D. LA STABILISATION EN TROMPE L'OEIL DU POIDS DE LA DETTE PUBLIQUE DANS LE PIB

La progression de la dette publique, passée de 60 points de PIB en 1997 à 60,5 points en 1999, semble devoir être stoppée pour 2000 selon le gouvernement qui s'est fixé pour objectif de porter son montant à 59,9 points de PIB.

Cette stabilisation relative du poids de la dette publique dans le PIB est rendue possible par le retour, entamé depuis 1993 et concrétisé pour la première fois en 1999, à un excédent primaire de l'Etat. Elle repose également sur les efforts de désendettement des collectivités locales.

1. Le retour à un excédent primaire de l'Etat

Après avoir très fortement chuté de 1990 à 1993, passant de + 30,9 milliards de francs à - 156,1 milliards de francs, le déficit primaire de l'Etat s'est très sensiblement réduit entre 1993 et 1997 (pour s'établir à 34,2 milliards de francs) et devenir excédentaire en 2000. L'amélioration réelle des finances publiques françaises correspond donc, s'agissant de l'Etat, à un retour à une situation d'excédent primaire 12( * ) , et cela pour la première fois depuis 1991. Après avoir été en situation de quasi-équilibre en 1999 (+ 4,1 milliards de francs), cet excèdent devrait s'établir à 22,8 milliards de francs en 2000.

Comme le rappelle fort opportunément le rapport économique, social et financier joint au présent projet de loi de finances, " la croissance de cet excédent est indispensable à la réduction du poids de la dette publique dans le PIB ". Il est donc indispensable que l'excédent primaire du budget de l'Etat soit conforté afin que la réduction du poids de la dette publique dans le PIB se réalise plus rapidement .

Evolution du déficit budgétaire et du solde primaire

(en milliards de francs)



Solde primaire du budget de l'Etat

(en milliards de francs)

 

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

LFI 1999

PLF 2000

A.- Montant du solde en exécution

- 131,7

- 226,3

- 315,6

- 299,1

- 323,0

- 295,4

- 267,7

- 247,5

- 236,6

- 215,4

B - Charge nette de la dette

137,5

157,1

159,5

185,6

205,8

219,5

223,5

231,9

240,7

238,2

C - Solde primaire (A + B)

+ 5,8

- 69,2

- 156,1

- 113,5

- 117,2

- 75,9

- 34,2

- 15,6

+ 4,1

+ 22,8

2. Une stabilisation sous contraintes

En 1997, la dette publique 13( * ) s'est située au niveau du plafond symbolique de 60 % du PIB fixé par le Traité de Maastricht, et l'a même dépassé depuis, pour s'établir à 60,3 % en 1998 puis à 60,5 % en 1999.

Pour 2000, le gouvernement affiche un objectif tout aussi symbolique consistant à réduire de 0,6 point de PIB le poids de la dette afin d'atteindre la " valeur cible " de 59,9 % du PIB, et donc de se situer en deçà dudit plafond.

La diminution ainsi envisagée résulte non seulement de la poursuite de la baisse du coût apparent de la dette mais également d'une forte croissance du PIB, qui est estimée à près de 4 %. De ce fait, le solde permettant de stabiliser le poids de la dette publique dans le PIB sera de - 2,3 % en 2000 et le solde effectif de - 1,8 %.

Il convient cependant de rappeler que la croissance en valeur de la dette publique, même stabilisée ou réduite en points du PIB, sera néanmoins en 2000 de près de 160 milliards de francs en valeur absolue. S'agissant de l'Etat, selon les chiffres communiqués par le gouvernement, l'encours de la dette négociable 14( * ) devrait s'élever à 3.951,6 milliards de francs en 1999 (+ 7,5 %) et à 4.181 milliards de francs en 2000 (+ 5,80 %, soit 229,1 milliards supplémentaires).

Par voie de conséquence le recours de l'Etat à l'emprunt progressera en l'an 2000 de près de 100 milliards de francs, passant de 520 milliards de francs à 622 milliards de francs dans le budget 2000 tandis que les remboursements s'élèveront à 407 milliards de francs contre 283,4 milliards de francs en 1999.

Cette diminution du poids de la dette n'est cependant pas seulement due à la réduction du déficit budgétaire de l'Etat, comme le relève le gouvernement dans le rapport économique, social et financier joint au présent projet de loi de finances. En effet, en 2000, le mouvement de désendettement des collectivités locales observé en 1999 se poursuivrait et les organismes divers d'administration centrale, notamment les structures de défaisance, devraient continuer à se désendetter.

A défaut, la stabilisation escomptée pour 2000 du poids de la dette dans le PIB pourrait être remise en question.

3. Un " hors-bilan " non provisionné

La précaire stabilisation de la dette proposée par le gouvernement ne permettra pas de faire face aux chocs de l'avenir.

Il faut en effet ajouter à la dette actuelle les engagements " hors bilan " de l'Etat. Certains sont conditionnels : les garanties accordées aux établissements publics, aux crédits à l'exportation, à certaines formes d'épargne etc... Mais d'autres sont certains : les structures de défaisance, les primes d'épargne-logement, ou les charges de remboursement de la dette de Réseau ferré de France. Mais surtout, ce sont les engagements en assurance vieillesse et en assurance maladie liés au vieillissement de la population.

A ce titre, la question du coût des pensions de la fonction publique illustre le problème budgétaire majeur auquel l'Etat sera confronté dans un avenir finalement très proche : celui du " hors-bilan ", ou de la " dette publique invisible ".

Si la structure et l'évolution du bilan de l'Etat peuvent être appréhendées et contrôlées de façon objective, le " hors-bilan " , quant à lui, fait l'objet d'une grande imprécision , empêchant les citoyens de connaître précisément la situation financière exacte de l'Etat.

Cette situation, dont votre commission ne peut que s'inquiéter, a également été dénoncée par l'Assemblée nationale. Le groupe de travail, qu'elle avait constitué à l'initiative, et sous la présidence de M. Laurent Fabius, sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, estime, dans son rapport 15( * ) , que la dette est " sous-évaluée " , l'Etat pratiquant " une politique de provisionnement minimal , alors que le principe de sincérité budgétaire milite pour qu'apparaissent, à la lecture du bilan de l'Etat, les causes d'éventuels déséquilibres futurs ".

En effet, le gouvernement apprécie actuellement le " hors-bilan " d'une manière extrêmement restrictive, ne s'en tenant qu'à une simple définition juridique.

D'après des informations fournies à votre rapporteur général, le gouvernement ne prend en compte que la notion de dette garantie par l'Etat inscrite aux sous-comptes 801 (emprunts intérieurs) et 802 (emprunts extérieurs) de la comptabilité de l'Etat, qui est publiée chaque année au compte de la dette publique.

Il s'agit ainsi des seuls engagements de sociétés françaises, entreprises nationales, collectivités et établissements publics bénéficiant de la garantie de l'Etat, ce dernier s'étant engagé, dans l'hypothèse d'une défaillance du débiteur, à effectuer lui-même le règlement.

Au 31 décembre 1998, cette dette inscrite " hors-bilan " s'élevait à 311,54 milliards de francs , soit 263,23 milliards de francs d'emprunts intérieurs, et 48,31 milliards de francs d'emprunts extérieurs.

Or ces chiffres ne recouvrent pas toute la dette garantie implicitement.

En effet, dans une réponse à une question écrite 16( * ) , le gouvernement estimait pour 1997 à 439,19 milliards de francs la dette financière nette des entreprises nationales et des groupes publics.

Cette dette est particulièrement concentrée, les trois principaux détenteurs représentant à eux seuls 77,5 % de l'encours total. La dette financière de RFF 17( * ) s'élève à 148,96 milliards de francs, celle d'EDF à 130,72 milliards de francs, et celle de la SNCF à 60,85 milliards de francs. Suivent les Charbonnages de France pour 31,9 milliards de francs, et la RATP pour 27,7 milliards de francs.

De plus, les réalités que ce " hors-bilan " recouvre sont très disparates, et souvent difficiles à quantifier précisément.

Au-delà de la question des retraites évoquée ci-dessus, quelques chiffres sont riches d'enseignements sur l'ampleur des besoins de financement.

Ainsi, le coût des structures de défaisance représenterait-il 2 points de PIB 18( * ) .

En outre, les garanties de l'Etat pour les prêts au logement représenteraient 2 à 4 % de PIB. Enfin, selon la Cour des comptes, les provisions pour le démantèlement des centrales nucléaires peuvent être chiffrées à 102 milliards de francs. Or à la fin de 1997, les provisions inscrites s'élevaient à 40,8 milliards de francs.

La prise en compte du " hors-bilan " a de lourdes conséquences budgétaires, qu'il est difficile de chiffrer avec précision, mais qui peuvent être évaluées, en intégrant la dette implicite des régimes de retraite par répartition, à des centaines, voire des milliers de milliards de francs...

Ainsi, selon un chiffrage réalisé en 1993 par l'OCDE, le montant de la " dette publique invisible " de la France serait de 216 % du PIB de 1990, contre 157 % pour l'Allemagne, 156 % pour le Royaume-Uni, et 89 % pour les États-Unis.

Le fonds de réserve pour les retraites, une coquille vide déjà ponctionnée

Une coquille vide sans mission ni ressources

Créé au sein du Fonds de solidarité vieillesse par l'article 2 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, il devait permettre de préparer l'avenir des régimes de retraite par répartition. Cependant, dix mois après sa naissance, il ne dispose ni de ressources précises, ni de missions déterminées. Sa création avait d'ailleurs fait l'objet de commentaires critiques de la part de vos commissions des affaires sociales et des finances.

Les missions du fonds de réserve ne sont pas indiquées dans la loi. Celle-ci dispose seulement que le fonds est créé au bénéfice de la branche vieillesse du régime général et des régimes alignés. Deux options sont théoriquement possibles : le fonds de réserve peut avoir pour but, soit de lisser simplement l'augmentation future des cotisations d'assurance vieillesse, soit d'engendrer des revenus suffisants pour minorer durablement le niveau futur des cotisations. Dans le premier cas, le montant visé s'exprime en centaines de milliards de francs. Dans le second cas, il s'exprime en milliers de milliards de francs.

Par ailleurs, rien aujourd'hui n'est connu des modalités de gestion du fonds. Or les sommes en cause seront considérables.

Ont par ailleurs été mises en cause les modalités de financement particulièrement complexes du fonds et les incertitudes qui pèsent sur les sommes effectivement disponibles.

Le Gouvernement avait indiqué qu'il affecterait au fonds 2 milliards de francs en 1999 au titre des excédents de la C3S. Cependant, du fait de la non parution des décrets d'application, rien n'est encore réalisé.

A ces excédents pourraient s'ajouter trois à quatre milliards de francs provenant toujours de la C3S ainsi que 4 milliards de francs issus du produit de la souscription des parts sociales des caisses d'épargne ainsi que l'excédent de la branche vieillesse du régime général, soit environ trois milliards de francs.

Ce fonds devrait donc atteindre en 2000 un montant d'une quinzaine de milliards de francs, soit à peine 0,16 % du PIB. Le Programme pluriannuel de finances publiques de décembre 1998 prévoyait qu'à l'horizon 2002 l'actif du fonds de réserve des retraites s'établirait à 0,8 % du PIB avec une hypothèse de croissance économique à 2,5 % et à 1,6 % avec une hypothèse de croissance économique à 3 %.

Or, Jean-Michel Charpin, Commissaire général au Plan, évalue les sommes nécessaires à " au moins trois points de PIB " en cas de fonds de lissage et à " au moins dix points de PIB " pour un apport permanent de revenus. Il faudrait donc une dotation entre 18 et 62 fois plus importante que celle qui nous est proposée pour 2000. A plus long terme, l'OCDE estime que les pensions de la période 1994-2070 ne sont pas financées à hauteur de 100 % du PIB de 1994 et pour l'ensemble du siècle prochain on peut évaluer l'impasse financière des retraites à une somme comprise entre 50 et 300 % du PIB de 1998. L'actif du fonds est manifestement hors de proportion avec les montants nécessaires.

Votre commission des finances estime par ailleurs que plutôt que de créer un fonds de réserve pour provisionner ces engagements de hors-bilan de l'Etat, le gouvernement aurait dû procéder directement au désendettement de l'Etat et de la Sécurité sociale (CADES) : cette solution aurait été équivalente d'un point de vue économique et aurait évité la bureaucratisation et l'étatisme qui président à l'instauration de ce fonds.

Ainsi, appelé à se prononcer dans l'urgence, le Parlement a entériné la création d'un fonds dont, dix mois après, il ne connaît ni la mission exacte, ni le mode de fonctionnement, ni les moyens qui lui seront affectés. Il semble relever d'une volonté d'affichage qui, elle, ne débouche aujourd'hui sur rien : le fonds de réserve est purement virtuel. Les problèmes eux ne le sont pas.


Un fonds de réserve déjà privé de ses réserves

L'article 10 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 organise l'affectation des excédents de la CNAVTS au fonds de réserve 19( * ) .

Il indique que seront transférés au fonds les excédents de tous les régimes dont la CNAVTS a la gestion. Pour l'an prochain, il devrait donc recevoir à ce titre : les excédents de l'exercice comptable de la CNAVTS pour 1999 soit 4,396 milliards de francs et une provision de 2,9 milliards de francs à valoir sur les excédents de l'exercice 2000.

Or, malgré les multiples possibilités d'abondement existant, le gouvernement a fait l'impasse sur plus de 19 milliards de francs de recettes potentielles résultant des excédents constatés de la C3S, de ceux du FSV et de ceux des régimes sociaux. Cette impasse est le fruit de mesures nouvelles qui viennent diminuer l'excédent prévisionnel, du prélèvement d'un milliard de francs en loi de finances pour le BAPSA sur les excédents de la C3S, et du mode de financement des 35 heures qui diminue les ressources des " droits sur les alcools " du FSV.

Sans avoir encore reçu le moindre franc, le fonds de réserve est donc déjà ponctionné ! De tels choix en faveur des 35 heures et de la hausse des dépenses sociales, plutôt que celui du fonds de réserve montre que ce dernier semble bien relever surtout de l'affichage politique.

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