B. UNE COMPÉTENCE DONNÉE AU LÉGISLATEUR

Le projet de loi constitutionnelle aurait pour objet de permettre au législateur de prendre des mesures de discrimination positive dans le domaine électoral.

Il ne comporte, en lui-même, aucune disposition de cette nature.

Le législateur aurait la possibilité, s'il l'estimait opportun, d'adopter de telles dispositions.

Encore convient-il de mesurer la portée de la compétence qui lui serait donnée.

1. Favoriser l'égal accès ou déterminer les conditions de son organisation ?

Dans la Constitution, plus que dans tout autre texte, les termes choisis revêtent une certaine importance.

Selon le projet de loi constitutionnelle initial, la loi " favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ".

Le texte adopté par l'Assemblée nationale, à la suite du vote d'un amendement de sa commission des Lois approuvé par le Gouvernement, prévoit que " la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé " cet égal accès.

Le texte initial pouvait ne pas traduire de manière suffisamment claire l'intention des auteurs du projet, telle qu'elle était affirmée dans l'exposé des motifs : " La participation des femmes à la vie publique et à ses institutions étant très insuffisante, il importe de promouvoir par des mesures appropriées l'objectif de parité entre les femmes et les hommes ".

D'une part, le terme " favoriser " peut être interprété comme " traiter de façon à avantager ", alors qu'il s'agirait de mettre en oeuvre le principe d'égalité.

D'autre part, ce terme pourrait apparaître insuffisant au regard des objectifs affichés. Une mesure destinée à atteindre "l'objectif de parité " ne dépasserait-elle pas l'autorisation de prendre des dispositions favorisant seulement l'égal accès ?

En sens inverse, tout texte législatif qui n'établirait pas la parité serait-il regardé comme favorisant suffisamment l'égal accès ?

L'instauration de quotas serait-elle considérée comme un moyen de favoriser l'égal accès, ou, en sens inverse, estimée comme insuffisante au regard du principe constitutionnel proposé d'égal accès ?

La rédaction initiale du projet laisserait une trop grande marge d'appréciation au Conseil constitutionnel saisi le cas échéant d'une loi subséquente qui pourrait estimer, soit que le texte constitutionnel n'autorise pas la parité (puisqu'il s'agirait seulement de favoriser), soit, en sens inverse, que la disposition soumise à son examen ne favorise pas suffisamment l'égal accès.

Au cours de son examen du projet, la commission des Lois de l'Assemblée nationale a envisagé de proposer que la loi " assure " ou " garantisse " l'égal accès.

Cette hypothèse a été écartée, les députés craignant alors que le Constituant n'impose au législateur une obligation formelle d'agir, ce qui pourrait conduire le Conseil constitutionnel à vérifier, à propos de chaque loi électorale qui lui serait soumise, si l'égal accès est bien assuré ou garanti. La marge d'appréciation du législateur se trouverait, là encore, réduite.

La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale serait destinée à faire clairement apparaître qu'il appartient au Parlement et à lui seul de mettre en oeuvre l'objectif constitutionnel proposé de l'égal accès des femmes et des hommes.

Il appartiendrait en effet au législateur de déterminer lui-même les conditions dans lesquelles serait organisé l'égal accès aux mandats et fonctions et non pas au Conseil constitutionnel.

Cette interprétation a été contestée par M. le doyen Georges Vedel dans un article 24( * ) , dont il a confirmé la teneur à votre commission des Lois, dans lequel il considère qu'en laissant au législateur le soin de déterminer les modalités de l'égal accès, le Constituant prendrait le risque de transférer au Conseil constitutionnel l'appréciation de ces modalités.

Selon M. le doyen Georges Vedel, il appartiendrait donc au Constituant de déterminer lui-même les principes permettant d'établir cet égal accès, sauf à vouloir en appeler au " gouvernement des juges ". En l'occurrence, si la parité est l'objectif, le terme devrait figurer dans le texte proposé par l'article 3 de la Constitution.

Interrogée, lors des débats à l'Assemblée nationale sur la question de savoir si le texte donnerait au législateur une obligation de moyens ou une obligation de résultats, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, a indiqué que le texte entraînerait " un engagement de faire (et non seulement) un engagement de moyens ". Elle a ajouté que ce ne serait pas " un engagement de résultats au sens mathématique ".

Cette interprétation n'est cependant pas inscrite dans le texte proposé. Elle pourrait s'analyser comme un engagement du Gouvernement actuel de proposer au Parlement des textes de mise en oeuvre du principe qui serait établi.

L'inaction totale du législateur ne pourrait pas être sanctionnée mais une loi électorale n'organisant pas l'égal accès pourrait-elle être déclarée non conforme à la Constitution ?

Selon Mme Elisabeth Guigou, la révision constitutionnelle pourrait permettre soit une législation contraignante, soit des mesures incitatives, ce qui signifierait que les dispositions législatives éventuelles pourraient ne pas produire le résultat escompté. Il n'y aurait donc pas, en définitive, d'obligation de résultat.

Les personnalités entendues par la commission et interrogées spécifiquement par votre rapporteur sur ce point se sont montrées très partagées sur les nuances apportées par les deux rédactions.

2. Le choix des moyens serait laissé au législateur

Le projet de loi n'instaure pas la parité, ce terme ne figurant pas dans le texte proposé, mais seulement dans son exposé des motifs.

Le projet laisserait donc au législateur le choix des moyens.

a) La parité ne serait pas inscrite dans le texte de la Constitution

L'Assemblée nationale a rejeté un amendement présenté par Mme Roselyne Bachelot-Narquin, tendant à préciser que l'égal accès aux mandats et fonctions est assuré par la parité et que la loi en fixe les modalités.

Plus fondamentalement, dans l'hypothèse où une modification de l'article 3 de la Constitution serait retenue, il paraîtrait préférable de s'en tenir au principe de l'égalité républicaine, le texte proposé tendant à faciliter sa mise en oeuvre et non à imposer au législateur un moyen déterminé à cet effet.

On rappellera cependant qu'une disposition de la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux, annulée par le Conseil constitutionnel, prévoyait que chaque liste devait assurer la parité entre candidats féminins et masculins, en dépit du nombre impair de conseillers dans toutes les régions.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, avait estimé, devant l'Assemblée nationale, que cette disposition devrait être interprétée comme permettant un écart d'une unité entre le nombre de candidats de chaque sexe.

On ne peut mieux illustrer que la parité au sens strict peut se heurter à de réelles difficultés, même pour les scrutins de liste.

b) Les conditions dans lesquelles serait organisé l'égal accès

Le Constituant laisserait donc au législateur le soin de définir les conditions dans lesquelles serait organisé l'égal accès aux mandats et fonctions.

Le Gouvernement a exclu l'hypothèse de l'instauration de quotas , lui préférant un " objectif de parité " , Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, précisant toutefois, devant votre commission des Lois, que le texte soumis au Sénat autorisait l'instauration de quotas.

Or, par définition, les quotas ne garantissent pas un égal accès, sauf s'ils sont établis autour de 50 % . Les quotas seraient-ils considérés par le Conseil constitutionnel comme un moyen de parvenir à l'égal accès ?

Interrogée par le président de votre commission des Lois, Mme Gisèle Halimi a estimé que le texte permettrait " malheureusement " la mise en place de quotas.

Le législateur pourrait aussi, selon l'exposé des motifs du présent projet, " promouvoir par des mesures appropriées l'objectif de parité ".

S'agissant de l'égal accès aux mandats électoraux, la mise en oeuvre de cet objectif dans les scrutins de liste ne soulèverait pas de difficultés techniques majeures, dès lors que la parité serait conçue comme un objectif et non comme un résultat mathématique. La loi pourrait alors peut-être prévoir un taux de présence de candidats d'un même sexe proche de la moitié (par exemple, entre 45 % et 55 %).

Il en irait différemment pour les scrutins uninominaux (élections législatives et cantonales). Votre rapporteur a exposé que ce mode de scrutin se prêterait difficilement à une législation paritaire et que le Gouvernement s'était engagé à ne pas proposer la généralisation des scrutins de liste pour mettre en oeuvre l'égal accès aux mandats et fonctions.

Devant votre commission des Lois, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, a indiqué que, pour les scrutins uninominaux, le Gouvernement préconiserait une incitation à la réalisation de la parité par la modulation du financement public des partis politiques, privilégiant une formule pénalisant les partis politiques ne répondant pas à l'objectif de parité. Elle n'a, cependant, pas exclu l'hypothèse selon laquelle une proposition de loi tendant à assurer la parité aux scrutins uninominaux serait examinée à l'initiative du Parlement lors d'une journée d'initiative parlementaire.

L'objectif de parité pourrait donc être mis en oeuvre par des dispositions contraignantes pour les scrutins de liste et par des dispositions incitatives pour les scrutins uninominaux.

Votre rapporteur a précédemment exposé les différentes orientations que le législateur pourrait prendre pour inciter à l'égal accès, le cas échéant et le moment venu, par une modulation du financement public des partis politiques.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de l'égal accès aux fonctions électives -qu'il conviendrait de définir précisément-, elle ne semble pas, en particulier lorsque les élections sont organisées par scrutins successifs, pouvoir être réalisée par des mesures de caractère contraignant, mais plutôt par des dispositions incitatives (par exemple, aménagement du statut de l'élu).

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