3. Une fiscalité contestée

a) La taxe professionnelle est un impôt anti-économique

La taxe professionnelle est unanimement condamnée par le monde économique qui la considère trop élevée et calculée sur une assiette anti-économique. C'est un impôt qui, en raison d'une assiette déconnectée de la santé économique de l'entreprise, est considéré comme pénalisant par les entreprises qui investissent et créent des emplois.

En effet, les bases de la taxe évoluent de façon indépendante de la capacité contributive des entreprises et de la conjoncture économique , et ce, essentiellement sous l'effet de la part équipements et biens mobiliers. En outre, la référence à la valeur historique des immobilisations sans prise en compte de la dépréciation due au vieillissement des matériels, apparaît peu justifiable économiquement et explique largement l'augmentation du prélèvement. On constate ainsi, paradoxalement, que la charge relative de la taxe augmente lorsque les entreprises vont mal.

D'autre part, la taxe professionnelle apprécie la faculté contributive des entreprises au travers d'indices - la masse salariale, les immeubles et les biens d'équipement - pour lesquels il existe des différences de productivité entre secteurs d'activité et entre entreprises. Ainsi, la répartition des cotisations de taxe professionnelle entre les secteurs économiques n'est pas en rapport avec la valeur ajoutée qu'ils dégagent. A titre d'exemple, les transports, la production d'énergie et les industries de biens intermédiaires et de biens d'équipement sont surimposés, tandis que les services financiers bénéficient comparativement d'une situation favorable.

Par ailleurs, le prélèvement a fortement augmenté avec un taux de croissance annuel moyen de 6,8 %. Cet accroissement très sensible est, pour les deux tiers, le résultat de la progression rapide des bases qui ont augmenté, en volume, à un rythme quatre fois plus rapide que le produit intérieur brut 15( * ) . Ce phénomène a provoqué à la fois un accroissement de la charge fiscale pour les entreprises et du coût supporté par l'Etat 16( * ) . La taxe professionnelle constitue ainsi désormais la principale charge fiscale pour les entreprises puisque son montant brut (169 milliards de francs en 1996) dépasse celui de l'impôt sur les sociétés (mais la taxe professionnelle est déductible de l'assiette de l'IS), dont le produit net s'est établi à 144 milliards de francs en 1996.

Il apparaît en outre qu'un impôt, dont un tiers du produit théorique est acquitté par l'Etat en raison du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée et des divers dégrèvements 17( * ) , n'est plus un bon impôt .

Les critiques portent également sur le caractère inégalitaire de la taxe. L'essentiel de la charge fiscale pèse en effet sur un faible nombre d'entreprises, généralement de grande taille et relevant du secteur industriel. La taxe n'est acquittée que par 2,1 millions de redevables tandis que 1,5 million d'entreprises en sont exonérées.

Enfin, la taxe professionnelle se caractérise par la variabilité géographique de ses taux et par leur grande instabilité dans le temps . En effet, la disparité des bases 18( * ) explique les écarts de taux entre communes 19( * ) , bien que la relation entre le potentiel fiscal et le niveau de la pression fiscale ne soit pas automatique. Cette disparité des taux peut être à l'origine de délocalisations , au moins au sein d'une même agglomération ou entre deux agglomérations voisines.

Outre ces distorsions locales de concurrence, le poids de la taxe professionnelle, pris en compte dans les simulations de rentabilité, joue en défaveur de la localisation en France d'un investissement . En effet, la taxe professionnelle étant fixe quel que soit le profit de l'investissement, elle est incluse dans les coûts de fonctionnement au cours du processus de décision des investissements. Les coûts de fonctionnement ( operating costs ) permettent de calculer un résultat opérationnel avant les diverses taxes sur le profit, etc. Mais étant atypique, il n'existe pas de rubrique spécifique dans laquelle l'isoler. Elle est donc intégrée :

- soit au niveau de la masse salariale, et la main d'uvre française apparaît alors comme trop chère (la taxe peut représenter un surcoût de 70 % pour un emploi non qualifié) ;

- soit au niveau du coût des immobilisations, le surcoût pouvant alors être masqué si ces immobilisations sont bon marché en France, ou, au contraire, les rendre non compétitives.

Ainsi, le poids de la taxe professionnelle peut conduire à éliminer certains projets sans que les dirigeants aient approfondi l'analyse jusqu'à considérer les facteurs qui pourraient être favorables à leur localisation en France.

L'enquête France Industrie 2000 cite le cas de la compagnie californienne de semi-conducteurs International Rectifier , qui a récemment invoqué le montant de la taxe professionnelle pour expliquer l'abandon d'un projet d'investissement de 2,6 milliards de francs près de Bayonne, projet finalement réalisé en Irlande, malgré 500 millions de francs de subventions mobilisés par l'Etat et les collectivités locales et une promesse d'assistance de l'Union européenne.

Au total, la taxe professionnelle ne répond pas aux caractéristiques d'un bon impôt à savoir une assiette large, modérée dans son taux, proportionnée aux capacités contributives des contribuables et aisément recouvrable par l'administration (Définition du Conseil des impôts). Les entreprises appliquant en particulier les normes comptables internationales, préfèrent un impôt local sur le bénéfice à un impôt sur l'appareil de production.

La difficulté de réformer la fiscalité des entreprises :

l'exemple de la taxe professionnelle

En dépit du constat unanime sur les inconvénients posés par la taxe professionnelle, la nécessaire réforme de cet impôt est l'exemple type du " serpent de mer ". Les rapports et les groupes d'études sur la réforme de la taxe professionnelle se succèdent sans aboutir. Grâce aux multiples aménagements accordés par la législation, il a été possible de passer d'une situation de contestation violente à l'équilibre précaire que l'on connaît aujourd'hui. Néanmoins, les inconvénients majeurs demeurent.

Le rapport du groupe de travail sur la réforme des prélèvements obligatoires présidé par Dominique de la Martinière et le récent rapport du Conseil des impôts recensent chacun les diverses pistes de réformes, envisagées pour certaines et mises en uvre pour d'autres, pour conclure de façon divergente.

Les conclusions du rapport La Martinière

Soulignant les problèmes techniques 20( * ) et l'importance des transferts de charge qu'induirait la substitution de l'assiette actuelle par la valeur ajoutée, le rapport La Martinière juge indispensable de poursuivre les actions engagés par la loi de finances pour 1996 qui consistaient en l'instauration d'une cotisation minimale, d'une part, et dans le gel des taux pris en compte pour la détermination du plafonnement pris en charge par l'Etat, d'autre part.

Il propose en outre de limiter la prise en compte des nouveaux investissements dans l'assiette de la taxe professionnelle, en autorisant leur amortissement partiel. Il suggère enfin d'instituer une part nationale de taxe professionnelle, sans préciser son assiette, ni son taux.

Le rapport du Conseil des impôts

Quant au Conseil des impôts, il exclut d'emblée toutes les solutions qu'il qualifie de " radicales " consistant, soit à supprimer la taxe professionnelle, soit à modifier son assiette, soit enfin à spécialiser les impôts locaux par niveau de collectivité.

Il préconise quelques aménagements ponctuels afin de pallier les inconvénients les plus significatifs de la taxe professionnelle. Outre la mise en application des nouvelles valeurs locatives cadastrales, il suggère ainsi de limiter l'impact inflationniste des nouveaux investissements sur les bases en déduisant l'amortissement ou en plafonnant leur prise en compte dans le calcul de l'assiette. S'agissant des taux, le Conseil encourage le recours aux formules d'intercommunalité à taxe professionnelle unique et le renforcement de la règle du plafonnement de l'augmentation des taux. Enfin, constatant que la modulation du seuil de plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée est un facteur de complication, le Conseil suggère de porter ce seuil à 4 % pour toutes les entreprises, quel que soit le montant de leur chiffre d'affaires.

Néanmoins, toute réforme d'ampleur de l'assiette et des taux de la taxe professionnelle se heurte au principe de la localisation des bases et à celui du vote des taux par les collectivités territoriales . Le Conseil des impôts estime que la détermination de l'impôt local par plus de 50.000 décideurs publics est un obstacle au nécessaire resserrement des inégalités de taux et condamne à l'inefficacité toute réforme d'assiette. " Le défaut principal de la taxe professionnelle tient à l'absence d'adéquation entre son niveau de perception, essentiellement communal, et la géographie économique ", écrit-il.

En effet, les collectivités territoriales seraient sans doute amenées à compenser le ralentissement de l'augmentation des bases par une hausse sensible des taux 21( * ) .

Les propositions de réforme du Conseil des impôts

Le Conseil des impôts conclut en conséquence que la réforme du mode de perception de la taxe professionnelle est un préalable à toute réforme d'assiette. Il préconise ainsi la perception de la taxe professionnelle dans un cadre non plus territorial mais national, d'une part, et l'affectation de son produit aux collectivités locales, d'autre part. Il suggère en outre de moderniser l'assiette du prélèvement par la prise en compte des valeurs nettes comptables. Il propose enfin de diminuer le poids de la taxe professionnelle pour les entreprises et, par voie de conséquence, pour l'Etat.

Observant que les deux tiers des ressources des collectivités territoriales allemandes (parmi lesquelles les Länder) proviennent de transferts étatiques à travers le partage d'impôts nationaux ou des dotations budgétaire, le Conseil des impôts réfute l'argument selon lequel l'autonomie des collectivités locales résiderait dans leur capacité à lever l'impôt.

Il conclut que la mutualisation de la taxe professionnelle sur le modèle de la Gewerbesteuer allemande permettrait de résoudre l'intégralité des problèmes posés par cet impôt , à savoir la multiplicité des taux, la complexité des divers dispositifs d'écrêtement ou d'abattement, le coût de la taxe professionnelle pour le budget de l'Etat, le dynamisme de l'assiette et la faible efficacité des mécanismes de péréquation. Une telle réforme, pourvu qu'elle soit mise en uvre sur une période suffisamment longue pour éviter des transferts de charge trop abrupts, serait, selon le Conseil des impôts, conforme à l'intérêt général et à l'efficacité économique.

b) La fiscalité des transmissions d'entreprises est déstabilisante

La fiscalité des transmissions d'entreprises est déstabilisante, en raison de son poids (elle est 4 fois plus élevée en France qu'en Allemagne ou en Italie) et particulièrement de la progressivité du barème des droits de mutation. Si l'Allemagne applique le taux maximum de 35 % à partir d'une fraction de part nette taxable de 100 millions de deutschemark, le seuil correspondant est de 5 millions de francs en France. La forte progressivité du barème des droits de mutation, à laquelle il faut ajouter la fiscalisation des dividendes, pénalise particulièrement les PME patrimoniales.

En définitive, les droits de mutation pour une succession sont trois fois plus élevés en France qu'en Allemagne et deux fois plus qu'au Royaume-Uni. Si les conséquences sont difficilement évaluables, il faut noter que le poids des droits de mutation entraîne fréquemment une perte de contrôle des actionnaires familiaux, avec le risque de délocalisation à l'étranger de certains centres de décision. Ceci explique la relative faiblesse du nombre d'entreprises moyennes indépendantes en France par rapport à l'Allemagne.

c) La fiscalité rend les stocks options inutilisables

La France est par ailleurs très mal évaluée par les industriels sur la fiscalité des stock options , à la suite de l'évolution de leur encadrement fiscal. Dans le cas où un salarié vend une action obtenue par le biais d'un plan de stock options moins de cinq ans après la date d'octroi de l'option, la plus-value générée est réintégrée dans les revenus salariaux. Les entreprises concernées doivent alors s'acquitter des charges patronales, le salarié des charges sociales et de l'impôt sur le revenu. La France est ainsi passée d'un régime peut-être trop favorable, qui autorisait certains abus, à une situation dans laquelle les stock options sont presque inutilisables, surtout dans les métiers à rotation rapide des cadres.

d) La fiscalité de " l'innovation " incite à la délocalisation

Enfin, la fiscalité des marques et brevets est devenue préoccupante. Un arrêt récent du Conseil d'Etat considère en effet ces éléments du patrimoine de l'entreprise comme des actifs incorporels et n'admet pas, en conséquence, la déductibilité des frais afférents aux demandes d'enregistrement. En outre, les plus-values de cession de brevets sont désormais imposées au taux normal de l'impôt sur les sociétés.

Ces mesures pourraient inciter les entreprises à accroître leur délocalisation de gestion des marques.

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