C. LA FRANCE PRÊTE POUR LE RENDEZ-VOUS DE 1998 ?

1. Une réforme en grande partie aboutie

a) Le cadre réglementaire de l'ouverture à la concurrence désormais clarifié

Le précédent gouvernement, et notamment le Ministre François Fillon, à qui votre commission rend ici hommage, a su préparer notre pays à ces échéances.

Votre commission avait longuement détaillé, dans son avis budgétaire de l'année passée, la réforme de la réglementation française en matière de télécommunications, intervenue en juillet 1996, par le vote de la loi précitée de réglementation des télécommunications et de la loi relative à l'entreprise nationale France Télécom.

Cette réforme a été achevée, ces douze derniers mois, par la mise en place des nouvelles structures institutionnelles prévues par la loi et par la parution des décrets d'application les plus importants des nouvelles dispositions législatives.

Le volet institutionnel de la réforme du secteur des télécommunications s'est traduit par la mise en place de :

- l'Autorité de Régulation des Télécommunications précédemment évoquée, qui est chargée d'assurer le bon fonctionnement du marché et de la concurrence. Elle dispose des services nécessaires à ses missions notamment au travers des transferts effectués à partir de l'ancienne administration des postes et télécommunications ;

- l'Agence nationale des Fréquences précitée, qui est chargée de la prospective, de la planification, des contrôles et des actions internationales dans le domaine des fréquences ;

- le groupe des écoles de télécommunications, établissement public regroupant les écoles de formation supérieure dans le domaine des télécommunications qui ont été séparées de France Télécom et placées sous le contrôle de l'Etat ;

- l'entreprise nationale France Télécom, avec un nouveau statut qui sera détaillé plus loin ;

- la direction de la poste et des télécommunications, allégée et réorganisée par rapport à l'ancienne direction générale.

Le cadre réglementaire a été complété par la parution des décrets les plus importants, définissant :

- les clauses-types devant figurer dans les cahiers des charges des opérateurs pour les principales licences. La visibilité est donc bonne pour les nouveaux entrants qui pourront se voir délivrer dès 1997 les licences nécessaires à l'exercice des activités ouvertes à la concurrence en 1998.

- les conditions de l'interconnexion . Le décret concerné et le catalogue tarifaire de France Télécom précisent les conditions techniques et économiques suivant lesquelles les opérateurs s'interconnecteront et la façon dont les concurrents pourront utiliser le réseau de France Télécom, comme le détaille l'encadré suivant :

L'INTERCONNEXION

L'interconnexion des réseaux a pour objet de permettre à tout abonné de tout opérateur de communiquer avec l'ensemble des abonnés de l'ensemble des opérateurs. Il s'agit donc d'une des questions essentielles dès lors que le marché est concurrentiel. L'article L. 34-8 du code des postes et télécommunications, modifié par la loi de réglementation des télécommunications du 26 juillet 1996 prévoit que " les exploitants de réseaux ouverts au public font droit, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, aux demandes d'interconnexion des titulaires d'une autorisation délivrée en application des articles L. 33-1 et L. 34-1 ".

Les conditions techniques et financières de l'interconnexion entre deux opérateurs sont fixées dans une convention signée dans un cadre bilatéral . Toutefois, deux textes importants, publiés au premier semestre 1997, précisent le cadre général de l'interconnexion en France :

- le décret sur l'interconnexion du 3 mars 1997, pris en application de l'article L. 34-8 du code des postes et télécommunications ;

- le catalogue d'interconnexion de France Télécom, approuvé le 9 avril et le 30 juillet 1997 par l'Autorité de régulation des télécommunications.

D'après ce catalogue, établi en fonction des coûts de France Télécom, les prix moyens d'interconnexion qui seront appliqués aux opérateurs nouveaux entrants en 1998 varieront suivant la nature de l'appel (intra-commutateur de raccordement d'abonné, simple transit, double transit) de 6,09 centimes par minute à 17,57 centimes par minute.

L'ART peut être saisie des différends qui naîtraient de l'interconnexion.

- les conditions de financement du service universel . Le décret du 13 mai 1997 a précisé le mode de calcul du coût du service universel et les modalités de répartition de cette charge entre les opérateurs. La loi a en effet prévu que les nouveaux entrants participent financièrement aux coûts engendrés par les obligations de service public. Contribuent au financement du service universel les opérateurs de réseau ouvert au public et les fournisseurs de service téléphonique au public ; la contribution de chacun est évaluée au prorata de son volume de trafic téléphonique .

Rappelons que les coûts liés au service universel des télécommunications comprennent les éléments suivants :

- les obligations de péréquation tarifaire (péréquation géographique et déséquilibre historique de la structure des tarifs de France Télécom, voir l'explication au II B 3 b ci-après) ;

- une offre de tarifs spécifiques pour certaines catégories d'abonnés (composante sociale) ;

- la desserte du territoire national en cabines téléphoniques ;

- le service de renseignements et d'annuaire universels .

L'évaluation du coût du service universel repose sur la méthode dite des " coûts nets évitables ". Elle consiste à calculer le coût résultant des obligations supplémentaires entre deux comportements de l'opérateur de service universel :

- un comportement correspondant à la situation où l'opérateur supporte l'obligation de service universel ;

- un comportement correspondant à la situation où l'opérateur ne supporte pas d'obligation de service universel, c'est-à-dire le comportement d'un opérateur obéissant à une logique strictement commerciale, dans le cadre des obligations de droit commun.

A l'exception des obligations de péréquation tarifaire correspondant, d'une part aux obligations de péréquation géographique, et, d'autre part, au déséquilibre résultant de la structure courante des tarifs téléphoniques, le service universel est financé par un fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations . Pendant une phase transitoire, les obligations de péréquation tarifaire sont financées à travers une charge additionnelle à la charge d'interconnexion.

Pour 1997, le coût du service universel assuré par France Télécom a été évalué à 4,8 milliards de francs environ, charge répartie entre tous les opérateurs (y compris France Télécom) au prorata de leur trafic. Le groupe France Télécom recevra 3 millions de francs des autres opérateurs au titre du déséquilibre des tarifs et 34 millions de francs au titre de la péréquation géographique.

L'ART a récemment évalué 9( * ) le coût du service universel en 1998 , à 6,043 milliards de francs :

LE COÛT DU SERVICE UNIVERSEL EN 1998

- Coût lié au déséquilibre de la structure courante des tarifs téléphoniques de France Télécom (composante transitoire) : 2,242 milliards de francs ;

- Coût de la péréquation géographique : 2,717 milliards de francs .

Ces deux composantes donneront lieu à une charge de 1,8 centime par minute de communication pour les nouveaux entrants, soit 70 millions de francs versés à France Télécom.

- Coût de la péréquation sociale : 921 millions de francs .

- Coût de la desserte du territoire en cabines : 163 millions de francs .

- Coût de l'annuaire universel et du service de renseignements universels : l'ART a estimé que la charge nette correspondante était nulle.

Ces trois composantes donneront lieu à des versements à un fonds de la Caisse des Dépôts qui sera ensuite reversé à France Télécom, pour 25 millions de francs.

TOTAL : 6,043 milliards de francs

Source : ART

France Télécom devrait donc recevoir en 1998 environ 95 millions de francs de ses concurrents , au titre de leur participation au financement du service universel assuré par l'opérateur historique en vertu de la loi.

b) Des incertitudes qui demeurent

Si le nouveau paysage français des télécommunications s'est globalement mis en place de façon rapide et satisfaisante, deux sujets appellent toutefois une attitude plus réservée de votre commission, qui souhaite à cet égard émettre un souhait et formuler un regret.

Le souhait de votre commission concerne la libéralisation des techniques de cryptologie , et il est celui d'une mise en application plus rapide des dispositions de la loi de réglementation des télécommunications.

En effet, ce texte a, dans son article 17, significativement assoupli le régime d'utilisation de ces techniques qui sont une des clés essentielles du développement du commerce électronique puisque le chiffrement des messages permet de sécuriser les paiements et d'authentifier les signatures.

Pour les applications nécessitant un fort niveau de sécurité (commerce électronique entre entreprises par exemple), la loi prévoit la liberté totale d'utilisation des algorithmes, sous réserve de recourir aux services d'une tierce partie de confiance agréée, dépositaire des clés de chiffrement. Ce compromis permet aux utilisateurs d'assurer à leurs échanges un très fort niveau de sécurité et de donner à l'Etat la possibilité de mener les actions judiciaires nécessaires à la sécurité des citoyens.

Malgré les enjeux économiques considérables qui s'attachent au développement du commerce électronique, cette disposition n'est toujours pas entrée en vigueur, le Gouvernement faisant savoir que le décret d'application définissant les conditions d'exercice de l'activité des tierces parties de confiance est en cours de notification à la Commission européenne, tout comme celui définissant les conditions d'autorisation. Votre commission engage vivement le Gouvernement à faire aussi vite que possible pour faire entrer en vigueur un assouplissement essentiel de la réglementation .

En outre, pour les applications nécessitant un niveau plus faible de protection, le Gouvernement a déclaré vouloir libéraliser, par arrêté, le régime d'utilisation des algorithmes peu complexes (moins de 40 bits). Votre commission le soutient dans cette démarche, qui tarde à se concrétiser, malgré les annonces faites en août par le premier ministre à l'université de la communication d'Hourtin 10( * ) .

Le regret de votre commission concerne les modalités d'application de la nouvelle réglementation du droit de passage des opérateurs de télécommunications sur le domaine public routier.

L'article 11 de la loi de réglementation des télécommunications et le décret du 30 mai 1997 ont en effet adapté le régime d'occupation du domaine public au nouveau cadre concurrentiel (nouveaux articles L. 47 et L. 48 du code des postes et télécommunications).

Contrairement au régime auquel était antérieurement soumis France télécom, des droits de passage devront désormais être acquittés par les opérateurs pour l'occupation du domaine public :

- sur le domaine public non routier (par exemple, antenne dans un clocher d'église), les opérateurs bénéficient d'une faculté de passage, instaurée par convention, qui donne lieu au versement d'une redevance dont le montant est libre mais doit être " raisonnable et proportionné à l'usage " et égal pour tous ;

- sur le domaine public routier (voies et trottoirs), les opérateurs disposent d'un droit de passage, dans la mesure où cette occupation n'est pas incompatible avec l'affectation routière du domaine.

Le décret précité a précisé les conditions d'application de cette disposition légale. Il a mis en place un système de délivrance implicite de la permission de voirie, en cas de non-réponse de la collectivité dans un délai de deux mois. Il a aussi fixé le montant maximal de la redevance annuelle à :

- 150 francs par kilomètre d'artère pour le passage de câbles en sous-sol ou en aérien ;

- 1.000 francs pour les antennes et 2.000 francs pour les pylônes ;

- pour les autres installations, 100 francs par m² au sol.

Or, ces sommes sont très inférieures à celles qui étaient évoquées préalablement à l'élaboration du décret.

Notre collègue M. Jean-Paul Delevoye, par ailleurs président de l'Association des Maires de France, a exprimé récemment la déception de nombre d'élus locaux et leurs inquiétudes sur ce nouveau régime juridique, dans une question 11( * ) orale au Gouvernement, lors de la séance publique du 28 octobre 1997 :

EXTRAITS DE LA QUESTION ORALE SUR LES DROITS DE PASSAGE (ARTICLES L.47 ET L.48 DU CODE DES POSTES ET TÉLÉCOMMUNICATIONS) SÉNAT, SÉANCE DU 28 OCTOBRE 1998

M. Jean-Paul Delevoye " (...) ma question porte sur les conditions de mise en oeuvre des articles L. 47 et L. 48 (...) par le décret du 30 mai 1997 (...).

Tout d'abord, il a eu pour effet d'abaisser (...) -de un franc à 15 centimes le mètre- la redevance maximale annuelle (...)

Ensuite, le décret a introduit la notion d'artère dans le droit français (...) [qui] est, à l'évidence, insuffisamment précise (...)

Enfin (...) dans un souci de préservation de l'intégrité du domaine public, il est regrettable que les opérateurs (...) puissent bénéficier d'une autorisation tacite (...) "

M. Christian Pierret " (...) S'agissant de la redevance maximale annuelle(...) le montant de 1 franc par mètre envisagé lors de l'élaboration du projet de décret (...) avait été retenu de manière à correspondre (...) à un montant global de l'ordre de 150 millions de francs (...). Compte tenu d'une erreur d'évaluation dans les données fournies par France Télécom, en 1996, sur la longueur totale du réseau, une révision du montant par mètre a été nécessaire, en mars 1997 (...). Ce montant a donc finalement été ramené à 150 francs par kilomètre linéaire, permettant d'atteindre toutefois un montant global (...) de 250 millions de francs.

Dans le même temps, (...) il a été introduit une disposition selon laquelle (...) les redevances (...) évoluent, au 1er janvier de chaque année, proportionnellement à l'évolution de l'indice du coût de la construction (...) ".

Votre rapporteur pour avis regrette que ce point de la réglementation n'ait pas fait l'objet d'une concertation suffisante puisque sa mise en oeuvre, qui ne résulte pas d'un accord des différents points de vue en présence, a mécontenté non seulement certains élus mais aussi certains opérateurs.

Il apparaît donc souhaitable d'envisager une modification de ce régime, qui pourrait intervenir au vu d'une première année d'application du décret précité.

En conclusion sur ce point, malgré ces deux bémols, votre commission note avec satisfaction que notre pays sera prêt pour l'échéance de janvier 1998 et que le cadre réglementaire de la concurrence est d'ores et déjà en place en France.

Elle salue l'effort considérable -et quelque peu inhabituel- réalisé par l'administration pour rendre applicables 12( * ) , dans des délais très courts, les deux lois du 26 juillet 1996 précitées.

D'ailleurs, la concurrence est déjà une réalité dans certains domaines, tel que celui de la téléphonie mobile.

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