B. LE STATUT DE L'ORGANISME CHARGÉ DES ENQUÊTES TECHNIQUES PROPOSÉ PAR LE PROJET DE LOI RENFORCE LES POUVOIRS ET L'INDÉPENDANCE DES ENQUÊTEURS TECHNIQUES

Le projet de loi introduit dans le code de l'aviation civile un livre VII relatif aux enquêtes techniques qui définit leurs objectifs, le statut de l'organisme chargé des enquêtes et celui des enquêteurs ainsi que la publicité donnée aux rapports issus des enquêtes techniques.

Le texte proposé prévoit l'obligation d'une enquête technique pour tout accident ou incident grave et confie cette enquête à un organisme permanent doté d'un statut garantissant son indépendance.

La directive n° 94/56/CE dispose, en effet, que l'organisme d'enquête est fonctionnellement indépendant des autorités nationales en charge de l'aviation civile et de toute autre partie dont les intérêts pourraient entrer en conflit avec la mission qui lui a été confiée. Cette disposition tend à éviter toute implication des enquêteurs dans les événements qui font l'objet de l'enquête. Cette indépendance garantit ainsi l'objectivité des enquêtes techniques menées et favorise la pertinence des recommandations de sécurité émises. Elle est donc un élément essentiel de la légitimité de l'organisme d'enquête.

L'indépendance fonctionnelle à laquelle fait référence la directive pouvait recevoir des interprétations diverses. Le choix des moyens juridiques pour assurer l'indépendance de l'organisme chargé des enquêtes a de ce fait été laissé à l'appréciation des Etats membres. Les organisations mises en place au sein des pays de l'Union européenne sont en conséquence variables. Certains Etats ont choisi une structure indépendante dirigée par une personnalité extérieure aux administrations de l'aviation civile, d'autres ont opté pour une commission permanente dépendant du ministère de tutelle de l'aviation civile et présidée par un professionnel du secteur.

L'Irlande, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la Belgique ont fait le choix d'un service spécialisé appartenant au ministère de tutelle de l'aviation civile, distinct de la direction de l'aviation civile et disposant d'une large autonomie. La Suède avait depuis longtemps une structure à deux niveaux, les enquêteurs, peu nombreux, agissant dans le cadre d'une commission permanente. La Finlande a séparé le service d'enquêtes de la direction de l'aviation civile et l'a placé, avec une très large autonomie, au sein du ministère de la justice. Les Pays-Bas ont, eux, opté pour une structure directement inspirée du modèle américain qui dispose d'une agence autonome dirigée par une personnalité extérieure aux administrations de l'aviation civile, nommée pour un mandat par les autorités politiques.

Le projet de loi propose, quant à lui, de confier les enquêtes techniques à un organisme permanent assisté, le cas échéant, par des commissions d'enquête. Il est précisé que cet organisme et le cas échéant les commissions d'enquête " agissent en toute indépendance et ne reçoivent ni ne sollicitent d'instruction d'aucune autorité ". D'après les informations dont dispose votre rapporteur, l'organisme permanent demeurerait le BEA qui serait maintenu au sein de l'inspection générale de l'aviation civile. Ce choix est donc proche de celui effectué par l'Irlande, l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique

La position de l'organisme d'enquête, à l'extérieur de la direction générale de l'aviation civile, les dispositions du projet selon lesquelles il ne reçoit aucune instruction et gère directement la communication des informations relatives aux enquêtes sont autant de facteurs qui devraient contribuer à son indépendance. Le statut des enquêteurs techniques devrait également y contribuer. Il est, en effet, envisagé qu'ils soient habilités à la fois par le responsable de l'organisme permanent et par le ministre chargé des transports.

En dépit de ces garanties, votre rapporteur s'est interrogé sur l'opportunité d'aller plus loin et de doter l'organisme permanent d'un statut d'autorité indépendante du ministère chargé de l'aviation civile.

Le Gouvernement a écarté cette solution pour plusieurs raisons. Une telle réforme ferait d'abord table rase de la structure actuelle qui a pourtant fait ses preuves et dispose d'une légitimité internationalement reconnue. Il est, ensuite, estimé au sein du Bureau Enquêtes-Accidents que cette situation d'autonomie au sein même du ministère en charge des transports a l'avantage d'instaurer entre les parties intéressées un climat de confiance qui s'est révélé être, à l'usage un atout important pour obtenir des informations et pour persuader les parties impliquées du bien fondé des recommandations de sécurité émises.

Par ailleurs, l'existence même de l'enquête judiciaire parallèle, le caractère international de la quasi-totalité des enquêtes et la publication des rapports garantissent que l'action de l'organisme d'enquête ne se déroule pas en vase clos, mais sous le regard de la communauté aéronautique et des autorités judiciaires.

Dans ce contexte, la solution adoptée, compromis entre l'absence d'autonomie et une totale indépendance, apparaît satisfaisante. C'est pourquoi votre rapporteur n'a pas souhaité remettre en question l'architecture proposée. Il vous propose néanmoins de renforcer les garanties d'indépendance de l'organisme permanent, des membres des commissions d'enquête et des enquêteurs techniques, tant pour garantir leur impartialité que pour mieux asseoir la légitimité des enquêtes techniques.

Le projet de loi renforce également les pouvoirs des enquêteurs techniques et coordonne leurs investigations avec celles des enquêteurs judiciaires.

Ce texte attribue aux enquêteurs techniques des pouvoirs d'investigation étendus. Ils ont accès au lieu de l'accident ou de l'incident, au contenu des enregistreurs de bord, peuvent procéder à des prélèvements aux fins d'examen et d'analyse ou, le cas échéant, exploiter les constatations faites dans le cadre d'expertises judiciaires. Ils disposent, en outre, d'un droit à la communication de tous les éléments d'information nécessaires à l'enquête.

Tout en renforçant les pouvoirs des enquêteurs techniques, le projet de loi organise, lorsqu'une procédure judiciaire est en cours, une coopération entre l'enquête technique et l'enquête judiciaire destinée à préserver les prérogatives de l'autorité judiciaire.

Votre rapporteur estime que ces dispositions, fruit d'une concertation entre les services du ministère des transports et de la chancellerie devraient mettre fin aux situations de blocage et garantir l'efficacité du dispositif.

Le projet de loi accroît, enfin, la publicité donnée aux rapports issus des enquêtes techniques.

Actuellement, seuls les accidents internationaux font obligatoirement l'objet d'un rapport. En outre, les rapports ne sont remis qu'aux services, entreprises ou personnes directement concernés, sauf lorsque le ministre décide de leur publication.

Le projet de loi impose désormais à l'organisme permanent de procéder systématiquement à une enquête en cas d'accident ou d'incident grave, d'établir un rapport à l'issue de chaque enquête et de le rendre public.

Les rapports d'enquête ainsi rendus publics ne feront état, comme c'est le cas actuellement, que des informations nécessaires à la détermination des circonstances et des causes de l'accident ou de l'incident et des recommandations de sécurité. Ils ne comporteront pas les noms des personnes impliquées.

Cette disposition critiquée par les associations de victimes d'accidents aériens peut, en effet, apparaître en contradiction avec le souci de transparence dont témoignent le projet de loi et la directive. Comment ne pas comprendre la souffrance de ceux qui, ayant perdu un proche dans des conditions aussi brutales qu'un accident aérien, souhaiteraient pouvoir identifier les responsables ? Il faut néanmoins observer qu'il revient exclusivement à l'enquête judiciaire de déterminer les éventuelles responsabilités individuelles. Le procès joue à cet égard un rôle essentiel de réparation et d'exutoire. En revanche, comme l'indiquent explicitement l'annexe 13 de la convention de Chicago et la directive 94/56/CE, l'enquête technique n'a pas pour objet d'établir des fautes ou d'évaluer des responsabilités mais elle doit émettre des recommandations de sécurité.

Le projet de loi introduit également, dans un souci de transparence, la possibilité pour le responsable de l'organisme permanent de communiquer des informations relatives à l'enquête avant la publication du rapport. Cette mesure permet de faire avant la fin de l'enquête des recommandations de sécurité destinées à prévenir des accidents. Elle donne également la possibilité de communiquer aux familles des victimes des informations sur les circonstances de l'accident et en particulier de mettre fin à certaines hypothèses que l'état d'avancement de l'enquête a pleinement démenties. Cette possibilité qui n'existe pas actuellement est un gage de transparence, mais aussi d'autonomie de l'organisme chargé des enquêtes qui assurera de façon autonome sa communication.

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Votre Commission des Affaires économiques partage le souci du Gouvernement de doter les enquêtes techniques d'un cadre juridique rénové. Elle approuve dans leur principe les dispositions de ce projet de loi auquel l'Assemblée nationale n'a apporté que des modifications d'ordre rédactionnel. Aussi les quelques amendements qu'elle vous propose d'adopter ont pour objet, compte tenu des observations qui précèdent, de préciser la portée de certaines dispositions afin d'assurer leur pleine efficacité.

Elle estime, par ailleurs, que l'adoption de ce projet de loi doit s'inscrire dans le cadre d'une politique globale de prévention des risques. La croissance du trafic aérien comme la libéralisation de ce secteur d'activité posent, en effet, de nouveaux défis à la politique de sécurité.

Il convient de veiller à ce que ces évolutions ne s'accompagnent pas d'un nivellement par le bas du niveau de sécurité. Votre commission souligne à cet égard que le renforcement des politiques de prévention et de sécurité ne doit pas seulement se poursuivre et se développer au sein des pays de l'Union européenne, mais également dans l'ensemble des autres pays du monde.

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