IV. DES RECETTES EXTRÊMEMENT DYNAMIQUES

A. UNE CROISSANCE DES RECETTES POUR 1999 AU DELÀ DES ESPÉRANCES DU GOUVERNEMENT

1. Un " léger dépassement " des prévisions de la loi de finances initiale, selon le gouvernement

La loi de finances pour 1999 prévoyait une augmentation des recettes totales du budget de l'Etat de 46,8 milliards de francs, hors rebudgétisations, soit une progression de 3,4 % par rapport aux estimations révisées de 1998, dont 4,2 % d'augmentation pour les recettes fiscales nettes. Cette anticipation était fondée sur une prévision de croissance de l'économie française estimée à 3,8 % en valeur, soit 2,7 % en volume et 1,1 % en évolution des prix du PIB (1,3 % pour les prix à la consommation).

Selon les évaluations révisées, les recettes nettes totales du budget général 28( * ) s'élèveraient à 1.436,7 milliards de francs en 1999, soit seulement 6 milliards de francs de mieux que les prévisions de recettes de la loi de finances.

Les révisions de recettes pour 1999

Les recettes fiscales brutes augmenteraient de 19 milliards de francs par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale. Cette plus-value serait ramenée à 6 milliards de francs après les remboursements et dégrèvements d'impôts.

Les principales hausses de recettes fiscales par rapport aux estimations sont les suivantes :

- impôt sur les sociétés (net) : + 19,6 milliards de francs

- impôt sur le revenu : + 3,2 milliards de francs

- TIPP : + 2 milliards de francs

- autres impôts d'Etat : +1,3 milliard de francs

Les moins-values de recettes fiscales par rapport aux estimations concernent essentiellement :

- TVA (nette) : - 7 milliards de francs

- enregistrement : - 4,4 milliards de francs

Les recettes non fiscales hors recettes d'ordre sont revues légèrement à la baisse : - 0,9 milliard de francs

Les prélèvements sur recettes seront un peu moins élevés que prévus : - 0,7 milliard de francs.

2. D'importantes plus-values fiscales en réalité

La révision des recettes budgétaires pour 1999 est insatisfaisante . Elle laisse à penser que le surplus de recettes fiscales par rapport aux prévisions serait très faible, alors même que l'exécution en cours d'année montre de très bons résultats.

Votre commission a essayé, au vu des exercices antérieurs, de chiffrer de telles plus-values.

a) Quelques éléments chiffrés d'appréciation

Si l'on reprend les résultats d'exécution des quatre dernières lois de finances (LFI 1995 à LFI 1998), on s'aperçoit que le résultat à fin juillet en termes de recettes fiscales brutes, représente entre 57,2 % et 57,7 % du montant des recettes fiscales brutes totales en fin d'exécution.


 

1995

1996

1997

1998

Recettes fiscales brutes à fin juillet en pourcentage des recettes totales

57,21%

57,73%

57,20%

57,61%

Ces pourcentages permettent d'anticiper le montant des recettes fiscales brutes en fin d'année 1999, en reprenant le montant des recettes fiscales brutes fin juillet 1999 (1.087.828 millions de francs). On compare ensuite le montant des recettes fiscales brutes ainsi anticipées aux évaluations révisées pour 1999 (1.860.600 millions de francs).

Recettes fiscales brutes en fin d'année et écart
par rapport aux estimations du gouvernement

 

Hypothèse 1

Hypothèse 2

Hypothèse 3

Hypothèse 4

Recettes fiscales brutes en fin d'année

1 901 567

1 884 217

1 901 697

1 888 252

Ecart par rapport aux estimations révisées de 1999

40 967

23 617

41 097

27 652

Ecart après prise en compte mesures TVA et droits de mutation

34 967

17 617

35 097

21 652

(en millions de francs). Nb : les hypothèses 1,2,3 et 4 représentent l'application des pourcentages observés en 1995, 1996, 1997 et 1998.

Si les conditions générales d'exécution de la loi de finances sont les mêmes que depuis 4 ans, les recettes fiscales brutes devraient donc être comprises entre 1.884,2 et 1.901,7 milliards de francs pour 1999.

Comme l'évaluation révisée pour 1999 tient compte de l'application anticipée des mesures concernant la TVA et les droits de mutation, pour environ 6 milliards de francs, on peut penser que les recettes fiscales brutes sont sous-évaluées de 17,6 milliards de francs à 35 milliards de francs pour 1999.

Il faut ensuite prendre en compte les remboursements et dégrèvements d'impôts pour obtenir les recettes fiscales nettes, qui sont la donnée véritablement significative.


Les remboursements et dégrèvements ont représenté un pourcentage assez variable des recettes fiscales brutes depuis 1995, avec une très forte hausse, que l'on pourrait qualifier "d'atypique" en 1998.

Evolution des remboursements et dégrèvements d'impôts depuis 1995

Exécution des lois de finances

1995

1996

1997

1998

Remboursements et dégrèvements

222.412

260.788

265.590

316.920

en % des recettes fiscales brutes

14,60%

16,10%

15,79%

17,91%

Recettes fiscales nettes/recettes fiscales brutes

85,40%

83,90%

84,21%

82,09%

(en millions de francs)

Pour 1999, le gouvernement retient un niveau de remboursements et dégrèvements très élevé, sur la même ligne que 1998 (17,2% des recettes brutes). Dans ces conditions, qui minoreraient de manière importante les recettes fiscales brutes du budget général, les recettes fiscales nettes seraient comprises entre 1.560,1 et 1.574,6 milliards de francs en 1999.

Anticipation des recettes fiscales nettes fin 1999

 

Hypothèse "basse"

Hypothèse "élevée"

Recettes fiscales brutes

1 884 217

1 901 697

Recettes fiscales nettes (hypothèse de remboursements et dégrèvements élevés : 17,2%)

1 560 132

1 574 605

(en millions de francs)

Comme le gouvernement affiche 1.540,9 milliards de francs de recettes fiscales nettes pour 1999, soit 1.546,9 milliards avant prise en compte des mesures TVA et droits de mutation , on peut estimer que la sous-estimation des recettes fiscales nettes est comprise entre 14 milliards de francs et 28 milliards de francs. La sous-évaluation pourrait même dépasser les trente milliards de francs si le rythme des remboursements et dégrèvements d'impôts n'était pas aussi élevé que prévu.

Comme le gouvernement a déjà constaté dans ses évaluations révisées, une plus-value de recettes de 6 milliards de francs non encore affectée, en définitive, il devrait y avoir au minimum 20 milliards de francs (14+6), voire 34 milliards de francs (28+6), de recettes supplémentaires à répartir en fin d'année. 29( * ) Lors de leur audition devant la commission des finances, les experts de l'OFCE ont d'ailleurs corroboré cette analyse en indiquant que " les prévisions du gouvernement, par leur prudence, permettaient d'afficher des recettes budgétaires sous-évaluées pour 1999 et 2000 " ce que le ministre de l'économie a par ailleurs implicitement confirmé lors de son audition le 9 novembre par votre commission.

b) Des simulations confirmées par les derniers résultats d'exécution

L'hypothèse d'un surplus important en fin d'année, de l'ordre de 20 à 34 milliards de francs, au lieu des 6 milliards de francs annoncés, est largement confirmée par les derniers résultats de l'exécution budgétaire à fin septembre. Au 31 septembre 1999, les recettes nettes du budget général s'établissaient à 1.149,8 milliards de francs, soit une hausse de 8,7 % par rapport à 1998. Les recettes fiscales nettes s'établissaient à 1.193,5 milliards de francs, en hausse de 9,3 %, ce qui, par extrapolation, permet de penser que le surplus de recettes sera plutôt proche de la valeur maximale envisagée à partir des données à fin juillet (34 milliards de francs).

Dans ces conditions, la baisse du déficit budgétaire attendue en 2000 (21,2 milliards de francs par rapport à 1999, soit 215,4 milliards de francs) devrait pouvoir être réalisée dès la fin 1999, si l'on suppose que les autres données budgétaires sont correctement estimées (recettes non-fiscales, prélèvements sur recettes).

La sous-évaluation des recettes fiscales pour 1999 pose non seulement la question de la sincérité des documents budgétaires fournis au Parlement mais également le problème de la crédibilité du projet de loi de finances pour 2000. En effet, la réévaluation des recettes pour 1999 devrait mécaniquement entraîner celle de 2000.

Les effets de reports de recettes fiscales d'une année sur l'autre
ou " l'art " de la gestion budgétaire

Sous le titre " une évolution des recettes fiscales inexplicable ? ", votre rapporteur général notait déjà, dans son rapport pour le débat d'orientation budgétaire pour 2000, les incohérences relatives aux chiffres de recettes fournis par le gouvernement.

Lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 1998, votre rapporteur s'était interrogé sur la faiblesse des réévaluations de recettes pour 1998, se demandant déjà si les estimations révisées ne présentaient pas une sous-évaluation de plus-values de recettes fiscales, pourtant visibles en cours d'année.

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie arguait alors de " modifications techniques et calendaires " . Il invoquait également l'effet de la loi " MUFF " sur l'impôt sur les sociétés. S'agissant de la TVA, il expliquait que le dynamisme observé au cours des premiers mois de l'année 1998, s'agissant des encaissements bruts, devrait être tempéré par des remboursements et dégrèvements d'impôts importants en fin d'année, ajoutant que la baisse notable des importations de marchandises en provenance des pays tiers, constatée depuis le recouvrement de septembre, devait avoir des incidences importantes en fin d'année.

Votre rapporteur général estimait ces explications " largement insuffisantes pour expliquer que les recettes fiscales nettes ne progresseraient, en définitive, que de 11 milliards de francs par rapport à la loi de finances pour 1998 " . Il ajoutait " l'évolution attendue en matière de TVA paraît improbable ".

Deux explications lui semblaient alors envisageables : ou l'estimation était effectivement sous-évaluée, ou le ralentissement de la croissance fin 1998 était tel que les encaissements de TVA se ralentiraient considérablement.

Les résultats de l'exécution 1998 ont montré que les recettes fiscales nettes ont progressé encore moins qu'envisagé, en raison de l'ampleur inattendue des remboursements et dégrèvements d'impôts, concernant particulièrement la taxe sur la valeur ajoutée.

Dans son rapport préliminaire sur l'exécution de la loi de finances pour 1998, la Cour des comptes, observant que les remboursements de TVA (165,6 milliards de francs) ont progressé de 28% (36,3 milliards de francs) reconnaît l'absence d'explications plausibles: " il est difficile d'expliquer une telle augmentation " note-t-elle.

En regardant plus précisément l'évolution infra-annuelle de l'exécution de la loi de finances, force est de constater que les remboursements de TVA ont été particulièrement élevés lors des quatre derniers mois de l'année (57 milliards de francs contre 39 milliards de francs en 1997).

Les effets de reports d'une année sur l'autre expliquent en réalité cette situation.

Comme le note la Cour des comptes " on peut enfin penser que des reports ont été effectués en 1997 sur 1998, et qu'à l'inverse, les remboursements ont été accélérés en fin d'année 1998 ". L'ampleur de l'augmentation des remboursements et dégrèvements d'impôts " exerce à la fois un effet important sur la progression globale des recettes nettes et sur le résultat final de l'exécution du budget de 1998 ".

L'accélération des remboursements et dégrèvements d'impôts fin 1998 a permis de minorer les recettes fiscales nettes et donc le poids des prélèvements obligatoires de l'Etat en 1998 : cette conséquence n'est pas anodine lorsque l'on constate que les prélèvements obligatoires ont été absolument " stables " en 1998 par rapport à 1997.

Il faut remarquer, à l'appui de cette analyse, qu'aucune situation budgétaire mensuelle n'a été publiée fin janvier 1999 : seules les situations au 31 décembre 1998 et au 28 février 1999 sont disponibles. Cette dissimulation confirme l'hypothèse de reports volontaires importants de recettes fiscales de 1998 sur 1999.

La question est donc de savoir au vu de ces pratiques antérieures si ces " effets de report " se reproduiront également et fort opportunément fin 1999.

L'exercice semble plus délicat, dans la mesure où plusieurs dizaines de milliards de francs sont en jeu. Toutefois, il n'est pas impossible qu'une forte partie de l'excédent puisse encore être reporté, ceci afin de ne pas afficher trop rapidement les excellentes rentrées fiscales et surtout d'entraîner inévitablement une hausse des prélèvements obligatoires.

En effet, en l'état actuel des rentrées fiscales, les prélèvements obligatoires pourraient être plus proches des 45,6 points de PIB fin 1999 que des 45,3 points de PIB annoncés.

Au lieu de bénéficier de " la plus forte baisse d'impôts depuis 10 ans ", les Français auront donc le triste privilège de connaître " une des plus fortes hausses de prélèvements obligatoires depuis 10 ans ".

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