Projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes

CABANEL (Guy)

RAPPORT 156 (98-99) - commission des lois

Table des matières




N° 156

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 janvier 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes ,

Par M. Guy CABANEL,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.


Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ. ) : 985 , 1240 et T.A. 224 .

Sénat : 130 (1998-1999).

Femmes.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Après avoir entendu, le 16 décembre 1998, Mme Gisèle Halimi , présidente de la commission " vie politique " de l'Observatoire de la parité et M. le doyen Georges Vedel , puis le 19 janvier 1999, Mme Françoise Hostalier , ancien secrétaire d'Etat chargé de l'enseignement scolaire, Mme Elisabeth Guigou , garde des sceaux, ministre de la Justice, Mme Nicole Péry , secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Emploi et de la Solidarité, chargée des Droits des femmes et de la formation professionnelle, Mme Elisabeth Badinter , professeur de philosophie à l'Ecole polytechnique, M. Olivier Duhamel , professeur de droit, Mme Evelyne Pisier , professeur de Sciences politiques à l'Université de Paris I, et M. Guy Carcassone , professeur de Droit public, la commission des Lois du Sénat, réunie le mercredi 20 janvier 1999 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, a examiné, sur le rapport de M. Guy Cabanel , le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Faisant la synthèse de ces auditions , M. Guy Cabanel, rapporteur , a constaté que tant la rédaction du projet initial, que celle de l'Assemblée nationale, permettraient d'adopter des mesures contraignantes et des mesures incitatives. Au titre des premières, les lois électorales pourraient comporter l'instauration de discriminations positives en faveur des femmes.

La commission des Lois a considéré cette perspective comme difficilement acceptable car elle aurait pour conséquence, par le biais de quotas ou de la parité, de faire apparaître les candidates comme présentées en fonction de leur sexe et de conditionner la liberté de vote des citoyens. Le texte en discussion conduirait donc à mettre en cause les principes fondamentaux de la démocratie. De plus, il y aurait un risque de communautarisation.

En conséquence, la commission des Lois a souhaité dégager les moyens propres à remédier à l'insuffisante représentation des femmes tout en constatant une évolution positive, notamment pour les mandats locaux, et l'absence de mesures contraignantes prises en la matière dans les grandes démocraties comparables à la France.

Après un large débat, la responsabilité des partis politiques lui étant apparue déterminante en la matière, la commission des Lois propose de modifier l'article 4 de la Constitution qui leur est consacré :

- les partis politiques se verraient confier dans la Constitution la responsabilité de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ;

- les règles relatives au financement public des partis politiques pourraient, si le législateur en décidait ainsi, contribuer à la mise en oeuvre du principe de l'égal accès des femmes et des hommes à ces mandats et fonctions.

Mesdames, Messieurs,

L'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, partant du constat d'une présence très insuffisante des femmes au sein des institutions publiques, conclut qu'il convient " de compléter l'article 3 de la Constitution, qui affirme le caractère indivisible et universel de la souveraineté nationale, afin d'assurer la conciliation de ces principes avec l'objectif d'un égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions " .

Ce constat de départ, incontestable sur le plan de l'arithmétique et de la biologie, mérite d'être analysé pour mettre en lumière l'évolution récente, positive et sensible, de la participation des femmes aux assemblées parlementaires et locales.

Cette évolution a été enregistrée à droit constitutionnel et électoral constant, faisant apparaître que la mise en oeuvre effective de l'égalité d'accès au mandat, déjà consacrée sur le plan des principes par la norme constitutionnelle, ne dépend peut-être pas d'une modification de ces règles de droit.

A l'issue de l'audition des ministres et de plusieurs personnalités 1( * ) , votre commission des Lois a souhaité mesurer attentivement les incidences importantes sur les principes essentiels de notre démocratie, telle qu'elle a été construite au fil de son histoire, que pourrait comporter le projet de loi constitutionnelle.

Elle a notamment cherché à concilier, d'une part, le respect du principe du mandat représentatif qui fait de la personne élue, quelle qu'elle soit, le représentant de tous, indépendamment de ses caractéristiques personnelles que la Constitution interdit de discriminer, et, d'autre part, le souhait de voir à terme les femmes siéger dans les assemblées à proportion de leur importance numérique dans l'humanité.

Cette démarche a conduit votre commission des Lois à s'interroger notamment sur les mesures législatives que permettraient de prendre la révision constitutionnelle et à évaluer leurs conséquences au regard des principes fondamentaux de notre démocratie.

I. LA RECHERCHE D'UNE RÉPONSE À UN CONSTAT DÉPLORÉ

A. UN CONSENSUS SUR LE CONSTAT ET SUR LA NÉCESSITÉ DE TROUVER UN REMÈDE

1. La participation des femmes à la vie publique en France et à l'étranger

Malgré les termes de l'ordonnance du 21 avril 1944, selon lesquels " les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes " et en dépit d'une évolution enregistrée lors des dernières consultations électorales, force est de constater que le taux de présence des femmes dans les assemblées parlementaires et locales, inférieur, comme dans tous les pays du monde, à leur importance numérique dans le corps électoral, l'est davantage en France que dans la plupart des pays démocratiques.

Le pourcentage d'élues à l'Assemblée nationale n'a pas connu d'évolution sensible au cours des trente années suivant la Libération (5,6 % pour la première Assemblée constituante en 1945 ; 6 % en 1993).

Ce chiffre a progressé de 80 % lors des élections législatives de juin 1997 (10,9 %, soit 63 députés sur 577), le nombre de candidatures féminines étant passé de 19,4 % à 23 % d'une élection à l'autre.

L'évolution entre 1993 et 1997 s'est effectuée sans adoption de mesures contraignantes ou incitatives et sans modification du mode de scrutin.

On notera à cet égard que, lors des élections législatives de 1986, au scrutin proportionnel, 24,7 % des candidats et 5,9 % des élus étaient des femmes.

Il apparaît donc qu'en 1997, les partis politiques ont adopté une attitude plus volontariste que dans le passé, en présentant plus souvent les femmes dans des circonscriptions susceptibles d'être remportées.

L'effectif des femmes au sein du Sénat (19 membres sur 321, soit 5,9 % du total) devrait connaître une progression comparable à celle enregistrée ces dernières années dans les collectivités territoriales qui forment l'essentiel de son corps électoral, un décalage dans le temps étant inhérent à son mode d'élection.

Au total, le Parlement compte donc 82 femmes parmi ses 893 membres (9,18 %).

Près de 30 % des Français élus au Parlement européen en 1994 sont des femmes (20 % en 1984).

Une évolution comparable a été perceptible lors des dernières élections locales en l'absence de toute modification des modes de scrutin.

Le pourcentage des femmes membres de conseils municipaux a évolué de 14 % en 1983 à 17,7 % en 1989, pour atteindre 21,7 % en 1995 (110.986 élues).

A la suite des élections municipales de 1995, 2.904 femmes ont accédé aux fonctions de maire (7,6 % au lieu de 5,4 % en 1989), dont 11 femmes dans les 226 communes de plus de 30.000 habitants.

Les femmes constituent, depuis 1998, le quart de l'effectif des conseils régionaux (24,16 % exactement), au lieu de 10,5 % en 1992, les candidatures féminines étant passées de 27 % à 36,9 % d'un scrutin à l'autre.

Pour les conseils généraux , l'évolution est moins forte, la proportion des candidates étant passée de 13 % à 15 % et, celle des élues, de 5,9 % à 7,4 %.

Une seule femme est président d'un conseil général et deux exercent les fonctions de président de conseil régional.

Le tiers des membres du Gouvernement (9 sur 28) sont des femmes.

Toute comparaison avec les autres pays doit être effectuée avec prudence et en tenant compte de traditions, de régimes institutionnels et de modes de scrutin différents.

Selon les statistiques de l'Union interparlementaire, mises à jour à la date du 5 décembre 1998, l'effectif féminin des Parlements dans le monde (assemblée unique ou deux assemblées) se situe à 13 % (9,18 % en France).

Ce pourcentage est de 13,3 % dans les chambres uniques ou dans les chambres basses (10,9 % pour l'Assemblée nationale en France) et de 10,9 % dans les chambres hautes (5,9 % pour le Sénat français).

Par régions du monde, c'est en Europe du Nord que les femmes figurent en plus grande proportion au Parlement (37,6 %). Sur l'ensemble du continent européen, les femmes parlementaires constituent 14,4 % de l'effectif total (12,6 % sans les pays nordiques).

Le taux de présence des femmes au Parlement s'établit à 15,7 % dans le continent américain, soit 23,2 % au Canada et 12,1 % aux Etats-Unis (9 % au Sénat).

La Suède est l'Etat dans lequel on dénombre le plus fort pourcentage de femmes dans une chambre basse (42,7 %). L'Allemagne en compte 30,9 %, l'Espagne 24,7 % et le Royaume-Uni 18,2 %.

La mission commune d'information du Sénat chargée d'étudier la place et le rôle des femmes dans la vie publique, présidée par Mme Nelly Ollin et dont le rapporteur était M. Philippe Richert 2( * ) , relevait que le taux significatif de femmes dans les assemblées politiques en Suède n'empêchait pas les femmes de ce pays de n'occuper que 10% des postes d'encadrement dans les entreprises privées et 30% dans l'Administration. Ces taux s'établissent, en France, respectivement à 22% et 40%.

L'Italie se situe à un niveau proche de celui de la France (11,1 %) qui, parmi les Etats membres de l'Union européenne, ne précède que la Grèce (6,3 %).

Le constat ne suffit pas pour déterminer la manière d'assurer une meilleure présence des femmes dans la vie publique.

Encore faut-il connaître les méthodes utilisées dans les autres pays pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions.

2. Seuls cinq pays dans le monde, dont un seul en Europe, ont fixé des quotas de femmes pour les candidatures aux élections

Contrairement à une idée reçue, rares sont les pays qui ont adopté des quotas -voire la parité- pour la participation des femmes aux assemblées élues.

Aux Etats-Unis , la législation établissant des " discriminations positives " n'a jamais concerné la représentation politique des femmes ou de minorités.

En Europe du Nord, le pourcentage des femmes au sein des assemblées politiques (37,6 %) provient essentiellement du fait que les partis politiques ont fixé des règles internes de quota. Aucune mesure contraignante n'a jamais été prise dans ces pays.

En Norvège , si une loi du 9 juin 1978 a institué des quotas de représentation des femmes au sein des commissions administratives locales, son article 21 exclut expressément de cette obligation les assemblées élues des départements et des communes.

L` Italie a bien adopté, le 25 mars 1993, une loi selon laquelle, dans certaines communes, " sur les listes de candidats, aucun des deux sexes ne peut être, en principe, représenté dans une proportion supérieure à deux tiers " mais cette disposition a été invalidée par la Cour constitutionnelle (sentence n° 422 du 12 septembre 1995).

En Europe, seule la Belgique dispose d'une législation contraignante , à savoir la loi du 24 mai 1994 visant à promouvoir une répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes de candidature aux élections.

Ce texte interdit, pour toutes les élections, que le nombre de candidats d'un même sexe figurant sur une liste excède " une quotité de deux tiers du total constitué par la somme des sièges à pourvoir pour l'élection et du nombre maximum autorisé de candidats suppléants ".

Les résultats décevants de la première application de ce texte, lors des élections locales du 9 octobre 1994 (20 % d'élues, soit un taux inférieur à celui de 21,7 % enregistré en France en 1995, sans législation contraignante, pour l'élection des conseillers municipaux) tiennent à l'absence de prescription sur la place des candidats sur une liste et au calcul du quota par rapport au nombre des candidats titulaires et suppléants .

En dehors de la Belgique, aucun pays européen n'a donc établi de quotas obligatoires pour les candidatures aux élections.

En Suisse, pays dans lequel le suffrage féminin a été introduit en 1971, une " initiative populaire " ayant recueilli 109.713 signatures, déposée le 21 mars 1995, préconise l'inscription dans la Constitution fédérale de la parité entre les femmes et les hommes. Elle est en instance d'examen .

Selon cette proposition, la différence entre le nombre de femmes et le nombre d'hommes élus au Conseil national dans un canton ne pourrait être supérieure à un. Chaque " canton entier " élirait une femme et un homme au Conseil des Etats.

Le Conseil fédéral suisse, défavorable au projet , relève en particulier qu'" un candidat pourrait ne pas être élu alors qu'il a obtenu davantage de voix qu'un candidat élu, pour le seul motif qu'il n'est pas du même sexe ".

Le Conseil fédéral indique aussi que " les cantons ne pourraient plus désigner deux hommes ou, comme dans les cantons de Zurich et de Genève, deux femmes au Conseil des Etats ".

Il estime que " si les femmes restent nettement sous-représentées dans les autorités, leur nombre est en constante augmentation " et considère que " les mesures prévues par l'initiative ne représentent pas le bon moyen d'atteindre une représentation équitable des femmes en politique ", estimant que celle-ci " incombe avant tout aux partis politiques ".

La commission des institutions politiques du Conseil national propose , dans le rapport qu'elle a établi sur cette initiative, une instauration temporaire de quotas (pour les trois prochains renouvellements généraux), portant sur les candidatures et non sur les élus.

Les femmes constitueraient au moins un tiers des candidatures sur chaque liste présentant des candidats des deux sexes. Les listes présentant exclusivement des candidatures féminines seraient admises. Celles présentant des candidatures exclusivement masculines seraient admises jusqu'à la fin de 2007, si elles étaient apparentées à des listes de même dénomination présentant uniquement des femmes et si le quota d'un tiers des femmes était atteint entre les différentes listes apparentées.

La possibilité pour l'électeur de modifier la composition des listes, par panachage , serait maintenue sans restriction .

Quoi qu'il en soit, l'initiative est en instance au Parlement suisse, avant un éventuel référendum.

La situation n'est pas sensiblement différente en dehors du continent européen.

Selon une étude de l'Union interparlementaire publiée en janvier 1997 3( * ) , seuls quatre pays non européens ont institué un quota obligatoire de candidatures de femmes au Parlement, à savoir l' Argentine (30 %), le Brésil (20 %), la Corée (20 %) et le Népal (5 %).

Par ailleurs, la Constitution des Philippines promulguée en 1987 stipule que " pour trois législatures consécutivement à l'entrée en vigueur de la Constitution, les sièges alloués aux candidats des listes de partis sont pourvus à moitié, comme prévu par la loi, par sélection ou élection de représentant(e)s des ouvriers, des paysans, des populations pauvres des agglomérations urbaines, des communautés culturelles indigènes, des femmes , de la jeunesse et d'autres secteurs spécifiés par la loi, hormis les milieux confessionnels ".

En Chine , une décision du 3 avril 1992 a prévu que " le pourcentage des femmes députées à la 8ème législature ne devrait pas être inférieur à celui de la 7ème législature ".

Au Costa Rica , un projet tendant à contraindre les partis politiques à adopter le principe de la " représentation proportionnelle des femmes dans leurs structures et aux mandats électifs ", a été écarté par le Tribunal électoral suprême.

En conclusion, les pays démocratiques où les meilleurs résultats sont atteints en matière de parité dans les faits apparaissent être ceux qui ont combiné des scrutins de liste à la proportionnelle et l'action volontariste des partis, sans aucune mesure législative contraignante.

3. Le débat sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions

Nul ne conteste aujourd'hui la nécessité d'encourager la participation des femmes à la vie publique.

La discussion porte sur les solutions à trouver et sur les conséquences que celles-ci pourraient avoir sur la conception française traditionnelle de la démocratie.

A cet égard, le débat sur l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ne peut se réduire à la question de l'égalité des sexes, d'une manière plus générale, sauf à vouloir se limiter à une vision manichéenne.

L'égalité en droit est en effet déjà établie par le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ( " la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme " ), auquel le premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 donne une valeur constitutionnelle.

Sa traduction dans la législation a été progressive, la pleine capacité civile de la femme ayant fait l'objet de modifications importantes du code civil depuis les années 1960. Le droit social est régulièrement complété afin de réaliser l'égalité des chances, sans distinction de sexe.

Le droit de vote et l'éligibilité des femmes, dans des conditions identiques à celles fixées pour les hommes, auraient pu être déduits de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (égale admissibilité aux emplois publics sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents). Ce droit, établi à l'initiative du Général de Gaulle par l'ordonnance du 21 avril 1944, a été ensuite inscrit à l'article 4 de la Constitution de 1946, puis à l'article 3 de la Constitution de 1958 (sont électeurs les nationaux français majeurs des deux sexes).

Le débat d'aujourd'hui est bien différent et nul, qu'il soit favorable ou défavorable à la présente réforme constitutionnelle, ne songe à les comparer.

L'égal accès à l'éligibilité étant établi en droit, il reste à déterminer comment sa mise en oeuvre peut se traduire par un nombre d'élues en rapport avec le nombre des citoyennes sans remettre en cause les principes constitutionnels de la souveraineté nationale, de l'égalité et de la liberté de l'électeur.

Tel est l'enjeu du projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis.

Selon les uns, dès lors que l'éligibilité est établie en droit de la même façon pour tous, le citoyen, donc le candidat, donc l'élu, ne peut être distingué selon des caractéristiques particulières, qu'elles tiennent à la race, la religion, la culture ou le sexe.

Toute différenciation briserait l'unité du corps électoral, pourrait susciter des revendications de la part de telle ou telle catégorie de la société et conduire au communautarisme.

L'institution de quotas, ou de la parité, jetterait en outre un doute sur la compétence de ses bénéficiaires.

Selon les autres, le sexe constituerait le seul élément indissociable de la notion même de personne, que l'on ne pourrait pas assimiler à un groupe social déterminé. L'instauration de la parité entre les femmes et les hommes ne serait donc pas de nature à justifier des revendications paritaires de la part de certaines catégories.

La parité n'apporterait pas une protection privilégiée mais serait la mise en oeuvre de principes constitutionnels qui, à défaut, resteraient abstraits, la Déclaration de 1789 n'ayant pas été suivie immédiatement de l'abolition de l'esclavage ou de la reconnaissance du droit de vote des femmes, par exemple.

Seul un examen attentif de ces arguments, auquel votre commission a procédé, permet d'apporter une réponse à la question posée par le projet de loi constitutionnelle.

On remarquera que la revendication de quotas et celle tendant à la parité sont relativement récentes.

Jusqu'à la fin des années 1980, les mouvements féministes se sont assez peu intéressés à la question de la représentation politique, leurs revendications étant centrées sur l'égalité des droits civils et sur l'égalité des chances en matière sociale.

Après que Mme Françoise Giroud, secrétaire d'Etat à la condition féminine, eut proposé, en 1977, de fixer un quota de 15 % de candidatures féminines aux élections municipales, le Gouvernement de l'époque a déposé un projet de loi établissant ce quota à 20 %. Adopté par l'Assemblée nationale, le texte n'a pas été soumis au Sénat.

L'idée est reprise en 1982, l'Assemblée nationale et le Sénat votant à la quasi-unanimité un amendement au projet de loi sur le mode d'élection des conseillers municipaux, limitant à 75 % la proportion des candidats d'un même sexe pouvant figurer sur une liste.

Cette disposition ayant été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, l'introduction éventuelle de quotas est apparue subordonnée à une révision constitutionnelle préalable.

A partir de 1992, des associations se crééent et publient des manifestes en faveur de la parité entre les femmes et les hommes.

On remarquera que cette revendication n'a pas été soutenue par d'autres qui avaient participé auparavant à des combats communs avec les premières. 4( * )

La question de la participation des femmes à la vie politique est évoquée au cours de la campagne électorale présidentielle de 1995, M. Jacques Chirac proposant des mesures incitatives à l'égard des partis, déterminées en fonction de la proportion de femmes qu'ils présenteraient aux élections et M. Lionel Jospin souhaitant un " débat national pour faire la parité au cours des cinq prochaines années " .

Le 6 juin  1996, " L'Express " publie un " manifeste des dix pour la parité " , signé par des femmes responsables politiques de droite et de gauche, demandant une politique volontariste des partis et du Gouvernement, l'adoption de mesures incitatives et s'il le faut une modification de la Constitution.

Un rapport de l'Observatoire de la parité, créé par décret du 18 octobre 1995, se prononce en janvier 1997 pour l'inscription de la parité dans la Constitution 5( * ) .

Un débat est organisé à l'Assemblée nationale sur le sujet, le 11 mars 1997, à l'occasion duquel M. Alain Juppé, à l'époque Premier ministre, s'est déclaré partisan de réviser la Constitution pour permettre à la loi d'instaurer, à titre temporaire, des incitations aux candidatures féminines dans les élections au scrutin de liste.

Peu à peu, les formations politiques portent une plus grande attention à la place des femmes parmi leurs candidats et adoptent parfois des règles internes contraignantes, ce qui s'est traduit par une progression, ces dernières années, du nombre des candidates et des élues, comme votre rapporteur l'a exposé précédemment.

Après le dépôt du présent projet de loi constitutionnelle, l'Assemblée nationale a adopté, lors de la discussion du projet de loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux, un amendement imposant à chaque liste d'assurer la parité entre candidats féminins et masculins

Ce texte, maintenu par l'Assemblée nationale en lecture définitive malgré l'exception d'inconstitutionnalité soulevée par le Sénat, a été déclaré non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 99-407 DC du 14 janvier 1999), qui a ainsi confirmé la jurisprudence qu'il avait établie en 1982.

4. Les engagements internationaux de la France

La recherche des moyens pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives doit aussi intégrer la portée exacte des engagements internationaux de la France.

a) Les traités internationaux

Les conventions multilatérales prohibant toute discrimination fondée sur le sexe concernent principalement les droits sociaux, économiques et culturels.

Outre l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, on citera en particulier le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels conclu dans le cadre de l'ONU le 19 décembre 1966 (article 2-2), la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (article 14) et la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 (partie I, point 20), conventions conclues dans le cadre du Conseil de l'Europe, ou encore de diverses conventions négociées au sein de l'Organisation internationale du travail (OIT).

En ce qui concerne strictement l'égalité des droits politiques , il convient de se référer à la Convention du 18 novembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, dont l'ONU est dépositaire, entrée en vigueur pour la France le 25 avril 1984 après l'autorisation de ratification donnée par la loi n° 83-561 du 1er juillet 1983.

Selon l'article 7 de cette Convention, " les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans la vie politique et publique du pays et, en particulier, leur assurent, dans des conditions d'égalité avec les hommes, le droit :

" a) de voter à toutes les élections et dans tous les référendums publics et être éligibles à tous les organismes publiquement élus ".


Les parties doivent donc, le cas échéant, éliminer la discrimination des femmes dans le domaine de l'électorat et de l'éligibilité.

L'article 1er de ce texte définit, aux fins de la Convention, l'expression " discrimination à l'égard des femmes " comme visant " toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l'égalité de l'homme et de la femme, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique , économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ".

Le droit français ne comporte à cet égard aucune " distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe " ayant pour effet de compromettre le droit égal des femmes en matière politique.

Par les dispositions plus générales de l'article 2 de la Convention, les Etats parties s'engagent à :

" a) inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l'égalité des hommes et des femmes ".

La France a posé ce principe avec l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ( " Tous les citoyens (...) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ") et avec le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (" La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ").

Ce principe a été précisé, s'agissant de la souveraineté nationale, par l'article 3 de la Constitution actuelle ( " sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques " ).

L'article 2 de la Convention fait également obligation aux Etats d'" assurer par voie de législation ou par d'autres moyens appropriés l'application effective dudit principe " , ce qui ne comporte donc pas l'obligation formelle de choisir à cet effet une solution déterminée, mais laisse les Etats libres des moyens pour parvenir au but fixé et laisse entière, au demeurant, la notion d'application effective du principe dès lors que l'éligibilité est acquise et que la liberté des partis et de l'électeur sont respectés.

Notre ancien collègue, M. Gérard Gaud, relevait dans son rapport sur le projet de loi de ratification que cette Convention ne posait " aucun problème d'application interne dans notre pays " , signifiant par là même que la ratification de la Convention du 18 novembre 1979 n'impliquait pas, pour la France, l' obligation de prendre des dispositions nouvelles pour se conformer à celle-ci.

Au demeurant, cinq pays à travers le monde, dont un seul en Europe ont choisi la voie des quotas.

La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes n'impose donc aucunement à la France d'adopter un régime de quotas, mais lui laisse le droit de choisir ce moyen, si toutefois sa Constitution l'y autorise.

b) Le droit communautaire

Les textes communautaires sur l'égalité entre les femmes et les hommes s'appliquent essentiellement au droit social .

L'article 2 §1 de la directive 76/207 du 9 février 1976 prévoit que le principe de l'égalité de traitement implique " l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe ".

Son article 2 §4 prévoit cependant une exception à ce principe d'égalité pour les mesures " visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes ".

Dans un arrêt Kalanke (17 octobre 1995), la Cour de justice des communautés européennes avait conclu à l'incompatibilité des quotas avec le principe de l'égalité de traitement.

Modulant ensuite sa jurisprudence, la Cour de justice devait admettre qu'une priorité pouvait être accordée aux femmes, dès lors qu'elle ne revêtait pas un caractère inconditionnel (arrêt Marschall du 11 novembre 1997).

Le traité d'Amsterdam (article 2, point 7, insérant un article 6A au traité instituant la Communauté européenne) prévoit que " dans les limites des compétences que (celui-ci) confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe (...) " .

Les mesures de discrimination positive que prendrait l'Union européenne, s'il était retenu une interprétation autorisant celles-ci, ne pourraient pas cependant concerner l' éligibilité aux mandats électoraux et fonctions électives, domaine qui relève de la compétence des Etats .

Le Traité d'Amsterdam prévoit aussi que " pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle , le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle "

On remarquera que, dans sa décision n° 97-394 du 31 décembre 1997 sur la conformité à la Constitution du Traité d'Amsterdam, le Conseil constitutionnel n'a formulé aucune objection à cette disposition qui permet (sans les y contraindre) aux Etats de prendre des mesures de discrimination positive dans le domaine professionnel dans lequel les Etats-Unis ont tenté des expériences dont les résultats sont contestés et qu'ils n'ont jamais étendues au domaine électoral.

La jurisprudence établie par le Conseil constitutionnel le 18 novembre 1982 et confirmée le 14 janvier 1999 se limite en effet aux quotas dans le domaine politique .

5. Un projet de loi constitutionnelle, préalable nécessaire à toute mesure législative comportant une distinction entre candidats en raison de leur sexe

On sait que, dans sa décision n° 82-146 du 18 novembre 1982, le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution une disposition législative comportant une distinction entre candidats en raison de leur sexe.

En effet, lors de l'examen de la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 concernant le mode d'élection des conseillers municipaux, le Parlement, à la quasi-unanimité des deux chambres, avait adopté une disposition selon laquelle, dans les communes de plus de 3.500 habitants, les listes de candidats ne peuvent compter plus de 75 % de personnes de même sexe.

Le Conseil constitutionnel a considéré que " la règle qui, pour l'établissement des listes soumises aux électeurs, comporte une distinction entre candidats en raison de leur sexe (était) contraire aux principes constitutionnels " .

Le Conseil constitutionnel a dégagé ces principes à partir du rapprochement de l'article 3 de la Constitution et de la dernière phrase de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Selon l'article 3 de la Constitution :

" La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.

" Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.

" Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.

" Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. "


La dernière phrase de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est ainsi rédigée :

" Tous les citoyens étant égaux (aux yeux de la loi) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. "

Le Conseil Constitutionnel en a conclu que " la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ; que ces principes de valeur constitutionnelle s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ; qu'il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour l'élection des conseillers municipaux " .

Le Conseil constitutionnel vient de confirmer cette jurisprudence à propos de la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux, qui contenait une disposition selon laquelle " chaque liste assure la parité entre candidats féminins et masculins " .

Dans sa décision n° 99-407 DC du 14 janvier 1999, il a, en effet, considéré que, " en l'état, et pour les motifs énoncés dans la décision susvisée du 18 novembre 1982, la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont exclus ni pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ni pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu, sans que puisse être opérée aucune distinction entre électeurs ou éligibles en raison de leur sexe " .

Il apparaît donc, sans ambiguïté, qu'une loi imposant des quotas ou des candidatures paritaires contredirait le principe d'universalité du suffrage et ne pourrait être adoptée avant une révision préalable de la Constitution.

B. DES PROPOSITIONS DIVERGENTES

La volonté commune d'apporter une réponse à l'insuffisance de la présence des femmes dans la vie publique ne se traduit pas par l'unanimité sur la méthode à suivre.

Faut-il prendre des dispositions juridiques -contraignantes et/ou incitatives- ou convient-il plutôt de laisser les différents acteurs concernés prendre leurs responsabilités ?

1. Réglementer ou laisser se poursuivre une évolution amorcée ?

La motivation des femmes ainsi que la manière dont les partis politiques remplissent leur rôle entrent pour une grande part dans le nombre des candidatures féminines aux élections.

Il reste à savoir si une évolution naturelle des comportements de ces acteurs, amorcée depuis quelques années, pourrait apporter une réponse satisfaisante à la question posée.

a) Le rôle des partis politiques

Dans les choix qu'ils font pour désigner leurs candidats aux élections, les partis politiques -quels que soient les critères qu'ils retiennent- jouent un rôle déterminant dans le niveau de participation des femmes à la vie politique.

Ce rôle leur est confié par l'article 4 de la Constitution, selon lequel " les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ".

Mme Gisèle Halimi a observé devant votre commission des Lois que tous les responsables politiques entendus par l'Observatoire de la parité avaient exprimé leurs regrets de la faible participation des femmes et elle a estimé que si les partis avaient effectivement mis en oeuvre les responsabilités qu'ils détenaient de l'article 4 de la Constitution, la révision constitutionnelle n'aurait pas été nécessaire.

Depuis quelques années cependant, certains comportements ont évolué et des règles internes ont été établies au sein de la plupart des formations politiques.

Cette évolution peut provenir du souhait d'une partie de l'opinion publique ainsi que de la progression du nombre des adhérentes, évalué suivant les formations politiques, entre 30 % et 50 % du total des membres 6( * ) . Elle peut aussi être renforcée par un processus de désignation des candidats associant les adhérents, que certains partis ont adopté.

Des responsables de formations politiques ont exposé, en 1997, devant la mission commune d'information du Sénat chargée d'étudier la place et le rôle des femmes dans la vie publique, les règles de conduite adoptées par leurs partis 7( * ) .

Ainsi, le RPR a-t-il opté pour un quota d'un tiers de femmes en position d'être élues pour les élections au scrutin de liste et pour la mixité dans l'équipe des candidats, titulaire et suppléant, aux élections législatives.

Le parti socialiste a fixé un objectif de parité dans ses statuts, devant se traduire par un équilibre des candidatures dans les scrutins de liste et par un quota de 30 % de femmes pour les scrutins uninominaux, en tenant compte des circonscriptions susceptibles d'être remportées.

Devant l'Observatoire de la parité, en 1996, le parti communiste a indiqué qu'il entendait réserver aux femmes, dans les scrutins de liste, un pourcentage de sièges tendant fortement vers la parité et, pour les élections législatives, 30 % de candidates dans des circonscriptions susceptibles d'être remportées.

L'UDF a, pour sa part, rappelé ses propositions de loi tendant à limiter à deux tiers le maximum de candidats d'un même sexe figurant sur une liste.

Certaines formations écologistes ont adopté le principe de parité et ont présenté, dès les élections européennes de 1989, des listes sur lesquelles alternent des femmes et des hommes.

Lors des élections européennes de 1994, six listes ont été paritaires ou quasiment paritaires 8( * ) .

A en juger par la progression manifeste du nombre des candidates et de celui des élues, lors des dernières consultations électorales, déjà analysée par votre rapporteur, les mesures prises par les partis eux-mêmes commencent à produire des effets.

On rappellera que les dispositions plus volontaristes adoptées par les formations politiques dans les pays nordiques -dont les spécificités de la société et les régimes électoraux ne sont pas comparables- ont permis un taux de présence plus important des femmes dans les assemblées parlementaires (37,6%).

b) Des opinions féminines partagées

A la différence des promoteurs du projet de loi, certains auteurs ont douté de l'opportunité de mesures juridiques contraignantes en la matière.

Ainsi, Mme Elisabeth Badinter a-t-elle écrit son " désaccord de citoyenne " qui " se double de l'indignation de la féministe " et son " profond sentiment d'humiliation " , s'il fallait " nous imposer par la contrainte constitutionnelle. Et si cela devait arriver, comment jamais être sûres que nous serions à tel ou tel poste par l'effet de notre compétence ? " 9( * )

Devant votre commission des Lois, Mme Evelyne Pisier a partagé ce malaise, marquant sa préférence pour une modification de l'article 4 de la Constitution consacré aux partis et s'étonnant que le Gouvernement n'agisse pas davantage pour féminiser la haute fonction publique au travers des nominations discrétionnaires. 10( * )

En tout état de cause, la participation des femmes à la vie publique est, à l'évidence, en partie liée à leur capacité de choix personnel, par définition difficile à mesurer et qui dépend d'un ensemble de facteurs sociologiques, économiques et psychologiques. Pour les femmes, comme pour les hommes, la capacité de se porter candidat dépend aussi du statut de l'élu, de la profession exercée, des aides apportées à la famille, de la gestion du temps parlementaire.

Leur intérêt pour la vie politique peut cependant être évalué par leur participation aux scrutins 11( * ) , par la progression du nombre des candidates aux élections (voir ci-dessus) et par leur engagement dans les partis politiques (la proportion des adhérentes étant estimée, selon les formations, entre 30 % et 50 %).

Votre commission des Lois estime que, dans ce domaine, il appartient d'abord aux partis politiques de remplir le rôle que leur a confié la Constitution, en suivant la ligne de conduite volontariste qu'ils se sont donnée.

Elle considère cependant que, pour parvenir à des résultats significatifs dans des délais raisonnables, les efforts des partis politiques pourraient être encouragés par un dispositif juridique les plaçant en situation égale et leur permettant d'assumer le risque électoral de la présentation de nouveaux candidats.


A cet effet, plusieurs solutions étaient envisageables, les unes à caractère incitatif, les autres étant plus contraignantes.

2. Prendre des dispositions contraignantes ou des mesures incitatives ?

Différentes mesures incitatives ont été proposées pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Celles-ci portent en particulier sur le fonctionnement des partis politiques (modulation du financement public en fonction de la proportion de candidatures féminines) ou sur d'autres mesures d'accompagnement (mode de scrutin, statut de l'élu, incompatibilités).

a) Le financement public des partis politiques

La modulation du financement public des partis politiques en fonction de la proportion des candidatures féminines est présentée, soit comme une alternative à la parité (ou aux quotas), soit comme une proposition complémentaire.

Cette incitation financière à la présentation de candidatures féminines ne remettrait pas en cause le principe du mandat représentatif et comporterait donc moins de risques à cet égard que l'instauration de la parité.

Elle devrait rester suffisamment modérée pour ne pas " compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idée et d'opinion " , selon la jurisprudence établie par la décision du Conseil constitutionnel du 11 janvier 1990 (n° 271-DC) sur la loi relative à la limitation des dépenses électorales.

Pour ne pas accroître le montant global des aides, il pourrait être envisagé de conditionner l'attribution d'une part (à déterminer) des aides existantes à la présence d'un taux minimum de candidates.

Il a été imaginé par M. Guy Carcassone de limiter l'aide attribuée sur ce critère aux seules majorations annuelles de ces subventions, ce qui aurait pour effet de ne pas affecter les critères d'attribution des subventions actuellement versées et d'accroître progressivement l'effet de la mesure.

Avec d'autres auteurs, M. Georges Vedel s'est interrogé sur la conformité des dispositions de cette nature avec l'article 4 de la Constitution, selon lequel les partis et groupements politiques " se forment et exercent leur activité librement " .

La question pourrait en effet se poser de savoir si la modulation du financement ne mettrait pas en cause sa neutralité, dans la mesure où l'aide de l'Etat se trouverait conditionnée par un comportement déterminé des partis et groupements et compromettrait leur liberté d'action reconnue par l'article 4 de la Constitution.

L'obstacle constitutionnel éventuel pourrait être levé par une modification de la Constitution.

En opportunité, le lien entre financement public et présentation de candidatures féminines est parfois perçu comme une manière " d'acheter " la participation des femmes aux scrutins.

Devant votre commission des Lois, Mme le Garde des Sceaux a indiqué sa préférence pour un système de pénalisation des partis les moins actifs en ce domaine plutôt que pour un système de primes.

Mme Gisèle Halimi a observé devant votre commission des Lois qu'une proposition de modulation du financement public n'avait été émise par l'Observatoire de la parité que dans l'hypothèse où l'inscription de la parité dans la Constitution ne serait pas retenue. Elle ne s'est donc pas opposée au principe de cette formule.

En complétant l'article 3 de la Constitution, le présent projet donnerait mission à la loi de " favoriser l'égal accès " -texte du projet initial- ou de " déterminer les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives " -texte adopté par l'Assemblée nationale-, versions interprétées par le Gouvernement comme autorisant le législateur à adopter des mesures d'incitation financière.

Votre commission des Lois considère cependant que, indépendamment de l'opportunité qu'il y aurait -ou non- de modifier l'article 3 de la Constitution, cette interprétation n'est pas absolument certaine.

En effet, les conditions d'organisation de l'égal accès aux mandats et fonctions doivent aussi être conformes au principe constitutionnel de liberté des partis, consacré par l'article 4 de la Constitution.

Il apparaît donc nécessaire de réviser l'article 4 de la Constitution si l'on souhaite moduler le financement des partis dans des conditions juridiques incontestables.

Enfin, la modulation du financement public pourrait être entendue comme une disposition provisoire qui, à l'issue d'un délai à déterminer, cesserait d'être appliquée.

b) Le mode de scrutin

Selon Mme le Garde des Sceaux, pour les scrutins de liste, des mesures contraignantes, des quotas éventuellement, ne poseraient aucune difficulté.

Il est parfois avancé que le passage au scrutin de liste suffirait pour favoriser l'élection de femmes peu présentes à l'issue des scrutins uninominaux.

Pourtant, ce phénomène n'a pas joué, par exemple, en faveur des femmes lors des élections législatives de 1986, organisées au scrutin proportionnel (24,7% de candidates et 5,9 % d'élues).

Il serait donc préjudiciable de remettre en cause, pour un tel objectif, un mode de scrutin qui garantit une majorité de gouvernement.

La généralisation du scrutin proportionnel a aussi été présentée comme indispensable à la mise en oeuvre de la parité.

Certes, pour cette mise en oeuvre dans les scrutins uninominaux, trois hypothèses pourraient être envisagées :

- l'obligation pour le titulaire de choisir un suppléant de sexe différent ;

- le doublement du nombre des circonscriptions et le partage de celles-ci entre candidats de sexe différent, mais on imaginerait mal un effectif de l'Assemblée nationale supérieur à celui du Parlement européen ;

- le groupement des circonscriptions deux par deux, avec présentation de listes paritaires composées de deux candidats titulaires et de deux candidats suppléants élus au scrutin majoritaire, avec ou sans possibilité de panachage.

Le nombre impair de circonscriptions dans certains départements conduirait à un nouveau découpage de celles-ci et, peut-être, à une légère augmentation du nombre des sièges à pourvoir.

La première solution ne garantissant pas l'objectif fixé et les deux autres paraissant complexes, la question s'est posée de savoir si l'inscription de la parité dans la Constitution ne serait pas le prélude d'un projet de modification du mode de scrutin des élections législatives et cantonales.

L'hypothèse de l'institution du scrutin proportionnel pour faciliter la mise en oeuvre de la parité a été démentie par le Premier ministre : " Cette révision constitutionnelle n'est, aux yeux du Gouvernement et à mes yeux, en aucune façon conçue comme un moyen ou comme un prétexte à une modification des modes de scrutin, et tout particulièrement du mode de scrutin législatif (...) Si nous devions avoir un débat sur les modes de scrutin, il serait d'une autre nature. Le Gouvernement, à cet égard, n'a pas de projet. " (JO débats AN, séance du 9 décembre 1998, p. 10235).

La loi ordinaire pourrait limiter le champ de l'application de la parité aux élections à scrutin de liste.

L'effet d'entraînement qui pourrait en résulter pour les élections à scrutin uninominal, ainsi qu'une modulation du financement public des partis politiques, liée à la présentation de candidates dans les scrutins uninominaux, pourraient ensuite produire les résultats escomptés.

Dans cette hypothèse, parité et modulation du financement public apparaîtraient comme deux dispositions complémentaires.

Telle semble bien être l'intention du Gouvernement, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, ayant indiqué à l'Assemblée nationale que " pour les scrutins uninominaux, le législateur pourra inciter à la réalisation de la parité par la modulation du financement public des partis politiques " .

Devant votre commission des Lois, elle a précisé que le Gouvernement privilégiait une formule qui pénaliserait les partis politiques ne répondant pas à l'objectif de parité. Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, n'a cependant pas écarté l'hypothèse selon laquelle une proposition de loi tendant à appliquer la parité aux scrutins uninominaux pourrait être déposée à l'Assemblée nationale et débattue lors des journées d'initiative parlementaire.

On rappellera que la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux prévoyait que, pour ces élections au scrutin de liste à la proportionnelle avec prime majoritaire, " chaque liste assure la parité entre candidats féminins et masculins " mais cette disposition a été annulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 14 janvier 1999.

c) Les autres mesures d'accompagnement

L'amélioration du statut de l'élu pourrait encourager la participation des citoyens à la vie publique, et donc bénéficier en particulier aux femmes.

La réforme de la législation sur les incompatibilités , en instance de deuxième lecture à l'Assemblée nationale, est présentée par ses auteurs comme susceptible, notamment, de faciliter le renouvellement des candidatures et la présence des femmes dans les assemblées.

II. CONCILIER CET OBJECTIF AVEC LES PRINCIPES
FONDATEURS DE LA DÉMOCRATIE CONSTITUTIONNELLE

Les principes fondateurs de la démocratie constitutionnelle sont affirmés et mis en oeuvre par la Déclaration de 1789, par le Préambule de la Constitution de 1946 et par la Constitution de 1958.

Ils ont été interprétés par le Conseil constitutionnel qui a aussi dégagé des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Les inévitables actualisations de la Constitution -douze révisions en quarante ans dont sept au cours des sept dernières années, sans oublier une révision en instance après son adoption par les deux assemblées- ne doivent pas avoir pour effet ou pour conséquence de mettre en cause les bases mêmes de la Loi fondamentale, solidement construites au cours de notre histoire.

Aussi a-t-il paru essentiel à votre commission des Lois de procéder à un examen attentif des implications constitutionnelles du présent projet de révision, en particulier au regard des principes de la souveraineté nationale, du mandat représentatif, de l'égalité des citoyens et de la liberté de vote.

A. LA SOUVERAINETÉ NATIONALE ET LE MANDAT REPRÉSENTATIF

M. le doyen Georges Vedel, récusant l'idée que le peuple français réunit des personnes s'exprimant en fonction de leur situation spécifique, en a tiré la conséquence que " la souveraineté nationale ne se divise pas entre souveraineté exercée au nom des hommes et souveraineté exercée au nom des femmes " . 12( * )

Mme Elisabeth Badinter estime que l'introduction de quotas de femmes pour les candidatures aux élections, voire l'instauration de la parité, conduirait à la réapparition d'un nouveau clivage, alors que la Déclaration de 1789 a aboli les castes et les ordres. Ceci engendrerait inévitablement de " nouvelles revendications paritaires " et conduirait vers une " démocratie communautaire " . 13( * )

Le projet de loi constitutionnelle doit en effet être considéré au regard des principes constitutionnels de la souveraineté nationale et du mandat représentatif.

Le principe de la souveraineté nationale a été établi par l'article III de la Déclaration de 1789, selon lequel " le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en n'émane expressément " .

Ce principe a été posé de manière plus absolue par l'article premier du titre III de la Constitution du 3 septembre 1791 qui proclame que " la souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la Nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice " .

Si la souveraineté appartient à la Nation, elle " ne réside pas dans la masse des citoyens ajoutés les uns aux autres, mais dans la collectivité globalement comprise et dont la volonté ne peut être dégagée que par ses représentants à la lumière d'une délibération commune " .

Cette définition de la souveraineté nationale et du mandat représentatif, donnée par M. Benoît Jeanneau 14( * ) , implique que " l'assemblée tout entière représente la nation tout entière ; mais chaque député pris isolément ne représente rien que lui-même puisque la qualité de représentant est attribuée à l'organe délibérant et non à ses membres pris individuellement " , comme l'explique M. Bernard Chantebout 15( * ) .

L'élu ne représente donc pas les électeurs de sa circonscription mais la Nation tout entière. Il ne doit pas chercher à satisfaire les aspirations de telle ou telle partie de la population et encore moins suivre des instructions impératives, mais seulement sa conscience éclairée. L'article 27 de la Constitution rappelle au demeurant que : " Tout mandat impératif est nul " .

C'est ce qu'exprimait M. Edmond Burke 16( * ) , en affirmant que " le Parlement n'est pas un congrès d'ambassadeurs représentant des intérêts divers et hostiles, c'est l'assemblée délibérante d'une nation n'ayant qu'un seul et même intérêt en vue, celui de la Nation " .

Le représentant ne doit pas être redevable de son élection à telle ou telle partie identifiable de l'électorat, condition assurée dans son principe par le secret du vote.

Le mandat représentatif ne fait pas des élus(es) des représentants spécifiques des personnes de même sexe, le sexe d'un élu ne revêtant aucune signification particulière et n'impliquant aucune conséquence juridique.

Vouloir garantir une " représentation " des femmes dans les assemblées irait donc à l'encontre de la conception française de la représentation, telle qu'elle a été confirmée par l'article 3 de la Constitution selon lequel " la souveraineté nationale appartient au peuple " et " aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice " , puis par le Conseil constitutionnel, s'opposant, dans sa décision n° 82-146 DC du 18 novembre précité, à " toute division par catégories des électeurs et des éligibles " . Cette jurisprudence vient d'ailleurs d'être confirmée par le Conseil constitutionnel le 14 janvier 1999 (décision n° 99-407 DC).

M. Jean-Claude Masclet 17( * ) expose que " la théorie représentative a longtemps permis de justifier les restrictions apportées à l'électorat. La Nation étant considérée comme un être abstrait, il appartenait à la Constitution de désigner ceux d'entre les citoyens qui parleraient au nom de cette personne morale, et, par conséquent, de restreindre le droit de suffrage à certaines catégories. L'électorat n'était point un droit mais une fonction ".

Cette interprétation restrictive du mandat représentatif n'a cependant plus cours aujourd'hui, puisque la Constitution a, précisément, depuis 1946 (article 4) confié à l'ensemble des citoyens la mission de désigner les représentants de la Nation.

Le risque que comporterait le présent projet de porter atteinte aux principes de la souveraineté nationale et du mandat représentatif a été contesté par Mme Francine Demichel 18( * ) .

Dès lors que le corps électoral ne serait pas divisé en deux parties distinctes -les femmes élisant des femmes et les hommes élisant des hommes-, les élus ne pourraient pas plus qu'aujourd'hui se prévaloir de l'origine de leurs électeurs.

Mme Francine Demichel a contesté que les femmes appartiennent à une " catégorie ", relevant que le sexe apparaissait " comme le seul élément indissociable de la notion même de personne . Tous les attributs (qu'une personne) peut posséder sont contingents (nom, profession, situation matrimoniale, appartenance à une classe ou à un groupe social), mouvants (âge) ou irrecevables dans un droit démocratique (race, couleur de peau). La prise en compte de ces éléments dans la représentation serait une dénaturation de celle-ci, car elle en ferait une photographie des diversités sociales. Le sexe est le seul élément qui contribue à définir l'identité même de l'individu et du corps social et qui doive pour cela même être pris en compte pour la théorie de la représentation ".

Ainsi, la moitié du genre humain ne pouvant être assimilée à aucune " catégorie " ou minorité, l'instauration de la parité entre les femmes et les hommes dans le domaine électoral ne pourrait pas fonder ensuite des revendications de quotas en faveur de telle ou telle partie de la société.

Mme Francine Demichel considère, qu'en matière électorale, l'assimilation des femmes à une " catégorie " impliquerait la constitution de collèges électoraux distincts, cette perspective étant toutefois étrangère au projet de loi constitutionnelle, et contraire au souhait de l'auteur.

A défaut de la création de collèges électoraux distincts, l'adoption de mesures favorisant les candidatures des femmes ne transformerait pas les élues en représentantes spécifiques des femmes et ne risquerait donc pas de remettre en cause la représentation de " la nation toute entière " par " l'assemblée toute entière " .

Cette conception est celle exposée devant votre commission des Lois par Mme le Garde des Sceaux pour écarter le risque de communautarisation.

Constatant que l'objection principale à la révision tenait en la mise en cause de l'universalisme républicain établi par la Déclaration de 1789, Mme Gisèle Halimi a estimé, devant votre commission des Lois, que celle-ci n'avait eu pour effet ni d'abolir l'esclavage, ni d'établir la citoyenneté des femmes.

M. Robert Badinter a en revanche rappelé que la Déclaration de 1789 avait permis au Conseil constitutionnel de dégager des principes constitutionnels appliqués aujourd'hui en dehors de son contexte historique.

Votre commission des Lois considère que tout projet susceptible de remettre en cause cet universalisme comporterait le risque grave d'être suivi par des revendications de quotas émanant de diverses catégories de la population et de conduire vers une " démocratie communautarisée " .

B. L'ÉGALITÉ DES CITOYENS

Le principe d'égalité a été établi par la Déclaration de 1789, puis confirmé et précisé par les textes constitutionnels ultérieurs.

Ainsi l'article premier de la Déclaration de 1789 affirme que " les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ".

Son article VI est ainsi libellé : " La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ".

Le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ajoute que " la loi garantit à la femme , dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ".

L'article premier de la Constitution de 1958 stipule que la République " assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ", sans cependant considérer explicitement la distinction établie en fonction du sexe.

Le Conseil constitutionnel a estimé que " le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit " 19( * ) .

Il a également considéré que " le principe constitutionnel d'égalité entre les sexes s'impose au pouvoir réglementaire sans qu'il soit besoin pour le législateur d'en rappeler l'existence " (décision n° 97-388 DC du 20 mars 1997, " Plans d'épargne retraite ").

Il apparaît donc clairement que, en dépit du silence sur ce point de l'article premier de la Constitution, la valeur constitutionnelle du principe d'égalité entre les sexes est reconnue par le Conseil constitutionnel.

Le statut général de la fonction publique de 1946 ne permet d'apporter de dérogation au principe de l'égalité des sexes que " dans les cas où la nature des fonctions exercées ou les conditions d'exercice de ces fonctions exigent de telles dérogations " , et " sous le contrôle du juge " .

Le statut de 1959 a prévu que le principe d'égalité des sexes dans la fonction publique s'applique sous réserve de mesures exceptionnelles prévues par les statuts particuliers (article 7 de l'ordonnance du 7 février 1959) ou leurs conditions d'exercice (même texte, complété par la loi du 10 juillet 1975).

Le droit français admet l'existence de mesures de discriminations positives que M. Ferdinand Mélin-Soucramanien 20( * ) définit comme " une différenciation juridique de traitement, créée à titre temporaire, dont l'autorité normative affirme expressément qu'elle a pour but de favoriser une catégorie déterminée de personnes physiques ou morales au détriment d'une autre afin de compenser une inégalité de fait préexistante entre elles ".

Le même auteur relève l'existence de discriminations positives dans les domaines du sexe, de l'âge, du handicap ou de la localisation géographique.

Ainsi, la loi n° 79-569 du 7 juillet 1979, modifiant la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975, dispense de la condition de limite d'âge pour l'accès aux emplois publics, les mères d'au moins trois enfants, les divorcées et les veuves non remariées, les femmes séparées judiciairement et les femmes célibataires ayant au moins un enfant à charge, qui se trouvent dans l'obligation de travailler.

Il est vrai que de nombreuses lois contenant des discriminations positives, comme celle du 7 juillet 1979, n'ont pas été soumises à l'examen du Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel a validé les dispositions de la loi instituant une troisième voie d'accès à l'Ecole nationale d'Administration au bénéfice de personnes ayant exercé des fonctions électives à la tête notamment, de collectivités territoriales, d'organisations syndicales ou mutualistes ou d'associations reconnues d'utilité publique, texte motivé, selon M. Jean-Pierre Michel, rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, par l'objectif " d'employer des solutions adaptées pour rétablir l'égalité ".

Le Conseil constitutionnel a estimé que " si le principe de l'égal accès aux emplois publics proclamé par l'article 6 de la Déclaration de 1789, impose que, dans les nominations de fonctionnaires, il ne soit tenu compte que de la capacité, des vertus et des talents, il ne s'oppose pas à ce que les règles de recrutement destinées à permettre l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l'entrée dans une école de formation ou dans un corps de fonctionnaires soient différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins du service public" (décision n° 82-153 DC du 14 janvier 1983).

Aucune discrimination positive n'a, en revanche, jamais été acceptée dans le domaine du suffrage . En effet, si le Préambule de la Constitution de 1946 donne à la loi la mission de garantir " à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme " - ce qui autorise, à certaines conditions, des discriminations positives, dans le domaine social en particulier-, l'article 3 de la Constitution de 1958, concernant spécifiquement la souveraineté nationale, interdit, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, toute distinction entre hommes et femmes pour la représentation politique .

Les décisions du Conseil constitutionnel précitées du 18 novembre 1982 et du 14 janvier 1999 ont confirmé que le principe constitutionnel de l'égalité des droits civiques concernait aussi bien l'éligibilité que l'électorat en énonçant que " la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu " .

Le Conseil constitutionnel a donc considéré que l'égale admissibilité des hommes et des femmes aux mandats et fonctions était déjà acquise en droit " sans autre distinction que celle de leur vertu et de leur talent " .

Un texte conditionnant la recevabilité de candidatures à la présence d'une proportion déterminée de femmes et d'hommes créerait donc une discrimination entre les sexes.

L'introduction d'une telle discrimination positive en matière électorale pourrait donc paraître assez paradoxale au regard d'une affirmation aussi claire du principe général d'égalité, tel qu'il a été établi par la Déclaration de 1789, confirmé par l'article premier de la Constitution et précisé, pour ce qui a trait à la souveraineté nationale, par l'article 3 de la Constitution.

Selon M. Olivier Duhamel, pour les droits économiques, sociaux ou culturels, les différenciations sont nécessaires pour tenir compte de la situation des différentes catégories sociales, mais, dans le domaine politique, " la démocratie ne reçoit les êtres humains qu'en tant que tels " 21( * ) .

Mme Elisabeth Badinter considère, pour sa part, que toute discrimination, même positive, susciterait l'apparition de clivages assimilables aux ordres supprimés par la Déclaration de 1789, et constituerait une " source d'exclusion, contraire à l'intégration républicaine " 22( * ) . Elle pourrait susciter en outre une interrogation sur la compétence des femmes élues selon un système électoral comportant des quotas.

Elle a par ailleurs souligné devant votre commission des Lois que les demandes en matière d'égalité devaient toujours être basées sur le droit à la ressemblance pour mettre en valeur ce qui unit l'humanité et non ce qui la sépare.

La discrimination positive accordée aux femmes dans le domaine électoral comporterait aussi le risque de revendication de quotas de la part de diverses catégories de la société et donc celui de communautarisation.

Une telle conception de l'égalité a pu paraître, à plusieurs auteurs, comme abstraite et porteuse d'une égalité plus formelle que réelle.

Ces auteurs soulignent que le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 proclame, comme particulièrement nécessaire à notre temps le principe suivant lequel il appartient à la loi de garantir " à la femme dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ".

Selon Mme Francine Demichel, " la parité est une technique juridique ne mettant pas en cause le principe d'égalité, sauf à le concevoir de manière abstraite ".

L'argumentation précédemment exposée selon laquelle la femme ne constituerait pas une " catégorie " ne permettrait pas, selon elle, d'étendre un raisonnement favorable à l'établissement de quotas pour les femmes à d'autres composantes de la population.

Enfin, M. Olivier Duhamel a estimé, devant l'Observatoire de la parité en 1996, que l'instauration de la parité politique obligatoire serait " contraire aux principes fondateurs de la démocratie constitutionnelle ", mais aussi que " renoncer encore et toujours à l'égalité dans les faits pour respecter la citoyenneté est à peine préférable à renoncer à la citoyenneté pour assurer enfin l'égalité réelle ".

Il en a tiré une conclusion pragmatique tendant à prévoir un délai pendant lequel les partis politiques devraient se conformer à un objectif déterminé, sans adoption de dispositions à caractère obligatoire.

A l'issue de ce délai, si le résultat attendu n'était pas atteint, des mesures, qu'il conçoit comme dérogatoires au principe constitutionnel d'égalité, pourraient être établies, mais à titre transitoire, avant le retour, dans une troisième phase, au droit commun, universel et indifférencié 23( * ) .

Votre commission des Lois, pour sa part, a considéré que l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives -unique objet du présent projet de loi constitutionnelle- était en effet déjà inscrit dans notre droit, mais que, malgré une évolution positive récente, ce droit ne s'était pas suffisamment traduit dans les faits.

Elle a constaté que cette évolution récente résultait, pour l'essentiel, d'une volonté des acteurs concernés (les femmes elles-mêmes et les partis politiques).

Votre commission des Lois estime que, quelle que soit l'évolution des textes, il appartiendra toujours et en premier lieu à ces acteurs de prendre leurs responsabilités.

C. LA LIBERTÉ DE L'ÉLECTEUR

La liberté de l'électeur suppose, d'une part, que le vote soit secret -ce qu'établit l'article 3 de la Constitution- et, d'autre part, que chaque candidat bénéficie de facilités de propagande identiques, afin de permettre l'expression d'un libre choix en connaissance de cause.

La liberté de l'électeur requiert aussi que le choix ne soit pas limité par des exclusions de candidature qui ne seraient pas fondées par " des raisons d'âge, d'incapacité ou de nationalité ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ", selon la formule retenue par le Conseil constitutionnel dans ses décisions précitées du 18 novembre 1982 et du 14 janvier 1999.

Dès lors que certains Français jouissant de leurs droits civiques seraient écartés de la possibilité de présenter leur candidature, le choix de l'électeur ne se trouverait-il pas réduit ?

M. le doyen Georges Vedel a craint, devant votre commission des Lois, que la révision proposée ait pour conséquence que le résultat des élections ne dépende plus du choix de l'électeur lui-même.

La révision constitutionnelle éventuelle n'affecterait certes pas la liberté de chaque électeur, telle qu'elle est définie par la loi. Le choix de l'électeur s'effectuerait, comme actuellement, entre les candidatures présentées.

En revanche, la possibilité pour chaque personne de se présenter sur une liste déterminée pourrait être conditionnée par le sexe des autres candidats de cette liste, ce qui réduirait d'autant le choix de l'électeur.

En l'état actuel, lorsqu'un candidat potentiel revendique l'investiture d'une formation politique, il se soumet aux critères et procédures de sélection retenus par cette formation, comportant éventuellement, comme votre rapporteur, l'a précédemment exposé, des quotas volontaires qui ne mettent donc pas en cause la liberté des partis.

En sélectionnant les candidats, les partis politiques remplissent la fonction qui leur est dévolue par l'article 4 de la Constitution, puisqu'ils " concourent à l'expression du suffrage " et qu'ils " exercent leur activité librement ".

Le projet de loi constitutionnelle transférerait aux pouvoirs publics une responsabilité qui incombe, selon la Constitution, aux partis politiques.

Il permettrait au législateur d'imposer aux formations une obligation que la plupart d'entre eux se sont déjà librement fixée, mais à un niveau qui pourrait être différent et pourrait donc contredire leur liberté constitutionnellement affirmée.

III. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le projet de loi constitutionnelle initial prévoyait de compléter ainsi l'article 3 de la Constitution : " la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions " .

Le texte adopté par l'Assemblée nationale est ainsi rédigé : " la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives " .

A. LA LIMITATION DU CHAMP DE LA RÉVISION

Le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, en proposant l'adjonction d'un alinéa à l'article 3 de la Constitution concernant la souveraineté nationale, ne concerne que la vie publique.

Il ne porte pas, en revanche, sur l'égalité entre les femmes et les hommes dans les autres domaines.

En effet, le Préambule de la Constitution de 1946, en affirmant que " la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ", a, selon l'exposé des motifs du présent projet, levé tout obstacle de caractère constitutionnel à l'adoption de mesures législatives permettant d'assurer, à certaines conditions, une répartition plus équilibrée des responsabilités entre les femmes et les hommes, sauf pour celles ayant trait à la souveraineté nationale, dont les principes sont définis par l'article 3 précité.

Cette interprétation se fonde aussi sur les décisions du Conseil constitutionnel précitée du 18 novembre 1982 et n° 97-394 du 31 décembre 1997 sur la question de la conformité à la Constitution du Traité d'Amsterdam.

En effet, les dispositions de ce Traité autorisant les Etats membres à maintenir ou adopter " des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle ", n'ont pas été déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 31 décembre 1997.

Il n'existe donc d'obstacle constitutionnel absolu à la mise en oeuvre de mesures de discrimination positive pour assurer l'égalité entre les sexes, que pour l'accès aux mandats et fonctions de caractère électoral en raison de leurs caractéristiques exposées ci-dessus.

La révision concernant l'article 3 de la Constitution relatif à la souveraineté, les auteurs du projet initial avaient pensé que la nature de ces " mandats et fonctions " ne faisait pas de doute et que toute précision était inutile.

L'Assemblée nationale, considérant que les termes de mandat et de fonction comportaient des significations juridiques nombreuses, en droit privé comme en droit public, a préféré préciser que le texte concernerait les " mandats électoraux et fonctions électives ", en adoptant un amendement de M. Claude Goasguen, sur lequel la commission des Lois avait émis un avis défavorable. Au cours de la séance publique, Mme Catherine Tasca, rapporteur, en a cependant recommandé l'adoption à titre personnel et le Gouvernement s'en est remis à la sagesse de l'Assemblée.

Seuls les mandats électoraux et fonctions électives acquis sur la base des principes de l'article 3 de la Constitution seraient concernés par le texte.

Encore faudrait-il définir précisément ces mandats et fonctions.

Ainsi, pourrait-on se demander si les juges élus seraient concernés par la révision constitutionnelle.

Dans une décision n° 101 DC du 17 janvier 1979, le Conseil constitutionnel a considéré, à propos d'une disposition attribuant des voix supplémentaires à des électeurs employeurs aux conseils de prud'hommes, en fonction du nombre de salariés qu'ils occupent, que les élections aux conseils de prud'hommes devaient être organisées selon des règles conformes au principe d'égalité du suffrage, ce que l'on pourrait expliquer par le fait que les juges rendent leurs décisions au nom du peuple français.

A l'inverse, dans une décision n° 82-148 du 14 décembre 1982, le Conseil constitutionnel a estimé que " les élections prévues pour la désignation de représentants des assurés sociaux ne se rapportent ni à l'exercice de leurs droits politiques, ni à la désignation des juges " et qu' " aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de réserver l'initiative des candidatures à certaines organisations en raison de leur nature et de leur représentativité au plan national ", ce à quoi, le principe d'égalité du suffrage s'opposerait, s'il était applicable aux représentants des assurés sociaux.

Les principes établis par l'article 3 de la Constitution ne sont donc applicables que pour l'élection à des fonctions qui, selon les décisions précitées du 27 janvier 1979 et du 14 novembre 1982, se rapportent à l'exercice des droits politiques et à la désignation des juges.

La révision placée à l'article 3 de la Constitution pourrait donc concerner, outre les mandats et fonctions de caractère politique, les fonctions de juge élu, comme l'a confirmé Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice devant votre commission des Lois.

En revanche, elle ne pourrait concerner la composition du gouvernement. Qu'en serait-il de la présidence de la République ? Comment assurer la parité au niveau de ce mandat suprême et unique par définition ?

Un inventaire de ces mandats et fonctions politiques peut être tenté à partir des dispositions du code électoral et du code général des collectivités territoriales relatives aux incompatibilités.

Ainsi, l'article L.O. 141 du code électoral énumère-t-il, parmi les mandats et fonctions (sans les distinguer formellement), ceux de parlementaire, de représentant au Parlement européen, de conseiller régional, de conseiller à l'Assemblée de Corse, de conseiller général, de conseiller de Paris, de maire et d'adjoint au maire.

L'article L. 237 du même code cite les " fonctions " de conseiller municipal.

Les articles L. 3122-3 et L. 4133-3 du code général des collectivités territoriales se réfèrent aux fonctions de président de conseil général et de conseil régional.

Les mandats de membre d'une assemblée territoriale d'un territoire ou d'une collectivité d'outre-mer sont également énumérés aux articles 4 de la loi organique n° 85-1405 du 30 décembre 1985 et 5 de la loi n° 85-1406 de la même date tendant à limiter le cumul des mandats électoraux et des fonctions électives.

Les fonctions exercées au sein des assemblées territoriales sont qualifiées comme telles par les statuts des territoires ou collectivités concernés (par exemple, pour les membres du Gouvernement de la Polynésie française, par l'article 13 de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996).

En revanche, les vice-présidents et autres membres du bureau d'un conseil régional ou général ne faisant pas l'objet d'incompatibilités spécifiques ne sont pas cités expressément par ces textes comme titulaires de fonctions. Cependant, ils exercent, au moins, un mandat de conseiller.

Les conseillers d'arrondissement de Paris, de Lyon et de Marseille ne sont pas non plus énumérés par ces textes, mais ne sont-ils pas titulaires d'un mandat électoral ?

L'ensemble des élus concernés par les termes " mandats électoraux et fonctions électives " n'est donc pas recensé de manière exhaustive par ces différents textes et la distinction entre mandats électoraux et fonctions électives n'est pas juridiquement définie de manière incontestable.

Peut-être les auteurs du projet de loi constitutionnelle entendent-ils, selon une acception courante, par mandat électoral celui qui est acquis du suffrage universel direct ou indirect et par fonction élective celle obtenue au sein d'une assemblée élue au suffrage universel.

Une telle interprétation ne résoudrait pas totalement la difficulté, car on pourrait alors s'interroger, par exemple, sur l'assimilation des représentants d'une collectivité territoriale au sein d'un établissement public de coopération entre collectivités à des titulaires de fonctions électives au sens du texte proposé.

Certes les lois mettant en oeuvre le principe de l'égal accès pourraient préciser sans ambiguïté, d'une part, les mandats et, d'autre part, les fonctions concernées.

Il serait toutefois souhaitable que le Constituant connaisse précisément, avant de se prononcer, le champ d'application du présent projet et votre rapporteur constate que Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice n'a pas pu répondu précisément à son interrogation sur la définition exacte des fonctions électives.

En tout état de cause, la mise en oeuvre de l'égal accès aux fonctions électives par des mesures contraignantes, comme la parité, se heurterait à des difficultés pratiques importantes, en particulier lorsque l'élection à ces fonctions s'effectue par votes successifs (élection du maire, puis de ses adjoints, par exemple).

Seules des mesures de caractère incitatif (par exemple, aménagement du statut de l'élu) paraissent envisageables pour l'accès à ces fonctions.

Encore faudrait-il connaître les intentions du Gouvernement à cet égard et, là encore, malgré l'interrogation de votre rapporteur, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, n'a pas apporté de précisions sur les mesures qui pourraient être proposées en ce qui concerne les fonctions électives
.

Selon Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, l'habilitation conférée au législateur permettrait à ce dernier de prendre des dispositions qui revêtiraient soit un caractère contraignant, soit un caractère incitatif.

Si l' " objectif de parité " est mentionné dans l'exposé des motifs du présent projet, le mot " parité " ne figure pas dans le texte constitutionnel.

En effet, la parité est un concept susceptible de poser de nombreux problèmes d'application, par exemple lorsque le nombre de sièges à pourvoir est impair, encore que Mme le Garde des Sceaux ait indiqué à votre commission qu'elle n'impliquait pas une stricte égalité mathématique.

Plus fondamentalement, il apparaît préférable de s'en tenir au principe de l'égalité républicaine, le texte proposé laissant au législateur une marge d'appréciation pour mettre ce principe en oeuvre.

La promotion de l' " objectif de parité " ne soulèverait pas de difficultés techniques particulières pour les scrutins de liste , dès lors que ne serait pas recherché un résultat mathématique. La loi pourrait ainsi prévoir un taux minimum et un taux maximum se rapprochant de la stricte parité de candidats d'un même sexe (par exemple, entre 45 % et 55 % des candidats).

Il en irait bien sûr différemment pour les mandats acquis selon un mode de scrutin uninominal , pour lesquels seules des mesures incitatives (en particulier, modulation du financement public des partis politiques en fonction de la proportion de candidates qu'ils présentent) semblent appropriées, ainsi que pour l'accès aux fonctions électives, dès lors que celles-ci auraient été définies de manière indiscutable.

Il n'est cependant pas certain que la modulation du financement public -qu'elle s'applique aux scrutins uninominaux seulement ou à tous les modes de scrutin- serait autorisée par la modification proposée de l'article 3 de la Constitution.

En effet, cette modulation serait susceptible de limiter la liberté des partis et groupements politiques reconnue par l'article 4 de la Constitution.

B. UNE COMPÉTENCE DONNÉE AU LÉGISLATEUR

Le projet de loi constitutionnelle aurait pour objet de permettre au législateur de prendre des mesures de discrimination positive dans le domaine électoral.

Il ne comporte, en lui-même, aucune disposition de cette nature.

Le législateur aurait la possibilité, s'il l'estimait opportun, d'adopter de telles dispositions.

Encore convient-il de mesurer la portée de la compétence qui lui serait donnée.

1. Favoriser l'égal accès ou déterminer les conditions de son organisation ?

Dans la Constitution, plus que dans tout autre texte, les termes choisis revêtent une certaine importance.

Selon le projet de loi constitutionnelle initial, la loi " favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ".

Le texte adopté par l'Assemblée nationale, à la suite du vote d'un amendement de sa commission des Lois approuvé par le Gouvernement, prévoit que " la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé " cet égal accès.

Le texte initial pouvait ne pas traduire de manière suffisamment claire l'intention des auteurs du projet, telle qu'elle était affirmée dans l'exposé des motifs : " La participation des femmes à la vie publique et à ses institutions étant très insuffisante, il importe de promouvoir par des mesures appropriées l'objectif de parité entre les femmes et les hommes ".

D'une part, le terme " favoriser " peut être interprété comme " traiter de façon à avantager ", alors qu'il s'agirait de mettre en oeuvre le principe d'égalité.

D'autre part, ce terme pourrait apparaître insuffisant au regard des objectifs affichés. Une mesure destinée à atteindre "l'objectif de parité " ne dépasserait-elle pas l'autorisation de prendre des dispositions favorisant seulement l'égal accès ?

En sens inverse, tout texte législatif qui n'établirait pas la parité serait-il regardé comme favorisant suffisamment l'égal accès ?

L'instauration de quotas serait-elle considérée comme un moyen de favoriser l'égal accès, ou, en sens inverse, estimée comme insuffisante au regard du principe constitutionnel proposé d'égal accès ?

La rédaction initiale du projet laisserait une trop grande marge d'appréciation au Conseil constitutionnel saisi le cas échéant d'une loi subséquente qui pourrait estimer, soit que le texte constitutionnel n'autorise pas la parité (puisqu'il s'agirait seulement de favoriser), soit, en sens inverse, que la disposition soumise à son examen ne favorise pas suffisamment l'égal accès.

Au cours de son examen du projet, la commission des Lois de l'Assemblée nationale a envisagé de proposer que la loi " assure " ou " garantisse " l'égal accès.

Cette hypothèse a été écartée, les députés craignant alors que le Constituant n'impose au législateur une obligation formelle d'agir, ce qui pourrait conduire le Conseil constitutionnel à vérifier, à propos de chaque loi électorale qui lui serait soumise, si l'égal accès est bien assuré ou garanti. La marge d'appréciation du législateur se trouverait, là encore, réduite.

La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale serait destinée à faire clairement apparaître qu'il appartient au Parlement et à lui seul de mettre en oeuvre l'objectif constitutionnel proposé de l'égal accès des femmes et des hommes.

Il appartiendrait en effet au législateur de déterminer lui-même les conditions dans lesquelles serait organisé l'égal accès aux mandats et fonctions et non pas au Conseil constitutionnel.

Cette interprétation a été contestée par M. le doyen Georges Vedel dans un article 24( * ) , dont il a confirmé la teneur à votre commission des Lois, dans lequel il considère qu'en laissant au législateur le soin de déterminer les modalités de l'égal accès, le Constituant prendrait le risque de transférer au Conseil constitutionnel l'appréciation de ces modalités.

Selon M. le doyen Georges Vedel, il appartiendrait donc au Constituant de déterminer lui-même les principes permettant d'établir cet égal accès, sauf à vouloir en appeler au " gouvernement des juges ". En l'occurrence, si la parité est l'objectif, le terme devrait figurer dans le texte proposé par l'article 3 de la Constitution.

Interrogée, lors des débats à l'Assemblée nationale sur la question de savoir si le texte donnerait au législateur une obligation de moyens ou une obligation de résultats, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, a indiqué que le texte entraînerait " un engagement de faire (et non seulement) un engagement de moyens ". Elle a ajouté que ce ne serait pas " un engagement de résultats au sens mathématique ".

Cette interprétation n'est cependant pas inscrite dans le texte proposé. Elle pourrait s'analyser comme un engagement du Gouvernement actuel de proposer au Parlement des textes de mise en oeuvre du principe qui serait établi.

L'inaction totale du législateur ne pourrait pas être sanctionnée mais une loi électorale n'organisant pas l'égal accès pourrait-elle être déclarée non conforme à la Constitution ?

Selon Mme Elisabeth Guigou, la révision constitutionnelle pourrait permettre soit une législation contraignante, soit des mesures incitatives, ce qui signifierait que les dispositions législatives éventuelles pourraient ne pas produire le résultat escompté. Il n'y aurait donc pas, en définitive, d'obligation de résultat.

Les personnalités entendues par la commission et interrogées spécifiquement par votre rapporteur sur ce point se sont montrées très partagées sur les nuances apportées par les deux rédactions.

2. Le choix des moyens serait laissé au législateur

Le projet de loi n'instaure pas la parité, ce terme ne figurant pas dans le texte proposé, mais seulement dans son exposé des motifs.

Le projet laisserait donc au législateur le choix des moyens.

a) La parité ne serait pas inscrite dans le texte de la Constitution

L'Assemblée nationale a rejeté un amendement présenté par Mme Roselyne Bachelot-Narquin, tendant à préciser que l'égal accès aux mandats et fonctions est assuré par la parité et que la loi en fixe les modalités.

Plus fondamentalement, dans l'hypothèse où une modification de l'article 3 de la Constitution serait retenue, il paraîtrait préférable de s'en tenir au principe de l'égalité républicaine, le texte proposé tendant à faciliter sa mise en oeuvre et non à imposer au législateur un moyen déterminé à cet effet.

On rappellera cependant qu'une disposition de la loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux, annulée par le Conseil constitutionnel, prévoyait que chaque liste devait assurer la parité entre candidats féminins et masculins, en dépit du nombre impair de conseillers dans toutes les régions.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, avait estimé, devant l'Assemblée nationale, que cette disposition devrait être interprétée comme permettant un écart d'une unité entre le nombre de candidats de chaque sexe.

On ne peut mieux illustrer que la parité au sens strict peut se heurter à de réelles difficultés, même pour les scrutins de liste.

b) Les conditions dans lesquelles serait organisé l'égal accès

Le Constituant laisserait donc au législateur le soin de définir les conditions dans lesquelles serait organisé l'égal accès aux mandats et fonctions.

Le Gouvernement a exclu l'hypothèse de l'instauration de quotas , lui préférant un " objectif de parité " , Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, précisant toutefois, devant votre commission des Lois, que le texte soumis au Sénat autorisait l'instauration de quotas.

Or, par définition, les quotas ne garantissent pas un égal accès, sauf s'ils sont établis autour de 50 % . Les quotas seraient-ils considérés par le Conseil constitutionnel comme un moyen de parvenir à l'égal accès ?

Interrogée par le président de votre commission des Lois, Mme Gisèle Halimi a estimé que le texte permettrait " malheureusement " la mise en place de quotas.

Le législateur pourrait aussi, selon l'exposé des motifs du présent projet, " promouvoir par des mesures appropriées l'objectif de parité ".

S'agissant de l'égal accès aux mandats électoraux, la mise en oeuvre de cet objectif dans les scrutins de liste ne soulèverait pas de difficultés techniques majeures, dès lors que la parité serait conçue comme un objectif et non comme un résultat mathématique. La loi pourrait alors peut-être prévoir un taux de présence de candidats d'un même sexe proche de la moitié (par exemple, entre 45 % et 55 %).

Il en irait différemment pour les scrutins uninominaux (élections législatives et cantonales). Votre rapporteur a exposé que ce mode de scrutin se prêterait difficilement à une législation paritaire et que le Gouvernement s'était engagé à ne pas proposer la généralisation des scrutins de liste pour mettre en oeuvre l'égal accès aux mandats et fonctions.

Devant votre commission des Lois, Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, a indiqué que, pour les scrutins uninominaux, le Gouvernement préconiserait une incitation à la réalisation de la parité par la modulation du financement public des partis politiques, privilégiant une formule pénalisant les partis politiques ne répondant pas à l'objectif de parité. Elle n'a, cependant, pas exclu l'hypothèse selon laquelle une proposition de loi tendant à assurer la parité aux scrutins uninominaux serait examinée à l'initiative du Parlement lors d'une journée d'initiative parlementaire.

L'objectif de parité pourrait donc être mis en oeuvre par des dispositions contraignantes pour les scrutins de liste et par des dispositions incitatives pour les scrutins uninominaux.

Votre rapporteur a précédemment exposé les différentes orientations que le législateur pourrait prendre pour inciter à l'égal accès, le cas échéant et le moment venu, par une modulation du financement public des partis politiques.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de l'égal accès aux fonctions électives -qu'il conviendrait de définir précisément-, elle ne semble pas, en particulier lorsque les élections sont organisées par scrutins successifs, pouvoir être réalisée par des mesures de caractère contraignant, mais plutôt par des dispositions incitatives (par exemple, aménagement du statut de l'élu).

IV. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Votre commission des Lois a constaté que l'égale égibilité des femmes et des hommes aux mandats et fonctions est déjà établie en droit.

Certes, l'article VI de la Déclaration de 1789 ayant posé le principe de l'égale admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics " sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents " n'a pas eu pour effet immédiat d'accorder la citoyenneté aux femmes auxquelles la pleine capacité civile n'était pas reconnue à l'époque, mais leur éligibilité dans des conditions strictement identiques à celles des hommes a, depuis, été établie de manière incontestable.

L'égalité des droits civiques résulte plus précisément de l'article 3 de la Constitution, reconnaissant ces droits à tous les nationaux français majeurs des deux sexes.

Il n'est donc pas nécessaire de modifier la Constitution pour établir une égale éligibilité, puisque celle-ci découle déjà de la Constitution et qu'aucune disposition du code électoral ne limite en quoi que ce soit l'éligibilité des femmes ou des hommes.

Le faible nombre de femmes exerçant des mandats électoraux ou des fonctions électives pourrait laisser supposer que l'égalité est plus formelle que réelle.

Il n'en demeure pas moins que le droit d'accéder à ces mandats et fonctions est strictement égal.

Les pays les " plus avancés " dans ce domaine, loin d'être dotés d'une législation contraignante, ont simplement laissé les partis politiques, chargés de présenter les candidatures aux élections, prendre leurs responsabilités, ce que ceux-ci ont fait en établissant des règles internes volontaristes de quotas de candidatures féminines aux élections, de telles règles internes n'entravant pas leur liberté.

Votre commission des Lois a considéré qu'il revenait principalement aux acteurs concernés de remplir leur rôle, reconnu explicitement par l'article 4 de la Constitution.

Elle a cependant pris en considération le souhait émis par la plupart des responsables politiques de voir leurs efforts -qui ont déjà produit des effets non négligeables ces dernières années- encadrés et facilités par des dispositions juridiques susceptibles de placer les partis politiques eux-mêmes dans des conditions d'égalité.

La nécessité, non contestée, d'améliorer la place des femmes dans la vie politique implique-t-elle de permettre au législateur de prendre des dispositions contraignantes ou plus simplement d'adopter des mesures incitatives ?

S'il s'agissait d'autoriser le législateur à prendre des mesures contraignantes
concernant la recevabilité des candidatures en fonction du sexe des candidats, il conviendrait en effet de modifier l'article 3 de la Constitution relatif à la souveraineté, comme le propose le projet de loi constitutionnelle.

Votre commission des Lois s'est prononcée contre une rédaction qui permettrait d'imposer par la loi des quotas, car ceux-ci remettraient gravement en cause le principe essentiel de l'universalité du suffrage et seraient susceptibles d'encourager le développement déjà perceptible de revendications de représentation communautariste émanant de certaines catégories de la population.

La modification proposée de l'article 3 de la Constitution conduirait inévitablement la France vers une " démocratie communautarisée " , ce que votre commission des Lois ne peut accepter.

S'il s'agit en revanche d'inciter les partis politiques à présenter un plus grand nombre de femmes aux élections, en particulier par la modulation du financement public des partis politiques, une modification de l'article 4 de la Constitution, relatif aux partis et groupements politiques apparaît mieux adaptée.

Cette solution présente l'avantage de la souplesse, ne comporte pas de difficultés notables de mise en oeuvre et, surtout, ne risque pas de mettre en cause le principe du mandat représentatif.

Elle parait plus adaptée au moment où les partis politiques semblent prendre en considération la nécessité de mieux équilibrer la présence des femmes et des hommes dans la vie publique, puisqu'il s'agirait d'encourager un mouvement amorcé notamment grâce aux efforts des promoteurs du texte.

Aussi votre commission des Lois vous propose-t-elle de compléter l'article 4 de la Constitution à cet effet.

D'une part, afin de marquer la responsabilité des partis politiques en la matière, elle vous propose de prévoir, dans cet article, que ceux-ci " favorisent l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ".

D'autre part, votre commission des Lois souhaite que les règles relatives à leur financement public puissent -si le législateur l'estime opportun- contribuer à la mise en oeuvre du principe d'égal accès.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
L'égal accès des femmes et des hommes
aux mandats et fonctions

Le projet de loi -tant dans sa rédaction initiale que dans celle adoptée par l'Assemblée nationale 25( * ) ,- compléterait l'article 3 de la Constitution afin de permettre au législateur, par des mesures contraignantes et/ou incitatives d'organiser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats.

Votre commission des Lois a constaté au terme de ses travaux que la place et le contenu de cette révision impliquait la faculté pour le législateur d'établir des quotas. Elle s'est prononcée à titre préliminaire contre une telle faculté.

En effet, pour votre commission des Lois et comme cela a été précédemment exposé, les quotas porteraient atteinte au principe constitutionnel de l'universalité du suffrage et seraient susceptibles de conduire à une " démocratie communautarisée ".

Pour autant, votre commission des Lois estime nécessaire de prendre des dispositions destinées à encourager les partis politiques à poursuivre une évolution amorcée et, à cet effet, propose de compléter l'article 4 de la Constitution, relatif au statut constitutionnel des partis et formations politiques.

En premier lieu, il convient d'énoncer
, sans ambiguïté aucune, qu'il relève de la responsabilité des partis politiques de favoriser la mise en oeuvre du principe constitutionnel de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

Dès lors, le champ d'application de la révision constitutionnelle serait mieux assuré, les mandats et les fonctions susceptibles d'être concernés ne pouvant être que ceux pour lesquels les partis présentent des candidats, à l'exclusion des fonctions de juge élu par exemple, et ce, en respectant la totale liberté des candidatures individuelles.

L'affirmation de la responsabilité des partis politiques en la matière, non contestée dans les faits, ne remettrait en cause aucun principe constitutionnel fondant notre démocratie.

En second lieu , il parait opportun de pouvoir, si nécessaire, encourager les partis politiques dans les efforts qu'ils ont amorcés pour permettre une répartition plus équilibrée des femmes et des hommes assumant des responsabilités politiques.

A cet effet, les règles relatives au financement public des partis politiques pourraient, si le législateur le décidait, contribuer à la mise en oeuvre du principe constitutionnel d'égal accès .

Cette législation de caractère incitatif placerait les partis politiques dans une situation égale au regard du risque électoral éventuel qu'ils craindraient d'assumer.

Il appartiendrait au législateur de définir les modalités de cette modulation du financement public, qui pourrait être établie sans majoration de la masse globale des subventions accordées aux partis.

Elle devrait rester suffisamment modérée pour ne pas " compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idée et d'opinion " , selon la jurisprudence établie par la décision du Conseil constitutionnel du 11 janvier 1990 (n° 271-DC) sur la loi relative à la limitation des dépenses électorales.

Votre commission des Lois s'est interrogée sur l'opportunité de prévoir aussi que les règles de financement public des partis puissent contribuer au respect des principes de la souveraineté nationale et de la démocratie auxquels l'article 4 de la Constitution les soumet également.

Elle a considéré que si le contrôle de la conformité des règles de financement public au principe de l'égal accès pouvait être assuré selon des critères objectifs (proportion de candidats de chaque sexe), celui de la conformité de ces règles aux principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ne pouvait être exercé sur la base de critères totalement objectifs.

Sans exclure a priori la possibilité de moduler les règles de financement en fonction du respect de ces principes, votre commission des Lois estime cependant que cette éventualité ne pourrait être introduite dans la Constitution qu'après un examen approfondi de toutes ses implications.

En conséquence, votre commission des Lois vous propose un amendement tendant à une nouvelle rédaction de l'article unique du projet de loi constitutionnelle pour compléter l'article 4 de la Constitution.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve de l'amendement qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent projet de loi constitutionnelle.

A N N E X E


COMPTES RENDUS
DES RÉUNIONS DE LA COMMISSION

_______

COMPTE RENDU DES AUDITIONS
DU MERCREDI 16 DÉCEMBRE 1998

_______

La commission a tout d'abord entendu Mme Gisèle Halimi , présidente de la commission " vie politique " de l'Observatoire de la parité.

Mme Gisèle Halimi a tout d'abord exposé que l'Observatoire de la parité, dont elle a présidé la commission " vie politique ", avait conclu à l'opportunité d'une révision constitutionnelle pour établir dans les faits l'égalité entre les femmes et les hommes, posée par le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Observant que l'objection principale à cette révision tenait en la mise en cause de l'universalisme républicain, elle a considéré que celui-ci, tel qu'il avait été établi dans les faits en 1789, n'avait pas aboli l'esclavage, ni instauré la citoyenneté des femmes.

Elle a estimé que jusqu'à l'établissement du droit de vote des femmes à l'initiative du général de Gaulle en 1944, les droits de l'homme n'étaient en la matière que ceux des hommes.

Analysant ensuite les statistiques de présence des femmes dans les assemblées parlementaires depuis 1945, elle a considéré que l'évolution de 6 % d'élues en 1946 à 10,9 % en 1997 n'était pas suffisante et a constaté que le chiffre atteint lors des dernières élections législatives provenait de l'accroissement des candidatures féminines.

Elle en a conclu que l'insuffisante présence des femmes résultait principalement des choix des partis lors de l'investiture des candidats.

Elle a remarqué que, devant l'Observatoire de la parité, tous les responsables politiques avaient exprimé leurs regrets de la faible participation des femmes et que si les partis avaient effectivement mis en oeuvre les responsabilités qu'ils détenaient de l'article 4 de la Constitution, la révision constitutionnelle n'aurait pas été nécessaire.

Mme Gisèle Halimi a fait valoir qu'elle avait été, en 1982, l'auteur de l'amendement ne permettant pas à plus de 75 % de personnes de même sexe de figurer sur une même liste aux élections municipales dans les communes d'au moins 3.500 habitants, et que cet amendement avait été adopté à la quasi-unanimité par chacune des deux assemblées.

Elle a constaté que sans la déclaration de non-conformité à la Constitution de cette disposition, par le Conseil Constitutionnel, l'établissement de listes composées uniquement de femmes n'aurait pas été possible et pris acte du fait que cette décision rendait indispensable une révision de la loi fondamentale, si l'on souhaitait parvenir à la parité des candidatures.

Elle a salué la solennité de la révision constitutionnelle et a approuvé le choix de la modification de l'article 3 de la Constitution relatif à la souveraineté nationale et au suffrage universel, regrettant cependant qu'à cette occasion, ne soit pas également complété l'article 1er de la Constitution afin de préciser que l'égalité devant la loi devait être assurée sans distinction de sexe.

Elle a souligné que l'Assemblée nationale avait adopté le projet de loi constitutionnelle à l'unanimité et précisé que le recours à un référendum, selon la procédure de l'article 11 de la Constitution, n'avait pas été décidé en raison de réserves exprimées sur cette procédure, aussi bien par le Président de la République que par le Premier ministre.

Elle a enfin relevé que le recours à l'article 11 de la Constitution aurait permis d'éviter le veto de l'une des assemblées, ce à quoi M. Jacques Larché, président, a objecté qu'il n'existait pas de droit de veto en matière de révision constitutionnelle, mais simplement des pouvoirs identiques de chaque assemblée.

Mme Gisèle Halimi a considéré que le projet de loi constitutionnelle, aussi bien dans sa rédaction initiale que dans celle adoptée par l'Assemblée nationale, était imprécis et pouvait se prêter à plusieurs lectures contradictoires.

Elle a déploré l'absence du mot " parité ", soulignant que la parité signifiait la réunion de deux moitiés de la population dans l'ensemble des citoyens et qu'un renouvellement de la démocratie pourrait naître de l'adoption de ce principe.

Elle a considéré que la parité était un principe à faire figurer expressément dans la Constitution, alors que " l'égal accès " constituait un moyen pour le législateur de mettre en oeuvre l'égalité des chances.

Elle a estimé que la rédaction de ce projet n'impliquait aucune obligation pour le législateur alors qu'il appartenait à la Constitution, elle-même, de fixer des principes que celui-ci devrait ensuite mettre en oeuvre.

Elle a ensuite observé que le projet n'apportait aucune solution concernant le mode d'établissement de la parité, singulièrement en ce qui concerne les scrutins uninominaux.

Constatant que le Premier ministre s'était engagé à ne pas proposer le scrutin proportionnel aux élections législatives, en conséquence de la révision constitutionnelle éventuelle, elle a estimé que l'absence de toute modification en ce domaine ne permettrait probablement pas d'enregistrer des progrès significatifs quant à la participation des femmes aux assemblées parlementaires.

Evoquant ensuite la proposition formulée par l'Observatoire de la parité tendant à moduler le financement public des partis politiques en fonction du nombre des candidatures féminines, elle a observé que celle-ci n'avait été émise que dans l'hypothèse où l'inscription de la parité dans la Constitution n'aurait pas été retenue.

Elle a enfin considéré que les réticences exprimées par le Sénat au début du siècle sur le droit de vote des femmes appartenaient à un passé révolu et qu'il revenait aujourd'hui à la Haute Assemblée de remédier aux insuffisances du texte proposé par le Gouvernement et l'Assemblée nationale.

M. Guy Cabanel, rapporteur, a souligné que le vote à l'Assemblée nationale sur ce projet de loi avait été acquis à l'unanimité et que le nombre relativement faible des votants, à savoir 82, tenait aux modalités d'application du vote personnel à l'Assemblée nationale.

Il a considéré que si le Président de la République n'avait pas souhaité utiliser la voie référendaire selon la procédure de l'article 11 de la Constitution, il n'avait cependant pas exclu de manière définitive tout recours au référendum en optant pour l'article 89.

En réponse à M. Guy Cabanel, rapporteur, Mme Gisèle Halimi a considéré que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale n'améliorait que peu le projet initial et a confirmé que la modification qu'elle proposait à l'article 1er de la Constitution n'était pas exclusive d'une révision de son article 3.

Répondant à M. Jacques Larché, président , Mme Gisèle Halimi a regretté que le texte transmis au Sénat permette l'établissement de quotas relevant d'une philosophie différente de celle de la parité, M. Guy Cabanel, rapporteur, observant que selon le doyen Vedel, la parité n'était que l'institution d'un quota de 50 %.

Puis la commission a procédé à l'audition de M. le doyen Georges Vedel.

M. Georges Vedel
a exposé que le projet de loi tendait à l'établissement d'un principe en termes suffisamment imprécis pour laisser ensuite au législateur le choix de retenir une solution ou une autre, le texte soumis au Sénat pouvant aussi bien signifier que le législateur serait contraint d'inscrire l'obligation de parité ou qu'il serait seulement autorisé à le faire.

Il a estimé que si le Constituant adoptait le texte en l'état, il abdiquerait son pouvoir et renverrait la difficulté en premier lieu au législateur, laissant, dans le cadre de la procédure législative, la possibilité à l'Assemblée nationale de statuer définitivement, et en deuxième lieu au Conseil Constitutionnel, auquel il appartiendrait de se prononcer sur ces questions de principe.

M. Georges Vedel a relevé que dans le passé, le Conseil Constitutionnel avait été critiqué en raison de l'interprétation qu'il avait dû faire, par nécessité, des textes fondamentaux établis à une période très ancienne et qu'aujourd'hui, le législateur l'inviterait sciemment à se substituer à lui.

Il a souligné le paradoxe qui tiendrait à ce que la réponse à la question soulevée dépende non de la Constitution mais de son interprétation par le Conseil Constitutionnel, et ce alors que celui-ci se voit parfois reprocher de s'ériger en " gouvernement des juges ".

M. Jacques Larché, président, a relevé que le Sénat exerçait en cet instant son pouvoir constituant et s'est interrogé sur la portée du texte adopté par l'Assemblée nationale.

M. Georges Vedel a considéré que le projet n'avait pas grammaticalement un caractère contraignant.

M. Guy Cabanel, rapporteur, a fait part de sa perplexité sur l'analyse de M. Georges Vedel, considérant que l'ensemble des dispositions de l'article 3 de la Constitution était rédigé en des termes imprécis et laissait au législateur le choix des mesures appropriées.

Il a estimé que l'emploi du verbe " favorise " se situait dans le même esprit que les autres dispositions de l'article 3 de la Constitution.

M. Georges Vedel s'est demandé si la substitution, dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, du terme " favorise " par le terme " détermine ", accentuait ou atténuait l'obligation.

Il a observé que lors de la rédaction de la Constitution de 1958, le suffrage universel ne pouvait s'entendre qu'en excluant toute possibilité de quotas et que, dans ces conditions, la question de l'établissement éventuel de discriminations positives pour les élections politiques ne pouvait être établie que par la Constitution.

M. Jacques Larché, président, a observé que le verbe " détermine " faisait partie de ceux employés dans différents articles de la Constitution, contrairement à celui de " favorise ".

A M. Nicolas About , qui lui demandait s'il ne serait pas préférable de prévoir une procédure d'adoption en termes identiques par les deux assemblées des lois électorales, M. Georges Vedel a répondu que cette question relevait d'une appréciation politique et non d'une analyse juridique, rappelant en particulier les propositions faites par une commission installée par M. Pierre Bérégovoy, lorsqu'il était Premier ministre, tendant, d'une part, à exclure toute réforme électorale au cours des deux années précédant une élection et, d'autre part, à instaurer l'adoption de telles réformes par une majorité qualifiée dans chaque assemblée.

M. Patrice Gélard , après avoir exprimé sa convergence d'analyse avec M. Georges Vedel, lui a demandé comment la révision constitutionnelle pourrait se concilier avec les principes établis par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

M. Georges Vedel a estimé que le constituant étant souverain, une révision constitutionnelle ne pouvait pas être considérée comme se heurtant à un principe constitutionnel.

Il a fait valoir que, l'écart entre le principe de l'égalité et son application effective n'étant pas contesté, le problème était plutôt de déterminer le moyen d'apporter un remède à cette situation.

Il a rappelé qu'aucun pays n'avait institué une obligation juridique de parité et a évoqué l'intérêt qu'il y aurait à adopter une modulation financière des règles en vigueur sur le financement public des partis politiques, cette solution lui paraissant pouvoir apporter des résultats positifs dans un délai raisonnable, la présentation de candidates n'apparaissant pas contradictoire avec les succès électoraux et une révision constitutionnelle n'étant pas impérative pour ce faire.

Il a craint que la révision proposée ait pour conséquence que le résultat des élections ne dépende plus du choix de l'électeur lui-même et a souligné le paradoxe qu'il y aurait à distinguer hommes et femmes pour l'éligibilité, ce qui pourrait être analysé comme une forme de racisme.

M. Georges Vedel a souligné le risque que la révision proposée ne suscite des revendications de quotas de la part de certaines catégories de la population, eu égard, par exemple et si l'on entrait dans cette logique, à l'inégalité de la représentation des différentes catégories socio-professionnelles au Parlement.

Il s'est réjoui, en sens inverse, de la décision du Conseil Constitutionnel refusant la notion de " peuple corse ".

A M. Robert Badinter , qui lui a demandé comment, sur un plan technique, la parité pourrait être établie dans les scrutins uninominaux, M. Georges Vedel a évoqué la détermination par le sort de circonscriptions réservées les unes aux hommes et les autres aux femmes.

M. Patrice Gélard a cité les listes de deux candidats par circonscription et M. Robert Badinter a demandé si le texte soumis au Sénat permettrait cette solution, ce à quoi M. Georges Vedel a apporté une réponse positive.

Mme Dinah Derycke , soulignant le décalage entre l'affirmation du principe d'égalité et son application effective, s'est interrogée sur les mesures positives susceptibles d'être prises pour y remédier, en dehors de celles proposées par le projet de loi.

M. Georges Vedel a rappelé que l'égalité ne s'appliquait pas seulement en matière électorale mais a estimé que la loi, tout en ayant pour objectif de la mettre en oeuvre, ne pouvait la substituer dans la pratique à toutes les règles sociales.

Il a souligné que le défaut de représentation des femmes ne résultait pas seulement de l'attitude des hommes, mais peut-être d'une volonté parfois insuffisante des femmes, qu'il appartenait aux uns et aux autres d'agir et qu'il importait de ne pas perdre de vue le principe fondamental du libre choix par l'électeur.

Il a conclu en estimant que la démocratie impliquait que l'électeur choisisse le représentant et non l'inverse.

M. Jean-Pierre Schosteck a estimé que le rythme de la progression de la représentation des femmes au cours des dernières années devait être considéré comme encourageant pour l'avenir sachant qu'elles n'avaient accédé au droit de vote qu'en 1944 et que d'autres catégories avaient connu un processus plus long.

Mme Dinah Derycke a affirmé que les femmes ne constituaient pas une catégorie puisqu'elles représentaient la moitié de l'humanité.

COMPTE RENDU DES AUDITIONS
DU MARDI 19 JANVIER 1999

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La commission a tout d'abord entendu Mme Françoise Hostalier, ancien secrétaire d'Etat chargé de l'enseignement scolaire .

Après avoir constaté l'exception française constituée par la faible présence de femmes aux postes de responsabilités, Mme Françoise Hostalier a néanmoins fait valoir qu'il y avait une prise de conscience de plus en plus forte de cette situation de la part des dirigeants politiques mais aussi de la part des femmes elles-mêmes.

Estimant que le niveau des débats devant l'Assemblée nationale avait été décevant, Mme Françoise Hostalier a regretté qu'ils n'aient pas permis un réel examen de la question.

Se déclarant personnellement favorable à l'idée de parité mais hostile à toute obligation législative, notamment par la méthode des quotas, Mme Françoise Hostalier a fait observer qu'il était difficile de faire passer cette analyse auprès de l'opinion publique en l'absence d'un véritable débat.

Après avoir rappelé que, selon le dictionnaire, la parité se définissait comme " ce qui est pareil ", Mme Françoise Hostalier a indiqué qu'elle l'analysait comme la recherche d'une égalité en termes de valeur et non pas en termes mathématiques.

Puis, faisant valoir que le projet de loi de révision constitutionnelle ne changeait pas le fond du problème, Mme Françoise Hostalier a rappelé que la décision du Conseil constitutionnel de 1982 était fondée, d'une part, sur l'article VI de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 qui fixait le principe de l'égal admissibilité aux emplois publics et, d'autre part, sur l'article 3 de la Constitution qui interdisait qu'une section du peuple accapare la souveraineté nationale.

Elle a donc considéré que, malgré la révision constitutionnelle, toute loi qui établirait des quotas contredirait ces mêmes dispositions.

Soulignant que contrairement à l'humanité, la citoyenneté n'était pas sexuée, Mme Françoise Hostalier a plaidé pour une société qui respecte la diversité des personnes, sans distinction d'aucune sorte. Elle a relevé que la réforme proposée contredisait le principe d'universalité.

Elle s'est déclarée favorable à ce que la loi garantisse aux femmes l'égalité des chances pour arriver à des postes de responsabilités et non pas un résultat en codifiant une obligation mathématique sur des listes de candidatures.

Puis Mme Françoise Hostalier a suggéré que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale soit modifié afin qu'il soit expressément indiqué que la loi devra déterminer les conditions dans lesquelles l'égalité des chances pour l'accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions sera garantie.

Mme Françoise Hostalier a néanmoins fait valoir que le problème de l'accès des femmes aux postes de responsabilités était essentiellement d'ordre culturel. Elle a donc souligné le rôle des partis politiques et de leurs dirigeants pour favoriser l'accès des femmes aux responsabilités et aux mandats.

En conclusion, constatant l'existence de signes encourageants, Mme Françoise Hostalier a fait observer que les femmes étaient de plus en plus présentes dans la vie économique et sociale et que dans les instances destinées aux jeunes, notamment en milieu scolaire, la parité des délégués était effective en l'absence de tout texte l'imposant.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a souhaité savoir si la modification proposée devrait porter sur l'article 3 de la Constitution. Il s'est en outre demandé s'il ne faudrait pas envisager des mesures incitatives concernant le financement des partis politiques afin de favoriser la place des femmes dans la vie politique.

En réponse, Mme Françoise Hostalier a indiqué qu'elle n'avait pas d'a priori sur l'article de la Constitution qui devrait être modifié afin d'introduire l'idée d'égalité des chances.

Elle a regretté que cette égalité des chances ne soit pas suffisamment garantie par les partis politiques, pas assez accueillants pour les femmes et largement inadaptés aux mentalités féminines. Elle a également déploré que trop peu de femmes s'engagent dans la vie politique. Elle a en conséquence souhaité une mobilisation à l'intérieur des partis politiques pour faire émerger des talents, notamment parmi les femmes déjà engagées par ailleurs, par exemple dans la vie associative.

M. Luc Dejoie s'est demandé si une obligation légale, même si elle pouvait apparaître comme peu satisfaisante dans son principe, ne constituait pas une mesure d'accélération pragmatique indispensable pour développer le rôle des femmes dans la vie publique dans des délais plus rapides.

Estimant qu'il n'y avait pas eu d'avancée dans ce sens depuis la reconnaissance du droit de vote aux femmes, Mme Dinah Derycke s'est déclarée favorable au volontarisme dans ce domaine. Elle a fait valoir que la réforme constitutionnelle permettait de lever un obstacle, comme le mettait en évidence la récente décision du Conseil constitutionnel sur la loi modifiant le mode de scrutin régional.

Mme Dinah Derycke , tout en soulignant que certains progrès avaient été enregistrés au sein de sa formation politique aux dernières élections législatives, s'est néanmoins inquiétée des perspectives pour l'ensemble des listes aux prochaines élections européennes. Elle a en outre réfuté l'idée que la réforme envisagée pourrait dévaluer les femmes. Elle a enfin souligné que les femmes qui exerçaient des responsabilités politiques avaient le sentiment de représenter tous les citoyens, sans distinction aucune.

En réponse, Mme Françoise Hostalier , tout en partageant cette dernière réflexion, a néanmoins relevé qu'elle était en contradiction avec la thèse selon laquelle l'augmentation du nombre de femmes dans les instances politiques permettrait d'améliorer leur représentation. Elle a en conséquence contesté l'idée qu'il faudrait favoriser la place des femmes dans les institutions uniquement pour mieux faire entendre leur voix.

Mme Françoise Hostalier a souligné que le fait d'être choisies pour siéger dans des institutions uniquement parce qu'elles étaient des femmes aurait pour effet de fragiliser leur situation.

Admettant que depuis la reconnaissance du droit de vote des femmes, la situation de ces dernières dans les institutions publiques n'avait pas beaucoup progressé, Mme Françoise Hostalier a estimé que les femmes n'avaient peut-être pas mené ce combat et qu'elles avaient souffert de l'absence d'une véritable solidarité féminine.

Tout en considérant qu'une modification des règles de financement des partis politiques pourrait avoir un effet incitatif, Mme Françoise Hostalier s'est néanmoins déclarée choquée par une telle solution qui reviendrait, selon elle, à " acheter " la représentation des femmes. Elle s'est au contraire prononcée pour des formations spécifiques pour faciliter l'accès des femmes à la citoyenneté. Elle a fait part de son hostilité à la création de deux catégories de citoyens qui devraient faire l'objet de mesures différentes pour les faire accéder aux postes de responsabilités.

Répondant à M. Luc Dejoie qui s'interrogeait sur l'opportunité de mesures législatives ayant un caractère provisoire, Mme Françoise Hostalier a fait valoir que de telles mesures qui s'apparenteraient à des discriminations positives seraient contraires aux fondements mêmes de la République.

Enfin, s'agissant des élections européennes, Mme Françoise Hostalier s'est prononcée pour un équilibre global entre les hommes et les femmes qui prenne en compte la valeur des candidats. Elle s'est en revanche déclarée hostile à des listes alternant systématiquement " un homme - une femme ".

La commission a ensuite entendu Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice et Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des femmes et de la formation professionnelle .

Après avoir rappelé que ce projet de loi constitutionnelle correspondait à un engagement pris par le Premier ministre au cours de sa déclaration de politique générale et qu'il avait été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés à l'Assemblée nationale, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé que personne ne contestait aujourd'hui l'idée qu'il était souhaitable que les femmes deviennent à peu près aussi nombreuses que les hommes à être titulaires de mandats électifs.

Elle a cependant constaté que si la France avait connu une évolution comparable à celle des autres pays en matière d'accès des femmes aux responsabilités professionnelles, elle avait en revanche pris du retard dans deux domaines, à savoir, d'une part, la modification des règles du code civil napoléonien -qui n'est intervenue que récemment- et, d'autre part, la présence des femmes parmi les titulaires de mandats et de fonctions électives. Soulignant l'" exception française " dans ce dernier domaine, elle a rappelé que la France avait été l'un des derniers pays à accorder le droit de vote aux femmes et qu'elle se situait parmi les derniers quant à la proportion de femmes au sein des assemblées parlementaires.

Partant de ce constat, elle a considéré que l'universalisme qui avait prévalu dans toutes les constitutions républicaines jusqu'à présent ne constituait pas la meilleure voie pour parvenir à réaliser l'égalité des sexes et elle a jugé indispensable de lever le " verrou " juridique sur ce point.

Elle a en effet relevé que les mesures incitatives s'étaient révélées insuffisantes pour atteindre l'objectif de la parité et que les discriminations positives étaient aujourd'hui interdites en raison de la décision du Conseil constitutionnel de 1982 qui avait déclaré inconstitutionnelle une disposition tendant à limiter à 75 % la proportion de personnes du même sexe pouvant figurer sur une liste pour les élections municipales, en se référant aux principes posés par l'article 3 de la Constitution et l'article VI de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789.

Compte tenu de l'existence de ces principes, elle a estimé qu'il n'était pas surprenant que le Conseil constitutionnel ait confirmé sa jurisprudence antérieure dans sa décision du 14 janvier 1999 et en a déduit qu'il était nécessaire de modifier la Constitution pour atteindre l'objectif de la parité. Elle a, à cet égard, approuvé la position exprimée en 1992 par le professeur Vedel, selon lequel " si les juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout moment, le Souverain, à condition de paraître en majesté comme Constituant, peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts ".

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des femmes et de la formation professionnelle, s'est associée à ce propos préliminaire et a déclaré qu'elle répondrait par la suite aux questions des membres de la commission.

M. Jacques Larché, président, a fait observer que sur ces bases certaines communautés pourraient faire valoir leur poids au sein de la population pour exiger une représentation.

Après avoir souligné la situation actuelle d'impasse résultant, d'une part, du caractère aléatoire et toujours insuffisant des mesures incitatives et, d'autre part, de l'interdiction des mesures législatives résultant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, M. Guy Cabanel, rapporteur, a rappelé que la modification de l'article 3 de la Constitution avait fait l'objet d'un accord entre le Premier ministre et le Président de la République.

Il a souhaité savoir quelle serait la marge d'appréciation laissée au législateur sur la base du texte initial du projet ou sur celle de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale et quelle serait la portée du contrôle du Conseil constitutionnel dans chaque cas.

Il a ensuite interrogé Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les intentions du Gouvernement concernant la mise en oeuvre législative du principe posé par le projet de loi constitutionnelle.

Après s'être interrogé sur la portée des termes " fonctions électives ", il lui a demandé si la modification envisagée de la Constitution permettrait au législateur de prendre des mesures d'incitation financière à l'égard des partis politiques sans risquer de se heurter au contrôle du Conseil constitutionnel et a indiqué qu'il envisageait un amendement tendant à modifier également l'article 4 de la Constitution.

Enfin, il a questionné le garde des sceaux sur les effets possibles d'une modification du statut de l'élu pour faciliter les candidatures féminines.

M. Guy Cabanel, rapporteur, a indiqué ne pas redouter un risque de communautarisation.

Après s'être associé aux questions du rapporteur, M. Nicolas About s'est interrogé sur l'" exception française " évoquée par Mme Elisabeth Guigou et a fait observer que les hommes se trouvaient eux pénalisés par une autre " exception française " relative à l'autorité parentale, à la garde des enfants et au droit de visite, considérant qu'il conviendrait de parvenir à un égal accès des hommes et des femmes à leurs enfants.

M. Jean-Jacques Hyest a souligné l'importance de la modification de la rédaction du projet de loi constitutionnelle par l'Assemblée nationale et les difficultés susceptibles de se poser pour l'application de ce texte. Il s'est en effet interrogé sur l'organisation de l'égal accès aux fonctions électives uniques comme la Présidence de la République et a évoqué la présence majoritaire des femmes dans certaines fonctions comme les fonctions judiciaires.

M. Jacques Larché, président, a relevé qu'en Suède, pays souvent cité comme exemple en matière d'accès des femmes à la vie politique, les femmes étaient moins présentes qu'en France dans les postes de responsabilité de la vie économique et de la fonction publique, soulignant qu'en France les promotions de l'ENA comportaient désormais 40 % de femmes.

Mme Dinah Derycke s'est félicitée de la présentation de ce projet de loi constitutionnelle, rappelant l'existence actuelle d'un " verrou " constitutionnel tenant à la conception universaliste de la citoyenneté. Se référant, sans les reprendre à son compte, aux propos tenus par Mme Françoise Hostalier au cours de son audition, elle a demandé à Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice , si l'on pouvait considérer que ce projet de loi était " anti-républicain " ou qu'il" dévaluait " les femmes.

Après avoir évoqué la situation de la profession d'avocat où les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans certains barreaux mais pas toujours dans les conseils de l'ordre, M. Jacques Peyrat a estimé que si les femmes n'avaient pas encore imposé leur présence dans le monde politique, à la différence des autres milieux professionnels, c'est parce qu'elles ne l'avaient pas souhaité. Il a fait état de ses propres difficultés pour trouver des candidates aux municipales tout en se félicitant qu'une femme l'ait remplacé à l'Assemblée nationale et que son suppléant soit également une femme. Il s'est donc interrogé sur les raisons d'une réforme qui aboutirait à ses yeux à contraindre les femmes à cette évolution.

M. Robert Badinter a déclaré que ce projet de loi constitutionnelle semblait se fixer seulement pour objet de remédier à l'insuffisante représentation des femmes au sein de la vie politique et non de proclamer la parité dans la Constitution, ce qui aurait nécessité une affirmation claire. Il a considéré que la rédaction initiale du projet de loi constitutionnelle, tendant à " favoriser " l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, répondait à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Il a cependant fait part de sa perplexité devant la rédaction retenue par l'Assemblée nationale, prévoyant que " la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux ". Il s'est en effet demandé si ce texte n'impliquait pas une obligation de prévoir une parité des candidatures dans toutes les élections. Il a constaté qu'une telle obligation ne poserait pas de difficulté technique dans le cadre du scrutin de liste, mais s'est interrogé sur la possibilité de la concilier avec le scrutin uninominal.

Enfin, M. Jacques Larché, président, a demandé au garde des sceaux si la révision constitutionnelle permettrait d'instaurer des quotas.

En réponse aux différents intervenants, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord indiqué que le projet de loi constitutionnelle reposait sur un choix philosophique consistant à considérer que les femmes ne constituaient pas une catégorie mais représentaient la moitié de l'humanité. Elle a estimé que l'universalisme abstrait avait conduit à imposer la domination du masculin et que la réforme envisagée n'entraînait pas une évolution vers le communautarisme.

Répondant ensuite aux questions du rapporteur, elle a déclaré que le texte initial et celui adopté par l'Assemblée nationale poursuivaient le même objectif, à savoir l'habilitation du législateur à intervenir soit pour inciter, soit pour contraindre. Relevant que la réforme tendait seulement à lever le " verrou " constitutionnel, elle a insisté sur le choix laissé au législateur entre incitation ou obligation, l'instauration de quotas n'étant pas exclue.

Elle a précisé que le terme " favoriser " retenu dans la rédaction initiale aurait pu laisser une trop grande marge d'appréciation au Conseil constitutionnel, soulignant par ailleurs que la révision constitutionnelle ne ferait disparaître ni les articles 3 et 4 de la Constitution, ni l'article VI de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789.

Elle a rappelé que le Premier ministre avait clairement indiqué qu'il n'était pas question que la révision constitutionnelle relative à la parité soit le prétexte d'une généralisation du scrutin proportionnel et que le Gouvernement n'avait pas de projet en ce sens.

Elle a indiqué que, s'agissant des élections au scrutin proportionnel, il n'y aurait pas de difficultés à imposer la réalisation de la parité même en cas de nombre impair de sièges, la parité ne consistant pas en une stricte égalité mathématique.

Evoquant une décision du Conseil constitutionnel du 17 janvier 1979, elle a par ailleurs noté que les élections aux conseils de prud'hommes pourraient éventuellement être concernées, les fonctions de conseiller prud'homal constituant des fonctions électives au sens de cette jurisprudence.

En ce qui concerne les élections au scrutin majoritaire uninominal, elle a déclaré que l'intention du Gouvernement était d'agir par incitation à l'égard des partis politiques, soulignant toutefois qu'elle n'était pas favorable à l'idée d'accorder des primes aux partis politiques en fonction du nombre de candidatures féminines présentées, mais préférerait plutôt un système de pénalisation des partis les moins actifs dans ce domaine.

Elle a par ailleurs considéré qu'il n'était pas nécessaire de modifier l'article 4 de la Constitution dans la mesure où l'article 3 intégrait les partis politiques dans son champ d'application.

Enfin, à propos du statut de l'élu, elle a évoqué les difficultés particulières des femmes, liées à la conciliation des obligations familiales et des contraintes de la vie politique.

A la suite d'une remarque de M. Jacques Larché, président, qui a observé qu'il y aurait désormais deux catégories de lois électorales, les unes contraignantes et les autres incitatives, ce qui pourrait poser le problème de leurs modalités d'adoption, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a déclaré que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, qu'elle a qualifiée de plus " allante " que la rédaction initiale, n'imposait ni obligation, ni incitation et que chaque mode de scrutin avait sa logique.

En réponse à M. Nicolas About , le garde des sceaux a indiqué qu'elle avait installé un groupe de travail sur la famille qu'elle avait notamment chargé d'étudier les moyens d'une application effective de l'autorité parentale conjointe quelle que soit la situation juridique du couple.

En réponse à Mme Dinah Derycke , elle a fait valoir que le projet de révision constitutionnelle n'ouvrait pas de brèche dans le principe de l'universalisme, l'humanité étant composée de femmes et d'hommes.

Répondant à M. Jacques Peyrat , elle a reconnu que beaucoup de femmes hésitaient à s'engager dans des postes de responsabilité en raison des difficultés de conciliation des obligations professionnelles et familiales, notamment dans la magistrature. Elle a par ailleurs constaté que dans certains corps, la féminisation dominante pouvait poser problème, évoquant l'exemple des éducateurs confrontés à la délinquance juvénile. Elle a toutefois contesté que l'on ne puisse trouver des candidates en les cherchant.

Estimant qu'actuellement tout était fait pour décourager les femmes d'entrer dans la vie politique, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a insisté sur la nécessité de leur montrer qu'elles y étaient les bienvenues, sans qu'il soit question de contraindre quiconque.

En réponse à M. Robert Badinter , elle a considéré que pour parvenir à l'objectif de l'égalité entre les hommes et les femmes, la parité lui paraissait constituer un meilleur instrument que les quotas, ceux-ci n'étant toutefois pas exclus.

A propos du scrutin uninominal, elle s'est de nouveau déclarée favorable à un système d'incitation financière à l'égard des partis politiques mais a souligné que le législateur ferait ce qu'il entendrait et que la position du Gouvernement n'était pas figée a priori.

Interrogée par M. Jacques Larché, président, sur l'éventualité de la mise en place d'un système contraignant pour les élections au scrutin uninominal, elle n'a pas exclu le dépôt de propositions de loi en ce sens à l'Assemblée nationale.

M. Luc Dejoie a considéré que le texte à l'Assemblée nationale posait le principe de l'obligation de parvenir à l'égalité.

Après avoir fait observer que le principe de l'égalité figurait déjà dans le préambule de la Constitution, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a réaffirmé qu'il ne s'agissait pas d'une égalité mathématique et que le texte de l'Assemblée nationale permettait à la fois l'obligation et l'incitation.

M. Jacques Mahéas a estimé que la parité ne poserait pas de problème s'agissant des élections au scrutin de liste mais s'est interrogé sur les risques de contentieux résultant de son extension à l'ensemble des fonctions électives, tout en se déclarant partisan de progresser largement vers l'égalité entre les hommes et les femmes dans ce domaine.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des femmes et de la formation professionnelle, est alors intervenue pour présenter les actions qu'elle avait engagées en sa qualité de secrétaire d'Etat chargé des droits des femmes.

Après avoir souligné la volonté du Premier ministre de " remettre en mouvement " les actions dans ce domaine, elle a expliqué qu'elle avait demandé à l'Observatoire de la parité, dont les membres venaient d'être renouvelés, de lui faire des propositions dans un délai de six mois pour améliorer la place des femmes dans la vie politique.

Elle a par ailleurs indiqué qu'elle s'était engagée à faire progresser la lutte contre les inégalités professionnelles, et a cité des statistiques illustrant la faible proportion de femmes occupant des postes de responsabilité. Elle a à cet égard précisé qu'elle venait de nommer Mme Catherine Génisson parlementaire en mission, chargée de lui faire des propositions dans un délai de trois mois.

M. Robert Badinter a déclaré qu'il soutiendrait toutes les mesures susceptibles de favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes dans la société. Il a cependant fait valoir que, s'agissant de l'élection d'une personne, le souverain ne pouvait être que celui qui est appelé à choisir, à savoir l'électeur qui souhaite que les candidats présentés soient les meilleurs.

Après avoir constaté que les démocraties les plus avancées en matière de représentation des femmes dans la vie politique n'avaient jamais eu recours à des mesures paritaires contraignantes, il s'est interrogé sur les moyens susceptibles de permettre sa mise en oeuvre concrète, suggérant l'idée d'une modification de l'article 4 de la Constitution destinée à prévoir que les partis organiseraient l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, sans modifier les dispositions relatives à la souveraineté nationale.

Il a souligné l'inapplicabilité de la parité pour la Présidence de la République et les présidences d'exécutifs locaux. Il s'est interrogé sur la conciliation de la parité et des équilibres politiques au sein des Bureaux des assemblées nationales et locales.

M. Guy Cabanel a estimé que le texte initial était plus souple que celui adopté par l'Assemblée nationale qui entraînerait une mécanique difficile à maîtriser.

M. Luc Dejoie a fait observer que le problème ne pourrait être réglé par les seuls partis politiques, certaines fonctions électives ne relevant pas d'eux.

M. Jacques Mahéas a également considéré que l'organisation de la parité ne pouvait être confiée aux seuls partis politiques mais s'est à nouveau interrogé sur son application dans le cadre des fonctions électives uniques.

En conclusion, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité, chargé des droits des femmes et de la formation professionnelle, a déploré que notre pays soit toujours citée comme bon dernier quant à la place faite aux femmes au sein des lieux de pouvoir. Elle a estimé que si la volonté politique de favoriser l'amélioration de la place des femmes avait été partagée par tous, ce débat sur la révision constitutionnelle n'aurait pas été nécessaire.

Enfin, évoquant sa propre expérience de la vie politique, elle a souligné les grandes difficultés pour les femmes de parvenir à concilier l'ensemble de leurs obligations familiales et professionnelles.

Mme Dinah Derycke a souhaité que les hommes se posent également la question de cette conciliation pour eux-mêmes.

La commission a ensuite procédé à l'audition de Mme Elisabeth Badinter , professeur de philosophie à l'école polytechnique, sur le projet de loi constitutionnelle n° 130 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes .

Mme Elisabeth Badinter a précisé qu'elle avait accepté de venir devant la commission des lois du Sénat, après avoir décliné d'être entendue par celle de l'Assemblée nationale, car elle s'était rendu compte que son opinion n'avait pas été représentée dans le débat. Elle s'est déclarée être également l'interprète de ses élèves femmes de l'école polytechnique qui avaient ressenti ce texte comme une véritable humiliation.

Elle a développé trois motifs qui l'avaient conduite à se déclarer hostile à la révision constitutionnelle proposée.

En tant que professeur de philosophie, Mme Elisabeth Badinter a tout d'abord considéré que le projet de loi procédait à une manipulation des concepts en portant atteinte à la notion d'humanité qui s'attache à mettre en exergue les points communs entre les êtres humains et non leurs différences biologiques, lesquelles, si elles ont de réelles conséquences en matière de procréation, n'ont pas à intervenir dans le domaine politique.

Effectuant une comparaison avec les mouvements revendiquant le droit à la différence initiés par les " Black panthers " américains au début des années 70, qu'elle a regretté avoir jugés transposables aux droits des femmes à l'époque, elle a estimé qu'une telle approche avait légitimé ultérieurement des théories d'extrême droite prônant la discrimination au nom de la différence.

Elle a considéré que la notion de parité relevait d'une fausse évidence et que les demandes en matière d'égalité devaient toujours être fondées sur le droit à la ressemblance pour mettre en exergue ce qui unit et non ce qui sépare.

En tant que féministe ensuite, Mme Elisabeth Badinter a jugé que ce texte constituait une régression. Rappelant les travaux qu'elle avait menés, pendant 25 ans, sur la place des femmes, elle a indiqué que toutes les actions tendant à faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes avaient été entreprises au nom de la ressemblance des sexes. Elle a estimé que les femmes avaient démontré leur capacité à accomplir dans tous les domaines les mêmes tâches que les hommes et a réfuté l'idée communément admise selon laquelle les femmes se révéleraient meilleures dans les domaines concrets et les hommes plus capables d'abstraction.

Elle a considéré que la véritable égalité résiderait dans un partage intégral entre les hommes et les femmes des charges de famille relevant de la sphère privée et des charges professionnelles relevant de la sphère publique. Mais elle a constaté que la réticence des hommes à partager les charges de famille laissait peu de temps aux femmes pour se consacrer à l'activité politique.

Rappelant que l'interruption volontaire de grossesse avait été votée par deux assemblées d'hommes, elle a souligné que les positions politiques étaient déterminées en fonction de l'idéologie et non du sexe et que l'engagement politique pouvait faire abstraction des particularismes.

Elle a craint que l'adoption de la parité n'aboutisse à un constat de différence irréductible entre les hommes et les femmes pouvant s'analyser comme un véritable retour en arrière. Elle a rappelé que l'action intégratrice de Martin Luther King avait plus fait progresser les noirs américains que les revendications communautaristes des " Black panthers ".

En tant que républicaine enfin, Mme Elisabeth Badinter a estimé que la constitutionnalisation du concept de parité marquerait l'échec de la République universelle. Reconnaissant que la sous-représentation des femmes en politique, particulièrement mise en évidence par les images de la réunion du Congrès la veille, était un véritable problème auquel il fallait apporter une solution, elle a supposé que de nombreux parlementaires se préparaient à voter la révision par mauvaise conscience, en croyant prendre une mesure de justice. Elle a souhaité les mettre en garde contre une telle démarche qui, conduisant à l'éclatement du concept d'universalisme, ouvrirait la boîte de Pandore de tous les communautarismes, chaque communauté pouvant être conduite à son tour à demander une mesure de justice, quitte à exiger par la suite la modification de l'article premier de la Constitution assurant l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.

En réponse à M. Guy Cabanel, rapporteur , qui l'interrogeait sur les solutions pratiques permettant de régler le problème de la sous-représentation des femmes dans la vie politique, elle a considéré qu'une politique volontariste devait être entreprise au sein des partis politiques.

Mme Elisabeth Badinter s'est déclarée en accord avec M. Charles Jolibois sur la similitude de la démarche intellectuelle aboutissant à la parité avec celle qui avait conduit la Cour suprême des Etats-Unis à appliquer jusqu'en 1953 la doctrine « séparés, mais égaux » ayant justifié la ségrégation.

M. Paul Girod , rappelant que le président Clinton, en arrivant au pouvoir, avait mis en application dans la haute administration américaine une politique de quotas par groupe ethnique, a craint qu'une évolution du même type ne se prépare en France.

M. Jacques Larché, président , rappelant que les Etats-Unis étaient allés jusqu'au busing, a souligné qu'ils tendaient à abandonner leur politique de discrimination positive.

Mme Elisabeth Badinter a considéré que toute nomination obtenue en fonction d'une discrimination positive laissait planer un doute sur la qualité des personnes concernées et elle a souligné que, de ce fait, ses élèves femmes, entrées à l'école polytechnique à armes égales avec les hommes, considéraient le projet de loi comme vexatoire. Elle a précisé que d'après les résultats d'un sondage publié en mai 1998, l'opinion publique française, même si elle souhaitait une amélioration de la situation, n'apparaissait pas favorable à la parité. Elle a jugé qu'il ne devrait pas être utile de réviser la Constitution pour imposer aux partis l'autodiscipline qui permettrait d'éviter l'éclatement de la République.

En réponse à M. Jacques Mahéas qui l'avait interrogée sur le rôle des partis politiques, Mme Elisabeth Badinter s'est déclarée favorable à une modification de l'article 4 de la Constitution qui préserverait l'universalisme. Elle a considéré que le débat en cours permettrait une véritable prise de conscience sur un problème réellement pathologique, et que la situation devrait s'améliorer de manière progressive.

En réponse à M. Guy Allouche , qui s'est demandé si le moment n'était pas venu d'entreprendre une politique véritablement volontariste en adoptant une loi contraignante, Mme Elisabeth Badinter, donnant notamment l'exemple de déclarations parues dans la presse, a de nouveau insisté sur les dangers à plus long terme de l'adoption de la parité, compte tenu de la pression montante des mouvements communautaristes. Elle a fait un parallèle entre la parité et le PACS à l'occasion duquel certains homosexuels revendiquaient le droit d'être reconnus en tant que tels et non le droit à l'indifférence.

Elle a conclu que, s'il était urgent d'agir pour améliorer la représentation des femmes dans la vie politique, il ne convenait en aucun cas d'entamer le principe de l'universalisme.

La commission a ensuite entendu M. Olivier Duhamel, professeur de droit public .

Concernant le principe de la révision, il a indiqué que celle-ci avait une portée symbolique quant à la présence des femmes dans l'espace politique, son objectif étant d'aboutir à une égalité réelle et non plus formelle. Il a estimé que la révision avait également une portée réelle, indirecte par la pression qu'elle comportait à l'égard des acteurs politiques et directe en ce qu'elle levait le veto émis par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1982 à l'égard de l'introduction par la loi de discriminations positives.

S'agissant du point d'application dans la Constitution de la révision, M. Olivier Duhamel a rappelé que trois versions étaient envisageables :

- une version minimaliste, évoquée au départ, prévoyant la modification de l'article 34 de la Constitution par l'adjonction au domaine de la loi de la détermination des règles favorisant l'accès des femmes aux responsabilités politiques, professionnelles et sociales, cette solution s'étant vu reprocher de confondre les règles de fond et de compétence ;

- une version maximaliste consistant à modifier l'article premier, souvent considéré comme le " pilier du consensus républicain ", terme emprunté à M. Guy Carcassonne, de manière à marquer l'exigence du caractère paritaire de la démocratie ;

- une version intermédiaire, retenue par le projet de loi, modifiant l'article 3 relatif au suffrage universel, ayant une forte portée symbolique et permettant de répondre aux objections formulées en 1982 par le Conseil constitutionnel à l'encontre des quotas.

Concernant le contenu de la révision, M. Olivier Duhamel a considéré que son application au seul domaine politique était justifiée par le fait que le Conseil constitutionnel avait déjà admis dans sa décision de 1995 sur l'aménagement du territoire, ainsi que dans sa décision sur le traité d'Amsterdam, l'adoption d'avantages spécifiques dans les domaines économiques et sociaux. Il a souligné que les précisions apportées par l'Assemblée nationale sur la nature élective des mandats ou fonctions éliminaient l'application de la réforme au sein du Gouvernement.

S'agissant du sens à donner à la notion d'égalité, il a estimé que le texte adopté par l'Assemblée nationale pouvait être compris de diverses manières  : selon une interprétation large, l'abandon du terme " parité " indiquerait que l'égal accès serait une mixité sans domination d'un sexe ; selon l'interprétation étroite des inspirateurs de la réforme, il imposerait une stricte égalité à 50% et selon une interprétation transactionnelle, il permettrait d'aboutir à la parité stricte sans l'imposer.

Concernant la nature de l'obligation créée par le texte, et nonobstant le remplacement opéré par l'Assemblée nationale, du verbe " favorise " par le verbe " détermine ", il a considéré qu'il ne s'agissait que d'une obligation de moyens et non de résultats dans la mesure où n'était visé que "  l'égal accès " aux fonctions et mandats électifs.

Quant à la portée de la prescription, il a considéré pour sa part, notamment au vu de l'exposé des motifs, que le texte entraînait une habilitation du législateur à prendre des mesures plutôt qu'une obligation de le faire, tout en soulignant son désaccord sur ce point avec le doyen Vedel. Il a précisé qu'une habilitation à faire pourrait, une fois les mesures prises, engendrer, comme en matière de droits économiques et sociaux, une interdiction de défaire, selon la jurisprudence constitutionnelle de l'" effet de cliquet ".

M. Olivier Duhamel a conclu que la réforme concrétisait la volonté d'aller vers plus d'égalité en habilitant le législateur à poser des obligations de moyens. Mais il a estimé qu'aucune certitude absolue ne pouvait être dégagée sur cette interprétation, qu'il conviendrait de faire préciser lors du débat.

M. Guy Cabanel, rapporteur , après s'être déclaré rassuré par l'appréciation donnée quant à la contrainte engendrée par le texte à l'égard du Parlement, a souhaité être éclairé sur les conséquences du remplacement par l'Assemblée nationale de l 'expression " la loi favorise " par celle de " la loi détermine ", concernant tant l'obligation en résultant pour le législateur que le degré de latitude laissée au Conseil constitutionnel dans chaque cas.

M. Olivier Duhamel a rappelé que pour certains, la modification consistait simplement à marquer qu'il s'agissait de mettre en oeuvre un droit et non d'octroyer une faveur alors que pour d'autres, au contraire, elle tendait à introduire une certaine ambiguïté sur la nature de l'obligation engendrée. Il a considéré, quant à lui, qu'il n'y avait pas d'obligation pour le législateur d'intervenir, mais qu'il appartiendrait au Conseil constitutionnel de donner son interprétation le moment venu. Il a souligné, qu'en tout état de cause, la question ne pourrait être tranchée avant que n'intervienne une modification du mode de scrutin, le juge ne pouvant prescrire au législateur de voter une loi. Quant au degré d'appréciation laissé au Conseil constitutionnel, il a estimé qu'il n'y avait pas de différence en fonction de l'une ou l'autre expression.

En réponse à M. Luc Dejoie qui a souhaité obtenir des précisions complémentaires sur la nature de l'obligation engendrée par le texte, M. Olivier Duhamel a considéré que l'introduction dans celui-ci de la notion de l'égal accès au lieu de celle de parité marquait la défaite des partisans d'une démocratie sexuée dans laquelle l'égalité aurait été mathématiquement prescrite et impliquait pour le législateur une simple obligation de moyens.

A la demande de M. Patrice Gélard , M. Olivier Duhamel a précisé, qu'à son avis, la réforme permettrait, sans l'imposer, l'exigence d'une proportion moitié-moitié et qu'elle n'était pas incompatible avec l'article VI de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen concernant l'égalité des citoyens devant la loi. Il a ensuite indiqué que sa préférence personnelle eut été de prévoir la possibilité de légiférer à titre temporaire pour instaurer des éléments d'égalité réelle, y compris des quotas, par exception au principe d'égalité, et pour des motifs d'intérêt général. S'agissant de l'adoption de mesures financières incitatives à l'égard des partis, il a admis qu'une exception pouvait être apportée au principe, qu'il défendait habituellement, de neutralité du financement des partis. Il a suggéré, qu'à l'image de la législation adoptée récemment en Belgique prévoyant des pénalités pour les partis dont les membres tiendraient des propos racistes ou xénophobes, un tel mécanisme financier pourrait être étendu à d'autres fins telle l'amélioration de la représentation des femmes.

En réponse à M. Charles de Cuttoli qui s'est demandé s'il ne conviendrait pas d'amender le texte afin de lever les ambiguïtés qu'il recelait, M. Olivier Duhamel a redit qu'à son sens, il impliquait une habilitation à faire mais a considéré qu'il serait en tout état de cause nécessaire d'obtenir lors du débat les clarifications nécessaires.

En réponse à M. Guy Allouche , qui s'interrogeait sur les moyens de remédier à l'absence de volontarisme actuel de la classe politique, M. Olivier Duhamel a considéré qu'une solution pourrait être trouvée dans l'adoption de dispositions transitoires.

M. Jacques Larché, président, a jugé que ce texte, comme celui sur le Conseil supérieur de la magistrature, posait un principe dont personne n'était en mesure de préciser quelles en seraient les conséquences législatives. Il a craint que l'impossibilité d'aboutir à la parité pour les scrutins uninominaux, malgré les diverses solutions qui avaient pu être avancées, ne conduise à l'adoption généralisée d'un scrutin proportionnel. Il a souligné que les candidatures indépendantes, qui devaient demeurer possibles, ne pourraient être concernées par d'éventuelles mesures incitatives à l'égard des partis.

M. Robert Badinter , ayant également insisté sur l'impossibilité de mettre en oeuvre le système de la parité à chaque fois qu'il s'agirait d'élire une seule personne à un mandat ou une fonction, M. Olivier Duhamel a considéré que la conception de la parité présentée dans le projet de loi, différente de celle beaucoup plus tranchée des initiateurs de la réforme, n'exigeait pas d'intervention en matière de scrutin uninominal. Il s'est cependant déclaré persuadé que l'action des partis conduirait en fait à une amélioration progressive en la matière.

Enfin, en réponse à M. Luc Dejoie , il a estimé que les mandats non politiques n'étaient pas concernés par la révision dès lors que celle-ci portait sur l'article 3 de la Constitution.

La commission a ensuite entendu Mme Evelyne Pisier, professeur de sciences politiques à l'université de Paris I.

A titre liminaire, Mme Evelyne Pisier, en tant que femme et citoyen de gauche, a fait part de son malaise devant ce débat. Rappelant que le projet de loi constitutionnelle avait pour objet de réparer une injustice à laquelle elle était sensible, elle a déclaré qu'elle ne pouvait pourtant qu'être opposée à la voie choisie, celle du " marteau " de la révision constitutionnelle. Soulignant que les associations et les militants à l'origine de cette proposition avaient mené un combat admirable, elle a estimé que leur action avait permis un réveil de la classe politique. Elle a toutefois considéré qu'il était dangereux de porter atteinte à des principes fondamentaux, en particulier l'universalisme dont l'abstraction même recèle un potentiel indispensable.

Mme Evelyne Pisier s'est interrogée sur les raisons qui poussaient le Gouvernement à proposer ce projet de loi constitutionnelle, alors qu'il n'avait apporté aucun changement dans les nominations discrétionnaires dépendant directement de lui, en particulier au sein des cabinets ministériels et de la haute administration. Elle a regretté que les femmes soient si peu nombreuses à la tête des grands établissements publics ou au sein d'organes tels que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou le Conseil supérieur de la magistrature, alors qu'un renforcement de la présence des femmes dans ces instances était possible sans modification constitutionnelle. A propos des mandats électoraux, elle a constaté que les partis politiques étaient à l'évidence misogynes et responsables de la faible représentation des femmes. Elle a estimé qu'à tout prendre, il serait préférable de modifier l'article 4 de la Constitution relatif aux partis politiques plutôt que de modifier l'article portant sur la souveraineté nationale.

Mme Evelyne Pisier a alors souligné que le texte adopté par l'Assemblée nationale manquait de clarté. Elle a observé que l'expression " la loi détermine " pouvait paraître impliquer une obligation de prendre des mesures pour le législateur. Elle a souligné que l'expression " égal accès " donnait au contraire à penser qu'il ne s'agissait pas d'une obligation de résultat mais que l'on souhaitait encourager un progrès de la représentation des femmes en politique. Soulignant que le texte pouvait être interprété comme une habilitation à prendre des mesures, elle a observé qu'il aurait alors des conséquences moins graves et que l'on pouvait lui trouver le mérite de faciliter l'adoption de mesures sur le financement des partis et la limitation du cumul des mandats, encore qu'une révision constitutionnelle apparaisse alors superfétatoire. Elle a en revanche fait valoir que si ce texte avait une portée obligatoire et conduisait à la mise en place de quotas, il conduirait à considérer que les femmes constituent une catégorie particulière, que l'humanité est " genrée ".

Rappelant que les défenseurs de la révision constitutionnelle soulignaient constamment que les femmes ne constituaient pas une minorité, elle s'est demandé quels motifs pouvaient justifier une telle affirmation. Elle a souligné que l'importance quantitative des femmes dans l'humanité ne suffisait pas à les distinguer de communautés et qu'il était humiliant de justifier des mesures particulières par des considérations numériques. Elle a ajouté que le seul autre argument avancé pour démontrer que les femmes n'étaient pas une communauté était la faculté procréatrice du couple homme-femme. Mais elle a mis en valeur la force du droit qui transcende la biologie pour considérer les individus et non les spécificités.

Dans l'hypothèse d'une révision, Mme Evelyne Pisier a alors marqué sa préférence pour une modification de l'article 4 de la Constitution afin de rendre les partis responsables à l'égard de la démocratie. Elle a souligné qu'une telle modification pourrait concerner non seulement l'accès des femmes aux mandats électoraux, mais également la lutte contre le racisme et la xénophobie. Elle a souligné que, dans ce cas, les femmes ne seraient pas considérées pour leur différence, mais parce qu'elles subissent des discriminations.

En réponse à M. Guy Cabanel, rapporteur, qui souhaitait savoir si elle avait une préférence entre la rédaction du projet de loi initial et celle adoptée par l'Assemblée nationale, Mme Evelyne Pisier a indiqué que l'Assemblée nationale avait manifestement souhaité que la pression en faveur de la parité soit plus forte. Elle s'est déclaré opposée à toute modification de l'article 3 de la Constitution, mais a souligné que la rédaction contenue dans le projet de loi constitutionnelle initial paraissait moins dangereuse.

Indiquant avoir toujours lutté pour l'égalité des sexes, M. Lucien Lanier a observé que, dans le débat sur la parité, ceux qui se prononçaient contre étaient inévitablement qualifiés d'anti-féministes, voire de misogynes. Il s'est demandé s'il était vraiment indispensable d'utiliser le " marteau pilon " que constitue une révision constitutionnelle pour forcer le suffrage universel. Il a rappelé que les seules inégalités tolérées par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen étaient celles reposant sur les talents et les vertus.

Mme Evelyne Pisier a alors estimé que la démocratie était plus menacée que la République par la révision en cours, soulignant que la liberté des hommes et des femmes de faire de la politique était en cause. Elle a estimé que l'électeur votait pour des idées et non pour un sexe, et que l'élu ne représentait pas en fonction de son sexe.

Mme Dinah Derycke a souligné qu'il n'existait en effet aucune raison pour que les femmes fassent de la politique différemment des hommes. Elle a fait valoir que les militantes des droits des femmes étaient partagées sur ce projet de loi constitutionnelle et qu'il convenait de réfléchir sans a priori tout en gardant à l'esprit que, en raison de la sous-représentation des femmes en politique, la démocratie française était inachevée. Elle a rappelé que la voie de la révision constitutionnelle avait été choisie compte tenu des décisions du Conseil constitutionnel sur ce sujet. Mme Dinah Derycke a fait valoir qu'à titre personnel, elle n'estimait pas que l'argument relatif aux risques de catégorisation de l'humanité soit pertinent puisqu'elle n'estimait pas appartenir à une catégorie au sens social du terme. Elle a souligné qu'il était indispensable de réfléchir aux moyens de faire sauter les verrous empêchant que dans le pays ayant " inventé " les droits de l'homme, le pouvoir politique ne soit plus confisqué par les hommes.

Mme Evelyne Pisier a alors souligné qu'il était effectivement nécessaire de prendre de nombreuses mesures pour favoriser l'accès des femmes aux mandats et fonctions. Elle a exprimé la crainte que la voie choisie ne conduise à mettre l'accent sur la différence. Elle a observé que les conquêtes des femmes étaient encore très récentes et qu'il fallait à tout prix mettre en avant la ressemblance plutôt que la différence. Elle a rappelé que sous Vichy, la femme était glorifiée dans sa différence en tant que mère et a estimé qu'alors que les femmes avaient enfin conquis le droit d'être des citoyens comme les autres, il serait dangereux de revenir en arrière. Elle a enfin observé que le passage du suffrage censitaire au suffrage universel masculin puis au suffrage universel mixte avait été possible grâce au principe d'universalité.

Enfin, la commission a entendu M. Guy Carcassonne , professeur de droit public .

A titre liminaire, M. Guy Carcassonne a estimé qu'une modification de la Constitution était indispensable pour franchir l'obstacle des décisions du Conseil constitutionnel de 1982 et 1999. Il a en outre souligné que cette révision constitutionnelle ne serait pas suffisante et qu'une médiation législative serait indispensable. Il a fait valoir qu'en tout état de cause, aucune révision constitutionnelle ne pourrait forcer à agir un Parlement qui ne le voudrait pas.

Évoquant le contenu du projet de loi constitutionnelle, M. Guy Carcassonne a estimé que la rédaction de l'Assemblée nationale était meilleure que celle proposée par le Gouvernement. Il a indiqué que la rédaction initiale donnait à penser que le Conseil constitutionnel pourrait porter un jugement sur la manière dont la loi favoriserait l'égal accès aux mandats et fonctions. Il a estimé qu'au contraire la rédaction de l'Assemblée nationale ne permettrait au Conseil constitutionnel que de vérifier que le législateur n'avait pas méconnu un autre principe constitutionnel ou commis une erreur manifeste d'appréciation. Il a jugé préférable que le législateur soit seul responsable du choix des moyens pour favoriser l'égal accès aux mandats.

M. Guy Cabanel, rapporteur, a tout d'abord rappelé que la rédaction initiale du projet de loi constitutionnelle avait fait l'objet d'un accord entre le Premier ministre et le Président de la République. Il s'est demandé si la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale ne risquait pas de faire du Conseil constitutionnel l'arbitre d'éventuels désaccords entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

M. Guy Carcassonne a constaté que l'accord entre le Président de la République et le Premier ministre avait porté sur l'initiative. Il a souligné qu'il existait dans la Constitution des prescriptions apparemment impératives difficiles à transcrire dans la loi. Il a cité le principe de la nationalisation des entreprises ayant le caractère d'un service public inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946. Il a alors fait valoir qu'en renvoyant à la loi la détermination des conditions dans lesquelles sera favorisé l'égal accès aux mandats, le constituant laissait une totale liberté d'appréciation au Parlement, le Conseil constitutionnel ne pouvant jouer qu'un rôle plus limité.

M. Guy Cabanel, rapporteur, s'interrogeant sur la place de la révision, a souhaité savoir si la modification du seul article 4 permettrait d'adopter des mesures en faveur des femmes sans risquer une censure du Conseil constitutionnel.

M. Guy Carcassonne a estimé que placer la modification à l'article 3 ou à l'article 4 n'entraînait aucune conséquence en la matière, celle-ci s'imposant en tout état de cause au Conseil constitutionnel. Il a rappelé que le Conseil constitutionnel avait déclaré contraires à la Constitution les traités de Maastricht et d'Amsterdam au nom de la souveraineté nationale inscrite dans l'article 3 de la Constitution et que le constituant avait choisi d'insérer dans la Constitution un article 88-2 pour surmonter cette inconstitutionnalité. Il en a déduit qu'il était tout à fait possible d'inscrire dans des articles différents de la Constitution un principe et son exception, la règle spéciale dérogeant à la règle générale.

M. Robert Badinter a souhaité savoir quelle modification de l'article 4 de la Constitution pourrait être envisagée si cette solution était préférée à une modification de l'article 3. Il a en outre demandé dans quelles conditions pourraient être envisagées des mesures organisant l'égal accès des femmes aux mandats électoraux dans le cadre de scrutins uninominaux ainsi qu'aux fonctions électives.

M. Guy Carcassonne a répondu qu'il était possible d'insérer le texte adopté par l'Assemblée nationale dans l'article 4 de la Constitution, cet article concernant à la fois le rôle des partis et le pouvoir de suffrage. Il a souligné qu'on ne pouvait invoquer la liberté de l'électeur pour s'opposer à la parité, observant qu'en l'absence de possibilité de panachage, l'électeur était d'ores et déjà privé de liberté dans la plupart des scrutins. Il a estimé que le projet de loi constitutionnelle permettrait de limiter la liberté des partis plus que celle de l'électeur. Il a enfin indiqué que pour les fonctions électives et les scrutins uninominaux, seules des mesures incitatives paraissaient envisageables.

M. Jacques Larché, président, a demandé si le système envisagé ne remettait pas en cause la liberté de candidature. Il a souligné que le constituant s'apprêtait à voter ce texte sans qu'il soit possible d'appréhender la manière dont il serait mis en oeuvre par le législateur.

M. Guy Carcassonne a alors rappelé qu'en tout état de cause, la révision constitutionnelle ne pourrait forcer le Parlement à agir s'il ne le souhaitait pas. Il a ajouté qu'il était toujours difficile de prévoir la manière dont serait mise en oeuvre une disposition constitutionnelle lors de son adoption.

M. Patrice Gélard a demandé si le texte adopté par l'Assemblée nationale pourrait conduire à la mise en oeuvre de quotas et si une telle évolution était souhaitable. Il a interrogé M. Guy Carcassonne sur la possibilité éventuelle de confier, par une modification de l'article 4 de la Constitution, le soin aux partis politiques d'assurer l'égal accès en prévoyant éventuellement des sanctions financières.

M. Guy Carcassonne a déclaré qu'il ne lui paraissait pas choquant de mettre en place des quotas pour les scrutins de liste. Il a exprimé la crainte que des résultats significatifs soient plus longs à obtenir avec un système confiant aux partis la responsabilité d'assurer l'égal accès qu'avec celui envisagé dans le projet de loi constitutionnelle. Il a observé que la tentative de M. Michel Rocard de constituer une liste paritaire pour les élections européennes en 1994 n'avait pas suscité d'initiatives semblables par la suite.

M. François Marc a demandé s'il était possible d'envisager un système de parité dans les scrutins municipaux où existait le panachage des listes.

M. Guy Carcassonne a répondu qu'il ne serait pas choquant de n'appliquer la parité que pour les communes de plus de 3.500 habitants, les électeurs ayant réellement la possibilité de faire un choix dans les petites communes.

COMPTE RENDU DE LA RÉUNION D'EXAMEN DU RAPPORT
DU MERCREDI 20 JANVIER 1999

_______

La commission a procédé à l'examen du rapport de M. Guy Cabanel sur le projet de loi constitutionnelle n° 130 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.

M. Guy Cabanel, rapporteur, a exposé que les auditions de la commission sur le projet de loi constitutionnelle avaient démontré, d'une part, la complexité des problèmes soulevés par ce texte et, d'autre part, la difficulté de trouver une solution acceptable pour tous. Il a souligné que les professeurs de droit constitutionnel eux-mêmes n'étaient pas unanimes sur le choix de l'article de la Constitution à modifier et il s'est déclaré perplexe sur les solutions à proposer.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a rappelé ensuite les difficultés rencontrées pour reconnaître le droit de vote et d'éligibilité des femmes, rappelant que ceux-ci avaient été établis non à l'issue d'une procédure parlementaire, mais par une ordonnance du 21 avril 1944, sur l'initiative du Général de Gaulle.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a indiqué qu'il s'était porté candidat au rapport, d'une part, parce que ses fonctions de vice-président de la mission d'information chargée d'étudier la place et le rôle des femmes dans la vie publique lui avaient permis d'appréhender la réalité du problème et, d'autre part, afin de porter remède à l'insuffisante présence des femmes dans la vie publique.

Il a estimé que les progrès constatés au cours des dernières années résultait plus de raisons conjoncturelles que structurelles et que les chiffres ne laissaient pas espérer, à ses yeux, une évolution suffisamment rapide.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a précisé que les femmes représentaient 14 % des conseillers municipaux en 1983, chiffre porté à 17,7 % en 1989 et à 21,7 % en 1995 et que 7,6 % des femmes exerçaient aujourd'hui les fonctions de maire, contre 5,4 % en 1989.

Il a souligné qu'il n'existait en Europe aucun pays ayant adopté une législation électorale comportant des quotas, à l'exception de la Belgique, précisant que les résultats belges s'étaient au demeurant avérés décevants.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a fait valoir que la présence significative de femmes au Parlement suédois résultait essentiellement de l'action des partis politiques et des associations, mais nullement d'une législation particulière.

Après avoir confirmé que ses engagements internationaux ne prévoyaient ni n'empêchaient la France d'adopter une législation électorale comportant des quotas, M. Guy Cabanel, rapporteur , a présenté les réponses possibles au problème posé.

Il a considéré que l'évolution naturelle conduirait à attendre 50 ans pour atteindre l'équilibre souhaitable. Il a ajouté qu'une législation en la matière pouvait être soit incitative, à la condition de ne pas se limiter au principe selon lequel les partis favoriseraient l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions, soit contraignante, précisant que le projet de loi constitutionnelle donnait au législateur la faculté de choisir l'une ou l'autre solution.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a ensuite rappelé les risques que comporterait l'adoption du projet de loi constitutionnelle au regard des principes de l'universalité du suffrage, du mandat représentatif, de l'égalité des citoyens et de la liberté de l'électeur. Il a considéré que le risque de communautarisme ne devait pas être sous-estimé, mais que son ampleur ne devait pas non plus être surestimée.

Exposant ensuite le contenu du projet de loi constitutionnelle, M. Guy Cabanel, rapporteur , a fait valoir que celui-ci reviendrait à donner une signification spécifique au principe général d'égalité, pour ce qui concerne le suffrage. Il a ajouté que le choix de l'article 3 de la Constitution répondait à la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982, fondée sur cet article 3 et sur l'article VI de la Déclaration de 1789.

Il a fait observer que cette déclaration n'avait été suivie immédiatement ni du droit de vote pour tous, ni de l'abolition de l'esclavage.

M. Robert Badinter a rappelé que la jurisprudence du Conseil constitutionnel s'appuyant sur la Déclaration de 1789, ne reposait pas sur le contexte historique de l'époque, mais sur les principes qu'elle énonce.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a proposé de réaffirmer expressément, dans le texte de l'article premier de la Constitution, que le principe d'égalité devant la loi devait être appliqué sans distinction de sexe.

Il a proposé, pour l'article 3 de la Constitution, de reprendre la rédaction du projet initial et de compléter également l'article 4 de la Constitution afin de permettre l'adoption de mesures incitatives dans le domaine du financement public des partis politiques dans des conditions juridiques incontestables, cet article ayant trait au statut constitutionnel des formations politiques.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a regretté l'insuffisante lisibilité de la démarche du Gouvernement relevant d'une part que celui-ci n'avait pas annoncé de manière suffisamment précise ses intentions quant aux modalités législatives de mise en oeuvre de la révision constitutionnelle et, d'autre part, que les fonctions exécutives, au sens du texte, n'avaient pas été définies de manière incontestable.

M. Jacques Larché, président , après avoir souligné que les auditions auxquelles la commission avait procédé avaient révélé un risque de communautarisation, a indiqué que la commission devait, si elle envisageait de modifier le projet de loi, s'interroger successivement sur la place, le contenu et la portée de la révision, afin, le cas échéant, de prévenir les incertitudes sur l'avenir.

M. Patrice Gélard , convenant de la sous-représentation des femmes dans la vie politique, a considéré que celle-ci n'était pas clairement ressentie par l'opinion et que les comparaisons avec l'étranger manquaient de pertinence, notamment à l'égard des États-Unis dont les mesures de discrimination positive n'avaient jamais concerné les élections.

Il a indiqué que, en dehors du continent européen, seuls quelques pays qu'il ne pouvait ériger en modèles de démocratie, le Pakistan, le Bungla Desh et le Népal avaient inscrit une obligation de quotas dans leur législation électorale.

Il a ajouté que dans les anciens pays communistes, la représentation des différentes catégories de la population fixée selon des quotas avait permis la présence de 37 % de femmes dans les assemblées, chiffre tombé à 6 % après le retour de ces pays à la vie démocratique et en a déduit que les quotas ne correspondaient pas à la volonté d'électeurs libres.

M. Patrice Gélard a estimé que la faible présence des femmes dans la vie politique résultait essentiellement de l'attitude des partis politiques, relevant néanmoins une évolution positive depuis quelques années.

Faisant valoir que les femmes étaient de plus en plus nombreuses dans la magistrature et dans l'enseignement, il a souhaité que l'équilibre entre les sexes soit considéré plus globalement et s'est demandé si le texte proposé ne pourrait pas, dans 20 ans, être utilisé en faveur des hommes.

Favorable à l'examen d'une réforme, M. Patrice Gélard a considéré que les quotas annoncés par Mme le garde des sceaux pour le scrutin de liste seraient contraires aux principes fondamentaux de la démocratie et qu'en remettant en cause le caractère universel du suffrage, ils pourraient conduire à une forme d'apartheid.

Il a ensuite évoqué les solutions qui lui paraissaient envisageables, à savoir soit l'adjonction à la rédaction proposée d'une réserve interdisant les quotas, soit une modification de l'article 4 de la Constitution relatif aux partis, principaux responsables en la matière, ou encore conférer aux lois électorales le caractère de lois organiques devant être adoptées en termes identiques par les deux assemblées.

Après avoir approuvé la modification de l'article premier de la Constitution proposée par le rapporteur, M. Patrice Gélard a marqué sa préférence pour une responsabilisation, le cas échéant financière, des partis par une modification de l'article 4 de la Constitution.

M. Nicolas About a considéré que dès lors que l'article premier de la Constitution établissait l'égalité devant la loi de tous les citoyens, il n'y avait pas lieu que cet article précise l'interdiction de distinction selon les sexes, l'origine, la race et la religion.

Il a considéré que l'article unique du projet de loi, dans sa rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, pouvait être accepté à la condition de prévoir également l'adoption des lois électorales en termes identiques par l'Assemblée nationale et par le Sénat.

M. Yves Fréville a considéré que les blocages en termes de présence équilibrée des sexes au sein des assemblées provenaient essentiellement des partis.

Constatant que les quotas ne pourraient s'appliquer qu'au scrutin de liste, il a souligné le risque de voir apparaître de " bons " et de " mauvais " modes de scrutin au regard de l'objectif affirmé et s'est prononcé contre les quotas et pour des mesures incitatives à l'égard des partis.

M. Charles Jolibois a exprimé son opposition à toute possibilité d'instituer des quotas, soulignant que le verbe " favorise " permettrait l'institution d'une législation comportant des quotas.

Rappelant les difficultés rencontrées par les États-Unis pour sortir de la doctrine " séparés, mais égaux ", il a évoqué l'hypothèse d'interdire expressément dans le texte de la Constitution la possibilité de quotas et s'est interrogé sur l'opportunité d'instituer un bicaméralisme intégral en matière électorale pour éviter des scrutins à deux vitesses.

M. Charles Jolibois a observé qu'un complément éventuel de l'article 4 de la Constitution ne concernerait pas les candidats se présentant indépendamment des partis politiques et a souhaité une amélioration du statut de l'élu.

M. Luc Dejoie a indiqué son accord avec l'article premier tel que proposé par le rapporteur et s'est déclaré favorable à l'obligation d'un vote identique des deux assemblées du Parlement sur les lois électorales.

M. Robert Badinter a souligné que le Conseil constitutionnel, sur la base de la révision proposée, pourrait juger non conforme à la Constitution un texte électoral qui ne comporterait pas de disposition favorisant ou déterminant les conditions d'organisation de l'égal accès aux mandats et fonctions, s'il estimait que le législateur n'avait pas épuisé sa compétence.

Il a indiqué que le texte initial du projet de loi constitutionnelle permettrait l'établissement de quotas tandis que la rédaction adoptée à l'Assemblée nationale autoriserait la parité là où elle est applicable.

M. Robert Badinter a estimé qu'avec ou sans révision de la Constitution, l'équilibre entre les femmes et les hommes s'inscrirait nécessairement dans la réalité.

M. Daniel Hoeffel a estimé que l'établissement de mesures contraignantes relevait de l'idée fausse selon laquelle l'évolution des moeurs pouvait être organisée par la loi, considérant à cet égard que des mesures incitatives seraient préférables.

Il a jugé qu'une législation électorale sur les quotas contreviendrait à la liberté de choix de l'électeur, impliquerait un compartimentage de la vie publique et enclencherait le début d'un processus redoutable, contraire à l'universalité.

Après avoir estimé qu'une adoption par le Sénat du projet de loi constitutionnelle sans modification n'aurait pas été souhaitable, M. Guy Allouche a affirmé sa conviction sur le principe de l'égal accès, s'interrogeant sur la compatibilité entre une logique philosophique universaliste et une logique d'action politique.

Considérant qu'une évolution était inéluctable, il a estimé, s'agissant de la liberté de l'électeur, que celle-ci se trouvait en fait déjà limitée par le choix des candidats opéré par les partis politiques.

M. Guy Allouche , estimant que la loi devait encourager l'évolution amorcée, a fait valoir cependant qu'un délai de réflexion supplémentaire serait souhaitable avant de prendre une position définitive.

M. Michel Duffour , considérant nécessaire de modifier la loi et approuvant le texte dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, a indiqué qu'il avait été sensible aux réserves exprimées par Mme Elisabeth Badinter, même s'il ne partageait pas son analyse du risque d'extension que comporterait le projet de loi constitutionnelle.

A M. Jacques Larché, président , s'interrogeant sur l'appréciation que pourrait porter le Conseil constitutionnel saisi d'une loi électorale ne comportant pas de dispositions favorisant l'égal accès ou déterminant les conditions de son organisation, M. Robert Badinter a répondu que le législateur serait tenu de prendre en compte le principe constitutionnel d'égal accès sans être pour autant tenu d'adopter des mesures contraignantes.

M. Jacques Larché, président , constatant l'unanimité sur la nécessité d'améliorer la situation présente, a proposé à la commission de prendre position à l'égard du principe d'une rédaction qui donnerait au législateur la faculté d'établir des quotas.

Mme Dinah Derycke a marqué sa préférence pour un examen des propositions du rapporteur dans l'ordre des articles de la Constitution auxquels elles se rapportaient. Elle a considéré que la réflexion sur le projet de loi constitutionnelle devait être prolongée, le cas échéant par d'autres auditions, et a indiqué que son groupe ne pourrait participer aux votes à cet instant.

M. Jacques Larché, président , a rappelé que le calendrier des travaux de la commission était tributaire de l'inscription par le Gouvernement du texte à l'ordre du jour prioritaire de la séance du 26 janvier.

M. Pierre Fauchon s'est considéré, pour sa part, pleinement informé sur une question qui n'était pas nouvelle et a estimé que, dans ces conditions, la commission pouvait désormais se prononcer en pleine connaissance de cause sur le problème des quotas afin de clarifier le débat sur la rédaction.

MM. Luc Dejoie et Christian Bonnet se sont également déclarés prêts à trancher cette question.

Après une suspension de séance, M. Guy Allouche , observant que les quotas ne figuraient pas expressément dans le texte, a demandé qu'il soit d'abord procédé à un vote sur la mise aux voix du principe d'une rédaction permettant l'instauration de quotas.

Après que la commission eut accepté de voter sur ce principe, elle s'est prononcée contre l'adoption d'une rédaction permettant l'instauration de quotas.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a présenté un amendement tendant à insérer avant l'article unique un article additionnel mentionnant expressément dans l'article premier de la Constitution la prohibition de toute discrimination selon le sexe, faisant valoir que cet amendement serait complémentaire de la préoccupation de la commission.

Après que M. Patrice Gélard eut fait observer que cette disposition figurait déjà dans le préambule de la Constitution de 1946, la commission n'a pas retenu cet amendement.

A l' article unique (égal accès aux mandats et fonctions), M. Patrice Gélard a estimé préférable une modification de l'article 4 de la Constitution, puisqu'il concerne le statut des partis politiques, dont la responsabilité est essentielle en la matière.

M. Guy Cabanel, rapporteur , prenant acte de la position de principe adoptée par la commission, a proposé que l'article 4 soit complété afin, d'une part, de confier aux partis politiques le rôle de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives et, d'autre part, de permettre à la législation sur le financement public des partis politiques de contribuer à la mise en oeuvre des principes énoncés à l'article 4 de la Constitution.

M. Guy Cabanel, rapporteur , a fait valoir que cette proposition pouvait permettre en outre de limiter le financement des partis politiques ne respectant pas les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, auxquels ils sont soumis par l'article 4 de la Constitution.

A MM. Nicolas About et Charles Jolibois qui se préoccupaient de l'étendue du contrôle du Conseil constitutionnel dans l'hypothèse où le législateur resterait en deçà de sa compétence, M. Jacques Larché, président, a précisé que les dispositions que M. Patrice Gélard et M. Guy Cabanel, rapporteur , proposaient d'ajouter à l'article 4 devraient être conciliées avec son premier alinéa qui dispose que les partis exercent leur activité librement.

M. Pierre Fauchon a considéré que, à défaut de permettre au législateur de moduler ce financement en fonction de la mise en oeuvre du principe d'égal accès, les propositions de la commission n'auraient pas une portée suffisante.

Après un large débat, la commission a adopté un amendement, reprenant la proposition du rapporteur, en limitant la possibilité de modulation législative du financement public des partis politiques à la mise en oeuvre du seul principe d'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives.

La commission a approuvé l' ensemble du projet de loi constitutionnelle ainsi amendé.



1 Cf. annexe.

2 Document Sénat n° 384 (1996-1997)

3 " Hommes et femmes en politique - La démocratie inachevée - Etude comparative mondiale - Série " Rapports et documents " n° 28.

4 cf. en annexe du présent rapport le compte rendu des auditions de la commission.

5 Observatoire de la Parité - Rapport de la Commission pour la parité entre les femmes et les hommes dans la vie publique par Mme Gisèle Halimi. Voir aussi annexe.

6 Chiffres cités par Janine MOSSUZ-LAVAUD dans " Regards sur l'actualité " n° 236, décembre 1997, résultant des informations fournies par les partis eux-mêmes.

7 Document Sénat n° 384 (1996-1997) précité.

8 Il s'agit des listes présentées par Lutte ouvrière, le Parti communiste, le Parti socialiste, le Mouvement de Citoyens, les Verts et de la " liste politique de vie pour l'Europe ", présentée par M. Cotten.

9 " Le Monde ", 12 juin 1996.

10 cf. annexe.

11 Mme Janine Mossuz-Lavaud indique, dans la publication précitée (" Regards sur l'actualité " n° 236, décembre 1997), que jusqu'à la fin des années 1970, les femmes s'abstenaient plus que les hommes aux élections, les écarts variant de 7 % à 10 %.

Depuis près de 20 ans, les femmes participent aux élections dans des proportions voisines de celles des hommes.

Pour l'élection présidentielle de 1995, l'abstention des hommes et des femmes mesurée par un sondage post-électoral s'est établie respectivement à 16 % et 18 % au premier tour et à 16 % et 14 % au deuxième tour.

12 Déclaration devant l'Observatoire de la Parité (29 février 1996) et cf. également annexe.

13 " Le Monde ", 12 juin 1996 et cf. également annexe.

14 " Droit constitutionnel et institutions politiques " (Dalloz)

15 " Droit constitutionnel et science politique " (Armand Colin)

16 Propos rapportés dans l'ouvrage précité de M. Chantebout

17 " Droit électoral " (PUF)

18 Chronique publiée dans le Recueil Dalloz Sirey, 1996-12e cahier : " A parts égales : contribution au débat sur la parité "

19 Décision " Mutualisation de la Caisse nationale de Crédit agricole " (n° 87-232 - DC du 7 janvier 1988).

20 " Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel " (Economica, octobre 1997).

21 Déclaration devant l'Observatoire de la Parité (15 novembre 1996).

22 " Le Monde ", 12 juin 1996.

23 Cf. également en annexe son audition devant la commission des Lois.

24 " Le Monde " - 8 décembre 1998 et Annexe.

25 Texte initial : " La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ".

Texte adopté par l'Assemblée nationale : " La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ".



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