B. UN DOUBLE OUBLI : LES AVANCÉES PERMISES PAR L'ASSURANCE PERSONNELLE ET L'AIDE SOCIALE

" Nous ne voulons pas non plus d'un système de type " féodal ", comme les associations appellent l'aide médicale, qui conduit à traiter les cas à la tête du client et qui impose au demandeur d'expliquer sa situation dans le détail, de se mettre à nu et parfois à plusieurs reprises pour obtenir satisfaction " (Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, JO Débats AN, mercredi 28 avril 1999, p. 3651)

" Le mécanisme d'affiliation à l'assurance personnelle avec prise en charge des cotisations par un tiers est stigmatisant " Dossier de presse du ministère.

Afin de mieux souligner les progrès que devrait entraîner l'adoption du projet de loi, les documents fournis par le ministère (dossier de presse, étude d'impact), comme le discours du ministre, dénoncent à loisir les défauts du système existant, sans d'ailleurs toujours apporter la preuve que le nouveau dispositif sera plus efficace pour ses bénéficiaires. Cette critique ministérielle concerne à la fois l'assurance personnelle et l'aide médicale.

1. L'assurance personnelle

a) Un dispositif dont le défaut essentiel tient au taux de cotisation exigé ; mais ce défaut ne concerne que cinq pour cent de ses bénéficiaires

Depuis 1978, date de la généralisation de l'assurance maladie, " toute personne résidant en France et n'ayant pas droit à un titre quelconque aux prestations en nature d'un régime obligatoire d'assurance maladie et maternité relève du régime de l'assurance personnelle. (...) L'adhésion peut intervenir à tout moment. " (art. L. 741-1 du code de la sécurité sociale).

Ce régime a été conçu comme devant, non seulement assurer le " bouclage " de l'universalisation d'une sécurité sociale, fondée sur des régimes professionnels, mais aussi la " continuité " entre ces différents régimes.

Ainsi, l'article L. 741-3 du code de la sécurité sociale dispose que " lorsqu'une personne cesse de remplir les conditions exigées pour être assujettie à l'assurance maladie et maternité d'un régime obligatoire, l'organisme auquel elle était affiliée en dernier lieu en informe immédiatement la personne concernée et le régime de l'assurance personnelle qui, sauf refus de l'intéressé, exprimé dans un délai déterminé, procède à son affiliation ".

L'adhésion à l'assurance personnelle qui est obligatoire (art. L. 741-3-1) pour les personnes concernées, entraîne l'assujettissement à des cotisations fixées en pourcentage du revenu imposable.

Les taux de cotisations au 1 er janvier 1999 s'établissent à :

- 3,35 % dans la limite du plafond de la sécurité sociale,

- 11,70 % dans la limite de cinq fois le plafond.

Pour un revenu inférieur au plafond de la sécurité sociale, cette cotisation représentera donc 15,05 % du revenu, ce qui est un taux élevé.

Cette critique est d'autant plus justifiée que la cotisation annuelle ne peut être inférieure à un minimum fixé à 12.723 francs au 1 er janvier 1999.

Cependant, cette critique porte sur un défaut qui ne concerne, en pratique, que très peu de bénéficiaires de l'assurance personnelle. En effet, sur environ 640.000 affiliés :

- 590.000, soit 91 %, voient leurs cotisations prises en charge par des tiers, c'est-à-dire :

. par les conseils généraux ou l'Etat pour les bénéficiaires de l'aide médicale (400.000 personnes) ;

. par les caisses d'allocations familiales pour les titulaires de prestations familiales (140.000 personnes) ;

. par le fonds de solidarité vieillesse pour les titulaires du minimum vieillesse (50.000 personnes).

Votre commission ne comprend pas, à cet égard, en quoi cette prise en charge des cotisations par des tiers est " stigmatisante " pour ses bénéficiaires, comme l'affirme le dossier de presse...

- 25.000 personnes sont soumises à une cotisation forfaitaire qui s'élève, pour les élèves d'établissements d'enseignement secondaire âgés de moins de 26 ans, à 1.050 francs et, pour les jeunes de moins de 27 ans, à 1.300 francs. Ces cotisations forfaitaires s'apparentent, par leur montant, à la cotisation au régime étudiant.

En fait, si l'on excepte les 3.000 personnes redevables de la cotisation maximale de 104.576 francs, dont on ne peut pas penser qu'elles sont les plus défavorisées, les personnes acquittant une cotisation, soit proportionnelle au revenu, soit une cotisation minimale, sont un peu moins de 30.000, représentant ainsi 5 % des bénéficiaires du régime d'assurance personnelle.

b) Le nouveau " régime de résidence " créé par le projet de loi présente beaucoup de similitudes avec celui de l'assurance personnelle

Le nouveau régime institué par le projet de loi présente bien des similarités avec celui de l'assurance personnelle. Ainsi, l'article L. 380-1 nouveau institué par le projet de loi est quasiment identique à l'article L. 741-1, relatif à l'assurance personnelle, supprimé par le projet de loi.

La véritable nouveauté introduite dans le nouveau régime de résidence est l'existence d'un plafond de ressources en deçà duquel il ne sera pas demandé de cotisation, et l'abattement, d'une valeur égale au plafond, auquel il sera procédé pour calculer le revenu auquel sera appliqué le taux de cotisation proportionnel prévu par le projet de loi.

Votre commission approuve cette disposition, favorable aux personnes disposant des revenus les plus faibles, avec toutefois deux critiques :

- la première est la situation d'inégalité dans laquelle seront placées les personnes affiliées à titre professionnel à d'autres régimes que le régime de résidence : ces dernières seront appelées à verser une cotisation au premier franc, alors que celles qui relèvent du régime de résidence en seront exonérées ;

- la seconde concerne le plafond de ressources retenu et, surtout le taux de cotisation qui sera fixé. Si le Gouvernement a annoncé que ce plafond, et donc aussi l'abattement, qui sera fixé par décret, sera égal à 3.500 francs (il ne s'agit pas ici d'un revenu " par unité de consommation ", mais du revenu de la personne qui souhaite être affiliée au titre de la résidence). Les documents transmis au Parlement ne mentionnent pas le taux de cotisation qui sera fixé.

En réponse à une question de votre rapporteur, le ministre a toutefois indiqué que le taux de cotisation retenu serait voisin de 10 %. Même avec un abattement de 3.500 francs sur les ressources prises en compte, ce taux demeure élevé pour les personnes titulaires de faibles revenus.

2. L'aide médicale des départements

Le dossier de presse et les propos du ministre laissent à penser que le projet de loi assurerait désormais la couverture de 6 millions de personnes, alors que 2,5 millions de personnes seulement en bénéficieraient aujourd'hui au titre de l'aide médicale.

Sans vouloir minorer la portée de la CMU, ce chiffre de 2,5 millions de personnes doit être pourtant apprécié avec prudence.

D'une part, en effet, il résulte d'une enquête, à laquelle 20 départements n'ont pas répondu en ce qui concerne les bénéficiaires du RMI et 68 départements n'ont pas répondu en ce qui concerne les autres bénéficiaires.

D'autre part, ce nombre de 2,5 millions de personnes correspond à celles qui sont prises en charge à 100 % par l'aide médicale.

Le bilan de l'aide médicale, à laquelle les départements consacraient, en 1997, plus de 9 milliards de francs (l'aide médicale d'Etat représentant, à la même date, 800 millions de francs) est globalement très satisfaisant, si l'on excepte la réserve, importante, de l'insuffisante homogénéité de la couverture inhérente à un système décentralisé. Il faut toutefois atténuer la portée de cette réserve, des départements où le coût de la vie est élevé prenant en charge les bénéficiaires jusqu'à des niveaux de revenus supérieurs à ceux acceptés dans d'autres départements où la vie est moins chère.

Les procédures d'admission à l'aide médicale ont été réformées par les titres II et III de la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992.

Les innovations de la réforme de l'aide médicale se sont traduites par :

* un accès élargi à l'aide médicale, en raison de :

- l'admission de plein droit, pour la prise en charge, au titre de l'aide médicale, des cotisations d'assurance personnelle pour les bénéficiaires du RMI, de l'allocation de veuvage, et pour les jeunes de 17 à 25 ans qui répondent aux conditions de revenu prévues pour l'octroi du RMI,

- l'admission de plein droit des bénéficiaires du RMI et de l'allocation de veuvage pour la prise en charge du ticket modérateur et du forfait journalier,

- l'instauration d'un barème de revenu pour l'admission de plein droit à l'aide médicale totale,

- la prise en compte des charges dans l'admission de droit commun,

* l'extension du droit à l'aide médicale, avec la suppression de la distinction antérieure (sauf pour les personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière) entre aide médicale à domicile et aide médicale hospitalière, l'instauration d'une durée d'un an et la prise en charge étendue, outre le demandeur, aux personnes qui sont à sa charge et à son conjoint ;

* une simplification de la procédure d'admission, par la réduction des délais d'instruction résultant du transfert du pouvoir de décision du préfet au président du conseil général et la possibilité de déposer son dossier, soit au conseil général, soit dans les centres communaux d'aide sociale, soit dans les CPAM ou dans des organismes agréés.

Une enquête effectuée par l'ODAS publiée le 1 er décembre 1998, a effectué un bilan de l'aide médicale.

Il en ressort une progression considérable du nombre des bénéficiaires de l'assurance personnelle qui est passé de 160.000 ménages en 1989 à 255.000 en 1997 et aussi du nombre de bénéficiaires du RMI qui est passé de 422.000 ménages en 1990 à 957.0000 ménages en 1997.

Ce bilan a aussi montré que les délais d'admission sont, en règle générale, relativement brefs :

- 60 % des départements prononcent l'admission dans les huit jours ;

- et 75 % la prononcent dans les quinze jours pour les bénéficiaires de plein droit.

Pour les autres bénéficiaires, l'ODAS indique que les délais sont plus inégaux mais que, dans 60 % des cas, la délivrance d'un titre provisoire est prévue pour éviter l'avance de frais.

L'étude montre ensuite que le titre d'accès aux soins est une " carte santé " dans 70 % des départements, l'accès à l'aide médicale étant mentionné sur la carte d'assuré social dans les autres départements.

En ce qui concerne la durée d'admission, l'ODAS indique qu'elle est supérieure à un an dans neuf départements. Enfin, plus d'un département sur deux effectue une prise en charge au-delà des tarifs de la sécurité sociale, notamment en matière de prothèses dentaires et d'optique.

L'ODAS conclut ainsi cette étude:

" Sous la double influence d'une volonté de modernisation de l'aide sociale et d'une meilleure protection des droits des plus démunis, l'aide médicale a profondément évolué dans notre pays depuis dix ans. N'échappent théoriquement aujourd'hui au bénéfice du dispositif d'accès aux soins que des personnes en situation irrégulière au regard des lois sur l'immigration, des personnes refusant explicitement ou implicitement l'instruction de leur droit, et des jeunes de moins de 25 ans.

" Et même si certains départements paraissent moins engagés que d'autres sur l'aide médicale, il faut relever qu'aucun d'entre eux ne cumule l'ensemble des dysfonctionnements.

" En outre, les arguments ne manquent pas pour promouvoir une évolution sur le plan, notamment, du développement de la protection sociale au détriment de l'aide sociale, de la simplification gestionnaire, et du renforcement de la citoyenneté.

" Si les propositions du rapport Boulard rencontrent un accueil plutôt favorable, il reste cependant à vérifier la capacité des caisses de sécurité sociale à prendre en charge les difficultés spécifiques aux familles précarisées. "

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