B. SES COMPÉTITEURS POURSUIVENT LEURS AVANCÉES

Les concurrents de la France dans le domaine nucléaire poursuivent, en effet, leurs avancées technologiques et commerciales.

1. La concurrence concernant les centrales nucléaires

a) La concurrence mondiale : état des lieux

Différents types de centrales nucléaires sont proposés par les constructeurs mondiaux (Framatome, Siemens, ABB, Westinghouse, B & W, General Electric, Mitsubishi, etc...).

En fait, le marché des centrales électronucléaires dans le monde comporte deux parties :

- le marché principal qui concerne les pays acceptant les règles internationales de contrôle des matières nucléaires ;

- le marché plus restreint qui concerne des pays s'affranchissant de ces règles, tels que l'Inde, le Pakistan, l'Iran... Sur ce deuxième marché, seules la Russie et la Chine se présentent comme fournisseurs.

Sur le marché principal, les offres concurrentes de la nôtre sont pour l'essentiel des offres américano-japonaises. Les fournisseurs américains se sont associés aux constructeurs japonais -appuyés sur un marché domestique porteur- pour continuer d'enrichir leur savoir-faire à la faveur de l'expérience de construction et d'exploitation dans ce pays. Ces fournisseurs sont :

- Westinghouse, allié à Mitsubishi, pour les modèles à eau pressurisée, en particulier le modèle AP 600 qui ne bénéficie pas encore de référence. Westinghouse est fortement présent en Corée et au Japon où il a vendu respectivement 6 et 2 tranches ;

- General Electric, allié à Hitachi et Toshiba, pour les modèles à eau bouillante. L'ABWR de 1.300 MW (Advanced BWR) bénéficie désormais d'une référence au Japon avec deux tranches en exploitation et environ 10 tranches en perspective. S'y ajoutent 2 tranches à Taïwan (en plus des 4 tranches déjà en service) et 2 tranches en service en Corée.

Ajoutons que le groupe américano-européen Combustion Engineering-ABB, allié aux Coréens pour le modèle à eau pressurisée, a vendu deux tranches en Corée.

Pour être exhaustif, il convient de citer :

- les centrales à eau lourde canadiennes CANDU, qui ont été vendues en Corée (2 tranches) en Roumanie et en Chine (2 tranches) ;

- les centrales à eau pressurisée russes de 1.000 MW du modèle VVER 1000-AES 91 (2 tranches) vendues récemment en Chine et du modèle 640 MW en développement.

b) L'attrait du marché chinois

Qu'en est-il du marché chinois, qui figure aujourd'hui parmi les marchés les plus attractifs en ce domaine ?

Une délégation de votre commission d'enquête s'est rendue en Chine pour en étudier les perspectives d'évolution.

Voici très brièvement les principales conclusions qui ressortent de ses nombreux entretiens à Pékin :

- La consommation d'énergie en Chine est en forte croissance . Aujourd'hui, environ 20 % de la demande d'électricité demeure insatisfaite en Chine. C'est dire l'importance des besoins et du marché potentiel . L'explosion économique du pays ne peut qu'amplifier cette situation, qu'il faut considérer à l'aune de sa situation démographique (1,2 milliard de personnes).

Le neuvième plan quinquennal chinois (1996-2000) prévoit l'augmentation de la capacité énergétique installée de 20.000 MW par an, pour atteindre 300.000 MW en l'an 2000.

- Les Chinois envisagent de faire évoluer leur bilan énergétique progressivement .

A l'heure actuelle, leur production d'énergie électrique est d'origine thermique (charbon) à hauteur de 81 %, hydraulique pour 18 % et nucléaire pour seulement 1 %.

On peut penser que le charbon continuera à contribuer à l'essentiel de leur production d'électricité, tant en raison de sa disponibilité (il s'agit de leur principale ressource) que de son faible prix et de la dépendance culturelle de la Chine à son égard. La part de l'hydroélectricité devrait augmenter et pourrait passer à 20 % en 2000, puis 30 % en 2010 grâce à l'existence d'un énorme potentiel (dont seul 10 % est aujourd'hui exploité).

Enfin, les Chinois confirment leur volonté de poursuivre dans la voie nucléaire , à l'aide de transferts de technologie et d'accords de fabrication locale de plus en plus poussés.

La part du nucléaire devrait probablement atteindre 3 % d'ici dix ans. Cela est peu en valeur relative, mais considérable en valeur absolue dans un marché d'une telle taille et en forte expansion. D'ici 2010, le parc nucléaire chinois pourrait ainsi atteindre une vingtaine de centrales.

A plus long terme, des programmes nucléaires plus ambitieux pourraient d'ailleurs être conduits si l'on considère l'impressionnant décollage économique des régions côtières 39( * ) et la prise de conscience croissante par les décideurs des défis environnementaux, liée certes aux négociations internationales concernant l'effet de serre mais aussi, et surtout, à la réalité de la pollution atmosphérique dans les villes chinoises. Celle-ci résulte de la forte croissance du parc automobile et de l'utilisation non contrôlée du charbon dans le secteur domestique et dans l'industrie.

Dans ce contexte, comment la concurrence mondiale se présente-t-elle ?

La délégation n'a pu que se réjouir de l'excellent accueil que lui ont réservé l'ensemble des personnalités qu'elle a pu rencontrer en Chine et leur souhait exprimé de poursuivre une coopération avec la France dans différents domaines : nucléaire, charbon, secteur pétrolier, maîtrise de l'énergie, énergies renouvelables...

S'agissant du secteur nucléaire 40( * ) , elle a pu constater que la Chine était convaincue de l'intérêt de séries standard de centrales du même modèle mais que, dans le même temps, la forte croissance de ce pays aux immenses besoins, nécessitait le recours à toutes les lignes de crédit disponibles dans le monde pour s'équiper en unités de production d'électricité.

C'est ainsi que, malgré la satisfaction retirée de la fourniture française pour Daya Bay (deux tranches) et la construction en cours des deux tranches de Ling Ao, la Chine a récemment acheté deux tranches russes (VVER 1000 -AES 91) et deux tranches canadiennes (CANDU).

A la faveur de la normalisation des relations sino-américaines, le puissant lobbying des fournisseurs américano-japonais précités représente une menace importante pour l'offre française. Dans ce paysage, il ne faut pas oublier l'offre Combustion Engineering-ABB (allié avec le coréen KEPCO) et la poursuite éventuelle des contrats avec les Russes et les Canadiens.

Enfin, Siemens est présent en Chine. Compétiteur vigoureux de l'offre française pour les premières centrales importées par ce pays dans les années 80, son accord avec Framatome pour créer la filiale commune NPI a sans doute facilité l'extension à Ling Ao de l'offre EDF/Framatome/Gec-Alsthom.

Ainsi, le marché chinois a beau être potentiellement immense, le nombre des fournisseurs, même s'il a été réduit par les regroupements, reste important et constitue une concurrence redoutable pour l'offre française.

Dans ce contexte fortement concurrentiel, la France bénéficie d'atouts certains (qualité de sa technologie, effet de série, prix...). Mais son succès commercial en Chine semble dépendre de deux facteurs essentiels :

- sa capacité à élaborer des propositions de financement satisfaisantes, dans la mesure où ce critère est devenu majeur ;

- la crédibilité de l'ensemble de la filière nucléaire française, gage de la confiance que lui portent les Chinois. Sur ce point, votre délégation a été frappée par les réactions de l'ensemble de ses interlocuteurs chinois à la suite de la décision du gouvernement français de fermer le réacteur Superphénix : incompréhension sur son principe même, interrogation quant à ses motifs réels, instillation d'un doute profond sur l'avenir de l'ensemble de la filière nucléaire française et, par là-même, sur l'opportunité de continuer à recourir à cette dernière.

A titre d'exemple, citons M. Qitao Huang, responsable de l'Administration nationale de la sûreté nucléaire : " j'estime que la filière à neutrons rapides est indispensable pour obtenir la transmutation des déchets et pour notre développement électronucléaire. Certains cependant s'y opposent, en raison de l'abandon de Superphénix par le Gouvernement français ".

Inutile de dire que les Russes tentent de s'engrouffrer dans la brèche et n'ont pas manqué de rappeler aux Chinois qu'ils disposaient de deux réacteurs à neutrons rapides en fonctionnement...

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