AVIS N° 90 TOME VII - PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 1998 ADOPTE PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE, DEPARTEMENTS D'OUTRE MER


M. François BLAIZOT, Sénateur


COMMISSION DES LOIS - Avis n°90Tome VII - 1997/1998

Table des matières






N° 90

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 novembre 1997.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 1998 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME VII

DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER

Par M. François BLAIZOT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 230 , 305 à 310 et T.A. 24 .

Sénat : 84 et 85 (annexe n° 33 ) (1997-1998).

Lois de finances.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir procédé à l'audition de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, le mardi 18 novembre 1997, la commission des Lois, réunie le mercredi 19 novembre 1997 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, a examiné, sur le rapport pour avis de M. François Blaizot, les crédits du projet de loi de finances pour 1998 consacrés aux départements d'outre-mer, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Au-delà de l'analyse des crédits consacrés à ces collectivités par les ministères de l'outre-mer, de l'intérieur et de la justice, elle a concentré ses observations sur les problèmes concernant la fonction publique, la sécurité, la justice et la maîtrise de l'immigration.

La commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés aux départements d'outre-mer, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon dans le projet de budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, ramenés aux montants proposés par la commission des Finances.

Elle a cependant estimé qu'un effort de rattrapage important devrait être poursuivi en faveur du développement économique et social de ces collectivités, ainsi que l'a souligné M. Georges Othily.

Elle s'est par ailleurs interrogée sur le choix du Gouvernement de légiférer par ordonnances dans de très nombreux domaines du droit applicable outre-mer, constatant que ce choix conduisait à priver le Parlement de la possibilité d'amender ces textes avant leur entrée en vigueur.

Mesdames, Messieurs,

Le budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 1998, d'un montant total de 5,2 milliards de francs, enregistre une progression de 7,27 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1997, qui bénéficie essentiellement aux départements et collectivités territoriales d'outre-mer.

Cependant, il ne représente qu'une faible part d'un effort budgétaire interministériel global en faveur de ces départements et collectivités s'élevant à un peu plus de 37 milliards de francs, dont l'augmentation, de 3,16 % seulement, reste sensiblement plus modérée.

Après avoir analysé, au-delà des dotations propres du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, les incidences prévisibles des contributions des ministères de l'intérieur, de la décentralisation et de la justice, et avoir fait le point sur la situation des services de l'Etat, votre commission des Lois concentrera ses observations sur les efforts encore nécessaires pour améliorer les résultats en matière de sécurité, de justice et de maîtrise de l'immigration.

Le présent avis évoquera en outre quelques questions d'actualité concernant les perspectives d'évolutions législatives ou institutionnelles.

I. L'ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONSACRÉS AUX DÉPARTEMENTS ET AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES D'OUTRE-MER

Seul l'" Etat récapitulatif de l'effort budgétaire et financier consacré aux départements et collectivités territoriales d'outre-mer " (" jaune " présenté en annexe du projet de loi de finances) permet d'appréhender dans leur globalité les moyens budgétaires consacrés d'une part aux départements d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) et d'autre part, aux collectivités territoriales d'outre-mer à statut particulier que constituent Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon.

En effet, l'ensemble des ministères contribuent à l'effort financier en faveur de l'outre-mer et les crédits du secrétariat d'Etat à l'outre-mer ne représentent que 11 % des moyens budgétaires alloués aux départements et collectivités territoriales d'outre-mer pour 1998, qui atteignent un montant total d'un peu plus de 37 milliards de francs (dépenses ordinaires et crédits de paiement).

Au total, l'évolution de l'effort budgétaire global en faveur de ces départements et collectivités apparaît contrastée : faible progression des moyens de paiement (+ 3,1 %), mais légère régression des autorisations de programme (- 5,7 %) par rapport à 1997.

Votre rapporteur regrette que la diminution des autorisations de programme, déjà constatée en 1997, se poursuive en 1998, au risque de compromettre l'effort d'investissement nécessaire dans les départements d'outre-mer au cours des années à venir.

Au-delà des dotations propres du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, le présent avis présenté par votre commission des Lois s'attachera également à analyser les incidences prévisibles des contributions des ministères de l'intérieur, de la décentralisation et de la justice.

Les deux tableaux suivants retracent l'évolution prévisionnelle des moyens de paiement et des autorisations de programme de ces différents ministères destinés aux départements d'outre-mer, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Moyens de paiement destinés aux DOM, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon
(dépenses ordinaires et crédits de paiement)

1997

1998

Montant

Part du total

Montant

Part du total

Evolution en %

Ensemble des ministères dont :

35 917,922

(100 %)

37 053,123

(100 %)

+ 3,16 %

- Outre-mer

3 516,739

9,79 %

4 133,981

11,16 %

+ 17,55 %

- Intérieur et Décentralisation

7 810,470

21,75 %

7 837,482

21,15 %

+ 0,35 %

- Justice

943,368

2,63 %

1 026,668

2,77 %

+ 8,83 %

(tableau réalisé à partir des données du " jaune " budgétaire) (en millions de francs)

Autorisations de programme destinées aux DOM, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon

1997

1998

Montant

Part du total

Montant

Part du total

Evolution en %

Ensemble des ministères dont :

5 275,556

(100 %)

4 973,581

(100 %)

- 5,72 %

- Outre-mer

1 763,951

33,44 %

1 914,920

38,56 %

+ 8,56 %

- Intérieur et Décentralisation

921,184

17,46 %

926,124

18,62 %

+ 0,54 %

- Justice

211,157

4,00 %

43,000

0,86 %

- 79,64 %

(tableau réalisé à partir des données du " jaune " budgétaire) (en millions de francs)

1. Une progression apparemment marquée des dotations du secrétariat d'Etat à l'outre-mer

Les dotations du secrétariat d'Etat à l'outre-mer en faveur des départements et collectivités territoriales d'outre-mer connaissent une progression marquée : + 17,55 % pour les moyens de paiement et + 8,56 % pour les autorisations de programme.

Cependant, ces chiffres traduisent en fait le regroupement au sein du budget de l'outre-mer de davantage de crédits bénéficiant aux DOM, grâce à des transferts en provenance des budgets des autres ministères et notamment des ministères du travail et du logement. En conséquence, la part du budget de l'outre-mer dans l'ensemble des moyens de paiement affectés aux DOM s'accroît , passant de 9,79 % à 11,16 %.

Cette progression du budget de l'outre-mer consacrée aux DOM est très largement destinée au renforcement des moyens de la politique en faveur de l'emploi et du soutien au logement social : ainsi, la dotation du Fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer (FEDOM), d'un montant total de 1,7 milliard de francs, augmente de 14,3 % grâce à une enveloppe de 300 millions de francs prévue pour le financement des emplois jeunes, tandis que les crédits de paiement de la ligne budgétaire unique d'aide au logement (LBU), d'un montant total de 568,54 millions de francs, sont accrus de 23 % par rapport à 1997, notamment en raison de l'inscription de crédits en faveur de la résorption de l'habitat insalubre, précédemment gérés par le ministère du logement.

D'autre part, les moyens de paiement du Fonds d'investissement des départements d'outre-mer (FIDOM) qui atteignent 232,5 millions de francs pour la section générale , en augmentation de 6,7 %, devraient permettre le respect des engagements de l'Etat résultant des contrats de plan avec les départements d'outre-mer et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que de la convention signée avec la collectivité territoriale de Mayotte.

En revanche, la mise en extinction de la section décentralisée du FIDOM, engagée il y a deux ans, se poursuit, cette section n'étant plus dotée que de 15 millions de francs de crédits de paiement, soit une réduction de plus de 50 % par rapport à l'an dernier. Sur ce dernier point, votre rapporteur tient à souligner que le retard important pris pour l'inscription des crédits de paiement par rapport aux autorisations de programme antérieures s'accentue encore cette année.

On note par ailleurs un renforcement de l'effort d'investissement public en Guyane , avec notamment une dotation supplémentaire pour les équipements scolaires et une augmentation de 37 % des autorisations de programme destinées aux infrastructures de ce département et tout particulièrement au financement de la route Régina-Saint-Georges ; une dotation exceptionnelle de 10 millions de francs en faveur de la ville de Cayenne est en outre prévue dans le cadre du redressement des finances communales.

2. Une stabilité de la contribution du ministère de l'intérieur et une progression des crédits du ministère de la justice

Les crédits de paiement et autorisations de programme provenant des ministères de l'intérieur et de la décentralisation , qui représentent environ un cinquième de l'effort financier global de l'Etat en faveur des DOM, restent stables ; on rappellera que ces crédits correspondent pour l'essentiel aux prélèvements sur recettes des dotations bénéficiant aux collectivités locales : dotation globale de fonctionnement (DGF), dotation de développement rural (DDR), fonds national de péréquation (FNP), fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), dotation spéciale instituteurs (DSI).

En ce qui concerne la contribution du ministère de la justice , on constate une progression sensible des moyens de paiement (+ 8,8 %) qui dépasseront le seuil d'un milliard de francs en 1998 ; il convient néanmoins de souligner que les autorisations de programme reculent de près de 80 %.

Ces crédits consacrés à la justice devraient permettre un renforcement notable des effectifs.

Ils sont en outre destinés à la poursuite d'un important programme d'investissements immobiliers qui comprend notamment :

- en ce qui concerne les services judiciaires, la construction d'un nouveau Palais de justice à Fort-de-France (dont le coût total est évalué à 220 millions de francs), la reconstruction du tribunal d'instance du Lamentin et l'extension du Palais de justice de Basse-Terre ;

- s'agissant de l'administration pénitentiaire, la mise en service du nouveau centre pénitentiaire de Rémiré-Montjoly en Guyane et les travaux de rénovation de la maison d'arrêt de Basse-Terre et de l'ancien centre agricole de la Plaine des Galets à la Réunion ;

- enfin, différentes opérations d'équipement des services déconcentrés de la protection judiciaire de la jeunesse dans les DOM.

II. LA SITUATION DES SERVICES DE L'ETAT

1. Les effectifs de fonctionnaires affectés dans les départements et collectivités territoriales d'outre-mer

Le tableau suivant retrace l'évolution prévisionnelle des effectifs budgétaires affectés dans les départements et collectivités territoriales d'outre-mer.

Evolution des effectifs

1997

1998

Evolution en %

Ensemble des ministères dont :

64 275

65 251

+ 1,52 %

- Outre mer

4 820

4 809

- 0,22 %

- Intérieur et Décentralisation

2 305

2 305

-

- Justice

1 890

2 306

+ 22,01 %

(tableau réalisé à partir des données du " jaune " budgétaire)

Si les effectifs de fonctionnaires de l'Etat affectés dans les DOM restent globalement stables , les personnels relevant du ministère de la justice bénéficient cependant d'un renforcement substantiel puisqu'ils devraient être accrus de 22 %.

Cette augmentation des moyens en personnels du ministère de la justice correspond notamment à la mise en service de nouveaux établissements pénitentiaires, tandis que les créations d'emplois de magistrats s'inscrivent dans le cadre de la poursuite de la réalisation des objectifs inscrits dans le programme pluriannuel pour la justice.

Pour faire face à l'acuité des problèmes économiques et sociaux rencontrés en Guyane, le secrétariat d'Etat à l'outre-mer a par ailleurs décidé de renforcer les effectifs de la préfecture de Cayenne grâce à la création de quatre postes d'encadrement.

2. Les incidences de la Réforme de l'Etat

La réflexion engagée par le précédent Gouvernement en vue d'une Réforme de l'Etat s'étendait tout naturellement à l'organisation administrative des départements d'outre-mer.

Ainsi, la Martinique , à la fois région et département, a-t-elle été retenue comme site expérimental au titre de l'étude d'une nouvelle organisation des services départementaux et régionaux de l'Etat.

Il appartient désormais au nouveau Gouvernement de tirer les conséquences de cette étude de faisabilité menée en Martinique, qui a montré la possibilité de mettre en place une organisation différente de celle prévalant en métropole, en s'appuyant sur une logique de blocs de compétences placés sous la responsabilité d'un chef de projet.

Par ailleurs, dans le cadre de la poursuite de la déconcentration administrative, il est à noter qu'à La Réunion, l'Etat s'est engagé dans la voie d'un rééquilibrage de l'implantation des services de l'Etat au profit du sud du département et que la mise en place d'un centre interministériel des démarches administratives situé à Saint-Pierre est actuellement à l'étude.

3. La question récurrente des surrémunérations des fonctionnaires

Votre rapporteur avait déjà évoqué, l'an dernier, les effets pervers sur le développement économique que peut induire la généralisation des surrémunérations des fonctionnaires dans les départements d'outre-mer et tout particulièrement à La Réunion.

Les fonctionnaires de l'Etat en service dans les DOM bénéficient en effet d'une rémunération majorée instituée par un ensemble de dispositions législatives et réglementaires, dont l'application a été étendue à la fonction publique territoriale ou hospitalière et même fréquemment aux personnels des organismes parapublics.

Le traitement servi aux fonctionnaires en poste outre-mer est ainsi affecté d'un coefficient multiplicateur (sauf à Mayotte) qui, fixé à 40 % en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, atteint 53 % à la Réunion (et 65 % à Saint-Pierre-et-Miquelon). Vient en outre s'ajouter à cette majoration, le cas échéant, le versement d'une indemnité d'éloignement lorsqu'un déplacement réel du fonctionnaire a été occasionné.

Dans certaines collectivités d'outre-mer, les retraites publiques sont également bonifiées à un taux fixé à 35 % à La Réunion et à Mayotte et à 40 % à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Au cours de son audition devant votre commission des Lois, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a évalué à environ 4 milliards de francs le coût de ces diverses majorations pour les seuls fonctionnaires de l'Etat.

Pour ce qui concerne plus particulièrement La Réunion , le rapport établi en juillet 1996 par M. Bernard Pêcheur au nom de l'Observatoire des prix et des revenus de La Réunion avait chiffré à près de trois milliards de francs le coût des majorations diverses de traitements publics en 1995.

A la suite d'une réflexion engagée sur la base de ce rapport, M. Jean-Jacques de Peretti, alors ministre de l'outre-mer, a évoqué, à l'occasion des Assises régionales du développement tenues à La Réunion les 27 et 28 février 1997, un projet de réforme basé sur le double principe du maintien du niveau de rémunération actuel des agents en poste et d'une réinjection sur place de l'intégralité des crédits d'Etat dégagés par la réduction des rémunérations des futurs fonctionnaires, au profit d'actions en faveur de la création d'emplois. Ainsi, ce projet prévoyait-il notamment l'alignement de la rémunération des fonctionnaires nouvellement nommés sur celle en vigueur en métropole au plus fort taux d'indemnité de résidence (+ 3 % comme en Ile de France), soit une réduction d'environ 30 % par rapport à la situation des agents en place qui auraient conservé leur taux actuel de surrémunération de 53 %.

Devant les vives réactions suscitées par ces propositions (mouvements de grève, manifestations accompagnées d'affrontements avec les forces de l'ordre...), le précédent Gouvernement a cependant confié à notre collègue Pierre Lagourgue, sénateur de La Réunion, une mission de conciliation en vue de déterminer un terrain d'entente propice à l'ouverture de négociations. Celui-ci a remis le 8 avril dernier les contributions écrites de ses différents interlocuteurs au ministre de l'outre-mer.

Pour sa part, le nouveau secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, M. Jean-Jack Queyranne, a déclaré devant votre commission des Lois qu'il entendait procéder à une large concertation sur la base de la réalisation d'une étude globale des coûts et revenus à la Réunion, confiée à l'INSEE.

III. DES EFFORTS ENCORE NÉCESSAIRES POUR AMÉLIORER LES RÉSULTATS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ, DE JUSTICE ET DE CONTRÔLE DE L'IMMIGRATION

1. Une stabilisation de la délinquance à un niveau élevé

Le tableau suivant récapitule les taux de criminalité (pour 1.000 habitants) constatés dans les différents départements d'outre-mer en 1996 1( * ) , ainsi que leur évolution par rapport à l'année précédente et au cours des cinq dernières années.

Taux de criminalité (pour 1.000 habitants)

1996

Evolution 1995/1996

Evolution 1992/1996

Guadeloupe

59,90

- 3,43 %

+ 7,37 %

Martinique

52,55

- 6,80 %

+ 4,43 %

Guyane

178,81

- 52,61 %

- 10,75 %

Réunion

45,30

+ 4,08 %

+ 9,32 %

Moyenne DOM

61,46

- 5,04 %

+ 6,03 %

Moyenne métropole

61,35

- 1,82 %

- 5,28 %

Au cours des cinq dernières années, le taux de criminalité pour mille habitants et le nombre de crimes et délits constatés par les services de police et de gendarmerie ont progressé respectivement de 6,03 % et 10,86 % en moyenne dans les départements d'outre-mer, tandis qu'ils enregistraient une baisse respective de 5,28 % et 7,62 % en métropole.

En 1996, on a constaté une stabilisation voire une diminution de la délinquance de voie publique dans les DOM, sauf à La Réunion. Toutefois, on a en même temps enregistré un durcissement des formes violentes de criminalité illustré par l'augmentation des vols avec armes à feu et des vols avec violences en Guadeloupe et en Guyane, et les statistiques doivent, comme en métropole, être interprétées avec prudence, compte tenu du découragement croissant des victimes dissuadées de porter plainte par le taux réduit d'élucidation et le nombre élevé des classements sans suite, même lorsque l'auteur de l'infraction est identifié.

Le taux de criminalité moyen dans les DOM s'établit à 61,46 pour 1000 habitants, soit un chiffre légèrement supérieur à celui constaté en métropole. L'évolution de la délinquance présente cependant des spécificités dans chacun des départements.

- La Guadeloupe a connu, depuis le milieu des années 1980, une forte poussée de la délinquance qui l'a fait passer brutalement d'un niveau moyen à un niveau élevé d'insécurité. La stabilisation globale constatée en 1996 (- 3,43 %) dissimule dans ce département une forte augmentation des vols avec violence (+ 36,75 %) et des vols à main armée (+ 20,7 %), l'agglomération de Pointe-à-Pitre concentrant à elle seule plus de la moitié des crimes et délits constatés.

Par ailleurs, même si une baisse de 11,64 % des infractions à la législation sur les stupéfiants a été enregistrée, la quasi-totalité des saisies de cocaïne outre-mer a été réalisée en Guadeloupe, avec plus de 1,1 tonne saisie dans la zone des Iles du Nord (Saint-Martin et Saint-Barthélémy).

- En Martinique , après plusieurs années consécutives de hausse, la délinquance de voie publique a reculé de 6 % en 1996, malgré une progression sensible des vols à main armée et des vols avec arme blanche imputables pour partie, comme en Guadeloupe, à des toxicomanes consommateurs de " crack ".

- En Guyane , si le taux de criminalité a baissé de 10,75 % au cours des cinq dernières années, il demeure néanmoins le plus élevé de tous les départements français : 178,81 pour 1000 habitants. Cette situation particulière est cependant largement imputable aux délits à la police des étrangers dont la part dans la délinquance globale s'élève à 53 %. En outre, on y observe, depuis deux ans, une forte augmentation des agressions violentes imputables en partie à l'immigration irrégulière qui a représenté, en 1996, 49 % des personnes mises en cause à Cayenne.

- Enfin, La Réunion constitue le seul département d'outre-mer où la criminalité et la délinquance se sont accrus en 1996 : la délinquance de voie publique y a progressé de 20 %, tandis que les vols avec violence sur la voie publique ont augmenté de 12,69 %.

2. Une progression soutenue de l'activité des juridictions

Comme celles de métropole, les juridictions des départements d'outre-mer doivent faire face à une importante augmentation des flux de contentieux.

Entre 1991 et 1995, le nombre d'affaires civiles nouvelles s'est accru de seulement 3,27 % à la cour d'appel de Fort-de-France , mais de respectivement 34,09 % et 15,40 % dans les tribunaux de grande instance de Fort-de-France et de Cayenne.

En Guadeloupe , ce nombre a progressé de 30,47 % à la cour d'appel de Basse-Terre et de 62,09 % au tribunal de grande instance de Pointe à Pitre, même s'il a en même temps légèrement diminué au tribunal de grande instance de Basse-Terre.

A la Réunion , l'augmentation du flux d'affaires civiles nouvelles sur cette même période a été particulièrement forte : + 204,38 % à la cour d'appel, + 67,58 % au tribunal de grande instance de Saint-Denis et + 74,42 % au tribunal de grande instance de Saint-Pierre.

En ce qui concerne l'activité pénale, on note une forte progression des flux en Guyane où le nombre de jugements rendus par le tribunal correctionnel de Cayenne s'est accru de plus de 70 % entre 1991 et 1995.

Les délais moyens de traitement des affaires civiles restent néanmoins légèrement inférieurs à la moyenne nationale pour les cours d'appel qui s'établit à 14,7 mois : 13,5 mois à la cour d'appel de Fort-de-France, 11,8 mois à la cour d'appel de Basse-Terre et 12,9 mois à la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion. En revanche, ces délais dépassent nettement la moyenne nationale dans certains tribunaux de grande instance : 11,5 mois au tribunal de grande instance de Fort-de-France et 14,3 mois au tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, contre une moyenne nationale de 8,8 mois.

Confrontées à la progression de leur activité, les juridictions des départements d'outre-mer ont certes pu bénéficier d'un renforcement substantiel des effectifs de magistrats et de fonctionnaires qu'il est prévu -rappelons-le- de poursuivre en 1998.

Les récentes créations d'emplois de magistrats ont ainsi porté à 158 l'effectif budgétaire global des DOM (dont 49 postes en Guadeloupe, 39 postes en Martinique, 13 postes en Guyane et 57 postes à La Réunion).

Elles ont notamment permis l'affectation dans chaque cour d'appel d'au moins un juge et un substitut " placés " 2( * ) permettant de faire face à des situations de sous-effectif temporaire, ainsi que la localisation de deux emplois de juge de l'application des peines dans les ressorts de juridictions dans lesquels se sont ouverts de nouveaux centres de rétention (Pointe-à-Pitre et Fort-de-France).

On déplore cependant quatre vacances de postes et les efforts devront être poursuivis en vue d'une meilleure répartition des moyens pour faire face à la progression des flux.

Par ailleurs, il est à noter que les tribunaux administratifs de Fort-de-France, de Basse-Terre, de Cayenne et de Saint-Denis de la Réunion doivent également faire face à une progression constante du contentieux entraînant une augmentation sensible du stock des affaires en instance qui s'est par exemple accru de près de 75 % depuis 1993 à La Réunion.

3. La persistance d'une surpopulation carcérale

L'ouverture de deux nouveaux établissements pénitentiaires : Baie-Mahault en Guadeloupe et Ducos en Martinique a permis de désaffecter des établissements vétustes et inadaptés et de remédier partiellement à la surpopulation carcérale ; elle sera en outre suivie de la mise en service, prévue le 1er mars 1998, du centre pénitentiaire de Rémiré-Montjoly en Guyane.

Par ailleurs, des travaux de rénovation sont en cours à la maison d'arrêt de Basse-Terre et au centre de la Plaine des Galets à La Réunion.

Consécutivement à une progression rapide de la population carcérale dans les DOM (+ 25 % entre 1991 et 1996, soit plus du double de la métropole), le taux d'occupation des établissements pénitentiaires reste néanmoins très élevé et généralement supérieur à la moyenne nationale : 272 % en Guyane, 110 % en Martinique, 108 % en Guadeloupe et 145 % à La Réunion (ce taux atteignant 195 % à la maison d'arrêt de Saint-Pierre).

4. Le problème aigu du contrôle de l'immigration

Si les départements d'outre-mer sont dans leur ensemble confrontés à une importante immigration irrégulière , ce problème revêt une acuité particulière à Saint-Martin (Guadeloupe), en Guyane et à Mayotte.

· A Saint-Martin , la population étrangère est évaluée à 57 % de la population totale, soit environ 17.000 personnes, qui seraient pour les quatre cinquièmes en situation irrégulière.

Ainsi qu'a pu le constater sur place votre rapporteur au cours d'une mission de la commission des Lois au mois de mars 1997, le contrôle de l'immigration irrégulière y est particulièrement difficile, voire impossible, en raison de l'absence de frontière matérialisée entre la partie française et la partie néerlandaise et de la localisation de l'aéroport international dans cette dernière zone.

Faute de ratification par le Royaume des Pays-Bas, l'accord franco-néerlandais relatif au contrôle des personnes sur l'aéroport de Saint-Martin, signé le 17 mai 1994 et dont le Parlement français a autorisé la ratification le 20 juillet 1995, n'est toujours pas appliqué.

Cependant, la procédure d'aide au retour volontaire mise en place par le ministère de l'outre-mer à la suite du passage du cyclone Luis à Saint-Martin en 1995 a permis le départ d'un certain nombre d'étrangers en situation irrégulière qui souhaitaient quitter l'île en raison de la perte de leur habitation et de leur travail ; 505 personnes sont effectivement retournées à Haïti grâce à cette procédure.

· En Guyane , la population étrangère est également très nombreuse ; elle représenterait la moitié de la population du département, soit environ 70.000 personnes dont 50 % de clandestins.

Les flux migratoires y sont également très difficiles à contrôler en raison de la forte attractivité de ce territoire français pour les populations pauvres des Etats voisins ne bénéficiant pas du même niveau de protection sociale, et de la facilité du franchissement des frontières fluviales avec le Surinam et le Brésil en Amazonie.

L'Etat a cependant mis en place deux dispositifs de contrôle renforcé des frontières :

- le plan Alizé-Bis mis en place depuis janvier 1992 sur le fleuve Maroni, comportant des patrouilles par des pirogues rapides pour surveiller les déplacements en provenance du Surinam ;

- le plan Galerne sur le fleuve Oyapock, dispositif permanent de surveillance de la frontière avec le Brésil fonctionnant depuis janvier 1995.

En outre, la loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant dispositions diverses relatives à l'immigration a étendu à la Guyane la possibilité de contrôler sommairement les véhicules autres qu'individuels dans une bande de 20 km le long des frontières terrestres (art. 3) et a permis de procéder à des contrôles d'identité destinés à vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi dans une bande de 20 km le long du littoral et des frontières terrestres (art. 18).

En 1996, la lutte contre l'immigration clandestine en Guyane a donné lieu à plus de 10.000 expulsions et reconduites à la frontière.

Interrogé sur ce sujet au cours de son audition devant votre commission des Lois, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a indiqué qu'il envisageait de mettre en place un statut particulier en faveur des populations frontalières de Guyane, constatant que traditionnellement ces populations ne considéraient pas les fleuves comme des frontières.

Au cours de l'examen des crédits par la commission, MM. Christian Bonnet et Georges Othily ont particulièrement insisté sur la nécessité de parvenir à une maîtrise des flux migratoires en Guyane.

· Enfin, Mayotte est confrontée à une immigration très importante en provenance des îles composant la République fédérale islamique des Comores qui n'ont pas le même niveau de développement économique. Ce problème s'est aggravé cette année en raison des événements survenus dans l'île d'Anjouan qui a proclamé son indépendance et souhaité son rattachement à la France.

Les Comoriens présents à Mayotte seraient au nombre de 20.000 sur une population d'environ 120.000 habitants, dont une majeure partie en situation irrégulière. En 1996, 3.482 étrangers ont été reconduits à la frontière ; en 1997 le nombre de reconductions entre le 1er janvier et le 31 août s'élèverait déjà à 6.000.

Les coûts directs et indirects de l'immigration irrégulière à Mayotte, liés notamment à ses incidences en matière de santé, de scolarité ou de travail clandestin, sont évalués à au moins 50 millions de francs par an pour l'Etat et la collectivité territoriale.

Au cours de son audition, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a notamment évoqué le problème posé par le nombre très élevé d'accouchements de femmes anjouanaises à Mayotte, faute de disposer d'équipements sanitaires décents à Anjouan.

Afin de contrôler plus efficacement l'immigration en provenance des Comores, l'obligation du visa préalable a été rétablie depuis le 20 janvier 1995 pour les ressortissants comoriens se rendant à Mayotte ; en outre, le dépôt d'une caution équivalant au prix du billet de retour aux Comores est exigée des passagers arrivant à Mayotte et le droit de port acquitté par les boutres a été relevé.

Le Gouvernement n'entend pas revenir sur le rétablissement des visas malgré les demandes des autorités comoriennes : un assouplissement de leur procédure de délivrance est néanmoins à l'étude.

Par ailleurs, la lutte contre le travail clandestin a été renforcée, notamment grâce à l'extension à Mayotte des dispositions imposant aux employeurs de main d'oeuvre étrangère en situation irrégulière une contribution aux frais d'expulsion, et de celles excluant des marchés publics, à titre temporaire, les entreprises recourant au travail clandestin, par la loi n° 94-638 du 25 juillet 1994 et le décret d'application n° 97-561 du 27 mai 1997.

*

Pour conclure ce bref tableau de la situation de l'immigration dans les DOM, il convient de rappeler que la circulaire du ministre de l'intérieur du 24 juin 1997 relative au réexamen de la situation de certaines catégories d'étrangers en situation irrégulière n'est pas applicable outre-mer ; cependant, les services préfectoraux ont reçu des instructions en vue d'un examen individuel approprié de chaque dossier de demande de régularisation.

Par ailleurs, le projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en cours de discussion à l'Assemblée nationale prévoit le prolongement pour cinq années supplémentaires des dispositions dérogatoires concernant l'éloignement des étrangers en situation irrégulière, notamment le caractère non suspensif du recours contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, " en raison de la situation spécifique prévalant outre-mer " aux termes de l'exposé des motifs (art. 20).

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a estimé devant votre commission des Lois que des dispositions particulières devraient être prises pour renforcer les moyens de lutte contre l'immigration clandestine, en particulier par l'amélioration de la coopération avec les Etats voisins.

IV. LES PERSPECTIVES D'ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES OU LÉGISLATIVES

Le Gouvernement a récemment déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 10 novembre 1997, un " projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer ".

Ce projet de loi tend à permettre la modification du droit applicable dans les départements d'outre-mer, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon dans de nombreux domaines : droit du travail, droit commercial, droit civil (état-civil notamment) et exercice de certaines activités libérales, droit de la construction, code des douanes, droit de la santé publique et de la sécurité sociale, régime du domaine privé de l'Etat (en Guyane), organisation juridictionnelle, régime des activités financières, droit pénal et procédure pénale (à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon), droit électoral, action foncière, aide au logement et urbanisme commercial (à Mayotte).

Votre commission s'est cependant interrogée sur le choix du Gouvernement de légiférer dans ces matières par ordonnances. Elle a en effet constaté que le choix de cette procédure conduisait à priver le Parlement de la possibilité d'amender ces textes avant leur entrée en vigueur.

Le présent avis évoquera en outre sous ce chapitre quelques questions d'actualité concernant les relations des départements d'outre-mer avec l'Union européenne, la prise en compte des spécificités de ces départements dans la politique de l'aménagement du territoire, la poursuite de l'élaboration d'une législation adaptée à Mayotte et enfin le problème posé par la situation spécifique des îles de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin.

1. L'évolution des relations des départements d'outre-mer avec l'Union européenne : l'avancée obtenue à Amsterdam

La conférence intergouvernementale qui s'est achevée le 17 juin 1997 à Amsterdam a abouti à une nouvelle rédaction de l'article 227-2 du Traité de Rome concernant le statut des régions " ultrapériphériques " que constituent les départements français d'outre-mer ainsi que les Açores, Madère et les Iles Canaries.

Ce texte figurant dans le Traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997 mais non encore ratifié, représente pour les départements d'outre-mer une avancée significative renforçant leur position au sein de l'Union européenne.

En effet, il prend en compte les handicaps permanents affectant la situation économique et sociale des DOM que sont l'éloignement, l'insularité, la faible superficie, le relief et le climat difficiles, la dépendance économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits.

En conséquence, tout en réaffirmant l'application des dispositions du Traité de Rome aux DOM, il consacre au sein même de ce Traité la possibilité de mettre en oeuvre des politiques spécifiques en leur faveur, possibilité qui n'était jusque là prévue que dans une simple déclaration annexée au Traité sur l'Union européenne.

Ces mesures spécifiques pourront intervenir dans de nombreux domaines : politiques douanières et commerciales, politique fiscale, zones franches, politiques dans le domaine de l'agriculture et de la pêche, conditions d'approvisionnement en matières premières et en biens de consommation de première nécessité, aides d'Etat et conditions d'accès aux fonds structurels et aux programmes horizontaux communautaires. Surtout, elles seront adoptées par le Conseil à la majorité qualifiée ; le choix de cette procédure répond ainsi à une demande de la France qui constituait un des enjeux principaux de la négociation sur ce texte.

Cependant, la portée de ces dispositions risque d'être quelque peu affaiblie par le dernier alinéa du nouvel article 227-2 aux termes duquel : " le Conseil adopte les mesures visées... sans nuire à l'intégrité et la cohérence de l'ordre juridique communautaire, y compris le marché intérieur et les politiques communes ".

L'interprétation de ce texte relèvera en définitive de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

Le fondement juridique donné à des politiques spécifiques à l'égard des DOM, telles que l'octroi de mer, au regard de l'ordre juridique communautaire reste donc grevé d'incertitudes.

Par ailleurs, il est à noter que le nouvel article 227-2 du Traité de Rome ne concerne pas les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, celles-ci ayant vis-à-vis de l'Union européenne le statut des " pays et territoires d'outre-mer associés " (PTOM).

Cependant, ce régime d'association est lui-même appelé à évoluer car, à l'initiative de la France, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont adopté le 17 juin 1997 à Amsterdam une déclaration invitant le Conseil de l'Union, sur proposition de la Commission européenne, à réformer en profondeur ce régime afin de promouvoir plus efficacement le développement économique et social de ces territoires.

2. Une adaptation nécessaire de la législation relative à l'aménagement du territoire pour prendre en compte la spécificité des départements d'outre-mer

La loi d'orientation n° 95-115 du 4 février 1995 , d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, est en principe globalement applicable aux départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que, pour certains articles seulement, à Mayotte.

Cependant, cette loi n'y produit pas ses pleins effets car les DOM ne comportent aucune zone d'aménagement du territoire (ZAT) et l'application de critères nationaux inadaptés y rend quasi-inexistantes les zones de revitalisation rurale (ZRR) au sein des territoires ruraux de développement prioritaire (TRDP).

Aussi le précédent Gouvernement avait-il déposé sur le bureau du Sénat un projet de loi 3( * ) visant à mieux intégrer les départements d'outre-mer et la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon dans le dispositif national d'aménagement du territoire.

Ce projet de loi tendait, d'une part, à reconnaître le caractère de " zone prioritaire ultrapériphérique " à chaque département d'outre-mer, avec un régime juridique équivalent à celui de la zone d'aménagement du territoire.

D'autre part, il prévoyait de prendre en compte les difficultés supplémentaires rencontrées dans ces régions ultrapériphériques par la mise en place de mesures de désenclavement économique comportant en particulier :

- la possibilité donnée aux régions d'accorder des primes d'équipement spécifiques ainsi qu'une aide au fret ;

- l'institution d'un régime incitatif en faveur des entreprises nouvelles réalisant plus de 70 % de leur chiffre d'affaires hors taxes dans la production de biens et de services vendus hors de la zone prioritaire ultrapériphérique en cause.

Lors de l'audition par la commission de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, au mois de juillet dernier, notre collègue Georges Othily, sénateur de Guyane, constatant les difficultés d'application de la loi d'orientation pour l'aménagement du territoire dans les DOM, avait souligné l'urgence de la discussion d'un texte sur ce sujet.

Le ministre avait alors précisé que ce projet devrait être réexaminé dans le cadre d'une réflexion générale en vue d'une réforme de la loi d'orientation du 4 février 1995 menée par Mme Dominique Voynet, ministre de l'environnement ; il a confirmé cette perspective au cours de son audition du 18 novembre 1997.

3. La poursuite de l'adaptation de la législation applicable à Mayotte et la réflexion engagée sur l'avenir de la collectivité

La modernisation de la législation applicable à la collectivité territoriale de Mayotte se poursuit sur la base d'un rapprochement avec la législation applicable en métropole , sous réserves des adaptations destinées à tenir compte des spécificités mahoraises, et en particulier de l'existence d'un statut civil personnel de droit local, régi par l'article 75 de la Constitution.

Ainsi, le nouveau code pénal a notamment été étendu à Mayotte par l'ordonnance n° 96-267 du 28 mars 1996 et le décret n° 97-544 du 28 mai 1997. De même, la partie législative du code de procédure pénale a été étendue à Mayotte par l'ordonnance n° 96-268 du 28 mars 1996 ; la partie réglementaire devrait également être étendue, par décret, d'ici la fin du premier trimestre 1998 4( * ) .

Une ordonnance n° 96-87 du 5 septembre 1996 a défini un statut général pour les fonctionnaires de Mayotte ; votre rapporteur souhaite que la loi de ratification de cette ordonnance, actuellement en instance de deuxième lecture à l'Assemblée nationale, puisse être adoptée définitivement dans un délai rapide.

Enfin, une ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre 1996 a étendu à Mayotte certaines dispositions du code de la santé publique ; cette ordonnance concernant également l'établissement public de santé territorial de Mayotte, ainsi que la réforme du statut de la caisse de prévoyance sociale, a donné lieu au dépôt d'un projet de loi de ratification à l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, une réflexion a été engagée sur l'avenir statutaire de la collectivité. Le Président de la République a annoncé une consultation de la population mahoraise, d'ici la fin du siècle, sur l'évolution de son statut au sein de la République française.

Dans la perspective de la préparation de cette consultation, deux groupes de réflexion sur l'avenir institutionnel de Mayotte ont été mis en place en septembre 1996 : un groupe local constitué de représentants de la société mahoraise sous la présidence du préfet et un groupe national composé des principaux élus de l'île et de diverses personnalités qualifiées.

La synthèse des travaux de ces deux groupes de réflexion devrait être achevée avant la fin de l'année.

La population et les élus locaux paraissent dans l'ensemble favorables à la départementalisation.

M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a confirmé devant votre commission des Lois, de même qu'il l'avait fait sur place au cours d'un déplacement récent, la perspective d'une consultation de la population mahoraise d'ici la fin du siècle.

4. Le problème posé par la situation spécifique de Saint-Barthélémy et Saint-Martin

Enfin, votre rapporteur a souhaité évoquer à nouveau, dans le cadre du présent avis, le problème posé par la situation spécifique de Saint-Barthélémy et Saint-Martin qui a tout particulièrement retenu l'attention de votre commission des Lois au cours de l'année qui vient de s'écouler.

En décembre 1996, faute de disposer d'informations suffisamment précises pour être en état de se prononcer en toute connaissance de cause, le Sénat avait décidé de disjoindre du projet de loi de ratification de l'ordonnance relative à la fonction publique à Mayotte deux articles additionnels relatifs au statut administratif, fiscal et douanier de ces deux communes du département de la Guadeloupe, qui avaient été introduits par l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Pierre Mazeaud.

A la suite de cette décision, votre commission des Lois a estimé souhaitable d'organiser une mission d'information chargée d'étudier le régime juridique applicable à ces îles, répondant ainsi à une vive attente des élus locaux.

A l'issue d'un déplacement effectué du 2 au 8 mars 1997 à Basse-Terre, Saint-Martin et Saint-Barthélémy, votre rapporteur a rédigé avec l'autre membre de cette mission, M. Michel Dreyfus-Schmidt, un rapport d'information faisant le point sur la situation des " îles du Nord " et leur régime administratif, fiscal et douanier 5( * ) .

Ce rapport a mis en lumière l'absence de clarté d'un régime fiscal et douanier caractérisé par des distorsions peu satisfaisantes entre le droit théoriquement applicable et les pratiques constatées, notamment en matière d'impositions directes.

Il a également fait ressortir le besoin fortement ressenti par les élus locaux d'une plus grande autonomie administrative et financière pour accompagner le développement de ces communes particulièrement éloignées de leur département de rattachement, situé à 250 kilomètres.

C'est après avoir procédé à cette étude approfondie des singularités de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin que votre rapporteur a été amené à déposer une proposition de loi 6( * ) sur ce sujet avec le Président Jacques Larché et Mme Lucette Michaux-Chevry.

Loin de tendre à créer une zone d'immunité, voire un véritable " paradis fiscal ", cette proposition de loi se limitait à consacrer un état de fait au bénéfice des seuls résidents en procédant à une " photographie " de la situation douanière et fiscale actuelle. En contrepartie, elle jetait les bases novatrices d'une fiscalité locale adaptée à l'économie de ces îles.

Elle permettrait en outre aux deux communes d'exercer, grâce aux ressources dégagées par cette fiscalité nouvelle, des compétences plus étendues qu'actuellement, par des conventions conclues avec l'Etat, la région et le département.

Lors de son audition devant votre commission des Lois au mois de juillet dernier, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, a cependant indiqué que cette proposition de loi soulevait certaines interrogations de sa part et risquait à ses yeux d'ouvrir un débat sur la constitutionnalité de l'instauration d'un tel régime particulier dans le cadre d'un département d'outre-mer.

Quoi qu'il en soit, la question de l'évolution du statut de Saint-Barthélémy et Saint-Martin demeure néanmoins posée.

Elle reste l'objet d'une vive préoccupation des élus locaux et retient l'attention du conseil général de la Guadeloupe qui avait émis un accord de principe à l'érection de la commune de Saint-Barthélémy en collectivité territoriale à statut particulier et a récemment mis en place, le 20 octobre 1997, une commission chargée d'étudier le contenu du nouveau statut souhaité.

Interrogé sur cette question par votre rapporteur, au cours de sa dernière audition devant votre commission des Lois, le 18 novembre 1997, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a déclaré que les demandes formulées par les maires de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin faisaient apparaître des problèmes de nature différente dans les deux îles.

Il a considéré qu'une voie moyenne, permettant d'adapter la fiscalité en fonction des besoins, pourrait peut-être être trouvée entre l'application du droit commun et la mise en place d'un statut particulier susceptible de poser beaucoup de difficultés.

*

Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés aux départements d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon dans le projet de budget du secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 1998, ramenés aux montants proposés par la commission des Finances.



1 dernières statistiques connues.

2 Sauf à Fort-de-France où la création d'un emploi de subsitut " placé " a été convertie en une création d'un emploi supplémentaire de substitut au tribunal de grande instance de Cayenne.

3 Projet de loi n° 347 (1996-1997) relatif à l'aménagement du territoire et au désenclavement économique des départements et territoires d'outre-mer et de la collectivité territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon.

4 Ces deux ordonnances ont été ratifiées par la loi n° 96-1240 du 30 décembre 1996.

5 Saint-Barthélémy et Saint-Martin : deux îles françaises dans la Caraïbe - rapport n° 339 (1996-1997).

6 Proposition de loi n° 361 (1996-1997) relative au régime juridique applicable à Saint-Barthélémy et Saint-Martin.

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