III. UNE PROPOSITION DE LOI NÉCESSAIRE

A. LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

1. La reconnaissance et l'encadrement d'un mode de chasse coutumier

a) La reconnaissance légale de la chasse de nuit ou à la passée du gibier d'eau

Comme il a été rappelé ci-dessus, la décision du Conseil d'Etat du 27 avril dernier ne condamne pas intrinsèquement la chasse de nuit. S'appuyant strictement sur l'interdiction générale posée à l'article L.224-4 du code rural, et rappelant -compte tenu du principe de hiérarchie des normes- qu'une circulaire administrative ne peut instaurer de restrictions à l'application d'un principe défini au niveau législatif, elle annule pour excès de pouvoir l'instruction de l'Office national de Chasse.

En revanche, rien n'interdit au législateur d'assortir un principe d'un certain nombre d'exceptions ou de dérogations.

Tel est l'objet de l'article premier de la proposition de loi, qui vient compléter l'article L.224-4 du code rural en autorisant expressément, s'agissant du gibier d'eau, la chasse à la passée deux heures après le coucher au soleil et deux heures avant son lever ainsi que la chasse de nuit à la hutte, au hutteau, à la tonne ou au gabion dans les 42 départements où ce mode de chasse se pratique traditionnellement.

Comme il a été indiqué ci-dessus, cette disposition n'est pas contraire à la réglementation communautaire, puisque ces deux modes de chasse répondent au critère de sélectivité requis pour remplir les objectifs fixés par la directive sur la conservation des oiseaux.

Il convient, également, par voie de conséquence, de modifier l'article L.228-5 du code rural qui prévoit les sanctions pénales en cas de chasse de nuit, afin de tenir compte de la passée et de la chasse de nuit du gibier d'eau à partir de postes fixes.

b) Un encadrement plus strict de ce mode de chasse

Pour permettre à l'administration de contrôler le bon usage de ce mode de chasse, l'article premier de la proposition de loi instaure deux obligations. Il impose la déclaration en mairie, contre délivrance d'un récépissé, de toutes les installations à partir desquelles la chasse de nuit est autorisée. Ceci devrait faciliter la mise à jour régulière du recensement des installations fait par l'administration.

Par ailleurs, il prescrit la tenue d'un carnet de prélèvement où seront inscrits les tableaux réalisés pendant ces chasses de nuit. Ceci permettra de mesurer effectivement l'impact de ce mode de chasse sur le capital cynégétique recensé sur les territoires concernés.

Compte tenu des délais imposés pour la mise en oeuvre de ces mesures, il est proposé que leur entrée en vigueur soit fixée au début de la saison de chasse 2000-2001.

2. La reconnaissance d'un droit d'opposition à la chasse

Les conclusions de la Cour européenne des Droits de l'Homme n'annulent pas les dispositions de la loi du 10 juillet 1964, mais, en pratique, elles en rendent l'application quasiment impossible. Toute contestation portée devant les tribunaux bénéficiera de ces conclusions, ce qui, dans l'immédiat, fragilise incontestablement le fonctionnement de toutes les ACCA. Il importe donc de proposer un dispositif qui prenne en compte les aspirations légitimes des non chasseurs, tout en évitant une remise en cause généralisée du principe de l'apport de terrains institué par la loi Verdeille, qui aboutirait inévitablement à la multiplication de petits territoires de chasse. Ce morcellement serait, en effet, très préjudiciable à la bonne conservation du patrimoine cynégétique et à la protection de la faune en général.

En conséquence, l'article 2 de la proposition de loi, dans l'attente d'un texte d'ensemble réformant l'organisation de la chasse en France, crée un droit d'opposition pour les propriétaires opposés à la chasse en complétant l'article L.222-10 du code rural :

- ce dispositif couvre une période allant du 1 er juillet 1999 au 30 juin 2001, ce qui laisse deux ans pour élaborer un texte définitif ;

- le droit d'opposition est reconnu à tout propriétaire opposé à la chasse et doit faire l'objet d'une déclaration en mairie, sans qu'aucune exigence particulière ne soit requise quant à la superficie des terrains;

- les terrains qui font l'objet de ce droit d'opposition sont interdits de toute action de chasse, ce qui vise à empêcher les petits propriétaires chasseurs de récupérer leurs terrains pour leur propre usage cynégétique.

Cette atteinte au droit d'usage des petits propriétaires chasseurs se justifie au nom de l'intérêt général défendu par la loi, à savoir la constitution de territoires de chasse suffisamment vastes pour gérer correctement le capital cynégétique. Elle répond également à l'exigence d'un juste équilibre entre la défense de l'intérêt général et l'atteinte à un droit reconnu, défendue par la Cour européenne des Droits de l'Homme.

Dans une décision en date du 19 février 1992, la Commission européenne des Droits de l'Homme, examinant une requête d'un chasseur suédois demandant à ce que son terrain soit retiré du territoire de chasse collectif, a estimé que la création d'un terrain de chasse collectif ayant pour objet la conservation du gibier et la défense de l'intérêt commun des détenteurs du droit de chasse était conforme à l'intérêt général. Elle a considéré que pour parvenir à cet objectif, il était légitime d'obliger les propriétaires chasseurs, qui disposent du droit de chasser sur l'ensemble du territoire collectif, y compris leur propriété, à coordonner leur chasse avec celle des autres détenteurs de droits.

L'article 2 de la proposition de loi précise également que le propriétaire opposant à la chasse reste personnellement responsable des dégâts de gibier.

Enfin, le texte propose que la signalisation du terrain soit effectuée par le propriétaire opposé à la chasse, à moins que, par convention, l'association communale ou intercommunale de chasse ne s'engage à le faire.

Par voie de conséquence, s'agissant de la composition de l'association communale ou intercommunale de chasse agréée, il est précisé à l'article L.222-19 du code rural que les propriétaires opposés à la chasse ne sont pas membres de droit de l'association.

Cette précision est nécessaire afin de tenir compte des conclusions de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme qui a jugé que la qualité de membre de droit reconnue au propriétaire non chasseur était contraire au principe de liberté d'association s'agissant des propriétaires dont les convictions étaient opposées à la chasse.

B. LA POSITION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

1. La nécessité d'adopter des mesures d'urgence

Compte tenu des deux décisions de justice récentes rendues dans le domaine de la chasse, votre commission est convaincue de la nécessité d'adopter rapidement ce dispositif législatif pour permettre un déroulement harmonieux de la prochaine saison de chasse, dans le respect des conclusions rendues tant par le Conseil d'Etat que par la Cour européenne des Droits de l'Homme.

S'agissant de la chasse de nuit ou à la passée du gibier d'eau, elle considère que ce mode de chasse traditionnelle ne peut être brutalement supprimé dans les départements où il se pratique habituellement.

On ne peut être ainsi que favorable à la reconnaissance légale de ces deux pratiques, d'autant plus que le dispositif prévoit la déclaration en mairie de toutes les installations utilisées pour la chasse de nuit et impose la tenue d'un carnet de prélèvement. Cette mesure s'inscrit parfaitement dans la continuité des plans de gestion que la Commission des Affaires économiques a prévus dans la loi n° 98-549 du 3 juillet 1998 pour les espèces de gibier de passage ne bénéficiant pas d'un statut de conservation favorable et chassées entre le 31 janvier et le 28 février. On peut d'ailleurs déplorer que l'arrêté permettant de mettre en oeuvre ces plans de gestion ne soit toujours pas publié.

En ce qui concerne les adaptations proposées à la loi du 10 juillet 1964, votre commission est favorable à l'adoption d'un régime transitoire, dans l'attente d'une loi d'orientation sur l'organisation de la chasse en France qui s'avère désormais indispensable.

Le dispositif proposé, s'agissant du droit d'opposition reconnu aux propriétaires de terrains hostiles à la chasse apparaît équilibré.

Ce droit d'opposition entraîne, de facto, l'interdiction de toute action de chasse sur les terrains concernés, ce qui permet d'éviter le morcellement des territoires de chasse et incite à préserver une unité de gestion cynégétique favorable à la conservation de la faune.

Par voie de conséquence, dans le respect du principe de liberté d'association, la commission est également favorable à la modification de l'article L.222-19 du code rural qui précise que les propriétaires de terrains opposés à la chasse ne sont pas membres de droit d'une ACCA.

2. Les améliorations techniques adoptées par la commission

Sans remettre en cause la cohérence d'ensemble de la proposition de loi, votre commission vous propose d'y apporter des précisions techniques pour améliorer la compréhension du dispositif.

A l'article premier , s'agissant de la modification de l'article L.224-4 du code rural, qui reconnaît la chasse de nuit et à la passée, il vous est proposé de préciser que la chasse de nuit doit s'exercer à partir de postes fixes tels que les gabions, huttes, tonnes ou hutteaux, dans les départements où cette chasse est traditionnelle. L'énumération de ces départements reprend la liste qui figurait en annexe de la circulaire du 31 juillet 1996 relative à la chasse de nuit.

S'agissant de la déclaration en mairie des installations à partir desquelles est pratiquée la chasse de nuit, il convient de préciser que cette déclaration incombe au propriétaire de ladite installation.

Il vous est également proposé de fixer au 1 er juillet 2000 l'entrée en vigueur de cette disposition ainsi que de celle relative à la tenue d'un carnet de prélèvement annuel, compte tenu des délais de publication des textes réglementaires.

S'agissant de la modification de conséquence introduite à l'article L.228-5 du code rural relatif aux sanctions pénales en cas de chasse de nuit, il vous est proposé une simple correction matérielle.

A l'article 2 , qui modifie l'article L.222-10 du code rural afin de créer, pour la période allant du 1 er juillet 1999 au 30 juin 2001, un droit de retrait au bénéfice des propriétaires opposés à la chasse, la commission souhaite préciser que la responsabilité du propriétaire opposé à la chasse reste engagée pour les dégâts qui pourraient être causés par le gibier provenant de son fonds.

Par analogie avec la formulation retenue à l'article L.222-14 du code rural, il vous est proposé que la signalisation du terrain faisant l'objet d'une opposition se fasse en le délimitant par des pancartes.

Votre commission a conclu à l'adoption de la proposition de loi dans la rédaction qu'elle vous soumet.

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