PJL relatif à la modification des articles 88-2 et 88-4 de la Constitution

FAUCHON (Pierre)

RAPPORT 102 (98-99)

Table des matières




N° 102

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 décembre 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution ,

Par M. Pierre FAUCHON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11 ème législ.) : 1072 , 1209, 1212 et T.A. 203 .

Sénat : 92 (1998-1999).

Union européenne.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 9 décembre 1998 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Pierre Fauchon, le projet de loi constitutionnelle n° 92 (1998-1999) modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution.

Le projet de loi constitutionnelle a pour objet de modifier la Constitution pour permettre la ratification de certaines stipulations du traité d'Amsterdam, dont le Conseil constitutionnel a estimé qu'elles pourraient porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale. Le titre III A nouveau du traité instituant la Communauté européenne dans sa rédaction issue du traité d'Amsterdam prévoit en effet la communautarisation des matières liées à la libre circulation des personnes. Les décisions, dans ces matières, seront, pour l'essentiel, prises à l'unanimité au sein du Conseil de l'Union européenne pendant une période de cinq ans, ce dernier pouvant décider à l'unanimité, au terme de cette période, que les décisions seront désormais prises à la majorité qualifiée et selon la procédure de codécision avec le Parlement européen.

Le projet de loi constitutionnelle tend donc à permettre les transferts de compétences nécessaires à la détermination, conformément aux modalités prévues par le traité d'Amsterdam, des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés.

Le rapporteur a estimé que l'ouverture des frontières intérieures, corollaire de la réalisation du marché unique, impliquait une action en commun pour la gestion des frontières extérieures et en particulier pour la conduite de la politique d'immigration.

Il a approuvé l'ajout par l'Assemblée nationale d'un article additionnel élargissant le champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution, relatif aux prérogatives de contrôle des assemblées en matière européenne.

La commission a adopté sans modification le projet de loi constitutionnelle n° 92 (1998-1999) adopté par l'Assemblée nationale.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

" La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences ".

L'article 88-1 de la Constitution, introduit dans notre Loi fondamentale lors de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité sur l'Union européenne, définit ainsi très clairement la nature de la construction entreprise il y a maintenant plus de quarante ans. L'exercice en commun de compétences à l'échelle de l'Europe est à l'évidence de plus en plus nécessaire, l'action isolée d'un État devenant difficile voire impossible dans nombre de domaines.

Cet exercice en commun de compétences ne saurait être confondu avec un abandon de la souveraineté nationale. L'exercice en commun de compétences est le fruit du constat qu'une souveraineté partagée offre à ceux qui l'acceptent des possibilités d'action plus grandes qu'une souveraineté solitaire aujourd'hui largement fictive.

Le principe de subsidiarité, explicitement énoncé dans le traité sur l'Union européenne, permet de préciser ce que doivent être les champs d'action respectifs de l'Union et des Communautés européennes d'une part, des États qui les composent d'autre part. Ainsi, " dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient (...) que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire " (art. 3 B du traité sur l'Union européenne 1( * ) ). Il est clair que ce principe devrait animer constamment les institutions communautaires afin que les actions qui peuvent être mieux conduites au niveau communautaire, toutes celles-ci et seulement celles-ci, soient menées dans ce cadre.

Le traité d'Amsterdam invite aujourd'hui les Etats à franchir une nouvelle étape dans la mise en commun de certaines compétences, en particulier en ce qui concerne le franchissement des frontières intérieures et extérieures de l'Union européenne. Le Conseil constitutionnel a estimé que les transferts de compétences prévus dans ces matières appelaient une révision de notre Constitution, dans la mesure où les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale pourraient se trouver affectées.

Afin de permettre la ratification du traité, le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, a pris l'initiative d'une révision constitutionnelle que le Sénat est aujourd'hui invité à examiner.

*

Avant d'aborder le contexte du projet de loi constitutionnelle et son contenu, votre rapporteur souhaite formuler une observation préalable.

Il était possible de s'interroger sur la nature de la révision constitutionnelle à accomplir à l'occasion de la ratification du traité d'Amsterdam. La ratification du traité de Maastricht a nécessité une révision constitutionnelle, la ratification du traité d'Amsterdam en appelle aujourd'hui une nouvelle. Il est à prévoir que les évolutions futures de l'Union européenne imposeront à nouveau de faire appel au Constituant. La Constitution de la Vème République, adoptée au moment même de l'entrée en vigueur du traité de Rome, n'a pas été conçue en prenant en considération la création progressive d'une organisation permanente telle que l'Union européenne. Il a fallu attendre 1992 pour que la participation de la France aux Communautés européennes et à l'Union européenne soit inscrite dans la Constitution.

Dans ces conditions, les avancées de la construction européenne pourraient impliquer régulièrement des révisions de notre Loi fondamentale. L'exercice en commun de compétences concerne en effet désormais des matières traditionnellement considérées comme étant au coeur des souverainetés nationales : affaires judiciaires et policières, politique extérieure, sécurité et défense...

La question pouvait être soulevée de l'introduction dans notre Constitution d'une clause générale qui couvrirait les adaptations rendues nécessaires par les futurs traités. Une telle clause éviterait que chaque traité européen appelle une nouvelle révision constitutionnelle. Notre collègue M.Patrice Gélard a exprimé, lors de l'examen du présent rapport, des préoccupations voisines.

Malgré l'attrait d'un système qui pourrait simplifier la procédure de ratification des futurs traités, votre rapporteur constate que le Président de la République et le Gouvernement n'ont pas fait ce choix, optant pour une révision limitée.

*

Après avoir brièvement évoqué les principales stipulations du traité d'Amsterdam, votre rapporteur s'attardera plus longuement sur la décision du Conseil constitutionnel et les conséquences que le projet de loi constitutionnelle tend à en tirer.

I. LE TRAITÉ D'AMSTERDAM PRÉVOIT LA " COMMUNAUTARISATION " DE LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES ET DES MATIÈRES QUI LUI SONT LIÉES

Conformément à sa vocation réglementaire, votre commission des Lois ne souhaite porter aucune appréciation sur les dispositions du traité d'Amsterdam qui n'ont pas été déclarées contraires à la Constitution , cette mission relevant de notre commission des affaires étrangères qui sera saisie du projet de loi autorisant la ratification du traité si le présent projet de loi constitutionnelle est définitivement adopté par le Constituant. D'ores et déjà, des évaluations critiques ont été établies au sein de notre assemblée, tant par la commission des affaires étrangères 2( * ) que par la délégation pour l'Union européenne 3( * ) .

Votre rapporteur se limitera donc à un bref rappel des principales stipulations du traité, afin que le cadre de la révision constitutionnelle soit clairement défini, et évoquera plus longuement les aspects du traité relatifs aux visas, à l'asile, à l'immigration et aux autres politiques liées à la libre circulation des personnes.

A. LES PRINCIPALES STIPULATIONS DU TRAITÉ

- Les stipulations institutionnelles :

En matière institutionnelle, le traité prévoit en premier lieu un accroissement des prérogatives du Parlement européen . La procédure de codécision entre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne est étendue à de nouvelles matières. Elle couvre désormais tous les domaines dans lesquels le Conseil statue à la majorité qualifiée (à l'exception de la politique agricole commune et de la politique commerciale commune) ainsi que quelques domaines où le Conseil statue à l'unanimité (libre circulation des citoyens de l'Union, accès aux professions non salariées, sécurité sociale des travailleurs migrants). Cette procédure, qui permettait déjà au Parlement européen de rejeter définitivement un texte, est modifiée, de sorte que le Conseil et le Parlement sont désormais placés strictement à égalité.

La désignation du président de la Commission européenne sera désormais soumise à l'approbation du Parlement européen, appelé ensuite à investir la Commission en tant que collège après audition de chacun des membres pressentis. Le nombre de membres du Parlement européen est plafonné à 700.

Le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil de l'Union européenne est étendu à de nouvelles matières : les principales dispositions de la politique sociale , la politique de l'emploi, la santé publique, la lutte anti-fraude, le programme-cadre de recherche...

En ce qui concerne la pondération des votes au sein du Conseil lorsqu'il statue à la majorité qualifiée, un protocole annexé au traité prévoit que, lorsque l'Union comptera de seize à vingt membres, la pondération actuelle devra normalement être modifiée par la mise en place, soit d'une nouvelle pondération, soit d'un système de double majorité. Le protocole fait de cette modification une condition du changement de la composition de la Commission européenne qui, toujours dans l'hypothèse d'une Union de seize à vingt membres, devrait alors en principe comprendre un commissaire par État membre : en l'absence de cette révision du système de pondération, les " grands " Etats garderaient donc un second commissaire comme c'est actuellement le cas.

La compétence de la Cour de justice des Communautés européennes est étendue : elle est notamment compétente pour vérifier que les actes communautaires respectent les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles des Etats. La Cour est en outre compétente, sous certaines réserves, pour les matières transférées du troisième vers le premier pilier.

Le traité prévoit la possibilité de coopérations renforcées entre les Etats membres. Une coopération renforcée devra être lancée par au moins une majorité d'Etats membres, ne devra être utilisée qu'en dernier ressort et rester ouverte à tous les Etats membres.

- Les stipulations relatives aux principes des Communautés et de l'Union européenne

Si un Etat membre viole de manière grave et persistante les principes démocratiques ou les droits de l'homme, le Conseil européen peut décider, à la majorité qualifiée, de suspendre certains des droits de cet Etat, y compris son droit de vote au sein du Conseil.

Par ailleurs, le Conseil de l'Union européenne peut prendre des mesures pour " combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle " .

La promotion de l'égalité entre hommes et femmes fait désormais partie des missions de la Communauté au même titre par exemple que le développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques ou la promotion d'un niveau d'emploi et de protection sociale élevé.

Un nouvel article 7D concerne les services publics et précise que la Communauté et les Etats membres veillent à ce que les services d'intérêt économique général " fonctionnent sur la base de principes et dans les conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions " .

- Les stipulations modifiant le premier pilier (Communauté européenne 4( * ) )

Un nouveau titre sur l'emploi est inséré dans le traité, qui prévoit notamment que les Etats membres considèrent la promotion de l'emploi comme une question d'intérêt commun et qu'ils coordonnent au sein du conseil leur action dans ce domaine. Le conseil définit chaque année des " lignes directrices " ; il peut adresser des recommandations aux Etats membres, il peut également adopter des " actions d'encouragement " destinées à développer les échanges d'information et à favoriser des expériences pilotes.

Le protocole social annexé au Traité de Maastricht, désormais accepté par la Grande-Bretagne, est intégré au Traité instituant la Communauté européenne

- Les stipulations relatives au deuxième pilier (Politique étrangère et de sécurité commune)

La politique étrangère et de sécurité est dotée d'un nouvel instrument, les " stratégies communes ", qui précisent les objectifs de l'Union et les moyens pour les atteindre. Les stratégies communes sont arrêtées par le Conseil européen (composé des chefs d'Etat et de Gouvernement) sur recommandation du Conseil de l'Union européenne (composé des ministres compétents). Lorsqu'une stratégie commune a été décidée, le Conseil de l'Union européenne peut adopter à la majorité qualifiée les actions communes et les positions communes nécessaires à sa mise en oeuvre.

En l'absence d'une stratégie commune, des actions communes et des positions communes ne peuvent être adoptées par le Conseil qu'à l'unanimité. Lorsqu'une décision doit être prise à l'unanimité, l'abstention d'un ou plusieurs Etats n'empêche pas l'adoption de cette décision.

Une déclaration prévoit la création d'une unité de planification de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et d'alerte rapide. Elle est placée sous la responsabilité du secrétaire général du Conseil qui reçoit la fonction de Haut représentant pour la PESC .

Pour l'élaboration et la mise en oeuvre des actes de l'Union ayant des implications dans le domaine de la défense, le principe reste le " recours à l'UEO " avec laquelle sont recommandées " des relations institutionnelles plus étroites " en vue d'une " intégration éventuelle de l'UEO dans l'Union, si le Conseil européen en décide ainsi ".

- La réforme du troisième pilier maintenu (coopération policière et judiciaire en matière pénale)

Si les questions concernant la libre circulation, l'asile et l'immigration, ainsi que la coopération en matière civile, sont transférées du troisième pilier au premier, en revanche les objectifs du troisième pilier sont définis en termes plus larges, comprenant désormais en tant qu'objectifs à part entière la lutte contre le racisme et la xénophobie, le terrorisme, la traite d'êtres humains et les crimes contre les enfants, le trafic de drogue, le trafic d'armes, la corruption et la fraude.

Les missions d'Europol sont renforcées. Il peut notamment appuyer la préparation et la mise en oeuvre d'actions opérationnelles menées par des équipes conjointes et coordonner des enquêtes.

Parmi les objectifs de la coopération en matière pénale figure l'adoption de mesures " instaurant des règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions applicables dans les domaines de la criminalité organisée, du terrorisme et du trafic de drogue ".

B. LES DISPOSITIONS RELATIVES AUX VISAS, À L'ASILE, À L'IMMIGRATION ET AUX AUTRES POLITIQUES LIÉES À LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES

L'un des volets les plus importants du traité d'Amsterdam concerne la circulation des personnes et les domaines qui lui sont liés. Cet aspect du traité à lui seul justifie le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis. En effet, plusieurs matières qui relevaient jusqu'à présent du troisième pilier de l'Union européenne font l'objet d'une " communautarisation " , c'est-à-dire qu'elles sont intégrées dans le traité instituant la Communauté européenne. Un programme d'action dans les domaines concernés est explicitement prévu par le traité.

Ainsi, en matière de libre circulation des personnes , dans un délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du traité, le Conseil de l'Union européenne devra décider la suppression de tout contrôle aux frontières intérieures de l'Union, définir les conditions de franchissement des frontières extérieures de l'Union, enfin fixer les conditions dans lesquelles les ressortissants des pays tiers pourront circuler librement dans l'Union pendant une durée maximale de trois mois.

Des dérogations sont prévues pour plusieurs Etats membres. Les mesures concernant les matières transférées du troisième vers le premier pilier ne sont normalement pas applicables au Royaume-Uni et à l'Irlande qui ont toutefois la possibilité de participer à l'adoption et à l'application de certaines d'entre elles. Le Danemark bénéficie également d'une dérogation, mais est dans une situation différente, dans la mesure où il est désormais partie aux accords de Schengen. Aussi le traité prévoit-il que lorsque le Conseil de l'Union prend des mesures qui constituent un développement de l' " acquis de Schengen ", le Danemark décide s'il incorpore ces mesures dans sa législation nationale.

L'un des aspects importants du traité d'Amsterdam est effectivement l'incorporation de l' " acquis de Schengen " dans le cadre de l'Union européenne . L'  " acquis de Schengen " regroupe non seulement l'accord de Schengen du 14 juin 1985, la convention d'application de cet accord du 12 juin 1990 et les accords d'adhésion, mais également l'ensemble des décisions adoptées par le Comité exécutif, instance de décision des accords de Schengen. Dès l'entrée en vigueur du traité, le Conseil se substituera au Comité exécutif.

L'intégration de l' " acquis de Schengen " mettra un terme à la dualité des structures contribuant à la mise en place d'un espace de libre circulation par les citoyens.

Le Conseil de l'Union européenne devra déterminer à l'unanimité la base juridique applicable à chacune des dispositions qui constituent l'acquis de Schengen. Certaines décisions prendront ainsi leur place au sein du pilier communautaire, d'autres au sein du troisième pilier. Le travail de répartition est actuellement en cours.

En matière d' asile et d'immigration , le Conseil de l'Union européenne est invité à adopter dans les cinq ans des mesures relatives à l'asile (critères de détermination de l'Etat membre chargé de l'examen de la demande, normes minimales d'accueil...), des mesures concernant les personnes déplacées, enfin des mesures relatives à l'immigration (conditions d'entrée et de séjour, immigration clandestine).

Enfin, dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché intérieur, le Conseil de l'Union est invité à prendre des mesures concernant la coopération judiciaire en matière civile . Il s'agit notamment d'améliorer la signification transfrontière des actes, la coopération en matière d'obtention de preuves...

En ce qui concerne la procédure de décision applicable aux matières transférées dans le premier pilier , durant les cinq années suivant l'entrée en vigueur du traité, le Conseil statue à l'unanimité sur proposition de la Commission ou à l'initiative d'un État membre. Le Parlement européen est consulté. Toutefois, certaines mesures concernant les visas sont, dès l'entrée en vigueur du traité, prises à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission. A l'issue de cette période de cinq ans, seule la Commission a l'initiative des textes : le Conseil, statuant à l'unanimité, peut décider d'appliquer la procédure de codécision et le vote à la majorité qualifiée à la totalité ou à une partie des questions transférées du troisième vers le premier pilier. Toutefois, quelques mesures concernant les visas sont d'office régies par la procédure de codécision et la majorité qualifiée à l'issue du délai de cinq ans.

Votre rapporteur évoquera plus largement ces modalités de mise en oeuvre de ces compétences, qui ont, pour certaines d'entre elles, été considérées comme contraires à la Constitution.

II. LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL CONSTATE UN RISQUE D'ATTEINTE AUX CONDITIONS ESSENTIELLES D'EXERCICE DE LA SOUVERAINETÉ

A. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX

1. La procédure

Les engagements internationaux peuvent être soumis au Conseil constitutionnel par l'intermédiaire de deux procédures. L' article 61 de la Constitution permet tout d'abord de saisir le Conseil constitutionnel d'une loi autorisant la ratification ou l'approbation d'un engagement international . Dans le cadre d'une telle saisine, le Conseil peut être amené à vérifier la conformité à la Constitution de la convention qui lui est soumise. Le Conseil constitutionnel a, jusqu'à présent, été saisi à sept reprises de lois autorisant la ratification ou l'approbation d'engagements internationaux.

Toutefois, le traité d'Amsterdam a été soumis conjointement par le Président de la République et le Premier ministre au Conseil constitutionnel sur le fondement de l' article 54 de la Constitution. Cet article permet au Président de la République, au Premier ministre, au Président de l'une ou l'autre assemblée ou à soixante députés ou soixante sénateurs 5( * ) de saisir le Conseil constitutionnel d'un engagement international afin qu'il vérifie sa conformité à la Constitution. Si le Conseil a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de le ratifier ou de l'approuver ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution.

2. Les précédents

Avant la décision du Conseil constitutionnel relative au traité d'Amsterdam, l'article 54 de la Constitution n'a donné lieu qu'à cinq applications :

- en 1970, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le traité du 22 avril 1970 portant modification de certaines dispositions budgétaires des traités instituant les Communautés européennes et du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes, ainsi que sur la décision du Conseil des Communautés européennes du 21 avril 1970 relative au remplacement des contributions des Etats membres par des ressources propres aux Communautés ;

- en 1976, le Conseil s'est prononcé sur la décision du Conseil des Communautés européennes relative à l'élection de l'Assemblée européenne ;

- en 1985, le Conseil constitutionnel a été saisi du protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort ;

- en 1992, le Conseil constitutionnel s'est prononcé à deux reprises dans le cadre de l'article 54 de la Constitution sur le traité sur l'Union européenne signé à Maastricht.

Dans une seule décision, la décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992 relative au traité sur l'Union européenne, le Conseil constitutionnel a estimé que l'autorisation de ratification d'un engagement international nécessitait une révision de la Constitution.

Dans chacune de ces décisions, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le respect de la souveraineté nationale. En règle générale, il s'est assuré que l'engagement qui lui était soumis ne portait pas atteinte " aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ". Ainsi, dans sa décision du 19 juin 1970, le Conseil a estimé que l'engagement qui lui était déféré " ne peut porter atteinte, ni par sa nature, ni par son importance, aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ".

Dans sa décision de 1976 relative à l'élection de l'Assemblée des Communautés européennes, le Conseil avait opéré une distinction entre les " les limitations de souveraineté " envisageables et les " transferts de souveraineté " contraires à la Constitution. Il a par la suite abandonné cette distinction.

La décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992 a exprimé très clairement la méthode de contrôle utilisée par le Conseil constitutionnel et rendait largement prévisible la décision relative au traité d'Amsterdam.

Dans sa décision de 1992, le Conseil a tout d'abord, dans un considérant de principe important, affirmé que " le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure, sous réserve de réciprocité, des engagements internationaux en vue de participer à la création et au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les Etats membres ".

Toutefois, le Conseil a considéré que " au cas où des engagements internationaux souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle ".

Dès cette décision du Conseil constitutionnel, il était apparu que pour apprécier la conformité à la Constitution d'un transfert de compétences, le Conseil prenait en considération non seulement la matière concernée, mais également les modalités d'exercice des compétences transférées.

Dans cette décision, le Conseil avait ainsi estimé que certaines stipulations du traité de Maastricht étaient directement contraires à certains articles de la Constitution française ( stipulations relatives au droit de vote et d'éligibilité des ressortissants communautaires aux élections municipales).

En ce qui concerne l'Union économique et monétaire, le Conseil avait estimé " que la réalisation d'un semblable objectif se traduira par la mise en oeuvre d'une politique monétaire et d'une politique de change uniques suivant des modalités telles qu'un État membre se trouvera privé de compétences propres dans un domaine où sont en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ".

A propos de la politique des visas, le Conseil constitutionnel avait fait valoir que " l'abandon de la règle de l'unanimité à compter du 1er janvier 1996, comme le prévoit le paragraphe 3 de l'article  100 C, pourrait conduire (...) à ce que se trouvent affectées des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ".

Au regard de cette décision de 1992, la décision du Conseil constitutionnel relative au traité d'Amsterdam était largement prévisible.

B. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE TRAITÉ D'AMSTERDAM

Le 4 décembre 1997, le Président de la République et le Premier ministre ont conjointement saisi le Conseil constitutionnel afin qu'il statue sur la conformité du traité d'Amsterdam à la Constitution. Celui-ci a rendu sa décision le 31 décembre 1997 et a déclaré contraires à la Constitution certaines stipulations du titre III A nouveau (Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes) du traité instituant la Communauté européenne tel qu'il est modifié par le traité d'Amsterdam. Il a également estimé qu'aucune des autres stipulations du traité d'Amsterdam n'était contraire à la Constitution.

Dans sa décision n°97-394 du 31 décembre 1997, le Conseil constitutionnel suit un raisonnement identique à celui qu'il avait tenu en 1992, tout en apportant un certain nombre de précisions.

Conformément à son habitude, le Conseil énumère tout d'abord les normes de référence applicables , en particulier le préambule de la Constitution de 1958, l'article 3 de la déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (" Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation " ), l'article 3 de la Constitution ( " la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ") . Aux normes de référence déjà citées en 1992 à propos du traité de Maastricht, le Conseil ajoute l'article 88-1 de la Constitution, qui consacre la participation de la France aux Communautés et à l'Union européenne.

Le Conseil indique ensuite, comme il l'avait fait en 1992, que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que la France puisse participer à la création et au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les Etats membres.

Le Conseil rappelle toutefois que l'autorisation de ratifier un engagement international appelle une révision constitutionnelle lorsque l'engagement contient une disposition contraire à la Constitution ou porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

C'est à ce stade que le Conseil formalise la méthode qu'il avait utilisée en 1992 en prenant en compte à la fois les compétences transférées et les modalités d'exercice de ces compétences . Le Conseil indique en effet qu'appellent une nouvelle révision constitutionnelle les clauses du traité qui opèrent des transferts de compétences mettant en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, soit que ces transferts interviennent dans un domaine autre que ceux pour lesquels des transferts sont autorisés par l'article 88-2 de la Constitution 6( * ) , soit que les clauses du nouveau traité fixent d'autres modalités que celles prévues par le traité de Maastricht pour l'exercice des compétences dont le transfert a été autorisé par l'article 88-2.

Une fois ces critères dégagés, le Conseil constitutionnel examine successivement les mesures relatives à l'asile, à l'immigration et au franchissement des frontières intérieures des Etats membres puis les mesures relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres.

Cette distinction est justifiée par le fait qu'aucune habilitation constitutionnelle n'a jusqu'à présent été donnée en matière d'asile, d'immigration et de franchissement des frontières intérieures des Etats membres, tandis que l'article 88-2 contient une telle habilitation en matière de franchissement des frontières extérieures.

On notera que le Conseil ne s'intéresse explicitement qu'à certaines mesures prévues dans le titre III A. Il n'évoque ainsi à aucun moment les mesures prévues par l'article 73 M relatif à la coopération judiciaire en matière civile ayant une incidence transfrontière, alors même que les modalités d'adoption de ces mesures sont les mêmes qu'en matière d'asile et d'immigration (vote à l'unanimité au sein du Conseil pendant cinq ans, puis décision à l'unanimité du Conseil de passer au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision avec le Parlement européen. De fait, ces mesures, parce qu'elles tendent pour l'essentiel à améliorer et simplifier certaines procédures, ne paraissent pas intéresser l'exercice de la souveraineté nationale.

1. Les mesures relatives à l'asile, à l'immigration et au franchissement des frontières intérieures des Etats

A propos des mesures relatives à l'asile (article 73 K), à l'immigration (article 73 J) et au franchissement des frontières intérieures des Etats membres, le Conseil constitutionnel se réfère explicitement au principe de subsidiarité qui implique que la Communauté n'intervient que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les Etats membres. Le Conseil n'en tire aucune conséquence juridique, observant que " la seule mise en oeuvre de ce principe pourrait ne pas faire obstacle à ce que les transferts de compétences autorisés par le traité (...) revêtent une ampleur et interviennent selon des modalités telles que puissent être affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale " .

Le Conseil examine alors les modalités d'adoption des mesures prévues en matière d'asile, d'immigration et de franchissement des frontières intérieures des Etats membres pour estimer que les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ne seront pas affectées pendant la période de cinq ans pendant laquelle les mesures seront prises à l'unanimité, les Etats conservant un pouvoir d'initiative au même titre que la Commission européenne.

En revanche, après la période de cinq ans, la perte par les Etats de leur pouvoir d'initiative et la possibilité pour le Conseil, par un vote à l'unanimité, de décider que les mesures concernées seront prises à la majorité qualifiée et selon la procédure de codécision avec le Parlement européen n'emportent pas la même appréciation du Conseil. Celui-ci déclare ces stipulations contraires à la Constitution en faisant valoir que la mise en oeuvre de ces procédures "pourrait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale " .

Pour justifier cette appréciation, le Conseil note que le passage à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision " ne nécessitera, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale, et ne pourra ainsi pas faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution " .

Cette justification explique que d'autres dispositions du traité, intéressant l'exercice de la souveraineté nationale, n'aient pas été déclarées contraires à la Constitution. Ainsi, l'article K 14 du traité sur l'Union européenne tel qu'il résulte du traité d'Amsterdam prévoit que le Conseil peut décider à l'unanimité que les actions concernant la coopération policière et judiciaire en matière pénale prévue par l'article K 1 relèveront du traité instituant la Communauté européenne ( " communautarisation ") et se verront appliquer la procédure de codécision et le vote à la majorité qualifiée. L'article K 14 précise cependant que le Conseil de l'Union européenne " recommande l'adoption de cette décision par les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives " .

On peut donc en déduire que si le traité avait imposé l'adoption par les Etats membres selon leurs procédures constitutionnelles respectives de la décision de passer au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision en matière d'asile, d'immigration et de franchissement des frontières intérieures des Etats membres, les stipulations du traité relatives aux modalités d'exercice de ces compétences n'auraient pas été déclarées contraires à la Constitution.

On peut également conclure de la comparaison entre les mécanismes prévus dans le titre III A et ceux figurant dans l'article K 14 que les chefs d'Etat et de gouvernement ont volontairement écarté l'hypothèse d'une approbation par les Etats selon leurs règles constitutionnelles respectives de la décision de passage à la majorité qualifiée pour la libre circulation des personnes et les matières qui lui sont liées, dans la mesure où ils ont prévu une telle approbation dans d'autres domaines.

2. Les mesures relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres

L'appréciation du Conseil sur les mesures relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres (article 73 J) prend en compte le fait que l'article 88-2 de la Constitution, inséré dans la Loi fondamentale en 1992, dispose que " sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires (...) à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres de la Communauté européenne " .

Le Conseil s'attache donc à rechercher si certaines stipulations du traité d'Amsterdam constituent des modalités nouvelles d'exercice des compétences pour lesquelles un transfert a été autorisé.

En ce qui concerne les procédures applicables en matière de franchissement des frontières extérieures, trois cas de figure doivent être distingués :

- certaines mesures relatives aux courts séjours dans l'Union européenne (liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa ; modèle type de visa) sont soumises au vote à la majorité qualifiée après consultation du Parlement européen dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam . Le Conseil considère que ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution dans la mesure où ces procédures de décision étaient déjà prévues par le traité sur l'Union européenne (article 100 C) dans sa rédaction issue du traité de Maastricht et qu'elles sont donc couvertes par l'article 88-2 de la Constitution ;

- certaines mesures (détermination des procédures et conditions de délivrance des visas de court séjour par les Etats membres ; règles applicables en matière de visa uniforme) seront prises automatiquement à la majorité qualifiée et selon la procédure de codécision au terme d'une période de cinq ans pendant laquelle continuera à s'appliquer le vote à l'unanimité et la consultation du Parlement européen. Le Conseil a estimé que ces modalités nouvelles étaient contraires à la Constitution.

On notera donc que ces dispositions justifient à elles seules une révision de notre Constitution.

Par conséquent, même si le traité avait imposé que la décision de passage à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision, lorsqu'elle est laissée à l'appréciation du Conseil statuant à l'unanimité, soit approuvée par les Etats conformément à leurs règles constitutionnelles, une révision de la Constitution n'en aurait pas moins été nécessaire ;


- enfin, comme en matière de franchissement des frontières intérieures des Etats membres, certaines mesures (normes et modalités auxquelles doivent se conformer les Etats membres pour effectuer les contrôles des personnes aux frontières extérieures) pourront faire l'objet, au terme d'une période de cinq ans, d'une décision de passage à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision par le Conseil de l'Union européenne statuant à l'unanimité. Le Conseil a logiquement estimé que ces dispositions étaient contraires à la Constitution.

Le tableau ci-après retrace l'ensemble des mesures que le Conseil de l'Union européenne est invité à prendre en matière de " Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes " ainsi que les procédures applicables. Il fait également apparaître les cas de contrariété avec la Constitution.

Les dispositions du traité d'Amsterdam
relatives aux visas, à l'asile, à l'immigration et aux autres politiques
liées à la libre circulation des personnes



Mesures à prendre
par le Conseil de l'Union européenne dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur du traité

Procédure décisionnelle applicable

 
 

Libre circulation des personnes
(art. 73 J du Traité)

 

1/ mesures visant à assurer l'absence de tout contrôle des personnes aux frontières intérieures de l'Union

- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité au Conseil, consultation du Parlement européen ; après cinq ans, initiative exclusive de la Commission ; le Conseil prend une décision à l'unanimité en ce qui concerne le passage au vote à la majorité qualifiée et à la codécision avec le Parlement européen

Contraire à la Constitution française

2/ mesures relatives au franchissement des frontières extérieures de l'Union :

 

a) normes et modalités auxquelles doivent se conformer les Etats pour effectuer les contrôles des personnes aux frontières extérieures ;

idem
Contraire à la Constitution française

b) règles relatives aux visas pour les séjours d'une durée maximale de trois mois :

 

i) liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa ;

- dès l'entrée en vigueur du traité, majorité qualifiée au sein du Conseil, consultation du Parlement européen

Non contraire à la Constitution française

ii) procédures et conditions de délivrance des visas par les Etats ;

- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité du Conseil, consultation du Parlement européen ; après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; passage automatique au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil et à la codécision avec le Parlement européen.

Contraire à la Constitution française

iii) modèle type de visa ;

- dès l'entrée en vigueur du traité, majorité qualifiée au sein du Conseil, consultation du Parlement européen

Non contraire à la Constitution française


iv) règles en matière de visa uniforme.


- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité au Conseil, consultation du Parlement européen ; après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; passage automatique au vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil et à la codécision avec le Parlement européen.

Contraire à la Constitution française


3/ mesures fixant les conditions dans lesquelles les ressortissants des pays tiers peuvent circuler librement sur le territoire des Etats membres pendant une durée maximale de trois mois


- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité au Conseil, consultation du Parlement européen ; après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; le Conseil prend une décision à l'unanimité en ce qui concerne le passage au vote à la majorité qualifiée et à la codécision avec le Parlement européen.

Contraire à la Constitution française

 
 
 

Asile et immigration
(art. 73 K du Traité)

 
 

1/ mesures relatives à l'asile :

}}

 

a) critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre chargé de l'examen d'une demande ;

}}}

 

b) normes minimales régissant l'accueil des demandeurs d'asile ;

}}}

 

c) normes minimales concernant les conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers pour prétendre au statut de réfugié ;

}}}}

 

d) normes minimales concernant la procédure d'octroi ou de retrait du statut de réfugié.

}}}

- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité du Conseil, consultation du Parlement européen ; après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; le Conseil

2/ mesures concernant les personnes déplacées :

}

prend une décision à l'unanimité en ce qui concerne


a) normes minimales relatives à l'octroi d'une protection temporaire ;

}}}

le passage à la majorité qualifiée et à la codécision avec le Parlement européen

Contraire à la Constitution française


b) normes tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres* ;

}}}

 

3/ mesures relatives à l'immigration :

}}}

 

a) conditions d'entrée et de séjour, normes concernant les procédures de délivrance de visas et de titres de séjour de longue durée* ;

}}}}

- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un Etat, unanimité du Conseil, consultation du parlement européen ; après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; le Conseil prend une décision à l'unanimité en ce qui concerne le passage à la majorité qualifiée et à la codécision

b) immigration clandestine et séjour irrégulier, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier ;

}}}}

Contraire à la Constitution française

4/ mesures définissant les droits des ressortissants des pays tiers en situation régulière de séjour dans un Etat membre de séjourner dans les autres Etats membres et les conditions dans lesquelles ils peuvent le faire *

}}}}}

 
 
 
 

Coopération judiciaire en matière civile
(art. 73 M du Traité)*

 
 


Dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché intérieur, le Conseil est habilité à prendre des mesures concernant la coopération judiciaire en matière civile ayant une incidence transfrontalière.

}}}}}}

 

Il s'agit notamment :

}}

- pendant 5 ans, proposition de la Commission ou initiative d'un État, unanimité du Conseil, consultation du Parlement européen ;

- d'améliorer et de simplifier le système de signification transfrontalière des actes judiciaires et extrajudiciaires, la coopération en matière d'obtention de preuves, la reconnaissance et l'exécution des décisions ;

}}}}}}

après 5 ans, initiative exclusive de la Commission ; le Conseil prend une décision à l'unanimité en ce qui concerne le passage à la majorité qualifiée et à la codécision avec le Parlement européen

Non contraire à la Constitution française

- de favoriser la compatibilité des règles applicables dans les Etats membres en matière de procédure civile et de conflits de compétence ;

}}}}

 

- d'éliminer les obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédure civile applicables par les Etats membres.

}}}}

 

* La période de cinq ans prévue pour que le Conseil arrête des mesures ne s'applique pas à ces alinéas.

III. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le projet de loi constitutionnelle soumis au Sénat a été adopté par l'Assemblée nationale le 1er décembre dernier.

1. Le projet initial

Le projet initial contenait un article unique tendant à modifier l'article 88-2 de la Constitution. Dans sa rédaction actuelle, issue de la révision constitutionnelle de 1992, préalable à la ratification du traité de Maastricht, cet article dispose :

" sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire européenne ainsi qu'à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres de la Communauté européenne. "

Le projet de loi constitutionnelle tend à modifier cet article de manière à permettre la ratification du traité d'Amsterdam, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997. Comme l'a noté votre rapporteur en introduction au présent rapport, le Gouvernement a choisi de présenter un projet limité se référant aux dispositions déclarées contraires à la Constitution et non d'introduire une clause générale autorisant par avance des transferts de compétences ultérieurs.

Ainsi, le projet de loi constitutionnelle vise à autoriser, sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité instituant la Communauté européenne dans sa rédaction résultant du traité signé le 2 octobre 1997, les transferts de compétences " nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés ".

2. Les travaux de l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a approuvé le projet de loi constitutionnelle. Elle a adopté un article additionnel modifiant l'article 88-4 de la Constitution. Dans sa rédaction actuelle, l'article 88-4 prévoit la soumission aux assemblées des propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative, les assemblées pouvant adopter des résolutions sur ces propositions.

La mise en oeuvre de l'article 88-4 depuis maintenant six ans a révélé certaines imperfections de cette disposition. En particulier le terme " propositions d'actes communautaires " a conduit le Gouvernement à refuser de soumettre aux assemblées les propositions ou projets relevant des deuxième et troisième piliers de l'Union européenne.

La limitation du dispositif aux propositions d'actes comportant des dispositions de nature législative a également eu, dans certains cas, des conséquences fâcheuses, des textes très importants pouvant échapper au contrôle parlementaire.

L'Assemblée nationale a adopté un amendement étendant le champ d'application de l'article 88-4 aux propositions ou projets d'actes de l'Union européenne. Elle a en outre prévu que le Gouvernement pourrait soumettre aux assemblées " les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tout document émanant d'une institution de l'Union européenne " .

IV. LES CONCLUSIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : APPROUVER LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Appelée à examiner le projet de loi constitutionnelle, votre commission devait tout d'abord vérifier que ce projet permettait de faire disparaître complètement les motifs d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel dans le traité d'Amsterdam. Il lui revenait également d'examiner les transferts de compétences que tend à permettre le projet de loi constitutionnelle.

En ce qui concerne le champ de la révision proposée, votre commission approuve le contenu du projet de loi constitutionnelle, qui tend à permettre les " transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés " .

Cette formulation recouvre en effet le contenu du titre III A nouveau du traité instituant la Communauté européenne tel qu'il résulte du traité d'Amsterdam, intitulé " Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes ".

Sur le fond, votre commission approuve une modification constitutionnelle qui permettra le moment venu au Parlement de se prononcer sur la ratification du traité.

Il paraît difficile de nier l'intérêt d'une politique commune en matière de franchissement des frontières intérieures et extérieures des Etats membres. Les politiques nationales d'immigration en particulier ont trouvé leurs limites et le cadre européen paraît offrir des perspectives meilleures pour exercer une politique efficace en cette matière. Personne aujourd'hui ne conteste la nécessité d'une action au niveau européen dans les matières visées au titre III A du traité instituant la Communauté européenne tel qu'il résulte du traité d'Amsterdam.

Il est bien évident que l'ouverture des frontières intérieures, corollaire naturel de l'Union économique, rend en pratique inopérants les contrôles dans le cadre national et entraîne une homogéneité du territoire européen, dont la seule frontière opérationnelle ne peut être que le réseau des frontières extérieures . Il importe dès lors que le contrôle de celles-ci soit géré en commun. Pour votre rapporteur, l'attribution de compétences à l'Union européenne dans ces domaines n'est pas à proprement parler un nouveau progrès de la construction européenne. Il s'agit plutôt de la conséquence logique et nécessaire de l'ouverture des frontières intérieures qui, elle, fait partie des grandes avancées vers l'union des Etats européens.

Si le principe d'une action au niveau européen dans les matières liées à la libre circulation des personnes n'est donc guère contesté, la " communautarisation " de ces matières est parfois remise en cause et singulièrement la perspective du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil.

Il faut pourtant constater que la méthode intergouvernementale appliquée depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht n'a pas conduit à des résultats probants et ne pouvait aboutir à de tels résultats. Dans ces domaines, une politique efficace n'est possible que par la mise en oeuvre des mécanismes prévus par le traité instituant la Communauté européenne, dont l'expérience a montré qu'en dépit de la complexité des problèmes, ils permettaient de concilier l'exigence d'efficacité et la prise en compte des points de vue nationaux. Certes, la mise en oeuvre des accords de Schengen a pour sa part permis des avancées plus substantielles, mais on conviendra que le maintien d'une dualité de structures pour les questions relatives à la libre circulation des personnes n'est pas un gage d'efficacité.

La " communautarisation " impliquera une modification des méthodes d'élaboration des textes : les conventions seront remplacées par les instruments traditionnels du droit communautaire, règlements et directives ; les matières transférées dans le premier pilier feront l'objet, sous certaines réserves, d'un contrôle par la Cour de justice ; après une période de cinq ans, la Commission européenne bénéficiera du monopole de l'initiative (les Etats bénéficiant d'un droit d'initiative pendant les cinq années suivant l'entrée en vigueur du traité) ; enfin, le traitement au Conseil de l'Union des propositions se fera par des groupes de travail et par le Comité des représentants permanents (COREPER) et non plus par les multiples niveaux menant au comité dit K4 existant dans le cadre du troisième pilier.

On peut espérer que ces nouvelles méthodes de travail permettront une véritable action de la Communauté, dont on perçoit mal ce que la France aurait à craindre.

En ce qui concerne le passage à la majorité qualifiée -quelles que soient les conditions de ce passage- il constitue pour l'essentiel un moyen de rendre plus efficace le processus communautaire de décision. Le système de la majorité qualifiée est une incitation pour les Etats à négocier sérieusement sur les propositions qui leur sont faites, tandis que l'unanimité est un facteur d'inertie et de marchandage.

La France a-t-elle en matière de visas, d'asile, d'immigration, des intérêts si différents de ceux de l'Allemagne ou de l'Italie par exemple qu'elle puisse craindre d'être mise en minorité sur des textes qui auraient pour elles de graves conséquences ?

Dans la plupart des cas, le passage à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision sera décidé à l'unanimité par le Conseil de l'Union européenne, ce qui permettra à ce dernier de définir les domaines auxquels s'appliqueront les nouvelles modalités. On peut ainsi penser que le Conseil ne décidera pas un passage " en bloc " à la majorité qualifiée pour l'ensemble des mesures prévues par le nouveau titre du traité.

Rappelons aussi que la majorité qualifiée n'est pas la majorité simple et que, dans le cadre de ce système, 70% des voix sont nécessaires pour qu'une décision puisse être adoptée, chaque Etat disposant d'un certain nombre de voix en rapport avec son poids démographique 7( * ) . Il est vrai que cette pondération mérite aujourd'hui d'être revue, les élargissements successifs ayant conduit à une érosion du poids des grands Etats. Un protocole, dont la valeur contraignante est égale à celle du traité, " sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne " fait d'ailleurs de la révision de cette pondération une condition de la réduction du nombre de membres de la Commission européenne.

Il convient enfin de mentionner qu'une sécurité est prévue par le traité. Ainsi, aucune des mesures adoptées dans le cadre du nouveau titre du traité instituant la Communauté européenne ne devra porter atteinte à l'exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission s'est prononcée en faveur de l'adoption du projet de loi constitutionnelle.

*

* *

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(article 88-2 de la Constitution)
Autorisation de transferts de compétences

L'article 1 er du projet de loi constitutionnelle tend à modifier l'article 88-2 de la Constitution afin d'autoriser les transferts de compétences dont le Conseil constitutionnel a estimé qu'ils pourraient porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Dans sa rédaction actuelle, l'article 88-2 prévoit que " sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire européenne ainsi qu'à la détermination des règles relatives au fonctionnement des frontières extérieures des Etats membres de la Communauté européenne ".

Pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997 relative au traité d'Amsterdam, le projet de loi constitutionnelle tend à autoriser de nouveaux transferts de compétences. Il prévoit la scission en deux alinéas de l'article 88-2, le premier étant exclusivement consacré à l'Union économique et monétaire.

Un second alinéa serait inséré, précisant que " sous la même réserve et selon les modalités prévues par le traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction résultant du traité signé le 2 octobre 1997, peuvent être consentis les transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés ".

Cette rédaction appelle quelques remarques. Tout d'abord, ce second alinéa permet des transferts de compétences dans des domaines plus nombreux que l'article 88-2 dans sa rédaction actuelle, lequel ne vise que le franchissement des frontières extérieures des Etats membres. Par ailleurs, le nouvel alinéa prévoit que les transferts sont possibles " selon les modalités prévues par le traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction résultant du traité signé le 2 octobre 1997 ". Il faut en déduire que si, ultérieurement, de nouvelles modalités d'exercice des compétences pour lesquelles un transfert est autorisé venaient à être envisagées, une nouvelle habilitation serait peut-être nécessaire.

Il convient également de noter que le projet de loi prévoit que les transferts de compétences " peuvent être consentis ", alors que dans sa rédaction actuelle, l'article 88-2 dispose que " la France consent ". Il est vraisemblable que le Président de la République et le Premier ministre n'ont pas voulu préjuger de la ratification du traité dans le projet de loi constitutionnelle. Lors de son audition par votre commission, Mme Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux, ministre de la justice, a indiqué que l'expression " peuvent être consentis " visait à marquer que les décisions essentielles seraient prises après une période de cinq ans et qu'il serait possible de refuser le passage à la majorité qualifiée et à la codécision.

Enfin, le nouvel alinéa proposé évoque les " transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés ". Cette expression est proche de l'intitulé du titre III A nouveau du traité instituant la Communauté européenne : " Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes ", même si elle n'est pas identique. En tout état de cause, le champ de l'habilitation constitutionnelle ne saurait excéder celui du titre III A nouveau du traité instituant la Communauté européenne. Votre commission approuve donc la rédaction proposée.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 1 er sans modification .

Article 2
(article 88-4 de la Constitution)
Résolutions des assemblées parlementaires
sur les propositions d'actes communautaires

L'Assemblée nationale a ajouté au projet de loi constitutionnelle un article additionnel modifiant l'article 88-4 de la Constitution.

Six ans après son introduction dans la Constitution, l'article 88-4 a incontestablement permis une meilleure implication du Parlement dans le contexte de l'action du Gouvernement en matière européenne.

1. Bilan de l'article 88-4

Depuis l'entrée en vigueur de cette disposition, près de 1.200 propositions d'actes communautaires ont été soumises au Sénat, imprimées et distribuées. Cela a incontestablement facilité une meilleure appréhension par les parlementaires de l'importance de la législation communautaire. A partir de 1994, la délégation pour l'Union européenne a examiné de manière systématique ces propositions afin d'isoler celles qui méritaient une intervention particulière du Sénat.

101 propositions de résolution ont été déposées au Sénat depuis l'entrée en vigueur de l'article 88-4. Notre assemblée a adopté 51 résolutions dont 19 en séance publique. Cette procédure a ainsi permis au Sénat de prendre position sur des propositions importantes comme celles concernant le passage à la troisième phase de l'Union européenne et monétaire, le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants communautaires aux élections municipales, le marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel. La commission des affaires économiques a adopté très récemment une résolution sur l'importante question de la réforme des fonds structurels.

L'adoption de certaines résolutions en séance publique a permis un débat en matière européenne dépassant le cadre de notre délégation spécialisée et de la commission permanente compétente.

D'une manière générale, l'article 88-4 a facilité l'implication des parlementaires français dans les questions européennes et a permis à chaque assemblée de prendre officiellement position sur des textes communautaires importants. Il faut noter que cette implication nouvelle du Parlement s'est faite en coopération avec le Gouvernement et qu'à aucun moment, un risque d'atteinte à la liberté de négociation du Gouvernement ne s'est manifesté du fait de l'adoption de résolutions.

Les assemblées ont pourtant connu des difficultés dans l'application de l'article 88-4, difficultés qui tiennent, pour l'essentiel, au champ d'application de cette disposition.

Le Gouvernement a décidé de saisir le Conseil d'Etat afin de déterminer, parmi les propositions européennes, celles qui devaient être soumises à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Le Conseil d'Etat a interprété très strictement les dispositions du premier alinéa de l'article 88-4, qui prévoit la soumission aux assemblées des " propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative " :

- il a estimé que seuls les textes constituant véritablement des " propositions " devaient être soumis aux assemblées, ce qui a conduit le Gouvernement à ne pas soumettre les documents de consultation de la Commission européenne, tels que les livres blancs ou les livres verts qui sont pourtant destinés à recueillir le plus grand nombre d'avis possible avant le dépôt d'une proposition formelle ; les assemblées n'ont ainsi pas été en mesure d'adopter une résolution sur le document " Agenda 2000 " publié en 1997 par la Commission européenne, qui définissait des orientations sur l'avenir des politiques communes dans la perspective de l'élargissement.

- le Gouvernement, conformément à l'avis du Conseil d'Etat, a également refusé de soumettre aux assemblées les projets d'accords interinstitutionnels . Les accords interinstitutionnels sont conclus entre le Conseil de l'Union européenne, la Commission européenne et le Parlement européen. Dans certains cas, ils sont prévus par le traité lui-même et ont pour objet de définir les modalités d'application de certaines dispositions. Dans d'autres cas, au contraire, ces accords visent à mettre fin à un conflit entre institutions. Ils peuvent alors avoir des conséquences sur l'équilibre institutionnel au sein de l'Union européenne ;

- le Gouvernement, à la suite de l'avis du Conseil d'Etat, a estimé que la notion de " propositions d'actes communautaires " excluait les propositions entrant dans le champ des deuxième et troisième piliers de l'Union , c'est à dire les propositions relatives à la justice et aux affaires intérieures d'une part, à la politique étrangère et de sécurité d'autre part. En 1995, à la suite de demandes des assemblées, le Premier ministre a accepté de transmettre ces documents aux assemblées, sans toutefois que celles-ci puissent adopter des résolutions ;

- enfin, la limitation du champ d'application de l'article 88-4 aux propositions comportant des dispositions de nature législative a conduit le Gouvernement à ne pas soumettre certains textes importants, en particulier les propositions relatives à la fixation des prix agricoles, la proposition sur le système de l'heure d'été, certaines propositions sur les organisations communes de marchés en matière agricole.

Face à cette situation, quelques propositions d'élargissement du champ d'application de l'article 88-4 ont été formulées au sein de la délégation pour l'Union européenne de notre assemblée, en particulier par M. Lucien Lanier 8( * ) et votre rapporteur 9( * ) , afin que le Sénat et l'Assemblée nationale puissent adopter des résolutions sur certains documents importants qui ne leur sont actuellement pas soumis.

La révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité d'Amsterdam paraît être un bon cadre pour modifier l'article 88-4. Le traité d'Amsterdam évoque en effet le rôle des Parlements nationaux dans un protocole annexé.

Il prévoit, en particulier, que :

- tous les documents de consultation de la Commission européenne (livres verts, livres blancs et communications) sont transmis rapidement aux parlements nationaux des Etats membres ;

- les propositions législatives de la Commission européenne sont communiquées à temps pour que le Gouvernement de chaque État membre puisse veiller à ce que le parlement national les reçoive comme il convient ;

- un délai de six semaines s'écoule entre le moment où une proposition est mise, par la Commission, à la disposition du Parlement européen et du Conseil dans toutes les langues et la date à laquelle elle est inscrite à l'ordre du jour du Conseil en vue d'une décision, des exceptions étant possibles pour des raisons d'urgence.

Le traité d'Amsterdam invite donc au renforcement de l'association des Parlements nationaux aux activités de l'Union européenne.

2. Le contenu du projet de loi constitutionnelle


L'article 2 du projet de loi, ajouté par l'Assemblée nationale, modifie le champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution :

- en premier lieu, les propositions d'actes " des Communautés européennes et de l'Union européenne " et non plus  des seules Communautés européennes  seront désormais soumises aux assemblées ; cette rédaction inclut les propositions entrant dans le champ des deuxième et troisième piliers.

Une telle évolution apparaît nécessaire. Certes, les documents entrant dans le champ du deuxième pilier (politique étrangère et de sécurité commune) sont actuellement peu nombreux (un seul a été transmis aux assemblées depuis que le Gouvernement a accepté de les communiquer sans toutefois que des résolutions soient possible). Rien ne permet cependant d'affirmer qu'une telle situation perdurera.

Certes, le transfert d'une partie du troisième pilier dans le premier pilier ou " communautarisation " diminue l'intérêt d'une soumission aux assemblées des propositions entrant dans le champ du troisième pilier. Toutefois, ce dernier a été refondu par le traité d'Amsterdam et comporte des matières importantes telles que la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, le trafic d'armes, la corruption et la fraude, sur lesquelles il est souhaitable que les assemblées puisent prendre position en adoptant des résolutions.

Le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée nationale prévoit par ailleurs une soumission facultative aux assemblées de tous autres documents et propositions ou projets d'actes, quelle qu'en soit la nature . Cette soumission pourrait concerner les documents de consultation de la Commission européenne, les projets d'accords interinstitutionnels, enfin les propositions ne comportant pas de dispositions de nature législative.

*

Votre commission approuve l'esprit des modifications apportées par l'Assemblée nationale à l'article 88-4, qui sont proches de celles envisagées par les rapporteurs de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

Votre rapporteur aurait souhaité qu'il soit précisé que les documents de consultation de la Commission européenne devaient être soumis aux assemblées sans qu'il s'agisse d'une simple faculté pour le Gouvernement. En effet, le caractère facultatif de la soumission des documents de consultation de la Commission européenne ne paraît guère justifié. Ces textes, qui peuvent prendre la forme de livres verts, de livres blancs, de communications, ne constituent en rien des documents de travail internes à la Commission comme on le pense parfois. Il s'agit au contraire de textes d'orientation destinés à recueillir le plus grand nombre d'avis possible avant la présentation d'une proposition normative . Toutes les personnes intéressées sont en général invitées à faire connaître leurs observations sur ce document afin que la Commission puisse éventuellement les prendre en considération dans la proposition normative qu'elle envisage de présenter ultérieurement.

Dans ces conditions, on ne voit pas de raison qui empêcherait les assemblées parlementaires françaises de prendre position par une résolution sur ces documents. Une telle intervention peut permettre d'attirer très tôt l'attention du Gouvernement sur telle ou telle question qu'il conviendra d'avoir à l'esprit lorsqu'une proposition normative sera discutée. Ainsi, n'aurait-il pas été utile que les assemblées, dans le cadre des débats qui se déroulent en France sur ce sujet, puissent prendre position sur le livre vert sur les retraites complémentaires publié en juin 1997 ? De même, le Parlement n'était-il concerné en rien par le livre vert sur la convergence des secteurs des télécommunications, des médias et des technologies de l'information ?

Toutefois, l'inscription dans la Constitution de l'obligation pour le Gouvernement de soumettre ces documents n'est peut-être pas, à la réflexion, indispensable . Il faut en effet souligner que le protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne annexé au traité d'Amsterdam prévoit que " tous les documents de consultation de la Commission (livres verts, livres blancs et communications) sont transmis rapidement aux parlements nationaux des Etats membres ". Dans ces conditions, le Gouvernement sera tenu de respecter le protocole en soumettant ces documents aux assemblées. Cette communication aura lieu au titre de la dernière partie du premier alinéa de l'article 88-4 modifié et elle permettra donc le vote de résolutions conformément au second alinéa de l'article 88-4.

Par ailleurs, le mécanisme facultatif prévu pour la soumission des autres documents est quelque peu surprenant. Dans la mesure où l'article 88-4 entre davantage dans la fonction de contrôle du Parlement que dans sa fonction législative, dans la mesure aussi où les résolutions adoptées n'ont aucune portée contraignante pour le Gouvernement, il paraîtrait normal que les assemblées puissent choisir les propositions sur lesquelles elles souhaitent se prononcer. Le Parlement dispose d'un pouvoir de contrôle général et il peut paraître choquant de laisser à la discrétion du pouvoir exécutif le choix des documents sur lesquels les assemblées pourront prendre position.

La rédaction retenue par l'Assemblée nationale a toutefois le mérite d'éviter que les assemblées se voient soumettre l'ensemble des documents émanant des institutions de l'Union européenne. Une telle soumission risquerait d'avoir plus d'inconvénients que d'avantages, compte tenu de la difficulté de gérer un tel dispositif.

Dans ces conditions, votre commission vous propose d'adopter l'article 2 sans modification .

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter le projet de loi constitutionnelle dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.

ANNEXES

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ANNEXE N° 1


LES TRAVAUX DE LA COMMISSIONAUDITION DE MME ELISABETH GUIGOU,
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE,
ET DE M. PIERRE MOSCOVICI,
MINISTRE DÉLÉGUÉ CHARGÉ DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 8 décembre 1998

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice , a tout d'abord rappelé que le Président de la République et le Premier ministre avaient saisi conjointement le Conseil constitutionnel afin qu'il statue sur la conformité du traité d'Amsterdam à la Constitution. Elle a souligné que le Conseil constitutionnel avait estimé que le passage éventuel au vote à la majorité qualifiée au sein du conseil de l'Union et à la procédure de codécision dans les matières liées à la libre circulation des personnes impliquait une révision de la constitution. Elle a indiqué que le Gouvernement et le Président de la République avaient choisi de présenter un projet de loi constitutionnelle limité, visant à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel.

Le garde des sceaux a alors observé que l'Assemblée nationale avait souhaité améliorer le contrôle du Parlement sur la politique européenne du Gouvernement. Soulignant qu'il était logique que le Parlement veuille donner son point de vue sur les actes de l'Union, elle a rappelé qu'un protocole annexé au traité d'Amsterdam invitait au renforcement du rôle des Parlements nationaux, mais a fait valoir qu'il convenait cependant de respecter les équilibres institutionnels prévus par la Constitution. Elle a indiqué que l'Assemblée nationale avait finalement adopté, avec l'accord du Gouvernement, un amendement prévoyant la soumission aux assemblées de tous les projets et propositions d'actes relevant des trois piliers de l'Union européenne, dès lors qu'ils comportaient des dispositions de nature législative. Elle a ajouté que l'amendement permettrait en outre au Gouvernement de soumettre tout projet, proposition ou documents émanant des institutions de l'Union.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice , a souligné que le Gouvernement était ouvert à un renforcement du droit de regard des assemblées en matière européenne, dès lors qu'il ne concernerait que les propositions comportant des dispositions de nature législative.

Le garde des sceaux a enfin commenté certains amendements déposés à l'Assemblée nationale, mais finalement écartés par les députés. A propos du vote éventuel d'une loi d'habilitation préalablement à la décision de passage à la majorité qualifiée et à la codécision dans les matières liées à la libre circulation des personnes, elle a souligné que la révision constitutionnelle avait précisément pour objet de permettre au Gouvernement, après une période de cinq ans, d'approuver éventuellement au sein du Conseil une décision de passage à la majorité qualifiée et à la codécision. Elle a observé que certains articles du traité de Maastricht, comme l'article K9 concernant le troisième pilier, stipulaient pour leur part une approbation par les Etats, selon leurs procédures constitutionnelles, de décisions visant à modifier les procédures. Elle en a conclu que dans les domaines où une telle approbation n'était pas explicitement prévue, la ratification du traité valait acceptation par un État membre d'un éventuel passage à la majorité qualifiée par simple décision du Conseil de l'Union sans habilitation législative.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice , a alors rappelé que les assemblées pourraient, le moment venu, voter des résolutions sur les propositions d'actes visant à permettre le passage au vote à la majorité qualifiée et à la codécision.

A propos de l'introduction d'un éventuel contrôle de constitutionnalité du droit communautaire dérivé, le garde des sceaux a tout d'abord estimé qu'un tel contrôle serait inopérant, dans la mesure où un constat de contrariété entre une proposition communautaire et la Constitution ne pourrait empêcher l'adoption de la proposition en cause dans les cas où le Conseil de l'Union statue à la majorité qualifiée. Elle a en outre souligné qu'il existait un risque très limité de contrariété entre les actes de l'Union et la Constitution. Elle a précisé que le Conseil constitutionnel vérifiait la conformité à la Constitution des traités et que la Cour de justice des Communautés européennes pouvait être saisie pour statuer sur la conformité au traité des actes de droit communautaire dérivé. Elle a ajouté que, lorsqu'il avait un doute sur la constitutionnalité d'une proposition, le Gouvernement pouvait consulter le Conseil d'Etat. Elle a enfin fait valoir qu'un contrôle de constitutionnalité du droit communautaire dérivé risquerait de conduire à un blocage du fonctionnement de l'Union européenne, surtout si les autres Etats membres mettaient en place un mécanisme similaire.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes , a présenté le contenu du traité d'Amsterdam, en observant tout d'abord que celui-ci avait été signé en octobre 1997 et ratifié par la plupart des Etats membres de l'Union européenne. Il a souligné que l'absence de réforme des institutions européennes constituait une lacune majeure de ce traité, mais que celui-ci comportait néanmoins des avancées intéressantes.

Le ministre a observé que le traité d'Amsterdam constituait un correctif au traité de Maastricht, dans la mesure où il prenait mieux en compte les préoccupations quotidiennes des citoyens. Il a indiqué que le traité contenait en particulier un chapitre sur l'emploi, notamment sur la coordination des politiques nationales dans ce domaine, et qu'il prévoyait l'intégration dans le traité instituant la Communauté européenne du protocole social, qui n'y figurait pas jusqu'à présent en raison du refus du Royaume-Uni de s'y associer. Il a ajouté que le traité contenait également des dispositions permettant de lutter contre l'exclusion, ainsi que des dispositions relatives à la santé, à l'environnement, à la reconnaissance de la spécificité des services publics. Le ministre a en outre souligné le renforcement prévu par le traité des dispositions relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, de la clause de non-discrimination et du principe d'égalité entre hommes et femmes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes , a ensuite fait valoir que le traité d'Amsterdam constituait un complément utile au traité de Maastricht dans les matières relevant de la justice et des affaires intérieures, d'une part, de la politique étrangère et de sécurité commune, d'autre part. A propos de la justice et des affaires intérieures, il a souligné que les instruments et procédures prévus dans le cadre du troisième pilier ne permettaient pas d'avoir une action efficace, en particulier face à la pression des flux migratoires. Il a souligné que l'Allemagne avait proposé la " communautarisation " des matières liées à la libre circulation des personnes dès l'ouverture de la Conférence intergouvernementale et que la France avait donné son accord à cette " communautarisation " sous réserve que toutes les conditions soient remplies pour que la sécurité soit assurée au sein de cet espace de libre circulation.

Le ministre a alors observé que la révision constitutionnelle visait à ouvrir par anticipation la possibilité, pour le Conseil de l'Union européenne, d'arrêter, à l'unanimité, après une période de cinq ans, que les décisions dans les matières liées à la libre circulation des personnes seraient prises à la majorité qualifiée et selon la procédure de codécision. Il a estimé qu'il ne serait pas conforme au traité d'envisager l'introduction d'une procédure de ratification de cette décision, pas plus que le recours à une procédure d'habilitation. Il a ajouté que si le traité d'Amsterdam avait prévu une procédure de ratification par les Etats des décisions de changement de procédure, il n'aurait marqué aucune évolution par rapport au traité de Maastricht, qui contenait une clause évolutive avec ratification par les Parlements nationaux. Il a souligné qu'en matière d'immigration, il ne pouvait y avoir de solutions que communes et que les Etats tireraient avantage de la " communautarisation ". Le ministre a enfin indiqué que les assemblées pourraient voter des résolutions, éventuellement en séance publique, et qu'il était difficile d'imaginer que le Gouvernement, sur un tel sujet, puisse passer outre des résolutions qui lui demanderaient de s'opposer au passage à la majorité qualifiée.

Evoquant la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes , a souligné que le traité tendait à doter l'Union de nouveaux moyens qui renforceraient sa capacité d'agir sur la scène internationale. Il a cité l'institution d'un Haut représentant pour la PESC, la création d'un nouvel instrument juridique, la stratégie commune, dont les dispositions d'application pourraient être adoptées à la majorité qualifiée, la mise en place d'une structure d'analyse et de prévision, enfin le renforcement des dispositions relatives à la défense.

A propos des institutions de l'Union, le ministre a regretté l'absence de réforme d'ensemble. Il a souligné la nécessité de reprendre la discussion sur certaines questions, en particulier la réduction du nombre de commissaires, l'extension du vote à la majorité qualifiée, la révision de la pondération des voix au sein du Conseil de l'Union.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes , a fait valoir que le traité d'Amsterdam comportait néanmoins quelques avancées, notamment le renforcement de l'autorité politique du Président de la Commission européenne, grâce à son investiture par le Parlement européen, l'extension de la procédure de codécision, enfin l'adoption d'un protocole sur les Parlements nationaux visant à améliorer leur information et à renforcer le rôle de la COSAC (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires).

Concluant son propos, le ministre a souligné que le traité d'Amsterdam n'était pas le grand traité fondateur de l'Europe politique et sociale que l'on pouvait souhaiter, mais qu'il réalisait des avancées et que le Gouvernement proposerait sa ratification avec lucidité mais sans états d'âme.

M. Pierre Fauchon, rapporteur , a tout d'abord souligné que la commission n'était appelée à intervenir que sur les dispositions du traité d'Amsterdam déclarées contraires à la Constitution et qu'il reviendrait à la commission des affaires étrangères d'examiner le traité dans son ensemble. Il s'est interrogé sur l'emploi de l'expression " peuvent être consentis des transferts de compétences " dans le projet de loi constitutionnelle, rappelant que la loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht prévoyait : " la France consent aux transferts de compétences ".

Le rapporteur a souligné que le souhait du Parlement d'être associé aux décisions de passage à la majorité qualifiée et à la codécision ne remettait pas en cause les équilibres institutionnels. Il a observé que la révision constitutionnelle aurait pour effet, non seulement de rendre conforme à la Constitution le passage à la majorité qualifiée et à la codécision, mais encore de déposséder le Parlement de compétences appelées désormais à être exercées par le Gouvernement au sein du Conseil de l'Union européenne. Il a fait valoir que les approfondissements successifs de la construction européenne s'accompagnaient d'un transfert de certaines matières du Parlement au Gouvernement et que les résolutions prévues par l'article 88-4 de la Constitution n'apportaient qu'une réponse partielle à cette évolution.

A propos de l'article 88-4, M. Pierre Fauchon, rapporteur , a souhaité savoir pour quelles raisons le projet de loi constitutionnelle ne prévoyait pas la soumission, aux assemblées, des documents de consultation de la Commission européenne, alors que celle-ci était prévue par un protocole annexé au traité d'Amsterdam. Il a jugé curieux que le projet de loi constitutionnelle amendé par l'Assemblée nationale ouvre en outre au Gouvernement une faculté de soumettre certains documents. Il a estimé que cette précision était en tout état de cause inutile et a souligné que lorsqu'il votait des résolutions, le Parlement n'agissait pas en tant que législateur et qu'il n'y avait donc guère de raison de limiter la soumission des propositions d'actes à celles comportant des dispositions de nature législative. Il a rappelé que le Parlement disposait d'un pouvoir général de contrôle de l'action du Gouvernement.

M. Patrice Gélard a tout d'abord évoqué l'éventualité d'une loi d'habilitation avant la décision de passage à la majorité qualifiée et à la codécision, en soulignant que le traité ne contenait aucune disposition sur la manière dont chaque État le mettrait en oeuvre et que la France demeurait libre de prévoir des modalités particulières en vue de cette décision.

Il a ensuite rappelé que les traités de droit international classique n'impliquaient pas de transferts de compétences et qu'il était donc normal qu'ils relèvent du pouvoir exécutif, sous réserve d'autorisation de la ratification ou de l'approbation de certains traités ou accords par le Parlement. Il a souligné que le processus communautaire européen était très différent et que, dans ce cadre, l'idée d'une autorisation législative donnée au Gouvernement préalablement à certaines décisions importantes était justifiée. Il a fait valoir que le Parlement incarnait la souveraineté nationale et ne pouvait se dépouiller totalement de ses prérogatives.

Estimant qu'il n'était pas possible d'envisager un passage subreptice au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision, il a souligné que si l'on ne prévoyait aucune disposition spécifique, l'Assemblée nationale, en cas de désaccord avec la décision du Gouvernement, ne disposerait que de l'instrument disproportionné de la motion de censure.

A propos de l'introduction éventuelle d'un contrôle de constitutionnalité du droit communautaire dérivé, M. Patrice Gélard a reconnu que les risques de contrariété étaient limités, mais qu'il convenait de les prévoir. Il a indiqué que si le Conseil constitutionnel constatait qu'une proposition n'était pas conforme à la Constitution, celle-ci pourrait être modifiée avant que l'acte de l'Union européenne concerné n'entre en vigueur sur notre territoire.

Répondant aux orateurs, Mme Elisabeth Guigou , garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord indiqué que l'expression " peuvent être consentis les transferts de compétences " utilisée dans le projet de loi constitutionnelle avait pour objet de marquer que les transferts n'auraient lieu que dans cinq ans et qu'il y avait une possibilité de les refuser. Elle a souligné que le transfert de certaines compétences à la Communauté ne dépouillait pas le Parlement de ses prérogatives, dans la mesure où, lorsque le Conseil de l'Union statuait sur des matières relevant du domaine de la loi, les décisions donnaient lieu à une transposition par voie législative.

Le garde des sceaux a rappelé que le Gouvernement transmettait aux assemblées, à titre d'information, tous les documents de l'Union dans le cadre de la loi de 1990, dite loi Josselin. Elle a estimé que la possibilité éventuelle pour le Parlement de se saisir lui-même, dans le cadre de l'article 88-4, de documents ne comportant pas de dispositions législatives pourrait aboutir, par exemple, à ce que les assemblées veuillent donner un mandat impératif au Gouvernement sur la négociation des prix agricoles. Elle a souhaité que le Gouvernement garde la possibilité de décider de la soumission des documents et a estimé qu'une bonne intelligence avec les assemblées était préférable, sans qu'il soit indispensable de l'inscrire dans la Constitution.

Répondant à M. Patrice Gélard, le garde des sceaux a indiqué que le traité distinguait clairement les cas dans lesquels la décision de passage à la majorité qualifiée et à la codécision ne nécessitait aucune autre intervention parlementaire que la ratification du traité et ceux dans lesquels cette décision impliquait une approbation par les Etats selon leurs procédures constitutionnelles respectives. Elle a estimé que ces procédures avaient été voulues par les rédacteurs du traité. Elle a ajouté qu'en tout état de cause, les parlementaires défavorables aux dispositions du traité demeuraient libres de voter contre le projet de loi autorisant la ratification.

A propos de la veille constitutionnelle, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice , a observé qu'il serait difficile de prévoir les modalités d'un tel système dans l'avenir et qu'il existait un risque de blocage du processus décisionnel de l'Union européenne.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes , a alors précisé que l'implication du Parlement dans les matières liées à la libre circulation des personnes continuerait à être forte. Il a souligné que les assemblées pourraient adopter des résolutions sur les propositions en discussion et qu'elles seraient appelées à transposer les directives adoptées par le Conseil de l'Union et le Parlement européen.

A propos de la soumission éventuelle aux assemblées des documents de consultation de la Commission européenne, le ministre a indiqué que le protocole annexé au traité d'Amsterdam ne précisait pas les conditions dans lesquelles ces documents étaient transmis. Il a alors rappelé que le Gouvernement les transmettait aux délégations pour l'Union européenne dans le cadre de la loi de 1990.

Evoquant l'éventualité du vote d'une loi d'habilitation avant la décision de passage à la majorité qualifiée et à la codécision, M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes , a observé qu'il convenait de prendre garde à la perception par nos partenaires de l'insertion d'une telle clause dans la Constitution française. Il a souligné qu'aucun des Etats membres de l'Union n'avait prévu une telle procédure et a indiqué que le Parlement néerlandais avait décidé au contraire de renforcer ses propres prérogatives jusqu'à ce que la décision de passage à la majorité qualifiée et à la codécision avec le Parlement européen soit prise.

Répondant à une question de M. Pierre Fauchon, rapporteur, M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes , a déclaré que le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam comporterait un article 2, s'ajoutant à l'article premier autorisant la ratification.

EXAMEN DU RAPPORT

Mercredi 9 décembre 1998

M. Pierre Fauchon, rapporteur , a tout d'abord souligné que la commission n'était invitée à se prononcer que sur la partie du traité d'Amsterdam impliquant une révision constitutionnelle aux termes de la décision du Conseil constitutionnel sur ce traité. Il a souligné que le traité instituant la Communauté européenne comportait, dans sa rédaction issue du traité d'Amsterdam, un nouveau titre III.A, intitulé " Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes ". Il a observé qu'il s'agissait, en pratique, de " communautariser " l'ensemble des questions liées au franchissement des frontières qui, jusqu'à présent relevait en grande partie du troisième pilier de l'Union.

Le rapporteur a indiqué que dans les matières liées à la libre circulation des personnes, les décisions seraient, pour l'essentiel, prises à l'unanimité au sein du Conseil de l'Union pendant une période de cinq ans et il a ajouté qu'au terme de cette période, le Conseil de l'Union pourrait décider, à l'unanimité, de passer au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision avec le Parlement européen. Il a souligné que ce changement de mode de décision avait été déclaré contraire à la Constitution par le Conseil Constitutionnel, dans la mesure où il existait un risque d'atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

M. Pierre Fauchon, rapporteur , a alors précisé que le Sénat était invité à se prononcer sur le bien-fondé des transferts de compétences impliquant une révision de la Constitution. Observant que la réalisation du marché unique impliquait la disparition des frontières intérieures européennes, il a estimé que la " communautarisation " de certaines questions, comme la politique des visas et la politique de l'immigration, devenait absolument nécessaire dans un tel contexte. Il a fait valoir que l'absence de frontières intérieures impliquait que tous les Etats membres puissent avoir un droit de regard sur la gestion des frontières communautaires et a ajouté que le vote à la majorité qualifiée pourrait permettre de surmonter l'inertie d'Etats peu pressés d'agir dans certains domaines. Il a jugé souhaitables les transferts de compétences que le projet de loi constitutionnelle tendait à permettre et a estimé que la France en tirerait avantage.

Abordant le contenu du projet de loi constitutionnelle, le rapporteur a indiqué que, dans sa rédaction actuelle, l'article 88-2 de la Constitution permettait des transferts de compétences en ce qui concerne l'Union économique et monétaire, ainsi que le franchissement des frontières extérieures. Il a indiqué que le projet de loi constitutionnelle tendait à permettre de manière plus générale des transferts de compétences en ce qui concerne la libre circulation des personnes et les domaines qui lui sont liés. Il a ajouté que la rédaction proposée prévoyait que " peuvent être consentis les transferts de compétences " et a rappelé que Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, avait souligné devant la commission que cette expression visait à prendre en compte le fait que les décisions essentielles ne seraient prises, le cas échéant, qu'après une période de cinq ans.

M. Pierre Fauchon, rapporteur , a alors indiqué que l'Assemblée nationale avait ajouté au projet de loi un article modifiant l'article 88-4 de la Constitution. Rappelant que cet article, qui offre aux assemblées la possibilité d'adopter des résolutions sur les propositions d'actes communautaires, avait marqué une avancée de l'implication du Parlement dans la construction européenne, il a observé que la rédaction adoptée en 1992 s'était révélée trop restrictive à l'usage. Il a fait valoir que le Gouvernement, après avis du Conseil d'Etat, avait en particulier refusé de soumettre aux assemblées les propositions relevant des deuxième et troisième piliers de l'Union européenne. Il a ajouté que le texte en vigueur ne prévoyait que la soumission des propositions comportant des dispositions de nature législative et que cette limitation ne paraissait guère justifiée, l'article 88-4 faisant partie de la fonction de contrôle du Parlement et non de sa fonction législative.

Le rapporteur a alors précisé que l'amendement adopté par l'Assemblée nationale avec l'accord du Gouvernement prévoyait la soumission de toutes les propositions d'actes de l'Union européenne, y compris celles entrant dans le champ des deuxième et troisième piliers dès lors qu'elles comportaient des dispositions de nature législative. Il a observé que la nouvelle rédaction donnait en outre au Gouvernement une faculté de soumettre tout autre projet ou proposition ainsi que tout document émanant d'une institution de l'Union européenne.

M. Pierre Fauchon, rapporteur , a indiqué qu'il aurait souhaité que les documents de consultation de la Commission européenne figurent parmi les textes obligatoirement soumis aux assemblées. Il a toutefois remarqué qu'il ne paraissait pas nécessaire d'inscrire une disposition en ce sens dans la Constitution, un protocole annexé au traité d'Amsterdam stipulant explicitement la transmission aux Parlements nationaux de ces documents.

Le rapporteur a alors souhaité évoquer l'hypothèse d'une éventuelle habilitation parlementaire préalablement à la décision de passer au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision. Observant que le fait de rendre conforme à la Constitution le passage à la majorité qualifiée et à la codécision n'impliquait pas nécessairement le fait d'accepter que certaines matières sortent de la compétence du Parlement pour entrer dans celle du Gouvernement, il a estimé que l'idée d'une habilitation avant le passage à la majorité qualifiée n'était pas dénuée d'intérêt. Il a toutefois fait valoir qu'une telle réponse n'apparaissait pas conforme au traité d'Amsterdam. Soulignant que ce traité stipulait explicitement dans son article K.14 une approbation par les Etats membres selon leurs règles constitutionnelles d'une éventuelle décision de passer à la majorité qualifiée dans le domaine de la coopération pénale, il a estimé que lorsqu'une telle approbation n'était pas prévue, il fallait en inférer que les rédacteurs du traité avaient souhaité l'exclure. Il en a conclu que l'insertion dans la Constitution d'une clause prévoyant une loi d'habilitation équivaudrait en quelque sorte à amender le traité d'Amsterdam. Il a ajouté qu'une telle décision ne serait pas comprise par les partenaires de la France.

Le rapporteur a alors proposé d'adopter sans modification le projet de loi constitutionnelle.

M. Patrice Gélard a souligné que l'approbation du traité d'Amsterdam n'était pas en cause mais qu'il devenait essentiel de s'interroger sur les conséquences de la construction européenne sur la Constitution et sur les prérogatives du Parlement. Il a indiqué que la construction européenne était traitée par des règles totalement inadaptées, à savoir celles du droit international classique qui concernaient des traités n'entraînant pas de transferts de souveraineté ou de compétences. Il a estimé légitime que le Parlement souhaite prendre position avant des décisions aussi importantes que celles tendant à passer au vote à la majorité qualifiée dans des matières telles que l'immigration et a rappelé que d'autres Etats membres de l'Union disposaient d'instruments très contraignants. Il a en particulier souligné que les résolutions en Allemagne liaient plus le Gouvernement qu'en France et a ajouté que plusieurs Parlements pourraient adopter des positions contraignantes pour leurs gouvernements sans qu'il ait été nécessaire de l'inscrire dans les Constitutions des Etats concernés.

M. Patrice Gélard a regretté que, lors de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht, il n'ait pas été envisagé d'introduire des règles nouvelles dans la Constitution pour tenir compte des spécificités de la construction européenne. Il a estimé qu'une réflexion plus approfondie aurait peut être pu permettre d'éviter une cascade de révisions constitutionnelles.

M. Patrice Gélard a alors fait valoir que le vote d'une loi préalablement à la décision de passage à la majorité qualifiée et à la codécision n'était pas contraire au traité d'Amsterdam, celui-ci n'ayant pas vocation à réglementer le fonctionnement des institutions. Rappelant que le constituant était souverain, il a estimé que le vote d'une loi d'habilitation ne porterait guère atteinte aux prérogatives gouvernementales et a évoqué l'éventualité d'un article de la Constitution à caractère général permettant d'éviter les révisions en cascade mais associant le Parlement dès lors que des délégations seraient nécessaires. Il a exprimé la crainte que l'Europe ne devienne impopulaire faute pour le Parlement d'intervenir dans une fonction d'aiguillon et de contrôle pour ne pas éloigner la construction européenne des aspirations des Français.

Concluant son propos, M. Patrice Gélard a indiqué que son groupe ne pourrait participer à l'adoption de ce texte si les préoccupations qu'il exprimait en ce qui concerne le rôle du Parlement n'étaient pas prises en considération. Il a indiqué que son groupe déposerait trois amendements tendant respectivement à améliorer l'article 88-4 de la Constitution, à associer le Parlement à la décision de passage à la majorité qualifiée, enfin, à mettre en place un contrôle de constitutionnalité des propositions d'actes communautaires.

M. Jean-Jacques Hyest a observé qu'une clause générale permettant des transferts de compétence ultérieurs aurait eu des avantages, mais qu'elle aurait été sans doute mal reçue. A propos d'une éventuelle loi d'habilitation avant le passage à la majorité qualifiée, il s'est interrogé sur les conséquences d'un refus, par le Parlement, d'accepter une décision unanimement souhaitée par les Etats membres de l'Union et a fait valoir qu'il existait d'autres moyens pour le Parlement de prendre position dans ce domaine.

Observant qu'il était peut être souhaitable d'étendre les prérogatives du Parlement, et notamment du Sénat, M. Jean-Jacques Hyest a remarqué que cela ne concernait pas que la construction européenne et qu'il fallait peut-être envisager une réforme plus générale. Il a enfin rappelé que l'Assemblée nationale avait adopté à une très forte majorité le projet de loi constitutionnelle et que le Sénat émettrait un signal négatif en adoptant un amendement tel que celui visant à prévoir le vote d'une loi d'habilitation avant le passage à la majorité qualifiée.

M. Robert Bret a souligné que la construction européenne souffrait d'un déficit démocratique et qu'il était procédé à des " grignotages " successifs des compétences de l'Etat. Il a exprimé la crainte d'une dissolution à terme de l'Etat souverain et de la disparition de ses compétences régaliennes au profit d'un État supra-national.

M. Maurice Ulrich a fait valoir que les propositions de son groupe ne remettraient pas en cause le traité d'Amsterdam, mais concerneraient la place du Parlement français dans la construction européenne. Il a estimé nécessaire que le Parlement soit associé aux décisions de passage au vote à la majorité qualifiée et s'est prononcé pour un renforcement de l'article 88-4 de la Constitution permettant aux assemblées de prendre position sur les textes européens. Il a estimé préférable de prendre des garanties sans attendre un débat plus vaste.

M. Jacques Larché, président , a alors rappelé le caractère quelque peu paradoxal de l'article 54 de la Constitution, qui prenait acte de la capacité du Gouvernement de négocier des engagements internationaux contraires à la Constitution puisque le Conseil constitutionnel n'était saisi qu'au stade de l'autorisation de ratification. Il a estimé que le risque de multiplication des révisions constitutionnelles n'avait rien de théorique.

M. Pierre Fauchon, rapporteur , a tout d'abord souligné qu'au moment où serait envisagée la décision de passer à la majorité qualifiée dans les matières liées à la libre circulation, les assemblées pourraient adopter des résolutions. Il a ajouté que de manière générale, le problème qui se posait était celui de la démocratisation de la construction européenne. Il a observé qu'à cet égard, l'extension des prérogatives du Parlement européen constituait un progrès, et a estimé qu'il conviendrait de réfléchir à l'éventualité d'une deuxième chambre représentant les Parlements des Etats membres de l'Union.

La commission a alors adopté sans modification le projet de loi constitutionnelle.

ANNEXE N° 2


DÉCISION N° 97-394
DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
ANNEXE N° 3


LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE SUR LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE DANS QUELQUES ÉTATS MEMBRES
DE L'UNION EUROPÉENNE

ALLEMAGNE

L'article 23-2 de la Loi fondamentale allemande prévoit que " le Bundestag et les Länder, par l'intermédiaire du Bundesrat, participent aux affaires de l'Union européenne. Le Gouvernement fédéral doit informer de façon détaillée le Bundestag et le Bundesrat dans les meilleurs délais ".

• En ce qui concerne le Bundestag, la Loi fondamentale prévoit dans son article 23-3 : " Avant de concourir aux actes normatifs de l'Union européenne, le Gouvernement fédéral donne au Bundestag l'occasion de prendre position. Dans les négociations, le Gouvernement fédéral prend en considération les prises de position du Bundestag ".

En pratique, le Bundestag est doté d'une commission des affaires de l'Union européenne, qui comprend cinquante membres titulaires, parmi lesquels onze membres allemands du Parlement européen, et cinquante membres suppléants.

Cette commission est compétente pour examiner toutes les questions concernant l'Union européenne. Elle a la faculté d'émettre des avis au nom du Bundestag si un groupe politique ou 5 % des députés le lui demandent.

Les autres commissions du Bundestag demeurent compétentes pour débattre des propositions d'actes de l'Union européenne qui entrent dans leur domaine de compétences. Un mécanisme de concertation permet de déterminer la ou les commissions compétentes sur chaque proposition.

Le Gouvernement transmet les propositions d'actes de l'Union ainsi que des notes commentant ces propositions.

La commission compétente peut présenter une recommandation de décision qui a alors vocation à être examinée par le Bundestag réuni en séance plénière. Lorsque le Gouvernement fédéral envisage de prendre une position différente de celle défendue par le Bundestag, il doit le justifier auprès de celui-ci.

• Le Bundesrat comporte une commission pour les questions de l'Union européenne, qui compte 23 membres titulaires, chacun des 16 Länder disposant au moins d'un représentant.

La commission est compétente pour délibérer sur tous les textes transmis par les institutions de l'Union européenne. Elle coordonne les avis éventuellement émis par les autres commissions et formule des recommandations au Bundesrat sur l'avis qu'il convient d'adresser au Gouvernement fédéral.

Le Bundesrat est saisi de l'ensemble des textes relevant des premier et troisième piliers de l'Union. Le Gouvernement fédéral n'est pas tenu d'envoyer les propositions concernant le deuxième pilier mais celles-ci sont très peu nombreuses.

Lorsque les propositions concernent l'Etat fédéral, mais affectent également les intérêts des Länder, le Gouvernement fédéral doit tenir compte de l'avis du Bundesrat. Il est obligé de respecter cet avis lorsqu'une proposition porte essentiellement sur les compétences des Länder.

Il convient en outre de signaler que lorsque les compétences exclusives des Länder sont en jeu, l'Allemagne est représenté au sein du Conseil de l'Union européenne par un ministre des Länder nommé par le Bundesrat.

DANEMARK

Le Parlement danois (Folketing) est doté d'une commission des affaires européennes, compétente pour examiner toutes les questions traitées dans le cadre de l'Union européenne. Cette commission est composée de 17 membres titulaires et de 11 membres suppléants.

Elle détient le pouvoir de donner au Gouvernement danois des mandats de négociation impératifs en vue des négociations au sein du Conseil . Le Gouvernement transmet toutes les propositions formulées dans le cadre de l'Union européenne, y compris celles relevant des deuxième et troisième piliers de l'Union. En ce qui concerne le deuxième pilier (Politique étrangère et de sécurité commune), le Gouvernement n'a pas besoin d'un mandat de négociation de la commission, mais doit la tenir informée. Les propositions sont en général accompagnées de notes factuelles sommaires, présentant en particulier le contenu du texte et ses conséquences sur les normes du Danemark.

Avant les réunions du Conseil de l'Union européenne, le Gouvernement soumet à la commission des affaires européennes un mandat de négociation et lui présente la position qu'il entend défendre. Après débat, le ministre concerné reçoit un mandat sur la base duquel il peut négocier et participer à toute décision prise par le Conseil. Si, lors des négociations au sein du Conseil, un compromis s'impose, obligeant le Gouvernement à s'éloigner de façon significative de sa position d'origine, la commission doit se réunir avec le Gouvernement avant que ce dernier ne donne son accord définitif.

Par ailleurs, afin de permettre à la commission des affaires européennes de vérifier que le Gouvernement a tenu compte du mandat qui lui était donné, le ministre compétent doit répondre oralement ou par écrit à toutes les questions qui lui sont posées à ce sujet . ROYAUME-UNI

• La Chambre des Communes comporte une commission spéciale sur la législation européenne (Select commitee on european legislation), composée de 16 membres. Celle-ci reçoit l'ensemble des propositions communautaires ainsi que de nombreux documents publiés par les institutions de l'Union européenne. Elle reçoit également la plupart des documents relevant des deuxième et troisième piliers de l'Union. Ces documents sont accompagnés de notes explicatives préparées par le Gouvernement.

La commission examine ces documents dans des rapports périodiques. Les moins importants sont simplement mentionnés, les autres font l'objet d'un examen plus détaillé. Si un document soulève des questions importantes, la commission peut recommander la tenue d'un débat, qui se déroule soit au sein d'une des deux commissions européennes permanentes (l'une est compétente dans les domaines de l'agriculture, de l'environnement et des transports, l'autre dans tous les autres domaines), soit en séance plénière. Dans les deux cas, le Gouvernement dépose une motion sur le document, qui donne lieu à un vote en séance.

Depuis 1980, en vertu d'une pratique désormais codifiée dans une résolution de 1990, le Gouvernement britannique est tenu de s'opposer à l'adoption d'un texte communautaire tant que la chambre des communes n'a pas achevé de l'examiner . Certaines " raisons spéciales ", telles que l'urgence, permettent cependant de déroger à cette règle.

• La chambre des Lords est dotée d'une commission sur les Communautés européennes composée de vingt membres. Elle sélectionne parmi les documents transmis par le Gouvernement ceux qui nécessitent un examen plus approfondi. Ces documents sont alors envoyés à l'une des cinq sous-commissions permanentes spécialisées (agriculture, pêche et protection des consommateurs : environnement, santé publique et éducation etc...).

La sous-commission compétente décide si une proposition doit faire l'objet d'une enquête approfondie et donc d'un rapport à la Chambre. Certains rapports donnent lieu à un débat en séance tandis que d'autres ne sont diffusés qu'à titre d'information. Le Gouvernement présente une réponse écrite dans les deux mois suivants la publication du rapport ou avant le débat si celui-ci a lieu avant l'expiration de ce délai.

La chambre des Lords bénéficie elle aussi du mécanisme de la réserve d'examen parlementaire.


1 Dans son article 12, le traité d'Amsterdam prévoit la mise en oeuvre d'une nouvelle numérotation des articles du traité sur l'Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne.

La nouvelle numérotation étant appelée à entrer en vigueur en même temps que le traité, votre rapporteur a choisi d'utiliser l'ancienne numérotation dans le présent rapport, qui est celle qu'a utilisée le Conseil constitutionnel dans sa décision sur le traité d'Amsterdam.

2 Rapport n° 508 de M. Xavier de Villepin, " Faut-il ratifier le traité d'Amsterdam ? ", 1997-1998.

3 Rapport n° 14 de M. Christian de la Malène, " Le traité d'Amsterdam ", 1997-1998.

4 Au sein de l'Union européenne, les dispositions du traité instituant la Communauté européenne constituent le premier pilier, les dispositions concernant une politique étrangère et de sécurité commune le deuxième pilier, les dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale le troisième pilier.

5 La possibilité pour soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel sur ce fondement résulte de la révision constitutionnelle de 1992 préalable à la ratification du traité de Maastricht.

6 L'article 88-2 de la Constitution, introduit en 1992, prévoit que la France consent, sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'Union économique et monétaire européenne ainsi qu'à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres de la Communauté.

7 Dans le système actuel, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie disposent de 10 voix, l'Espagne de 8 voix, les Pays-Bas, la Grèce, la Belgique et le Portugal de 5 voix, la Suède et l'Autriche de 4 voix, le Danemark, la Finlande et l'Irlande de 3 voix, le Luxembourg de 2 voix.La majorité qualifiée est atteinte lorsque 62 voix sur 87 sont réunies.

8 Faut-il modifier l'article 88-4 de la Constitution, rapport n° 281, 1997-1998.

9 Le Sénat face au traité d'Amsterdam, rapport n° 432, 1997-1998.



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