2. Le fruit logique d'alliances régionales

a) L'émergence de nouvelles puissances régionales

De Kigali à Brazzaville en passant par Kinshasa, existe-t-il un fil conducteur qui permette de comprendre la succession des événements ? Certes, la fragilité des pouvoirs en place trouve son explication première dans les dévoiements de l'autorité publique. Toutefois, à l'exception de la Centrafrique dont la situation apparaît principalement commandée par des déterminants internes, l'intervention de forces extérieures a représenté un élément souvent décisif dans le dénouement de crises politiques.

A travers les différents événements dont l'Afrique centrale est le théâtre, de nouvelles alliances régionales semblent en effet à l'oeuvre où l'Ouganda, le Rwanda, l'Angola et désormais la République démocratique du Congo et le Congo-Brazzaville jouent chacun leur rôle.

Pour accéder au pouvoir, le Président ougandais Yoweri Museveni s'était appuyé sur le Rwandais Paul Kagamé, en retour il a procuré au chef du Front patriotique rwandais (FPR) à dominante tutsie les moyens d'abattre le régime en place à Kigali (juillet 1994) après les terribles massacres dont furent victimes les populations tutsies du Rwanda ainsi que les Hutus modérés.

Minoritaires au Rwanda comme au Burundi, les Tutsis s'inquiétaient de la menace représentée par les menées de certains responsables Hutus à partir des camps de réfugiés installés dans le Kivu, au Zaïre. En outre, le Maréchal Mobutu apportait un appui constant aux militaires Hutus défaits dans leur propre pays. L'alliance des Tutsis du FPR et des hommes de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo de Laurent-Désiré Kabila repose sur cet antagonisme commun vis-à-vis de Mobutu.

L'Angola , deuxième puissance pétrolière, représente une autre pièce essentielle de cette nouvelle logique d'alliance. José Eduardo Dos Santos, ancien révolutionnaire devenu Président de l'Angola, s'est trouvé en butte à l'hostilité du régime de Mobutu. Le Zaïre a ainsi accordé son soutien à l'Unita, le mouvement de rébellion angolais placé sous l'autorité de Jonas Savimbi. La victoire de M. Kabila a naturellement changé la donne et rapproché le Zaïre du pouvoir en place à Luanda.

Cependant le conflit angolais connaissait également des prolongements au Congo où le Président Lissouba bénéficiait de l'appui de l'Unita tandis que le général Sassou N'Guesso recevait une aide très active des forces angolaises. Compte tenu de la solidarité nouvelle entre l'Angola et le Zaïre, la tentative du Président Lissouba d'obtenir un soutien militaire 2( * ) de Kinshasa se trouvait condamnée à l'échec.

A la faveur de ces événements, l'Afrique du Sud a su se poser comme arbitre et apparaître comme une puissance régionale de premier plan. Les dénouements des crises politiques en Afrique centrale servent plutôt ses intérêts.

Grâce au développement, et à la qualité de ses réseaux d'infrastructure ferroviaires et énergétiques, Pretoria pourrait s'assurer la maîtrise de l'énergie électrique produite à partir du barrage d'Inga dans l'ancien Zaïre et l'évacuation de l'ensemble des minerais d'Afrique australe. La vente de matériels militaires constitue un autre enjeu d'importance : ainsi l'Afrique du Sud aurait fourni aux autorités du nouveau Congo, pour un montant de 330 000 dollars, des équipements destinés aux forces de police de Kinshasa... dont l'entraînement est par ailleurs assuré par des cadres ougandais.

b) Un jeu diplomatique autonome

Une leçon se dégage de la succession de ces événements. Les alliances ont ignoré les clivages traditionnels entre Afrique francophone, anglophone ou lusophone. Elles se sont déterminées avant tout en fonction d'amitiés politiques, de solidarités régionales mais aussi de liens ethniques comme le soulignait à juste titre un observateur 3( * ) : les références traditionnelles aux statuts de " maîtres " ou de " dépendants " et à une hiérarchie fondée, non sur l'antériorité de l'accès à la terre, mais sur la prise de possession sous une forme pacifique ou conquérante d'un territoire, créent des connivences souvent méconnues par les puissances occidentales.

Le poids de ces facteurs régionaux explique que les événements aient, en grande partie, échappé à l'influence des grandes puissances. Le jeu diplomatique dans la région a ainsi conquis une autonomie certaine. Le sommet de Luanda (27 octobre 1997) où les Présidents Dos Santos, Sassou N'Guesso, Kabila et Bongo ont adopté une déclaration commune récusant toute forme d'ingérence 4( * ) dans leurs affaires intérieures en a apporté une nouvelle preuve.

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