4. Des conséquences incontournables

La méthode qu'a retenue le Gouvernement aura très probablement des conséquences redoutables.

En effet, elle consolidera sur le territoire la situation de fait d'un grand nombre d'étrangers non régularisés.

Vivant en situation irrégulière avant l'opération du 24 juin 1997, les intéressés auront présenté une demande de régularisation, décliné leur identité et leur domicile. Après une décision de refus, ils seront retournés dans la clandestinité sans que l'irrégularité de leur séjour n'ait eu pour eux la moindre conséquence pratique.

Comme avant l'opération de régularisation, ce n'est qu'en cas d'interpellation qu'ils s'exposeront à un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.

L'opération de régularisation, loin de clarifier la situation de l'immigration irrégulière en France, aura ainsi produit deux catégories nouvelles : les étrangers régularisés et les étrangers déboutés de la régularisation qui deviendront en quelque sorte des " clandestins officiels " pour peu qu'ils demeurent dans des situations non exposées.

Tout porte à croire que des personnes, qui se sont maintenues dans l'illégalité sur le territoire pendant des années, ne seront guère incitées à le quitter au seul motif que leur demande de régularisation aura été rejetée dans le cadre d'une circulaire ministérielle. Au contraire, elles attendront une autre régularisation.

Selon les précisions apportées à la commission d'enquête par le ministre de l'Intérieur lors de sa seconde audition, le 12 mai, 70 000 demandeurs (sur 140 000 demandes recensées) étaient déjà connus des services préfectoraux. Leur nom figurait au fichier AGDREF. Même si ce chiffre ne recoupe pas nécessairement celui des refus de séjour opposés dans le cadre de la circulaire du 24 juin 1997, il témoigne d'un " affaissement " de la limite entre situation régulière et situation irrégulière.

Le maintien sur le territoire de personnes dont la régularisation a été refusée constitue une violation de la loi . Or la méthode gouvernementale suspendant les mesures de reconduites jusqu'au 24 avril, au risque de rendre matériellement impossible l'exécution de ces mesures après cette date, aboutit à tolérer cette violation de la loi.

Il en résultera un effet psychologique désastreux sur les étrangers en situation irrégulière qui, face à l'indétermination des pouvoirs publics, seront d'autant plus enclins à se maintenir sur le territoire avec l'espoir d'obtenir ultérieurement leur régularisation.

Le signal ainsi donné aux pays d'émigration ne doit pas être sous-estimé. Il peut renforcer dans l'esprit des candidats à l'émigration l'idée qu'il est toujours possible de " tenter sa chance " en France, la perspective d'une régularisation dans un délai plus ou moins long étant prouvée par l'expérience - 1981...1991...1997...

Enfin, le maintien sur le territoire d'étrangers en situation irrégulière aura des conséquences au plan local . Contrairement au but de clarification qui aurait pu s'attacher à l'opération de régularisation, il fera perdurer dans des départements particulièrement concernés par les flux migratoires des situations de non droit dont les collectivités locales subissent les effets . Il accentuera les déséquilibres sociaux observés dans certains quartiers. Il rendra plus difficile l'intégration de la population étrangère en situation régulière.

En fait, les conditions d'accès au territoire national deviennent fluides. L'opportunité fait de plus en plus le siège à la loi.

Cette situation ne sera pas non plus sans conséquences pour nos partenaires européens. Les 70 000 étrangers non régularisés constitueront également des " clandestins officiels " pour l'Europe. C'est une conséquence incontournable de l'" espace Schengen " dont la France a favorisé l'émergence.

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