D. LES DÉCISIONS CONCERNANT L'AVENIR DU FINANCEMENT DE NOTRE PROTECTION SOCIALE SONT UNE NOUVELLE FOIS REPORTÉES

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, le bricolage du Gouvernement ayant eu pour effet de masquer cette réalité, montre une vision désespérément creuse des grands enjeux de la protection sociale.

Ce projet ne comporte aucune mesure d'importance sur les trois domaines majeurs de notre sécurité sociale.

La réforme des retraites est le premier de ces grands enjeux.

1. La réforme des retraites : le diagnostic sans lendemain

Le Gouvernement attendait du rapport Charpin un " grand débat ", un " diagnostic partagé ". Il n'en a rien été. Certains partenaires sociaux ont contesté les hypothèses mêmes du rapport (taux de croissance, notamment).

Votre rapporteur vous renvoie à l'analyse de notre excellent collègue M. Alain Vasselle dans son rapport d'information 44( * ) : " Réforme des retraites : peut-on encore attendre ? ".

L'échec du diagnostic partagé a amené le Gouvernement à entamer une nouvelle série de rencontres avec les partenaires sociaux, commencées fin juillet et achevées le 2 septembre 1999, sans que l'on puisse clairement déterminer les avancées induites par cette phase de " dialogue ".

a) Le Gouvernement parie sur la croissance pour reculer une nouvelle fois les échéances

M. Lionel Jospin, Premier ministre, a précisé en septembre dernier que le Gouvernement était toujours en phase de dialogue :

" Nous avons décidé qu'à l'issue des consultations, nous allions au début de l'année prochaine faire nos propositions et que nous les mettrions en oeuvre avec les partenaires par une méthode de concertation. Nous nous en tiendrons à cette méthode. C'est la bonne pour faire passer les obstacles que les précédents gouvernements n'avaient pas su franchir " 45( * ) .

Devant les parlementaires socialistes, le Premier ministre n'a pas -sur ce point- changé de discours :

" Notre calendrier est clair. La phase de diagnostic a eu lieu. Nous sommes aujourd'hui dans la phase de concertation.

" Au début de l'année 2000, comme je l'ai annoncé, je préciserai les orientations générales du Gouvernement. Nos propositions sur la retraite s'inscrivent dans une vision plus large : celle de la place et des problèmes des personnes âgées dans notre société. Nous serons en particulier très attentifs à leur insertion dans la vie sociale et à leur accompagnement lorsqu'elles sont en situation de dépendance. "


Le sous-entendu de la politique gouvernementale est de considérer que la croissance, qui devrait assurer le plein emploi dans une dizaine d'années, permettra de résoudre une partie des besoins de financement.

La seule initiative du Gouvernement a été de créer un " fonds de réserve " pour le régime général et les régimes alignés.

b) Le fonds de réserve créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 demeure non défini

Lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le Sénat, à l'initiative de votre commission des Affaires sociales, n'avait pas rejeté le principe d'un fonds de réserve.

Il avait, en revanche, estimé qu'il était quelque peu dérisoire de prétendre y affecter 2 milliards de francs, issus d'excédents de la C3S. Ayant pris acte de la mesure " symbolique " que constituait la création d'un fonds de réserve pour les retraites par répartition, votre commission avait jugé inutile de " faire semblant " , comme le faisait le projet de loi, et d'attribuer à ce fonds un embryon de ressources, de peaufiner la composition d'un Comité de surveillance ou de préciser les régimes bénéficiaires... alors même que restaient parfaitement indéterminés à la fois la nature des " vraies " ressources l'alimentant, et qui devraient se chiffrer en centaines de milliards de francs, l'affectation de ces fonds, leur mode et leur horizon de placement ou enfin les modalités de gestion qui devront être cohérentes tant avec l'origine des ressources qu'avec l'objectif des emplois.

Votre commission considérait que la mise en place d'un tel fonds de réserve relevait, à l'évidence, d'un texte d'ensemble, cohérent et complet, incluant des mesures permettant de clarifier la situation des régimes spéciaux et de définir un véritable régime des fonctionnaires de l'Etat.

Près d'une année après, ce fonds de réserve reste parfaitement virtuel ; la seule trace de son existence est une ligne sur les comptes du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), ligne qui n'est pas encore affectée 46( * ) .

L'article 26 de la loi n° 99-532 du 25 juin 1999 relative à l'épargne et à la sécurité financière a prévu le reversement, " avant le 31 décembre de chaque année, de 2000 à 2003 inclus " , d'environ 18 milliards de francs issus des caisses d'épargne.

Un décret " miracle ", paru au Journal officiel du dimanche 24 octobre 1999, a certes prévu les modifications relatives au comité de surveillance du fonds. Mais la finalité et les modalités de gestion du fonds de réserve restent dans le flou le plus complet. Cette inaction du Gouvernement est d'autant plus regrettable que le fonds de réserve a suscité un certain nombre d'espoirs.

La piste de l'affectation des " excédents sociaux " a été évoquée en des termes inquiétants. C'était oublier un peu vite le principe de la séparation des branches. Les seuls excédents qui peuvent être affectés provenaient soit du FSV, soit de la CNAVTS. Le montant prévu pour 2000 reste très limité.

La piste de l'affectation des " excédents budgétaires " a été mentionnée lors du débat surréaliste de l'été 1999. C'était oublier un peu vite que le budget de l'Etat connaît un déficit toujours très important, et que des rentrées fiscales plus importantes que prévu n'ont jamais constitué un " excédent budgétaire ".

L'article 10 du projet de loi propose d'affecter une provision d'excédents de la CNAVTS au fonds de réserve (2,9 milliards de francs).

Alors que les excédents du FSV semblaient avoir pour débouché logique le fonds de réserve, le Gouvernement a finalement décidé d'amputer sur les excédents du FSV en baissant ses recettes (partie des droits sur les alcools) et de faire bénéficier le fonds de réserve d'une fiscalité affectée, par l'intermédiaire de 49 % du prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine et les produits de placement, correspondant aux 5,5 milliards de francs que n'a pas versé le régime général au financement des 35 heures.

Fin 2000, le fonds pourrait disposer de quelques milliards de francs :

en millions de francs

Origine

Montant

Excédents C3S (1999)

2.000

Excédents CNAVTS (1999 et 2000)

4.000

Partie du prélèvement social de 2 %

5.500

Caisses d'épargne

4.000

Caisse des dépôts

3.000

TOTAL

18.500

La Caisse des dépôts a annoncé le 28 octobre 1999 son intention de verser 3 milliards de francs au fonds de réserve pour les retraites. Ce " don " de fin d'année appelle deux observations.

Il conduit d'abord à s'interroger sur les conditions dans lesquelles la Caisse des dépôts et consignations, établissement public placé sous la surveillance toute particulière du Parlement, peut disposer librement de ses excédents, comme s'il s'agissait d'une " cassette " personnelle. La destination " vertueuse " de ce don ne change rien à cette question de principe.

La seconde observation porte précisément sur le caractère " vertueux " de ce don. Sachant que la CDC est candidate à la gestion du fonds de réserve, cette libéralité peut-elle être considérée comme la première enchère pour obtenir le " marché " de la gestion de ce fonds ?

Doté de deux, de vingt ou de trente milliards de francs, le fonds de réserve ne peut en aucun cas constituer la seule réponse aux enjeux de financement. Comme l'a souligné M. Jean-Michel Charpin devant la commission des Affaires sociales du Sénat (audition du 5 mai 1999), il est déjà trop tard pour envisager la création d'un fonds permanent (qui financerait, par les produits financiers, les besoins futurs) ; seul un fonds de " lissage " apparaît aujourd'hui réalisable.

Un simple fonds de lissage nécessiterait au minimum 250 milliards de francs en 2005 (3 % du PIB).

2. L'assurance maladie : la confusion

a) Le " rebasage " de l'ONDAM

En " rebasant " l'ONDAM 2000, qui ne progresserait que de 2,5 % par rapport aux " dépenses attendues pour 1999 " , le Gouvernement évite d'afficher un taux de progression de 4,5 % par rapport à la loi de financement pour 1999.

Il prétend ainsi masquer les dérapages intervenus depuis deux ans. Ce faisant, il relègue l'ONDAM au rang de simple " hypothèse économique " et fait perdre au vote de l'ONDAM une bonne part de sa substance.

b) La non-réponse au plan stratégique

Utilisant pour la première fois, depuis les ordonnances de 1967, le rôle de proposition qui leur avait été confié, les partenaires sociaux ont élaboré un plan ambitieux et audacieux de refondation du système de soins. Il aurait gagné à être analysé par le Gouvernement et débattu devant le Parlement. Cependant, la CNAMTS semble s'être mêlée, aux yeux du Gouvernement, de ce qui ne la regardait pas : l'hôpital.

Le Gouvernement a choisi de déléguer à l'assurance maladie des " responsabilités ", faisant mine d'expliquer qu'une telle délégation n'était auparavant pas possible.

Mais les moyens donnés à la CNAMTS, dont le domaine unique de compétence se restreint à la médecine de ville, restent limités à l'utilisation de lettres clefs et de nomenclatures flottantes. Le dispositif est désormais loin d'une " maîtrise médicalisée ". Le Gouvernement, incapable de définir depuis deux ans une stratégie, a usé de déclarations creuses sur " la démocratie sanitaire " pour finalement aboutir une " maîtrise comptable " de la pire espèce.

L'article 17 du projet de loi définit ainsi des conventions dans lesquelles il n'y a plus rien à négocier 47( * ) .

c) Le financement menacé de la CMU

Après l'affectation d'une partie des droits sur les alcools au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales, après l'affectation d'une partie du prélèvement social de 2 % au fonds de réserve, bref, à force de s'attacher à creuser des trous pour en combler d'autres, il fallait bien " un perdant ".

Le Gouvernement a choisi : c'est finalement le financement de la couverture maladie universelle qui fait les frais des modifications de dernière minute adoptées à l'Assemblée nationale.

En effet, la CNAMTS devait recevoir, dans le plan de financement initial, 28 % du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les produits de placement ; elle n'en aura finalement que 8 %.

Le financement de la couverture de base de la couverture maladie universelle

 

Prévisions lors du vote de la loi

PLFSS 2000

Prévisions 2000

Tabacs

3.500

Tabacs

3.500

28 % du prélèvement social

2.700

8 % du prélèvement social

904

Cotisations assurés

100

Cotisations assurés

100

5 % des droits sur les alcools

600

Affectation droits alcools à la CNAMTS

600

Cotisations VTAM

830

Cotisations VTAM

830

TOTAL

7.730

TOTAL

5.934

Le financement de la couverture maladie universelle, déjà bien mis à mal par le " coût caché " -qui s'est révélé avec les embauches à la CNAMTS liées à la mise en place de la CMU- n'est pas assuré.

3. La famille : une politique sans ambition

Certes, les mesures décidées par la Conférence de la famille sont proposées par le projet de loi.

La juxtaposition de simples mesures techniques d'aménagement, de consolidation, d'ouvertures de chantiers ne saurait remplacer un plan ou un engagement à moyen ou long terme et ne traduit que l'absence d'un engagement politique fort.

Certes, la branche famille est en excédent.

Dans le rapport annexé à la loi de financement pour 1998, le Gouvernement affirmait sa " volonté de restructurer l'équilibre financier gravement compromis aujourd'hui de la branche famille " et décidait de la mise sous condition de ressources des allocations familiales.

Le fait que la branche famille enregistre aujourd'hui des excédents n'a rien de surprenant : le contraire serait même étonnant dans un contexte de croissance. Les réserves qu'elle peut accumuler aujourd'hui lui permettront demain d'éviter une nouvelle remise en cause des fondements de notre politique familiale.

Or, la branche famille est désormais la variable d'ajustement des comptes sociaux du Gouvernement, qui " ponctionne " ses excédents au bénéfice du budget de l'Etat (majoration de l'allocation de rentrée scolaire) ou du financement d'un fonds de réserve des retraites.

Est-ce là toute l'ambition de la politique familiale du Gouvernement ?