AVIS N° 215 - PROJET DE LOI, ADOPTE PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE APRES DECLARATION D'URGENCE, TENDANT A AMELIORER LES CONDITIONS D'EXERCICE DE LA PROFESSION DE TRANSPORTEUR ROUTIER


M. Lucien LANIER, Sénateur


COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LEGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU REGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GENERALE - AVIS N° 215 - 1997/1998

Table des matières






N° 215

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 13 janvier 1998

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier ,

Par M. Lucien LANIER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 427 , 495 et T.A. 45 .

Sénat : 161 et 176 (1997-1998).

 
Transports routiers.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mardi 13 janvier 1998 sous la présidence de M. Jacques Larché, la commission des Lois a procédé, sur le rapport de M. Lucien Lanier, à l'examen pour avis du projet de loi tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier.

Ce texte, dont l'examen au fond relève de la compétence de la commision des Affaires économiques, prévoit notamment d'étendre la sanction d'immobilisation d'un véhicule à certaines infractions en matière de transpors routiers ou de conditions de travail.

La commission des Lois a approuvé le principe de cette extension.

Elle a toutefois adopté trois amendements, dont deux supriment, au nom des principes de nécessité et de proportionnalité des peines, la faculté de prononcer l'immobilisation pour des comportements peu graves ou déjà sanctionnés.

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en première lecture du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier (1997-1998, n° 161).

Par son objet, ce texte relève au premier chef de la compétence de votre commission des Affaires économiques et du plan, à laquelle il a été renvoyé pour son examen au fond. Celle-ci a désigné comme rapporteur notre excellent collègue M. Jean-François Le Grand.

Votre commission des Lois a toutefois souhaité se saisir pour avis des dispositions de ce projet de loi prévoyant des sanctions (administratives ou pénales) ou touchant à la procédure pénale. Elle a donc examiné :

- l'article 3, créant une sanction administrative d'immobilisation d'un véhicule en cas d'infraction délictuelle et renouvelée aux dispositions relatives aux transports, aux conditions de travail et à la sécurité ;

- l'article 3 ter , qui prévoit l'immobilisation d'un véhicule en cas d'absence à son bord du document complet retraçant l'exécution des prestations prévues aux contrats de transports ;

- l'article 3 quinquies , permettant l'immobilisation d'un véhicule en cas de méconnaissance d'une obligation de prudence ou de sécurité mettant en danger autrui ;

- l'article 3 sexies , qui crée une circonstance aggravante à l'égard du conducteur ou du propriétaire d'un véhicule de transport de marchandises ou de personnes en cas de refus d'obtempérer du chauffeur;

- l'article 5, qui incrimine le fait de mettre en circulation un véhicule pendant la période d'immobilisation administrative (qui serait passible d'un an d'emprisonnement et de 100.000 F d'amende ainsi que de peines complémentaires) ;

- l'article 6, qui renforce les pouvoirs d'investigation des contrôleurs des transports terrestres.

Cet examen pour avis ne saurait bien entendu donner lieu à une appréciation de l'opportunité de ces dispositions, qui relève de la compétence de votre commission des Affaires économiques et du plan. Votre commission des Lois s'est limitée à une analyse strictement juridique. Elle s'est ainsi attachée à vérifier si ces dispositions ne soulevaient pas de difficulté eu égard aux principes fondamentaux du droit pénal : nécessité et proportionnalité des peines, non-cumul des sanctions, principe de la responsabilité pénale pour son propre fait.

Cette analyse juridique la conduit à vous proposer trois amendements dont les motifs sont détaillés dans l'examen des articles du présent avis : deux de ces amendements tendent à supprimer les articles 3 ter et 3 quinquies ; le troisième vise à modifier l'article 3 sexies afin d'harmoniser la définition de la circonstance aggravante avec la définition de l'infraction elle-même.

Sous le bénéfice de ces amendements, et sous réserve de ceux qui vous seront soumis par votre commission des Affaires économiques et du plan, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 3 ter
Immobilisation immédiate du véhicule en cas d'absence
à bord du document de suivi complet

Cet article, inséré par l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement, a pour objet de modifier l'article 26 de la loi du 1 er février 1995 concernant les clauses abusives, lequel impose de conserver à bord du véhicule un document retraçant l'exécution des prestations prévues aux contrats de transports routiers (dates et heures d'arrivée et de départ du véhicule,...). Ce document doit être signé par le remettant ou son représentant sur le lieu de chargement et par le destinataire ou son représentant sur le lieu du déchargement.

La modification proposée par le présent article 3 ter consiste à prévoir que l'absence de ce document, dûment rempli et signé, " constitue une infraction au code de la route entraînant l'immobilisation du véhicule (...) prévue à l'article L. 25 dudit code ".

Sur le plan strictement juridique, votre commission des Lois constate que cet article 3 ter soulève trois séries de difficultés :

· au regard du principe de l'individualisation des peines puisque la sanction semble être automatique (l'expression " entraînant l'immobilisation " paraît en effet conférer une automaticité à cette sanction, par opposition à la rédaction de l'article L.25 du code de la route qui énumère des cas qui " peuvent entraîner l'immobilisation ").

Certes, dans sa décision en date des 19 et 20 janvier 1981, le Conseil constitutionnel a considéré que l'individualisation des peines n'avait pas " le caractère d'un principe unique et absolu prévalant de façon nécessaire et dans tous les cas sur les autres fondements de la répression pénale ". Mais une telle formulation, si elle ne consacre pas la valeur constitutionnelle de l'individualisation des peines, l'érige expressément au rang de fondement de la répression pénale. Par ailleurs, le 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à l'article 8 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen une disposition entraînant " automatiquement une sanction -en l'occurrence l'interdiction du territoire pour une durée d'un an- sans égard à la gravité du comportement (...), sans possibilité d'en dispenser l'intéressé ni même d'en faire varier la durée ".

Votre commission des Lois estime donc souhaitable d'éviter, dans toute la mesure du possible, les sanctions automatiques.

· au regard du principe de proportionnalité des peines puisque l'immobilisation serait une sanction grave pour une infraction qui pourrait être mineure (l'oubli d'une seule signature entraînerait la sanction).

On observera notamment que les autres cas où l'immobilisation est possible (art. R. 278 du code de la route) sont bien plus graves : ivresse du conducteur, absence de permis de conduire, véhicule dont l'état crée " un danger important pour les autres usagers ", manipulation du limitateur de vitesse ...

· au regard du principe de nécessité des peines : l'absence de document de bord est déjà passible d'une amende de 5 000 F (article 2.e du décret du 25 mai 1963).

C'est pourquoi votre commission des Lois vous propose un amendement de suppression de cet article 3 ter .

Article 3 quinquies
Immobilisation immédiate des véhicules en cas
de mise en danger délibérée d'autrui

Cet article, inséré par l'Assemblée nationale malgré l'avis du Gouvernement, prévoit l'immobilisation et le retrait de la circulation de tout véhicule ayant servi à commettre une violation d'une obligation de prudence ou de sécurité, au sens de l'article 223-1 du code pénal, matérialisée par une infraction aux réglementations des transports, du travail et de la sécurité.

Cette immobilisation interviendrait " jusqu'à ce que tous les éléments de nature à établir les responsabilités de l'infraction puissent être recueillis ".

On observera que toute méconnaissance d'une obligation de sécurité ou de prudence n'entraînera pas une immobilisation : outre la nécessité d'une infraction aux réglementations précitées, la référence à l'article 223-1 du code pénal suppose l'exposition directe d'autrui " à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ".

Votre commission des Lois constate que cet article 3 quinquies soulève des difficultés au regard de deux principes fondamentaux du droit pénal :

· au regard du principe de l'individualisation des peines puisque la sanction serait automatique.

· au regard du principe de la nécessité des peines , puisque l'article R. 278 du code de la route énumère déjà dix-huit cas dans lesquels l'immobilisation est possible qui paraissent couvrir les manquements graves à la prudence : état d'ivresse, conduite sans permis, mauvais état du véhicule, circulation en violation des règles relatives aux transports de matières dangereuses, défaut de position permettant de maîtriser le véhicule ...

Cette énumération (que le pouvoir réglementaire peut compléter si nécessaire) est au demeurant plus précise que le renvoi général à un manquement à une obligation de prudence.

Aussi votre commission des Lois vous propose-t-elle un amendement de suppression de l'article 3 quinquies .

Article 3 sexies
Obstacle à l'immobilisation et refus d'obtempérer

Cet article a pour objet de compléter l'article L.4 du code de la route qui, en sa rédaction actuelle, punit de trois mois d'emprisonnement et de 25.000 F d'amende le fait, pour le conducteur d'un véhicule, de faire obstacle à l'immobilisation de celui-ci ou de refuser d'obtempérer à une sommation de s'arrêter.

Il prévoit que ces peines seront portées à un an d'emprisonnement et à 100.000 F d'amende à l'égard du conducteur ou du propriétaire d'un véhicule de transport de marchandises ou de transport de personnes.

Selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, il s'agit de sanctionner particulièrement un acte répréhensible " de la part de professionnels de la route ".

Votre commission des Lois comprend ce souci, même si les juridictions sont en pratique d'ores et déjà plus sévères à l'égard des professionnels.

Elle constate toutefois que, tel qu'il est rédigé, le présent article 3 sexies soulève une difficulté juridique tenant au défaut de parallélisme entre la définition de l'infraction elle-même et la définition proposée pour la circonstance aggravante. En effet, la définition donnée pour l'infraction vise uniquement le conducteur alors que la circonstance aggravante pourrait concerner aussi bien le conducteur que le propriétaire du véhicule. Dans la mesure où ce dernier ne peut (sauf complicité) être l'auteur de l'infraction, il est juridiquement inexact de prévoir qu'il peut commettre la circonstance aggravante.

Pour résoudre cette incohérence juridique, deux solutions étaient a priori concevables :

- La première aurait consisté à modifier la définition de l'infraction elle-même en précisant que celle-ci pouvait également être commise par le propriétaire. Celui-ci aurait alors pu être mentionné dans la circonstance aggravante.

Votre commission n'a pas souhaité retenir cette solution qui lui a paru contraire au principe, fondamental en matière pénale, selon lequel nul n'est responsable que de son propre fait. En effet, le refus d'obtempérer est, par hypothèse, commis par le conducteur. Le propriétaire ne saurait donc être condamné pour ce fait, sauf complicité avérée, laquelle peut être mise en jeu indépendamment même de toute mention expresse.

- La seconde solution, plus satisfaisante juridiquement, consiste à supprimer la référence au propriétaire dans la définition de la circonstance aggravante. Votre commission des Lois vous soumet un amendement à cette fin.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi.

ANNEXE :
AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR
LA COMMISSION DES LOIS

Article 3 ter

Supprimer cet article.

*

* *

Article 3 quinquies

Supprimer cet article.

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Article 3 sexies

Dans le texte proposé par cet article pour le dernier alinéa de l'article L 4 du code de la route, supprimer les mots :

ou le propriétaire

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