Rapport n° 83 (1997-1998) de M. Patrice GÉLARD , fait au nom de la commission spéciale, déposé le 19 novembre 1997

Disponible au format Acrobat (345 Koctets)

N° 83

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 novembre 1997.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission prévue par l'article 105 du Règlement sur la proposition de résolution de M. Michel CHARASSE tendant à requérir la suspension des poursuites engagées contre M. Michel CHARASSE, sénateur du Puy-de-Dôme.

Par M. Patrice GÉLARD.

Sénateur.

1 Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; Michel Dreyfus-Schmidt, vice-président : François Blaizot, secrétaire : Patrice Gélard, rapporteur : François Autain, Robert Badinter, Marcel Bony, Philippe de Bourgoing, Jean-Louis Carrère, Charles de Cuttoli, Marcel Debarge, Désiré Debavelaere, Mme Joëlle Dusseau, MM. Pierre Fauchon, Philippe François, Jean-Marie Girault, Daniel Hoeffel, Jean-Jacques Hyest, Charles Jolibois, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Jacques Mahéas, Philippe Marini, Michel Mercier, Paul d'Ornano, Georges Othily, Robert Pages, Alex Türk, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Voir le numéro :

Sénat : 15 (1997-1998).

Article 26, alinéas 2 et 3 de la Constitution :

« Aucun membre du Parlement ne peut faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d'une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du Bureau de l'Assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n'est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

« La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d'un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l'Assemblée dont il fait partie le requiert. »

Mesdames, Messieurs.

Le Sénat est saisi d'une proposition de résolution présentée par M. Michel Charasse tendant à requérir la suspension des poursuites engagées à son encontre.

Conformément à l'article 105 du Règlement du Sénat 1 ( * ) , cette proposition de résolution a été envoyée à une commission spéciale dont les membres ont été désignés le mardi 28 octobre 1997.

Il faut noter à cet égard que la procédure définie par le Règlement du Sénat diffère quelque peu de celle applicable à l'Assemblée nationale, dont le Règlement prévoit, en son article 80, la constitution, au début de chaque session ordinaire (sauf l'année précédant le renouvellement de l'Assemblée), d'une commission de quinze membres titulaires et de quinze membres suppléants, chargée de l'examen de toutes les demandes de suspension (qu'elles concernent la détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d'un député). Au Sénat, il s'agit au contraire d'une commission ad hoc.

Lors de sa réunion constitutive, sous la présidence de M. Charles de Cuttoli, votre commission ad hoc a élu M. Jacques Larché à sa présidence ainsi que M. Michel Dreyfus-Schmidt comme vice-président et M. François Blaizot comme secrétaire.

Votre commission ad hoc s'est ensuite réunie dans le délai de trois semaines prévu par l'article 105 du Règlement du Sénat, à savoir le mercredi 19 novembre 1997, compte tenu du dies a quo.


Le Sénat a déjà été appelé à se prononcer sur des demandes de suspension des poursuites. Ces vingt dernières années, il en a examiné huit, élaborant ainsi, sur le rapport de M. Charles de Cuttoli puis de notre très regretté collègue Marcel Rudloff, une « jurisprudence sénatoriale » qui, en matière de suspension des poursuites, prolonge celle forgée au fil des demandes de levée d'immunité parlementaire (cette dernière question entrant désormais dans la compétence du Bureau de chaque Assemblée depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995).

C'est cependant la première fois qu'une demande de suspension est présentée depuis cette révision constitutionnelle, qui a apporté au régime de l'immunité parlementaire deux importantes modifications :

- la poursuite à l'encontre d'un parlementaire, qui, pendant la session, nécessitait l'autorisation de son assemblée -sauf en cas de flagrant délit- peut désormais être engagée sans aucune intervention, que le Parlement soit en session ou non ;

- la suspension est désormais décidée « pour la durée de la session » alors que, dans le silence de l'article 26 sur ce point, la jurisprudence sénatoriale considérait depuis 1977 qu'elle valait jusqu'à la fin du mandat de l'intéressé.

C'est dans ce contexte nouveau, mais dans le droit fil des solutions définies par MM. Charles de Cuttoli, Marcel Rudloff puis Charles Jolibois, que votre commission a examiné la proposition de résolution.

I. LE RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

S'il lui appartient de rappeler les faits et la procédure engagée à rencontre de M. Michel Charasse et, dans ce cadre, de relater fidèlement les arguments et les moyens invoqués par celui-ci -en particulier ceux tirés de la méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs- votre rapporteur tient à souligner que ce rappel ne constitue pas une appréciation ni a fortiori une approbation du bien-fondé de cette argumentation.

S'il est vrai que M. Michel Charasse a été cité comme témoin en sa qualité d'ancien ministre chargé du Budget, cette considération ne saurait en elle-même être prise en compte par la commission ad hoc qui, eu égard à la finalité de l'immunité parlementaire, doit se limiter à vérifier si la convocation a pu ou non porter atteinte à l'exercice libre et serein du mandat de sénateur. Sur ce point, le fait que M. Michel Charasse ait pu, dans le passé, exercer des fonctions gouvernementales, est sans incidence sur son statut actuel de parlementaire, le seul dont la commission doive se préoccuper.

*
* *


• En décembre 1996, Mme Laurence Vichnievsky, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris, a cité trois anciens ministres chargés du Budget, MM. Henri Emmanuelli, Michel Charasse et Nicolas Sarkozy, à comparaître comme témoins dans le cadre d'une information ouverte pour faux et usage de faux, abus de biens sociaux, trafic d'influence et corruption active.

Selon M. Charasse, ce magistrat souhaitait les interroger, non pas sur le dossier qu'elle instruisait, mais, de manière générale, sur les instructions ministérielles données à l'administration fiscale « pour traiter les anomalies liées à des financements politiques » .

C'est donc en leur qualité d'anciens membres du Gouvernement chargés du Budget que MM. Henri Emmanuelli. Nicolas Sarkozy et Michel Charasse ont fait l'objet d'une convocation, à laquelle les deux premiers se sont effectivement rendus.

En revanche, M. Michel Charasse a estimé que s'il interrogeait un ancien ministre sur des décisions administratives et politiques de portée générale, le juge s'immiscerait dans le fonctionnement de l'administration, en méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs et, notamment, de l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, toujours en vigueur.

Aussi a-t-il, au nom de ce principe, refusé de comparaître.

Le juge d'instruction a alors demandé au Bureau du Sénat, en application de l'article 26, alinéa 2, de la Constitution, d'autoriser la comparution forcée de M. Michel Charasse, comme le prévoit l'article 109 du code de procédure pénale en cas de refus de comparaître opposé par un témoin régulièrement cité. Le Bureau a considéré le 23 avril 1997 qu'il n'y avait pas lieu de délivrer cette autorisation.

Le 15 mai 1997, le magistrat instructeur a de nouveau cité M. Michel Charasse à comparaître, cette fois le 19 juin 1997. Celui-ci ayant, toujours au nom du principe de la séparation des pouvoirs, réitéré son refus, le juge d'instruction l'a condamné le 10 septembre 1997 à une amende de 10.000 F. Ce montant correspond au maximum de la peine prévue par la loi en cas de manquement à l'obligation de déposer, l'article 109 du code de procédure pénale 2 ( * ) renvoyant en cette hypothèse « à l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe » .


• À la suite de cette condamnation -dont il a par ailleurs interjeté appel devant la Chambre d'accusation de Paris- M. Michel Charasse a déposé une proposition de résolution tendant à requérir la suspension des poursuites engagées à son encontre. Cette proposition de résolution a été présentée dans le cadre de l'article 26, alinéa 3, de la Constitution, aux termes duquel « la poursuite d'un membre du Parlement [ est suspendue ] pour la durée de la session si l'Assemblée dont il fait partie le requiert » .

C'est donc une suspension et non un arrêt de la poursuite qui est demandée au Sénat, laquelle, si elle était accordée, n'aurait pas pour effet d'effacer l'amende prononcée mais seulement de suspendre la procédure jusqu'au lendemain de la fin de la présente session, soit le 1er juillet 1998.


• Toutefois, avant même de se prononcer sur le fond de la requête de M. Charasse, il importe de s'interroger au préalable sur l'applicabilité de l'article 26 de la Constitution en l'espèce.

En d'autres termes, la procédure engagée par le juge d'instruction est-elle effectivement une poursuite ?

À cet égard, le fait que la procédure ait été engagée à l'initiative du juge d'instruction et non du procureur de la République, autorité normalement chargée des poursuites, mérite d'être relevé. Toujours est-il que le code de procédure pénale contient plusieurs dispositions -en particulier les articles 675 et suivants relatifs aux infractions commises à l'audience des tribunaux- qui érigent les juges du siège en autorité de poursuite.

En fait, si l'on entend par poursuite toute procédure en cours susceptible de conduire au prononcé d'une condamnation, c'est bien une poursuite qui a été engagée à l'égard de M. Charasse, et qui demeure en cours du fait de l'appel.

Tels sont les faits et la procédure.

Il appartient à votre commission ad hoc d'apprécier l'opportunité de suspendre cette poursuite. Cependant, pour ce faire, elle doit se prononcer non sur le bien fondé des arguments soulevés par M. Michel Charasse mais, au regard de la finalité de l'immunité parlementaire, sur la gêne que la convocation comme témoin a pu occasionner à un sénateur, indépendamment de sa qualité d'ancien membre du Gouvernement.

II. LA FINALITÉ DE L'IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE : GARANTIR LA LIBERTÉ ET LA SÉRÉNITÉ DE L'EXERCICE DU MANDAT DE DÉPUTÉ OU DE SÉNATEUR SANS EMPÊCHER LE COURS DE LA JUSTICE


• Les immunités parlementaires ne constituent en rien un privilège mais une garantie attachée au mandat lui-même.

Comme l'ont maintes fois souligné les rapporteurs des commissions ad hoc constituées pour la mise en oeuvre de l'article 26 de la Constitution, l'immunité parlementaire ne constitue nullement un privilège mais une garantie d'exercice du mandat parlementaire.

La meilleure preuve en est que l'article 26 de la Constitution est une règle d'ordre public à laquelle un parlementaire ne saurait et ne pourrait renoncer sponte sua, le juge étant tenu de la soulever d'office quand même l'intéressé ne s'en réclamerait pas.

Comme le considérait M. Charles Jolibois dans son rapport n° 176 du 20 décembre 1994, il convient absolument d'empêcher, le cas échéant, que l'exercice de la fonction parlementaire ne soit entravé par des poursuites abusives ou intempestives, avant pour objet ou pour conséquence d'interdire aux élus de la Nation de participer aux travaux de leur Assemblée et d'accomplir, en toute liberté et en toute sérénité, les actes inhérents à leur mandat.

À cette fin, l'article 26 de la Constitution subordonne la privation ou la restriction de la liberté d'un parlementaire à une autorisation préalable soumise à l'appréciation du Bureau de son Assemblée. Par ailleurs, l'Assemblée peut toujours requérir la suspension de la poursuite engagée contre un de ses membres, étant entendu qu'il s'agit d'une suspension purement temporaire et que cette poursuite reprendra sur ses derniers errements lorsque cette protection ne jouera plus, c'est-à-dire à compter du lendemain de la clôture de la session le dernier jour ouvrable de juin.

L'immunité n'empêche pas la poursuite, elle la diffère.


• L'article 26 de la Constitution de la Vème République s'inscrit dans le droit fil de la tradition parlementaire française issue de l'héritage de la Révolution française.

La nécessité de protéger le mandat de tout élu de la Nation en la personne de celui qui l'exerce a été ressentie à la naissance même du régime parlementaire français, l'institution de l'immunité parlementaire ayant constitué un des premiers actes de la toute nouvelle Assemblée nationale, laquelle a décidé dès le 23 juin 1789 que « la personne des députés est inviolable » .

Depuis lors, l'immunité parlementaire a été consacrée par toutes les Constitutions que la France a connues.


La modification de cet article 26 lors de la révision constitutionnelle du 4 août 1995 n'a pas remis en cause les principes antérieurs.

Le Constituant a certes modifié le texte de l'article 26 de la Constitution mais sans altérer l'esprit ni le fondement de cette disposition qui a été seulement adaptée pour tenir compte du passage de deux sessions de trois mois entrecoupées d'une intersession d'hiver à une session unique de neuf mois.

En premier lieu elle a supprimé la dualité antérieure des procédures, selon que le Parlement était en session ou non.

Auparavant, quand le Parlement était en session, aucun parlementaire ne pouvait être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle -sauf le cas de flagrant délit- sans l'autorisation de l'Assemblée dont il était membre. Hors session, l'engagement de poursuites nouvelles était libre, mais l'arrestation du parlementaire requérait l'autorisation préalable du Bureau, sauf les cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive.

Cette distinction ratione temporis a été supprimée par la loi constitutionnelle du 4 août 1995. Aujourd'hui, l'engagement de poursuites criminelles ou correctionnelles ne nécessite plus aucune autorisation (ni celle de l'Assemblée, ni celle du Bureau), que le Parlement soit en session ou non.

En revanche, quelle que soit la période, le parlementaire ne peut faire l'objet de mesures privatives ou restrictives de liberté sans l'autorisation du Bureau, sauf le cas de flagrance. Ces mesures privatives ou restrictives de liberté sont entendues dans leur acception la plus large et recouvrent d'autres situations qu'une arrestation proprement dite, comme les mesures de contrôle judiciaire ou l'exécution forcée d'une citation à comparaître, par exemple.

En second lieu, la révision constitutionnelle a quelque peu modifié le régime de la suspension des poursuites.

Avant la révision constitutionnelle, la faculté de suspendre la poursuite ou la détention d'un député ou d'un sénateur avait notamment pour but de permettre, le cas échéant, de suspendre des poursuites engagées contre lui pendant l'intersession, alors qu'aucune autorisation préalable n'était nécessaire pour de telles poursuites.

Dans le silence du texte de la Constitution quant à la portée de cette mesure dans le temps, le Sénat avait considéré que la suspension des poursuites valait jusqu'à la fin du mandat de l'intéressé. Comme l'avait parfaitement résumé M. Charles de Cuttoli dès 1977, « le dernier alinéa de l'article 26 de la Constitution (dans sa rédaction antérieure à 1995) devait s'interpréter comme une garantie permettant au parlementaire de pouvoir exercer sa fonction, fût-ce entre les sessions, jusqu'à l'expiration de son mandat » .

Une telle jurisprudence, à laquelle l'Assemblée nationale s'est rangée à partir de 1980, trouvait sa pleine justification dans le régime d'autorisation des poursuites alors applicable. Il était en effet à craindre que pour obvier à l'exigence de l'autorisation préalable, les procureurs attendent le début de l'intersession pour agir, ce qui aurait conféré à l'immunité le caractère d'une garantie à éclipse.

Depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, les poursuites nouvelles sont dispensées de toute autorisation préalable quand elles n'ont pas pour effet de priver ou de restreindre la liberté de l'intéressé.

La faculté de suspendre les poursuites maintient « en aval » une garantie sans laquelle les parlementaires risqueraient d'être victimes d'un véritable « harcèlement judiciaire » motivé, notamment, par des considérations politiques, comme l'ont montré les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle.

Cependant, si les Assemblées conservent la faculté de requérir la suspension de la détention ou de la poursuite, la portée de cette mesure a été limitée par le Constituant à la durée de la session. De telle sorte, la poursuite pourrait reprendre sur ses derniers errements une fois la session close. En d'autres termes, la Chambre d'accusation pourrait statuer sur l'appel interjeté par M. Michel Charasse.

III. LES CONCLUSIONS DE VOTRE COMMISSION AD HOC


• Dans son traité de droit parlementaire (§ n° 1079), Eugène Pierre soulignait que la délibération en matière d'immunité « doit être d'autant plus courte que la question posée est extrêmement simple ; la personnalité du membre à l'égard duquel il s'agit de requérir n'est pas mise en cause ; la Chambre n'examine pas les faits particuliers qui peuvent être relevés contre le député détenu ou poursuivi ; elle ne statue pas sur le fond de l'affaire, mais exclusivement sur le maintien de l'immunité législative dont les Assemblées politiques ne sauraient jamais se montrer trop jalouses » .

L'Assemblée statue en tenant compte de deux objectifs contradictoires que M. Charles de Cuttoli a parfaitement résumés en 1977 : « le premier vise à sauvegarder l'indépendance des parlementaires en évitant qu'ils ne soient victimes de poursuites inconsidérées, arbitraires ou vexatoires, qui nuiraient au bon exercice de leur mandat ; le second vise, en sens inverse, à maintenir l'égalité de tous les citoyens devant la loi, en limitant au strict nécessaire la prérogative que constitue l'inviolabilité » .

Cette analyse, marquée par la tradition parlementaire française, conserve toute son actualité. Dans la plus récente demande de suspension des poursuites dont le Sénat ait eu à connaître (rapport N° 408 du 20 juin 1990), notre très regretté Collègue Marcel Rudloff observait :

« La protection des parlementaires contre l'arrestation et les poursuites accordée par la Constitution se fonde sur la nécessité de ne pas entraver le libre exercice d'un mandat électif. Cette nécessité doit être conciliée avec les exigences de la justice. Dans notre Constitution, c `est aux Assemblées qu'il incombe de rechercher l'équilibre entre ces deux impératifs. Chacune des Assemblées décide souverainement d'autoriser ou de suspendre des poursuites. Les Assemblées se prononcent en pure opportunité » .

La recherche de l'équilibre entre ces deux objectifs n'a pas pour effet d'arrêter le cours de la justice mais simplement de le différer. Pour reprendre l'expression utilisée à juste titre par M. le professeur Gaudemet, « la suspension n'a jamais que des effets limités (...) ; dès que la clôture [de la session] est intervenue, la justice reprend son cours » .


• À titre personnel, votre rapporteur s'est interrogé sur l'éventualité d'instituer un mécanisme susceptible de lever, à l'avenir, toute difficulté. On pourrait songer, mutatis mutandis, à une procédure proche de celle prévue par le code de procédure pénale pour les dépositions des membres du Gouvernement.

Aux termes des articles 652 et suivants dudit code, les membres du Gouvernement ne peuvent comparaître comme témoins qu'après autorisation du conseil des ministres, sur le rapport du Garde des sceaux, ministre de la Justice, cette autorisation étant donnée par décret. Lorsque la comparution n'a pas été autorisée, la déposition est reçue par écrit dans la demeure du témoin par le premier président de la cour d'appel ou, si le témoin réside hors du chef-lieu de la cour, par le président du tribunal de grande instance de sa résidence.

On pourrait ainsi envisager que pendant la session, la déposition du parlementaire soit reçue par écrit.

Mais votre rapporteur est conscient que cette observation personnelle ne relève pas de l'appréciation de la commission ad hoc, laquelle, disposant uniquement d'une compétence d'attribution, n'a à connaître que du droit en vigueur et de la proposition de résolution dont elle est saisie.


• En l'espèce, votre commission ad hoc constate que la poursuite a été engagée à rencontre de M. Charasse à la suite d'une demande de comparution pendant la session.

Or, comme le notait Eugène Pierre dans son traité (§ n° 1088), « un sénateur ou un député, cité comme témoin, au cours d'une session, peut s'abstenir de comparaître en excipant de sa qualité ; il est d'usage que les excuses fondées sur la nécessité de ne pas abandonner les travaux parlementaires soient agréées par la cour ou par le tribunal » .

L'excuse légitime de la session paraissait en l'occurrence d'autant plus recevable que le 19 juin était un jour de séance, et plus précisément celui de la déclaration de politique générale de M. Lionel Jospin.

Or. même si, en l'espèce, le magistrat ne pouvait savoir au moment de la citation, intervenue dix jours avant le premier tour des élections législatives, que la date fixée pour la comparution coïnciderait avec la date d'une déclaration de politique générale, le simple fait qu'un parlementaire puisse se voir imposer de comparaître en session, a fortiori un jour de séance, paraît de nature à entraver le libre exercice de son mandat.

C'est pourquoi il convient de suspendre la poursuite engagée en vue d'infliger une amende à M. Michel Charasse, car cette poursuite n'est elle-même que la conséquence de la décision prise par le magistrat de faire comparaître un parlementaire pendant la session, de surcroît un jour de séance.

Cette suspension n'interromprait pas la poursuite mais aurait pour simple effet de la différer jusqu'au lendemain de la fin de la présente session, c'est-à-dire jusqu'au mercredi 1er juillet 1998, afin d'éviter toute gêne dans l'accomplissement du mandat de l'intéressé.

Pour cette raison, et sous le bénéfice de l'observation émise à titre personnel par son rapporteur, votre commission ad hoc soumet à l'appréciation du Sénat le texte suivant :

PROPOSITION DE RESOLUTION

requérant la suspension de la poursuite engagée contre M. Michel Charasse, sénateur du Puy-de-Dôme

Le Sénat,

Vu l'article 26, alinéa 3, de la Constitution ;

Vu l'article 105 du Règlement du Sénat ;

Vu l'article 109 du code de procédure pénale ;

Vu l'ordonnance du 10 septembre 1997 par laquelle M. Michel Charasse a été condamné par un juge d'instruction à une peine d'amende de dix mille francs pour avoir refusé de comparaître le 19 juin 1997 en qualité de témoin, contre laquelle un appel a été interjeté ;

Vu l'article unique de la proposition de résolution n° 15 (1997-1998) présentée par M. Michel Charasse et tendant à requérir la suspension des poursuites engagées contre lui.

Requiert la suspension de la poursuite de M. Michel Charasse.

* 1 « Art. 105. - 1. Une commission de trente membres est nommée chaque fois qu'il y a lieu pour le Sénat d'examiner une proposition de résolution déposée en vue de requérir la suspension de la détention, des mesures privatives ou restrictives de liberté ou de la poursuite d'un sénateur « Pour la nomination de cette commission, le Président du Sénat fixe le délai dans lequel les candidatures doivent être présentées selon la représentation proportionnelle. À l'expiration de ce délai, le Président du Sénat, les présidents des groupes et le délégué de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe se réunissent pour établir la liste des membres de la commission. Cette liste est publiée au Journal Officiel. La nomination prend effet dès cette publication.

« 2. La commission élit un bureau comprenant un président, un vice-président et un secrétaire et nomme un rapporteur.

« 3. Les conclusions de la commission doivent être déposées dans un délai de trois semaines à compter de la désignation des membres de la commission ; elles sont inscrites à l'ordre du jour du Sénat par la Conférence des présidents dès la distribution du rapport de la commission « 4. Saisi d'une demande de suspension de la poursuite d'un sénateur détenu ou faisant l'objet de mesures privatives ou restrictives de liberté, le Sénat peut ne décider que la suspension de la détention ou de tout ou partie des mesures en cause ».

* 2 « Art. 109 - Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer, sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

« Tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l'origine.

« Si le témoin ne comparait pas, le juge d'instruction peut, sur les réquisitions du procureur de la République, l'y contraindre par la force publique et le condamner à l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe. S'il comparait ultérieurement, il peut toutefois, sur production de ses excuses et justifications, être déchargé de cette peine par le juge d'instruction, après réquisitions du procureur de la République.

« La même peine peut, sur les réquisitions de ce magistrat, être prononcée contre le témoin qui, bien que comparaissant, refuse de prêter serment et de faire sa déposition.

« Le témoin condamné à l'amende en vertu des alinéas précédents peut interjeter appel de la condamnation dans les dix jours de ce prononcé ; s'il était défaillant, ce délai ne commence à courir que du jour de la signification de la condamnation. L'appel est porté devant la chambre d'accusation ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page