu'Interpol, selon des modalités définies à l'unanimité par le Conseil européen, afin d'obtenir des informations complémentaires et nécessaires pour l'exercice de ses missions.

Le degré de confidentialité des travaux des groupes d'analyse dépend de la nature de l'analyse conduite.

En effet, si l'analyse présente un caractère général et de type stratégique. L'ensemble des Etats membres, par l'intermédiaire des officiers de liaison, est pleinement, associé aux résultats des travaux notamment par la communication des rapports d'Europol.

Si, en revanche, l'analyse porte sur des cas particuliers et présente un caractère directement opérationnel, seuls les Etats se trouvant dans l'un des trois cas de figure suivants participent à l'analyse conduite sous l'égide d'Europol :


· les Etats à l'origine des informations qui ont suscité la création du fichier d'analyse ;


· les Etats concernés par ces informations ;


· les Etats auxquels la consultation du système d'index leur permet de penser qu'ils sont intéressés par l'analyse en cours ; dans ce cas, l'officier de liaison de l'Etat concerné est associé de plein droit aux travaux du groupe après avoir présenté une demande motivée et visée par l'autorité hiérarchique dont il relève dans son Etat. Une procédure de conciliation est prévue dans l'hypothèse où une objection s'élèverait au sein du groupe d'analyse. En dernier ressort, il appartient au conseil d'administration de se prononcer par consensus.

L'Etat membre qui transmet une donnée à Europol juge, seul, de son degré de sensibilité. La diffusion ou l'exploitation opérationnelle d'une donnée d'analyse suppose, au préalable, la concertation des participants à l'analyse. Un Etat membre accédant à une analyse en cours ne pourrait naturellement pas diffuser ou exploiter des données sans l'accord des Etats membres d'abord concernés.

Ces mécanismes permettent de respecter les exigences de la confidentialité en fonction du degré de sensibilité des informations concernées.

La convention prévoit en outre à l'article 4 une garantie plus générale. Une unité nationale peut refuser de communiquer des informations à Europol pour trois motifs principaux : les intérêts nationaux essentiels en matière de sécurité, le bon déroulement d'une enquête et la sécurité des personnes, enfin la protection des activités de renseignement en matière de sécurité de l'Etat.

En outre, un règlement relatif à la protection du secret et à la confidentialité pour l'ensemble des informations traitées par Europol devrait être finalisé sous la présidence luxembourgeoise du Conseil européen. Il permettra notamment de définir, dans le cadre d'un manuel de sécurité, les conditions de détermination des trois niveaux de sécurité retenus : " confidentiel ", " secret, et " top secret ". Les principes directeurs qui président à l'élaboration du règlement s'efforcent de tenir compte des spécificités de chacun des Etats membres en matière de protection de l'information et de la nécessité de préserver une certaine souplesse opérationnelle.

Enfin, s'il est prévu qu'Europol puisse transmettre des données à caractère personnel à des Etats ou instances tiers, l'accord des Etats membres constitue un préalable pour toutes les informations qu'ils ont transmises à l'Office européen de police.

2. La protection des personnes

La nécessité de veiller au principe de confidentialité ne saurait toutefois conduire à méconnaître les droits et libertés des personnes. Le débat s'est cristallisé en particulier sur le régime d'accès des particuliers aux données d'Europol.

Lors des négociations, la France avait présenté un compromis permettant de respecter la spécificité des régimes législatifs des pays qui, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas, donnent à leurs citoyens un accès direct pour le contrôle des données de police les concernant et les autres qui, telle la France avec la Commission nationale informatique et liberté (CNIL), utilise le relais d'un organisme spécialisé et indépendant.

La proposition française laissait ainsi à Europol la possibilité de répondre directement à un ressortissant d'un pays où l'accès direct aux informations sur les fichiers le concernant est prévu par la loi ou la constitution. En revanche, dans les pays où prévaut l'accès indirect, Europol répondrait par l'intermédiaire de l'institution indépendante nationale -la CNIL pour la France.

Or, le dispositif retenu s'est écarté de cette formulation : d'une part, Europol répond directement au requérant, d'autre part, toute personne désireuse d'accéder aux informations la concernant peut formuler sa demande dans tout Etat membre de son choix : le droit à vérification s'exerce alors dans les conditions prévues par le droit national des pays où la demande a été formulée. En outre, dans l'hypothèse d'un contentieux, l'autorité de contrôle commune prend sa décision conformément au droit national de l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite.

Il est clair ainsi que le souci de placer les citoyens des Etas-membres d'Europol dans une situation d'égalité vis-à-vis de l'accès aux données les concernant a primé sur la prise en compte des spécificités nationales.

Toutefois, les clauses de sauvegarde obtenues par la France devraient en principe limiter les possibles inconvénients liés à ce système dont votre rapporteur présentera maintenant, de façon détaillée, les éléments.

a) Les conditions d'accès

Dans tous les cas, la personne désireuse d'accéder aux données la concernant ou de les faire vérifier doit s'adresser à l'autorité nationale compétente chargée de saisir Europol. Le droit d'accès s'organise différemment dans chaque Etat membre selon son droit national. Certains pays permettent la communication des données, d'autres n'autorisent qu'un droit à vérification. Toutefois la convention reconnaît en fait au demandeur d'utiliser ces deux possibilités car elle lui laisse la liberté de formuler sa requête dans tout Etat-membre de son choix.

Quand le droit de l'Etat membre saisi prévoit la communication relative aux données, celle-ci peut être refusée pour trois motifs : le bon fonctionnement d'Europol, la protection de la sécurité des Etats membres et de l'ordre public, la protection des droits et libertés des tiers. Les Etats membres intéressés par les données demandées ont la faculté de faire connaître leur position qui peut aller jusqu'au refus de communication (art. 19, par. 4). Quand le droit de l'Etat membre ne reconnaît pas la communication relative aux données, Europol procède aux vérifications sans donner d'indications qui puissent révéler au requérant s'il est ou non connu (art. 19, par. 5).

Dans tous les cas, la demande doit faire l'objet d'un traitement complet par Europol dans les trois mois qui suivent la réception de la demande par l'autorité nationale compétente.

b) Les conditions de contrôle

Le droit d'accès est placé sous le contrôle des autorités de contrôle nationales et d'une autorité de contrôle commune.

Les autorités de contrôle nationales veillent à la régularité de la transmission ou de la consultation à Europol de données à caractère personnel par leurs Etats respectifs. Pour la France, la Commission nationale Informatique et Libertés constitue l'autorité de contrôle nationale.

En outre une autorité de contrôle commune indépendante composée au maximum de deux représentants de chacune des autorités de contrôle nationales veille au respect, par Europol, des droits de la personne. A cette fin Europol est notamment tenu de lui fournir tous les renseignements ou documents qu'elle demande. L'autorité de contrôle commune constitue l'instance de recours pour les personnes qui se sont vu refuser une demande de communication.

Quand le recours concerne une communication relative aux données introduites par un Etat membre, l'autorité de contrôle commune prend sa décision conformément au droit national de l'Etat auprès duquel la demande a été formulée, et "en étroite coordination avec l'autorité de contrôle nationale ou la juridiction compétente de l'Etat membre qui est à l'origine de la donnée". La formulation retenue se rapproche des stipulations retenues par la convention de Schengen (art. 114) tandis que l'avant-projet de la convention Europol ne mentionnait guère que " l'information, si nécessaire, de l'autorité de contrôle nationale ".

Quand le recours concerne la communication de données introduites par Europol, l'autorité commune ne peut passer outre à une opposition persistante d'Europol ou d'un Etat membre qu'à la majorité des deux tiers de ses membres. La convention apporte des garanties supplémentaires pour le respect des droits de la personne.

Europol et les Etats membres sont aussi tenus de rectifier ou d'effacer les données entachées d'erreur ou contraires aux dispositions de la convention. Par ailleurs, la nécessité de conserver les données doit faire l'objet d'un examen trois ans au plus tard après l'introduction de ces informations. Les données à caractère personnel ne peuvent être conservées au-delà d'un délai de trois ans, même si ce délai recommence à courir chaque fois qu'une information nouvelle concerne la personne intéressée (art. 21, par. 3). Toute personne concernée par un dossier d'Europol peut demander la rectification ou la suppression des données la concernant. Elle peut saisir le cas échéant l'autorité de contrôle commune (art. 22, par. 3).

Cette instance analyse dans un rapport d'activité qu'elle peut rendre public, les difficultés soulevées par l'activité d'Europol en matière de traitement et d'utilisation de données à caractère personnel. Elle peut également formuler des propositions (art. 24, par. 3).

Enfin la convention commande aux Etats de prendre avant la date d'entrée en vigueur de la convention "les mesures de droit interne nécessaires pour garantir un niveau de protection des données correspondant aux moins à celui qui résulte de l'application de principes de la convention du Conseil de l'Europe du 28 janvier 1981" (art. 14, par. 1). Cette convention porte sur la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel. L'article 6 de la convention relative à Europol se réfère également à l'article 6 de ce texte, et interdit de sélectionner une catégorie particulière de personnes à partir de "données à caractère personnel révélant l'origine raciale, les opinions publiques, les convictions religieuses, ainsi que les données à caractère personnel relatives à la santé ou à la vie sexuelle".

La France dispose quant à elle d'un dispositif législatif qui assure à la protection du droit des personnes les garanties requises.

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