Création d’entreprises innovantes



RAPPORT 505 (97-98) - COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES


Table des matières






N° 505

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 juin 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi de M. Pierre LAFFITTE, permettant à des fonctionnaires de participer à la création d'entreprises innovantes ,

Par M. Adrien GOUTEYRON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Pierre Laffitte, Albert Vecten, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Ivan Renar, vice-présidents ; André Egu, Alain Dufaut, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. Philippe Arnaud, Honoré Bailet, Jean-Paul Bataille, Jean Bernadaux, Jean Bernard, Jean-Claude Carle, Robert Castaing, Marcel Daunay, Jean Delaneau, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Gérard Fayolle, Bernard Fournier, Alain Gérard, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Jacques Legendre, Guy Lemaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Philippe Nachbar, Lylian Payet, Louis Philibert, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Roger Quilliot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Marcel Vidal.

Voir le numéro :

Sénat : 98 (1997-1998).



Fonctionnaires et agents publics.

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France précise, dans son article 14, que la valorisation des résultats de la recherche constitue un des objectifs de la recherche publique.

L'évolution accélérée des marchés comme des techniques qui conduit à considérer la capacité d'innover et de diffuser les technologies nouvelles comme un élément essentiel de la croissance, de la compétitivité et donc de l'emploi n'a pas démenti le bien-fondé de cette disposition.

Néanmoins, cette mission est encore souvent considérée dans le monde de la recherche publique comme une activité secondaire. Par ailleurs, le décalage existant entre la situation satisfaisante de la recherche fondamentale française et la faiblesse de notre position technologique amène à la conclusion que notre potentiel scientifique n'est pas encore utilisé avec l'efficacité souhaitable pour dynamiser le tissu industriel et créer de nouvelles entreprises.

Cette situation unanimement reconnue tient essentiellement à l'insuffisance des transferts de technologie des organismes publics de recherche, qu'il s'agisse des établissements publics scientifiques et technologiques ou des établissements d'enseignement supérieur, vers le secteur industriel.

Le faible nombre d'entreprises créées par des chercheurs issus de ces organismes pour exploiter les résultats de leurs travaux en est un des indicateurs les plus significatifs. Or, si cette forme de valorisation de la recherche publique apparaît comme particulièrement intéressante comme tendent à le démontrer les exemples étrangers, elle ne fait pas encore partie à l'évidence des mentalités françaises.

Les chercheurs publics y sont par tradition souvent peu enclins, leur conviction étant -et une telle attitude mérite d'être saluée- que leur mission de recherche doit s'exercer dans le cadre des organismes dont ils relèvent. Les organismes publics de recherche ainsi que leurs autorités de tutelle ne semblent pas encore avoir pris, quant à eux, l'exacte mesure de l'importance de cette modalité de diffusion de l'innovation. A ce titre, il importe de rappeler -et cela est particulièrement significatif- que le ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ne dispose pas d'un recensement exhaustif de ces entreprises et n'assure aucun suivi systématique de leur devenir.

La création d'entreprises de haute technologie par des chercheurs se heurte à de nombreux obstacles. L'inadaptation des règles de la fonction publique qui comportent des dispositions très restrictives quant aux liens qui peuvent s'établir entre un fonctionnaire et une entreprise est souvent considérée comme un des plus importants. La proposition de loi déposée par M. Pierre Laffitte tente d'y remédier en aménageant le statut du chercheur

Votre commission vous proposera, sous réserve de quelques aménagements, de reprendre le dispositif proposé par M. Pierre Laffitte dans sa proposition de loi. Il permet, en effet, de clarifier la situation statutaire du chercheur participant à la création d'une entreprise valorisant les résultats de ses travaux scientifiques en évitant tout risque de conflit d'intérêt entre l'intéressé et le service public dont il relève.

I. LA NÉCESSITÉ D'UNE MODIFICATION DU STATUT DU CHERCHEUR AFIN DE FACILITER LA CRÉATION D'ENTREPRISES INNOVANTES

A. UNE NÉCESSITÉ ÉCONOMIQUE

1. Un constat

La France souffre d'une insuffisante valorisation des résultats de la recherche publique et d'une absence de mécanismes efficaces de diffusion de l'innovation.

Ce constat fait aujourd'hui l'unanimité.

Il a été à nouveau dressé par M. Henri Guillaume dans son rapport de mission sur la technologie et l'innovation, publié en mars 1998 et élaboré à la demande de MM. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie et des finances et Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Ses analyses mettent clairement en évidence le décalage entre la production scientifique de la France et sa position technologique.

Les assises de l'innovation réunies le 12 mai dernier à La Villette ont été l'occasion pour le Gouvernement d'exprimer sa volonté de remédier à cette situation.

Votre rapporteur ne peut que s'en féliciter. En effet, votre commission souligne avec constance depuis de nombreuses années, en particulier par la voix de notre excellent collègue Pierre Laffitte, l'importance du processus d'innovation et la nécessité de l'encourager.

Il s'agit là d'un enjeu décisif pour la compétitivité de l'économie française. En effet, les secteurs dans lesquels sont appelés à se développer les entreprises de haute technologie s'avèrent déterminants qu'il s'agisse des nouvelles technologies de l'information et de la communication ou des biotechnologies. Or, la France y enregistre des retards considérables, retards qui pourraient être aggravés par une certaine faiblesse de la recherche fondamentale dans ces secteurs. Ainsi l'industrie des biotechnologies ne représenterait en France que 90 entreprises, 3 000 salariés et une valeur estimée à 0,6 milliard de dollars alors qu'aux Etats-Unis, elle compte 1 300 entreprises, 118 000 salariés et une capitalisation de 83 milliards de dollars. Il en est de même en ce qui concerne les nouvelles technologies de l'information et de la communication qui ont connu un essor considérable aux Etats-Unis, en particulier grâce au dynamisme de petites et moyennes entreprises créées à partir ou dans l'orbite des grandes universités.

Ce processus de valorisation des résultats de la recherche publique demeure aujourd'hui encore insuffisamment développé dans notre pays. Cela est particulièrement regrettable car les entreprises auxquelles il donne naissance, comme le souligne M. Pierre Laffitte dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi contribuent de manière déterminante à la croissance économique. Il note, en effet, que " les entreprises créées à l'initiative de chercheurs et de professeurs de grandes écoles ou d'universités ont un taux d'échec remarquablement faible et sont en moyenne trois fois plus créatrices d'emplois que les autres, avec un effectif moyen de onze salariés quelques années après leur création ". Elles sont donc susceptibles de favoriser le renouvellement du tissu industriel et d'exercer un effet d'entraînement sur l'économie régionale lorsqu'elles accèdent au statut d'entreprises moyennes.

L'intensification d'un tel processus permettrait à l'évidence de renforcer l'efficacité de la politique de la recherche en accroissant l'impact économique des dépenses publiques consacrées à la recherche et au développement qui s'élèvent en France pour 1998 à un peu plus de 53 milliards de francs en dépenses ordinaires et en crédits de paiements au sens du BCRD 1( * ) .

Certains organismes publics de recherche -mais ils constituent encore des exceptions-encouragent leurs personnels à créer de telles entreprises. Ainsi, dans le cadre de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), ont été créées, au cours des dix dernières années, 28 entreprises, dont 5 seulement ont disparu aujourd'hui . Elles représentent aujourd'hui un effectif de près de 1 000 salariés, soit bien plus que celui de l'institut lui-même.

2. Des obstacles identifiés

Les obstacles principaux à la diffusion de l'innovation par la création d'entreprises de haute technologie exploitant les résultats de la recherche publique sont désormais connus.

L'environnement financier nécessaire à l'apparition de telles entreprises fait encore aujourd'hui défaut en France , en particulier en raison de l'insuffisance du capital risque. Il s'agit là d'un constat désormais partagé qui est aggravé par l'absence de règles fiscales suffisamment incitatives concernant la rémunération des créateurs d'entreprises. En ce domaine, des avancées ont été accomplies, au rang desquelles il importe de citer la création des fonds communs de placement dans l'innovation par l'article 102 de la loi de finances pour 1997 ou encore la constitution du " Nouveau marché ", marché financier dont l'accès est réservé aux entreprises de haute technologie.

A ces obstacles financiers, s'ajoute l'absence de structures capables de créer des liens entre le monde de la recherche, celui de la finance et celui de l'entreprise . Comme le soulignait devant votre commission, le 22 avril dernier, M. Henri Guillaume, les chercheurs, peu enclins par tradition en France à se lancer dans l'aventure de la création d'entreprises, ne bénéficient d'aucune structure d'accompagnement et de formation, à l'image de celles qui existent dans les universités américaines.

Enfin, et c'est à cet obstacle que souhaite remédier la proposition de loi déposée par M. Pierre Laffitte, les règles statutaires de la fonction publique semblent incompatibles avec la création d'entreprises par des chercheurs à partir des résultats de leurs travaux, démarche qui implique dans la pratique une interaction entre l'entreprise et le service public de la recherche.

B. UNE NÉCESSITÉ JURIDIQUE

1. Des règles rigoureuses

· Les règles générales

Le statut général de la fonction publique ainsi que le code pénal comportent des dispositions très restrictives concernant les liens pouvant s'établir entre un fonctionnaire et une entreprise.

L'article 25 du code de la fonction publique dispose, en effet, que " les fonctionnaires (...) ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée de quelque nature que ce soit ", précisant que les conditions de dérogation à cette règle sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Ce dernier n'étant jamais intervenu, s'applique encore le décret-loi du 29 octobre 1936 qui détermine les exceptions à la règle d'interdiction de cumul d'emplois et de rémunérations, prévoyant notamment que le cumul peut être autorisé quand il s'agit d'enseignement, d'expertises ou de consultations.

Par ailleurs, l'article 25 du même code dispose également que " les fonctionnaires ne peuvent prendre, par eux-mêmes ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l'administration à laquelle ils appartiennent ou en relation avec cette dernière, des intérêts de nature à compromettre leur indépendance ".

A cette règle, s'ajoutent deux articles du code pénal qui sanctionnent la prise illégale d'intérêts, l'article 432-12 réprimant " le fait, par une personne (...) chargée d'une mission de service public (...), de prendre, recevoir ou conserver (...) un intérêt quelconque dans une entreprise (...) dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration (...) " et l'article 432-13 punissant tout fonctionnaire ayant été chargé en raison de sa fonction " soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée " lorsqu'il s'est rendu coupable " de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la cessation de cette fonction ".

Ces règles visent à prévenir tout conflit d'intérêt entre le service public et les fonctionnaires en garantissant l'indépendance de ces derniers. Elles sont complétées par des règles spécifiques aux personnels du service public de la recherche.

· Des règles assouplies pour les personnels de la recherche publique.

La loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France comme la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur ont souligné l'importance de la valorisation de la recherche qui constitue, aux termes de leurs articles 24 et 4 respectifs, une des missions des métiers de la recherche et du service public de l'enseignement supérieur.

A ce titre, les statuts particuliers des personnels des établissements publics scientifiques et technologiques (EPST) peuvent permettre, aux termes de l'article 26 de la loi du 15 juillet 1982 précitée, " des adaptations au régime des dispositions prévues par le statut général des fonctionnaires et des dérogations aux règles relatives aux mutations afin de faciliter la libre circulation des hommes et des équipes entre les métiers de la recherche et les institutions qui y concourent ".

Le décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 fixant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des EPST a ainsi prévu dans ses articles 243 à 245 trois catégories de position dérogeant aux règles applicables à l'ensemble des fonctionnaires.

En vertu de l'article 243, les fonctionnaires des EPST peuvent, pour une durée de cinq ans renouvelable, être détachés dans des entreprises, des organismes privés ou des groupements d'intérêt public lorsque ce détachement est effectué pour exercer notamment des fonctions de recherche ou de mise en valeur des résultats de la recherche, sous réserve que l'intéressé n'ait pas eu, au cours des cinq dernières années, soit à exercer un contrôle sur l'entreprise, ou l'organisme privé, soit à participer à l'élaboration ou à la passation de marchés avec lui.

Par ailleurs, l'article 244 prévoit que ces fonctionnaires peuvent également être mis à disposition d'entreprises, notamment afin d'assurer le transfert des connaissances et leur application dans les entreprises et ce pour une durée maximale de trois ans renouvelable.

Enfin, aux termes de l'article 245, les fonctionnaires peuvent être mis en disponibilité, pour une durée de trois ans maximum renouvelable, pour créer une entreprise à des fins de valorisation de la recherche. Cette possibilité est néanmoins limitée par les dispositions de l'article premier du décret n°95-168 du 17 février 1995 relatif à l'exercice d'activités privées par des fonctionnaires placés en disponibilité qui leur interdit notamment l'exercice d'activités " professionnelles dans une entreprise privée lorsque l'intéressé a été, au cours des cinq dernières années (...) précédant sa mise en disponibilité, chargé en raison même de sa fonction (...) de passer des marchés ou contrats avec cette entreprise ou d'exprimer un avis sur de tels marchés ou contrats " et d'" activités lucratives, salariées ou non (...) si par leur nature ou leurs conditions d'exercice et eu égard aux fonctions précédemment exercées (...) qui portent atteinte à (leur) dignité ou risquent de compromettre ou mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service. ".

Les statuts des enseignants-chercheurs comportent des dispositions similaires en ce qui concerne le détachement. Ils prévoient, en outre, que les enseignants-chercheurs peuvent être placés, pour une durée de quatre ans au plus, en délégation soit dans une entreprise soit pour créer une entreprise. Cette position, propre au statut des enseignants-chercheurs, suppose au terme des six premiers mois le versement par l'entreprise d'une contribution au moins équivalente à l'ensemble de la rémunération de l'intéressé au profit de l'établissement d'origine du chercheur. Dans le cas d'une création d'entreprise, une convention est passée avec l'Agence nationale de valorisation de la recherche.

Ces règles qui sont certes favorables dans la mesure où elles ouvrent au chercheur qui participe à la création ou au développement d'une entreprise de valorisation un droit à réintégration n'apparaissent pas adaptées aux modalités dans lesquelles de telles entreprises se constituent dans la pratique.

2. Des règles inadaptées à la création d'entreprises par des chercheurs

Ces règles, dont la légitimité ne peut être contestée, constituent un obstacle à la création d'entreprises par des chercheurs. En effet, elles reposent sur l'interdiction faite aux chercheurs d'appartenir au service public et en même temps de participer à la création d'une entreprise. Or, le succès des entreprises innovantes créées à partir des résultats de la recherche publique tient précisément dans l'imbrication de ces deux mondes.

Un rapport public particulier de la Cour des comptes publié en juin 1997 consacré à la valorisation de la recherche dans les EPST relevait, à ce propos, que " l'état actuel de la réglementation place souvent (les personnels de recherche) devant la difficile alternative, soit de ne pas répondre aux invitations de la loi 2( * ) , soit de risquer de se mettre en infraction avec le droit existant ".

Les dispositions statutaires comme les règles du code pénal ne correspondent pas, à l'évidence, aux conditions dans lesquelles se créent ces entreprises.

En effet, la création d'une entreprise de valorisation nécessite une phase longue et coûteuse au cours de laquelle la découverte scientifique et technologique doit être adaptée pour devenir un bien ou un service commercialisable. Durant cette période, qualifiée souvent de " maternage ", l'organisme de recherche auquel les chercheurs appartiennent apporte son aide qui prend la forme d'une mise à disposition de locaux, de matériels ou de personnels. Dans ce cas, l'absence de position intermédiaire entre le départ vers l'entreprise, qui bien souvent n'est créée qu'au terme du processus de mise au point du procédé de fabrication, et la simple consultance ne permet pas de clarifier de manière appropriée la situation du chercheur.

En outre, il résulte des textes analysés plus haut qu'un fonctionnaire ne peut en principe créer une entreprise et partir y travailler, dès lors que des collaborations se seraient établies auparavant entre son laboratoire ou son établissement et cette entreprise. Il faut, en effet, considérer que la négociation de contrats de collaboration ou de licence, qui sont généralement à l'origine d'une entreprise créée à partir des résultats de la recherche publique, ne devrait pas intervenir tant que le fonctionnaire n'est pas en position de disponibilité. Dans ce cas, la création d'une entreprise selon ces modalités n'est possible que si, au préalable, le chercheur rompt toutes relations avec son laboratoire d'origine. Il y a là, à l'évidence, une contradiction avec l'idée même de création d'entreprises par des personnels de recherche à partir des résultats de la recherche publique.

Enfin, les règles statutaires de la fonction publique comme celles du code pénal limitant les possibilités de prise de participation d'un fonctionnaire à une entreprise liée par un contrat à l'établissement ou au service public auquel il appartient interdisent à un chercheur de participer au capital d'une entreprise innovante qu'il aurait contribué à fonder par ses travaux de recherche. Sur ce point, le rapport de la Cour des comptes précité a relevé que les aménagements apportés à cette interdiction avaient, dans certains cas, conduit à des dérives. Or, la participation financière du chercheur à la création d'une entreprise innovante est souvent exigée par les investisseurs comme garantie de la viabilité du projet même si l'intéressé ne souhaite pas quitter son laboratoire. Par ailleurs, elle est souvent déterminante compte tenu de l'absence de système de soutien financier à l'innovation à partir des résultats de la recherche publique.

C. LES SOLUTIONS PROPOSÉES PAR LA PROPOSITION DE LOI

La proposition de loi déposée par M. Pierre Laffitte tend à faciliter la création d'entreprises innovantes par des chercheurs en fixant les règles déontologiques de leur création. Il convient, en effet, que la situation des chercheurs qui souhaitent participer à la création d'une telle entreprise ou lui apporter leur concours scientifique soit précisément encadrée de manière à prévenir tout risque de conflit d'intérêt entre les intéressés et le service public dont ils relèvent.

A cette fin, elle comporte un article unique complétant la loi du 15 juillet 1982 précitée par deux articles nouveaux dont la rédaction s'inspire très largement des dispositions proposées par le gouvernement de M. Alain Juppé dans le projet de loi (AN, n° 3492) portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (DDOEF), déposé le 2 avril 1997 et devenu caduc à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale.

On analysera successivement ces deux articles nouveaux.

1. L'article 25-1 nouveau de la loi du 15 juillet 1982 :
la participation du fonctionnaire en qualité d'associé à la création d'une entreprise de valorisation

L'article 25-1 nouveau de la loi du 15 juillet 1982 prévoit le cas de l'" essaimage ", c'est-à-dire le cas où le chercheur quitte son laboratoire pour l'entreprise en création et doit donc cesser toute activité au titre du service public dont il relève.

Il précise les conditions de participation, en qualité d'associé, d'un fonctionnaire appartenant au service public de la recherche à la création d'une entreprise dont l'objet est d'assurer, en exécution d'un contrat conclu entre cette entreprise et la personne publique dont il relève, la valorisation des travaux qu'il a effectués dans le cadre de ses fonctions.

Afin d'éviter tout conflit d'intérêt entre l'intéressé et le service public dont il relève, elle prévoit, d'une part, que l'autorisation doit être demandée préalablement à la négociation de ce contrat et, d'autre part, que le fonctionnaire ne peut participer à sa négociation. Cette disposition a donc vocation à écarter les risques que courent aujourd'hui les chercheurs notamment au regard des dispositions du code pénal.

La participation du fonctionnaire peut prendre la forme d'un apport en capital ou en industrie en qualité d'associé, d'administrateur ou de dirigeant. Elle est autorisée par l'autorité dont il relève, après avis de la commission de déontologie prévue à l'article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques 3( * ) , compétente pour apprécier la compatibilité avec leurs fonctions précédentes des activités que souhaitent exercer en dehors de leur administration des fonctionnaires devant cesser ou ayant cessé définitivement leurs fonctions par suite de leur radiation des cadres ou devant être placés en position de disponibilité. Les modalités de fonctionnement de cette commission ont été fixées par le décret n° 95-168 du 17 février 1995 précité qui précise notamment les activités privées interdites.

La proposition de loi détermine néanmoins les motifs pour lesquels l'autorisation peut être refusée. Elle reprend sur ce point les termes du décret du 17 février 1995 précité concernant les activités qui seraient susceptibles de porter atteinte à la dignité des fonctions exercées par le chercheur ou risqueraient de compromettre le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service. Elle précise, par ailleurs, que l'autorisation peut également être refusée dans le cas où elle porterait atteinte aux intérêts matériels et moraux du service public de la recherche.

Afin d'assurer un contrôle des conditions dans lesquelles se déroule la participation du chercheur à la création de l'entreprise, la proposition de loi prévoit également que cette commission sera tenue informée de toutes les relations contractuelles qui se seront nouées entre l'entreprise et l'organisme de recherche : contrat de licence, contrat de collaboration voire participation au capital de l'entreprise.

L'autorisation est délivrée pour une durée d'un an renouvelable quatre fois. Durant cette période, destinée à assurer le lancement de l'entreprise, le fonctionnaire est soit détaché auprès de l'entreprise ou mis à disposition de celle-ci ou, à défaut, d'un organisme concourant à la valorisation de la recherche, comme par exemple l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), dispositif qui s'inspire, sur ce dernier point, de la position de " délégation " prévue par les statuts des enseignants-chercheurs.

A l'issue de cette période transitoire, le fonctionnaire devra opter entre son entreprise et sa carrière au sein du service public. S'il choisit la première, il sera placé en disponibilité à moins qu'il ne cesse ses fonctions, les dispositions de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 précitée s'appliquant alors. S'il choisit la seconde, il sera réintégré dans son corps d'origine et il disposera d'un délai de six mois pour mettre fin à la collaboration avec l'entreprise et céder ses droits sociaux.

Dans l'hypothèse où le fonctionnaire réintègre le service public de la recherche, il pourra néanmoins être autorisé à conserver une participation dans le capital de l'entreprise ou à lui apporter un concours scientifique dans des conditions qui seraient précisées par un nouvel article que la proposition de loi propose d'insérer dans la loi du 15 juillet 1982 précitée.

2. L'article 25-2 nouveau de la loi du 15 juillet 1982 :
le concours scientifique apporté par un fonctionnaire à une entreprise de valorisation

La proposition de loi permet également à un chercheur d'apporter un concours scientifique à une entreprise assurant, en vertu d'un contrat conclu avec la personne publique dont il relève, la valorisation des travaux qu'il a réalisés dans l'exercice de ses fonctions. Dans cette hypothèse, il demeure au sein du service public de la recherche, le concours scientifique devant être pleinement compatible avec le plein exercice par le fonctionnaire de son emploi public.

Cette disposition figurant à l'article 25-2 nouveau de la loi du 15 juillet 1982 paraît opportune dans la mesure où elle permet de prévoir une position intermédiaire entre la simple consultance, encadrée par le décret-loi de 1936, et le départ dans l'entreprise que ce soit par le biais de la mise à disposition, du détachement ou de la mise en disponibilité.

L'autorisation est accordée au fonctionnaire selon la même procédure que pour la participation en qualité d'associé à la création d'une entreprise.

Les modalités selon lesquelles le chercheur apporte son concours scientifique à l'entreprise sont fixées par le biais d'une convention conclue entre la personne publique dont il relève et l'entreprise, le versement d'une rémunération au profit du chercheur pouvant être prévue. Une telle solution permet de donc d'aménager de manière très souple le concours scientifique.

Afin d'éviter les conflits d'intérêts entre le fonctionnaire et la personne publique dont il relève, la proposition de loi précise que l'intéressé ne peut participer à l'élaboration ni à la passation des contrats et conventions conclus entre l'entreprise et le service public de la recherche. En outre, le chercheur ne peut être soumis au pouvoir hiérarchique au sein de l'entreprise et ne peut l'exercer ni occuper des fonctions de dirigeant ou d'administrateur.

Le fonctionnaire peut également être autorisé à prendre une participation dans le capital de l'entreprise, la proposition de loi fixant son montant maximal à 49 % de celui-ci.

Afin d'assurer un contrôle des conditions dans lesquelles se déroule cette " collaboration " entre le fonctionnaire et l'entreprise il est prévu d'une part, que l'autorité publique dont relève le chercheur est tenue informée des revenus qu'il perçoit à raison de sa participation au capital de l'entreprise, des cessions de titres auxquelles il procède ainsi que des compléments de rémunération qu'il est susceptible de percevoir et, d'autre part, que la commission prévue de l'article 87 de la loi du 29 janvier 1993 précitée est tenue informée des contrats et conventions conclus entre l'entreprise et le service public de la recherche.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. UNE POSITION FAVORABLE...

Les conclusions de votre commission reprennent très largement le dispositif de la proposition de loi de M. Pierre Laffitte.

Le rapport précité de M. Henri Guillaume, se référant au texte proposé par le précédent gouvernement dont s'inspire -comme nous l'avons relevé plus haut- la proposition que nous examinons, avait considéré que son adoption constituait " une condition déterminante de la relance de la création d'entreprises de technologies en France ". Votre rapporteur a pu, au cours de ses travaux, constater qu'il correspondait aux aspirations des chercheurs.

Par ailleurs, il présente, sous réserve de quelques aménagements, un assouplissement satisfaisant des dispositions statutaires applicables aux fonctionnaires.

Lors des assises de l'innovation, le 12 mai dernier, le Premier ministre a appelé " à cultiver le goût du risque et le désir d'entreprendre " et a estimé que l'Etat se devait d'aider les chercheurs souhaitant créer des entreprises à bénéficier de fonds publics et privés. Le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie a quant à lui défini sa politique en matière d'innovation, soulignant la nécessité de " favoriser la création d'entreprises innovantes par des chercheurs " issus de la recherche publique.

Ces déclarations rejoignent la préoccupation constante de votre commission de promouvoir la diffusion de l'innovation ainsi que la valorisation des résultats de la recherche publique. Votre rapporteur estime, qu'en ce domaine, il importe d'agir rapidement. Compte tenu du retard accumulé par la France dans des secteurs comme les nouvelles technologies de l'information et de la communication ou les biotechnologies, il faut permettre sans tarder à une génération de jeunes chercheurs plus ouverts que leur aînés à l'esprit d'entreprise de développer de tels projets et d'éviter ainsi une fuite des cerveaux vers des pays dont la réglementation et les structures économiques plus favorables que les nôtres encouragent ce type d'initiatives.

Le principe du dispositif proposé apparaît approprié dans la mesure où il permet d'encadrer la situation du chercheur, que l'entreprise soit créée dans le cadre d'un " essaimage " c'est-à-dire d'un départ du chercheur public vers le secteur privé ou qu'elle bénéficie seulement de l'appui d'un chercheur qui choisit de rester au sein du service public.

B. ... SOUS RÉSERVE DE QUELQUES AMÉNAGEMENTS

Les conclusions de votre commission, tout en conservant la structure de la proposition de loi de M. Pierre Laffitte et en reprenant l'essentiel de ses dispositions, lui apportent quelques aménagements. Ces derniers répondent à trois préoccupations essentielles.

1. Rendre plus opérationnelles les dispositions de l'article 25-1

· Répondant au souci de la proposition de loi de prévenir tout conflit d'intérêt entre le service public et le fonctionnaire souhaitant participer en qualité d'associé à la création d'une entreprise de valorisation, l'article 25-1 prévoit que ce dernier ne peut participer à la négociation du contrat conclu entre la personne publique dont il relève et l'entreprise afin de fixer les conditions dans lesquelles ses travaux seront exploités. Cela implique qu'une fois la demande d'autorisation déposée, le chercheur ne puisse participer à cette négociation que ce soit pour le compte de la personne publique dont il relève ou pour celui de l'entreprise à la création de laquelle il participe.

Le chercheur ayant vocation à être dirigeant de l'entreprise et étant bien souvent seul à créer l'entreprise, cette disposition apparaît trop restrictive. Sa rigueur risque, en effet, de constituer un obstacle à l'essaimage.

Votre commission vous propose donc de prévoir que le fonctionnaire intéressé ne peut participer à l'élaboration et à la passation de la convention pour le compte de la personne publique dont il relève. Une telle disposition a le mérite de tenir compte du rôle central joué par le chercheur dans la création de l'entreprise tout en évitant de le faire tomber sous le coup des dispositions de l'article 432-13 du code pénal.

· Votre commission propose, par ailleurs, de ne pas limiter la participation du chercheur à l'entreprise de valorisation à un apport en capital ou en industrie mais de prévoir également le cas d'un apport en nature. Il est apparu, en effet, nécessaire de prévoir l'hypothèse où le chercheur consentirait un apport de brevets compte tenu de l'importance de ce type d'apport dans la constitution d'une entreprise de valorisation. Dans la plupart des cas, l'entreprise exploite un brevet déposé par la personne publique puis cédé aux chercheurs qui créent l'entreprise.

2. Mieux encadrer le dispositif de l'article 25-2

· Votre commission a souhaité limiter le montant de la participation qu'un chercheur peut prendre dans le capital de l'entreprise qui valorise ses travaux tout en restant au sein du service public de la recherche. En effet le seuil de 49 % prévu par la proposition de loi semble excessif et risque d'aboutir à des conflits d'intérêts entre la personne publique et l'entreprise.

Votre commission vous propose donc de retenir une limite fixée à 10 % du capital de l'entreprise. Ce seuil correspond par ailleurs mieux à la vocation de cette disposition. En effet, dans de nombreux cas, la participation d'un chercheur au capital d'une entreprise de valorisation dans le cadre du concours scientifique n'a pas d'autre finalité que de garantir aux yeux des autres associés ou des partenaires financiers la viabilité du projet et de servir de caution au concours scientifique.

Par ailleurs, le seuil de 49 % ne semble pas cohérent avec le statut d'indépendance qui doit caractériser le concours scientifique. Votre commission vous propose, à ce titre, de préciser que le chercheur ne peut être administrateur ou dirigeant de l'entreprise ni être placé en son sein dans une situation hiérarchique, ce qui semble à l'évidence incompatible avec un tel niveau de participation.

· En outre, il a semblé nécessaire de prévoir le cas -fréquent dans la pratique- où plusieurs chercheurs appartenant à un même établissement public apporteraient leur concours scientifique à une entreprise de valorisation. Dans ce cas, votre commission propose qu'ils ne puissent détenir ensemble plus de 30 % du capital de l'entreprise.

3. Alléger le dispositif législatif proposé par les articles 25-1 et 25-2

Les conclusions de votre commission renvoient à des décrets en Conseil d'Etat la fixation des modalités d'application des articles nouveaux insérés dans la loi du 15 juillet 1982, ces décrets devant définir notamment :

- les conditions d'octroi, de renouvellement et de retrait des autorisations visées aux articles 25-1 et 25-2 nouveaux, votre commission vous proposant seulement de préciser dans la loi qu'elles ne peuvent porter atteinte aux intérêts matériels et moraux du service public de la recherche ;

- les modalités selon lesquelles la commission de déontologie est tenue informée des contrats et conventions conclus entre l'entreprise et le service public de la recherche ;

- et, dans le cas où le concours scientifique s'accompagne d'un complément de rémunération au profit du chercheur ou d'une participation au capital, les conditions dans lesquelles l'autorité dont relève le fonctionnaire est tenue informée des revenus qu'il perçoit à raison de sa participation au capital de l'entreprise, des cessions de titres auxquels il procède ainsi que des éventuels compléments de rémunération.

Au bénéfice des observations qui précèdent, votre commission vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte de ses conclusions, et qui figure ci-après.

*

* *

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 17 juin 1998 sous la présidence de M. Jean-Paul Hugot, vice-président , la commission a examiné le rapport de M. Adrien Gouteyron sur la proposition de loi n° 98 (1997-1998) de M. Pierre Laffitte permettant à des fonctionnaires de participer à la création d'entreprises innovantes .

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. James Bordas , soulignant l'intérêt de cette proposition de loi, a indiqué que la rigueur des règles de la fonction publique pouvaient, dans certains cas, interdire le départ de chercheurs vers le secteur industriel et, à ce titre, risquaient d'entraîner une fuite des cerveaux au profit des pays étrangers.

M. Jean Bernadaux , insistant également sur la nécessité des échanges entre le secteur industriel et la recherche publique, a évoqué à l'appui de ses propos le bénéfice que les technopoles pouvaient retirer de la proximité d'une université.

M. Guy Poirieux a considéré que la proposition de loi, en permettant aux fonctionnaires de participer à la création d'une entreprise tout en leur garantissant un droit à réintégration dans leur organisme d'origine, ne pouvait être comprise comme un moyen de développer le goût du risque chez les chercheurs.

M. Franck Sérusclat s'est inquiété des modalités selon lesquelles les intérêts matériels et moraux de l'organisme public de recherche pourraient être protégés dans les situations visées par la proposition de loi.

M. Pierre Laffitte a manifesté son accord avec les aménagements proposés par le rapporteur à sa proposition de loi. Il a relevé en particulier que l'impossibilité pour le chercheur de participer, pour le compte de l'organisme dont il relève, à la négociation du contrat fixant les conditions dans lesquelles l'entreprise valoriserait les résultats de ses travaux était de nature à protéger les intérêts du service public de la recherche. Il a indiqué à ce titre que la loi allemande attribuait la propriété des brevets aux chercheurs à la différence de la loi française, qui l'attribue à l'organisme de recherche ou à l'entreprise qui les emploie.

Par ailleurs, il a fait observer que, si les chercheurs créant des entreprises bénéficiaient d'un droit à réintégration, ils prenaient un risque financier en investissant des capitaux. Soulignant l'importance pour les chercheurs de travailler dans le secteur industriel, il a indiqué que les professeurs du " Massachusetts Institute of Technology " (MIT) avaient pour obligation de consacrer un jour par semaine à des consultations auprès d'entreprises. Par ailleurs, il a rappelé que les entreprises innovantes étaient à l'origine de la quasi-totalité des créations d'emplois à haute valeur ajoutée aux Etats-Unis au cours des dernières années.

Insistant sur la nécessité de développer l'esprit d'entreprise chez les chercheurs, il s'est réjoui que deux ministres de la recherche successifs se soient prononcés en faveur de l'adoption d'un dispositif analogue à celui proposé par la proposition de loi. Il a considéré, en effet, que cette dernière, sans pouvoir remédier à elle seule à l'insuffisante valorisation de la recherche dont souffre la France, permettait d'offrir un cadre légal à un processus qui doit être encouragé.

M. Serge Lagauche , tout en convenant de l'importance de la valorisation des résultats de la recherche, a néanmoins insisté sur la nécessité de veiller aux intérêts du service public de la recherche lors de la négociation de la convention conclue entre l'entreprise et l'organisme public prévue à l'article 25-1.

M. Franck Sérusclat s'est inquiété des conditions dans lesquelles l'organisme public de recherche prendrait part aux profits dégagés par l'entreprise ainsi créée.

Rappelant que 50 000 Français travaillaient déjà dans la Silicon Valley et évoquant les risques liés à une fuite des cerveaux vers l'étranger, M. Pierre Laffitte a indiqué que dans les années à venir, la croissance des économies nationales dépendrait de l'existence et de la valorisation des compétences scientifiques et technologiques. Il a rappelé que le développement, dont le coût est au demeurant très supérieur à celui de la recherche, ne relevait pas de la mission des organismes publics de recherche qui ont, par ailleurs, un intérêt financier évident à la valorisation des travaux menés en leur sein.

Etablissant une distinction entre le cas de la création d'une entreprise par un chercheur et celui du départ d'un chercheur dans une grande entreprise, il a considéré que la proposition de loi n'était pas de nature à encourager le " pantouflage " des fonctionnaires dans l'industrie.

M. Jean-Paul Hugot s'est interrogé sur les éventuelles conséquences sur l'organisation interne des organismes publics de recherche d'une participation accrue de leurs personnels à des actions de valorisation.

M. Pierre Laffitte a fait observer que la proposition de loi avait pour objet principal d'assurer la transparence de pratiques qui se développaient actuellement dans des conditions juridiques hasardeuses. N'étant pas de nature à susciter l'engouement des chercheurs, son application ne risquait pas de remettre en cause les structures des organismes publics de recherche.

M. Adrien Gouteyron, rapporteur , répondant aux remarques de MM. Franck Sérusclat et Serge Lagauche, a souligné qu'il proposait de limiter à 10 % la part que peut détenir un chercheur dans le capital de l'entreprise à laquelle il apporte son concours scientifique. Par ailleurs, il a fait observer que si le chercheur participant à la création d'une entreprise innovante bénéficiait d'un droit à réintégration, il assumait néanmoins un risque financier et qu'en outre, sa carrière risquait d'être affectée par une telle initiative.

Il a souligné que, compte tenu des retards enregistrés par la France dans certains secteurs, il importait d'encourager le développement de l'innovation et que la proposition de loi était susceptible d'y contribuer. A titre d'exemple, il a indiqué que l'industrie des biotechnologies ne représentait en France que 50 entreprises, 3 000 salariés et une valeur estimée à 0,6 milliard de dollars alors qu'aux Etats-Unis elle comptait 1 300 entreprises, 118 000 salariés et une capitalisation de 83 milliards de dollars.

Enfin, il a rappelé que la Cour des comptes, dans un rapport public particulier publié en 1997, avait recommandé une clarification des conditions juridiques dans lesquelles les chercheurs pouvaient participer à des entreprises valorisant les résultats de leurs travaux.

La commission a ensuite procédé à l'examen du dispositif proposé par le rapporteur.

A l'issue de cet examen, elle a adopté les conclusions proposées par son rapporteur .

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Proposition de loi permettant à des fonctionnaires
de participer à la création d'entreprises innovantes

Article unique

Il est inséré après l'article 25 de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France deux articles nouveaux ainsi rédigés :

" Art. 25-1 . - Les fonctionnaires civils des services publics définis à l'article 14 peuvent être autorisés à participer, en qualité d'associé, d'administrateur ou de dirigeant, à la création d'une entreprise dont l'objet est d'assurer, en exécution d'un contrat conclu avec une personne publique, la valorisation des travaux de recherche qu'ils ont réalisés dans l'exercice de leurs fonctions.

" L'autorisation doit être demandée préalablement à la négociation du contrat prévu au premier alinéa et au plus tard trois mois avant l'immatriculation de l'entreprise au registre du commerce et des sociétés. Le fonctionnaire intéressé ne peut participer à l'élaboration ni à la passation du contrat pour le compte de la personne publique avec laquelle il est conclu.

" L'autorisation est accordée, après avis de la commission prévue par l'article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, pour une période d'un an renouvelable quatre fois.

" A compter de la date d'effet de l'autorisation, l'intéressé est, soit détaché dans l'entreprise, soit mis à disposition de celle-ci ou d'un organisme qui concourt à la valorisation de la recherche. Il cesse toute activité au sein du service public de la recherche.

" Au terme de l'autorisation, le fonctionnaire peut :

" - être, à sa demande, placé en position de disponibilité ou radié des cadres s'il souhaite conserver des intérêts dans l'entreprise ;

" - être réintégré au sein de son corps d'origine. Dans ce cas, il cède ses droits sociaux et met fin à sa collaboration avec l'entreprise dans un délai de six mois. Il peut toutefois être autorisé à apporter son concours scientifique à l'entreprise et à conserver une participation dans le capital de celle-ci dans les conditions prévues à l'article 25-2.

" L'autorisation peut être retirée ou non renouvelée si les conditions qui ont permis sa délivrance ne sont plus remplies. Dans ce cas, le fonctionnaire ne peut poursuivre son activité dans l'entreprise que dans les conditions prévues à l'article 72 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. S'il ne peut conserver d'intérêts dans l'entreprise, il dispose du délai prévu au septième alinéa pour y renoncer.

" Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article. Il précise les conditions d'octroi, de renouvellement et de retrait de l'autorisation, qui ne peut porter atteinte aux intérêts matériels et moraux du service public de la recherche. Il fixe également les conditions dans lesquelles la commission mentionnée au troisième alinéa est tenue informée, pendant la durée de l'autorisation et durant cinq ans à compter de son expiration ou de son retrait, des contrats et conventions conclus entre l'entreprise et le service public de la recherche.

" Art. 25-2. - Les fonctionnaires mentionnés au premier alinéa de l'article 25-1 peuvent être autorisés à apporter leur concours scientifique à une entreprise qui assure, en exécution d'un contrat conclu avec une personne publique, la valorisation des travaux de recherche qu'ils ont réalisés dans l'exercice de leurs fonctions.

" Les conditions dans lesquelles le fonctionnaire intéressé apporte son concours scientifique à l'entreprise sont définies par une convention conclue entre l'entreprise et la personne publique mentionnée au premier alinéa. Elles doivent être compatibles avec le plein exercice par le fonctionnaire de son emploi public.

" Le fonctionnaire peut également être autorisé à prendre une participation dans le capital social de l'entreprise, dans la limite de 10 % de celui-ci. Lorsque plusieurs fonctionnaires relevant de la personne publique mentionnée au premier alinéa apportent leur concours scientifique à l'entreprise, la totalité des participations qu'ils détiennent dans son capital ne peut excéder 30 % de celui-ci.

" Le fonctionnaire ne peut participer à l'élaboration ni à la passation des contrats et conventions conclus entre l'entreprise et le service public de la recherche. Il ne peut, au sein de l'entreprise, exercer des fonctions d'administrateur ou de dirigeant, ni être placé dans une situation hiérarchique.

" L'autorisation est délivrée après avis de la commission mentionnée au troisième alinéa de l'article 25-1. Elle est retirée si les conditions qui avaient permis sa délivrance ne sont plus remplies ou si le fonctionnaire méconnaît les dispositions du présent article. En cas de retrait de l'autorisation, le fonctionnaire dispose d'un délai de six mois pour céder ses droits sociaux. Il ne peut poursuivre son activité au sein de l'entreprise que dans les conditions prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article 25-1.

" Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article. Ce décret précise les conditions d'octroi et de retrait de l'autorisation, qui ne peut porter atteinte aux intérêts matériels et moraux du service public de la recherche. Il fixe les conditions dans lesquelles l'autorité dont relève le fonctionnaire est tenue informée des revenus qu'il perçoit à raison de sa participation au capital de l'entreprise, des cessions de titres auxquelles il procède ainsi que des compléments de rémunération prévus, le cas échéant, par la convention visée au deuxième alinéa. Il détermine également les modalités selon lesquelles, pendant la durée de l'autorisation, la commission mentionnée au troisième alinéa de l'article 25-1 est tenue informée des contrats et conventions conclus entre l'entreprise et le service public de la recherche. ".




1 BCRD : budget civil de recherche et développement.

2 par référence à la loi du 15 juillet 1982 qui fait de la valorisation de la recherche une mission du service public de la recherche.

3 dans sa rédaction résultant de l'article 4 de la loi n° 94-539 du 28 juin 1994 relative à certaines modalités de nomination dans la fonction publique de l'Etat et aux modalités d'accès de certains fonctionnaires ou anciens fonctionnaires à des fonctions privées.


Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page