CHAPITRE IV

LES POLITIQUES SECTORIELLES MENÉES PAR LE MINISTÈRE DE L'ENVIRONNEMENT

I. LA POLITIQUE DE L'EAU FINANCÉE PAR LES AGENCES

S'agissant du projet de la ministre de l'Environnement de créer un compte spécial du Trésor dont l'une des sections serait destinée à financer des actions régaliennes de l'Etat par un prélèvement sur les recettes des agences de l'eau 24( * ) , votre rapporteur spécial est très réservé.

A. QUELQUES MOTIFS DE SATISFACTION

1. Un " moindre mal"

Il convient de garder à l'esprit que cette solution constitue pour les agences de l'eau « un moindre mal » par rapport aux projets initiaux de la ministre visant à intégrer les redevances des agences de l'eau dans la TGAP sur le modèle de ce qui a été fait pour l'ADEME. Le ministère de l'Environnement y aurait certes trouvé son compte avec une augmentation de son budget de l'ordre de 10 milliards de francs mais cela aurait signifié la fin du système des agences de l'eau.

Votre rapporteur spécial se félicite de l'abandon de ce projet initial qui aurait tout simplement signifié la " nationalisation " des agences de l'eau.

2. L'eau paye pour l'eau

Le dispositif qui nous est proposé permet notamment de conserver le principe fondamental de " l'eau paye pour l'eau " : les ressources issues de l'eau retournent au financement de l'eau (où les besoins sont énormes).

Votre rapporteur spécial se félicite que la ministre se soit rangée en cette matière au principe d'une affectation de la ressource à la dépense correspondante.

3. Un contrôle parlementaire renforcé

La création d'un prélèvement de solidarité pour l'eau affecté à un compte d'affectation spéciale en lieu et place de fonds de concours doit être saluée car elle permettra un meilleur contrôle du Parlement qui pourra désormais approuver chaque année les dépenses et les recettes du compte d'affectation spéciale (alors qu'il n'a connaissance des fonds de concours que par un " jaune " budgétaire).

En outre, elle permet de mettre fin à la procédure des fonds de concours qui en l'occurrence n'était pas exactement conforme aux dispositions de l'ordonnance organique de 1959.

Enfin, elle permettra d'instaurer un comité de gestion officiel et d'assurer la pérennité du financement des actions concernées.

B. DE NOMBREUSES INTERROGATIONS

1. Pourquoi insérer ce dispositif dans un compte d'affectation spéciale existant ?

Votre rapporteur spécial trouve étrange le choix d'un compte d'affectation spéciale commun au fonds national de développement des adductions d'eau (FNDAE) et au fonds national de l'eau (FNE).

Il estime en effet que ces deux fonds n'ont pas la même vocation : l'un est fondé sur une solidarité urbain - rural, l'autre vise à développer la péréquation entre bassins et les actions nationales relatives à l'eau.

En outre, il lui semble dangereux pour la pérennité du FNDAE de lui adjoindre ce nouveau FNE.

2. Pourquoi n'avoir pas attendu 2001 ?

Conformément aux communications de la ministre en Conseil des ministres des 20 mai 1998 et 27 octobre 1999, une réforme en profondeur des redevances des agences de l'eau sera proposée dans un projet de loi présenté au Parlement en 2001 pour une application à partir de 2002, année de démarrage du VIII e programme.

Votre rapporteur spécial s'interroge donc sur la pertinence de créer le Fonds national de solidarité pour l'eau dès cette année alors que toutes les autres réformes touchant aux agences de l'eau ont été reportées à 2001. Aucune urgence ne contraint le Gouvernement à agir dès cette année et comme le propose notre collègue Yves Tavernier dans son rapport 25( * ) , il aurait été tout à fait possible de faire monter en puissance les deux fonds de concours existants et de prévoir ensuite l'instauration du FNE dans le projet de loi prévu.

Cela aurait été d'autant plus légitime que l'on demande cette année aux agences de l'eau, qui sont au beau milieu de leur VII e programme, d'abonder le FNSE alors qu'elles n'avaient pas prévu cette contribution supplémentaire de 250 millions de francs. L'exposé des motifs du présent article indique toutefois que les recettes attendues " sont compatibles avec les conditions d'achèvement financier du VII e programme d'intervention des agences (période 1997-2001) ". Il ne serait donc pas nécessaire de réformer les programmes en cours.

3. Un droit de tirage illimité pour le Gouvernement ?

Le prélèvement sur les recettes des agences de l'eau est fixé à 500 millions de francs pour 2000. Les années suivantes son montant sera fixé par la loi de finances. La ministre s'est toutefois engagée à ne pas le faire dépasser 8 % des recettes des agences avant 2006. Cette ponction d'année en année ne semble pas cohérente avec la programmation quinquennale dont font l'objet les recettes et les dépenses des agences.

Il faut en outre remarquer que ce dispositif officialise et alourdit le prélèvement opéré par le ministère de l'environnement sur les recettes des agences de l'eau. C'est une sorte de droit de tirage que le Gouvernement se prévoit sur des organismes en bonne santé financière.

Il s'agit d'une nouvelle atteinte à l'autonomie de gestion des organismes de bassin : d'année en année, ces atteintes se renforcent et se multiplient. Si les agences ont échappé à la nationalisation avec l'abandon du projet d'intégration de leurs redevances dans la TGAP, elles subissent actuellement une " nationalisation rampante " par la recentralisation progressive de la politique de l'eau.

4. Les actions financées par le FNSE relèvent-elles de l'Etat ou des agences de l'eau ?

Le prélèvement opéré sur les agences de l'eau vise à financer des actions existantes (certaines d'entre elles étaient financées par le budget de l'Etat, d'autres relevaient des agences de l'eau) ainsi que de nouvelles actions.

L'ensemble de ces actions est présenté comme étant des actions d'envergure nationale. Si tel était le cas, ne devraient-elles pas en principe être financées par le budget de l'Etat ?

En outre, pour certaines des missions prévues pour ce fonds, la logique d'un regroupement au niveau national n'apparaît pas évidente et il semble au contraire que ces dépenses auraient très bien pu continuer à être financées directement par les budgets des agences de l'eau.

II. UN AN APRÈS LA TGAP : OÙ EN EST L'ADEME ?

A. LES CONSÉQUENCES DE LA TGAP

L'instauration de la TGAP au 1 er janvier dernier a considérablement modifié le financement de l'ADEME. Auparavant celle-ci était financée en partie sur crédits budgétaires (environ 30 %) et en partie sur des taxes affectées (environ 70 %). La création de la TGAP qui a regroupé ces taxes au profit du budget de l'Etat a donc entraîné une budgétisation intégrale des recettes de l'ADEME.

Cette évolution comporte certains risques que n'avait pas manqué de souligner votre commission des finances l'an dernier.

• La suppression des taxes affectées, avec l'augmentation de taux des taxes sans répercussion sur les subventions budgétaires de l'ADEME peut s'analyser comme un « détournement » de l'ordre de 400 millions de francs.

Evolution du produit des anciennes taxes affectées à l'ADEME

(en millions de francs)

Assiette

1998

1999

Evol. 98/99

2000 26( * )

Evol. 99/2000

Déchets ménagers et assimilés

920

1.294

+ 41 %

1.479

+ 14 %

Déchets industriels spéciaux

99

128

+ 29 %

158

+ 23 %

Bruit

56

66

+ 18 %

83

+ 26 %

Pollution atmosphérique

171

198

+ 16 %

190

- 4 %

Huiles

96

129

+ 34 %

129

-

TOTAL

1.342

1.815

+ 35 %

2.039

+ 12 %

Source : ADEME

En 1999, alors que le produit de la TGAP s'est élevé à 1,82 milliard de francs, la subvention " compensatrice " du budget de l'Etat s'est établie à 1,77 milliard de francs.

En 2000, la subvention à l'ADEME est portée à environ 1,7 milliard de francs alors que le produit de la TGAP correspondant aux anciennes taxes perçues par l'ADEME s'établit à 2,1 milliards de francs.

• A un niveau infra-annuel, l'ADEME est désormais susceptible de voir ses crédits faire l'objet de mesures de régulation budgétaire en cours d'année. Votre rapporteur spécial reconnaît qu'il n'en a pas été ainsi dès cette année.

• A un niveau supra-annuel, les interrogations concernent également la pérennité des subventions budgétaires qui seront allouées à l'ADEME. A cet égard, un contrat d'objectifs devrait être signé entre l'ADEME et l'Etat mais sa négociation tarde à être engagée.

La suppression des taxes affectées a toutefois certains avantages comme par exemple la fongibilité des recettes de l'ADEME qui n'est plus contrainte dans sa gestion financière par des compartiments étanches. Cette situation nouvelle a notamment permis d'opérer cette année des redéploiements internes de crédits, notamment au profit du secteur des déchets. En outre, elle a permis de déterminer une tutelle technique claire : le ministère de l'Environnement.

Un décret est attendu : il devrait modifier les structures de l'ADEME et donner ainsi compétence au Conseil d'administration pour instituer des commissions nationales des aides dans chacun des grandes secteurs d'intervention de l'agence. Ces commissions remplaceront les comités de gestion des anciennes taxes. Elles seront chargées d'examiner les orientations stratégiques, les programmes d'action et les modalités d'intervention de l'ADEME et permettront d'associer pleinement à la marche de l'agence l'ensemble des acteurs concernés (ministères, professionnels, collectivités locales, secteur associatif).

La mise en place de ces comités de gestion avait été promise dans le cadre de la suppression des anciennes taxes affectées, votre rapporteur spécial estime que la publication du décret est tardive, ce qui est d'autant plus critiquable que l'ADEME a pris au premier semestre des décisions lourdes de conséquences, sans aucun contrôle de la commission nationale concernée.

B. LA RÉFORME DU MÉCANISME DES AIDES DANS LE SECTEUR DES DÉCHETS MÉNAGERS

En 1998 et 1999, plusieurs décisions sont venues modifier les conditions économiques de l'élimination des déchets ménagers :

1- le 12 janvier 1998, l'augmentation des taux d'aides de l'ADEME ;

2- au 1 er janvier 1998, l'augmentation du soutien des sociétés agréées aux collectivités locales ;

3- au 1 er janvier 1999, la réduction du taux de TVA appliqué au service public d'élimination des déchets ménagers à 5,5 % lorsque la collectivité met en oeuvre la collecte sélective et le tri ;

4- le 12 mai 1999, la diminution des taux d'aide de l'ADEME avec effet rétroactif au 1 er janvier 1999.

Cette dernière modification, à la baisse, des taux d'aides de l'ADEME se justifie par l'afflux des demandes de soutien financier à des opérations de collecte sélective, de traitement, de recyclage et d'élimination des déchets (3,2 milliards de francs en 1999 contre 1,9 milliard de francs en 1998).

Taux d'aide de l'ADEME

(en %)

Equipements

Conditions d'aides antérieures

Conditions d'aides actuelles

Stations de transfert

50

20

Déchetteries

50

20

Collecte séparative

50

30

Tri

50

20

Compostage individuel

50

30

Collecte et traitement des déchets verts

50

20

Collecte et traitement des autres déchets organiques

50

30

Incinération avec valorisation énergétique

10

5

Aide complémentaire à la valorisation énergétique

15, 25 et 35

10, 15 et 20

Plates-formes de maturation des mâchefers

30 et 50

20

Source : Ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement

La révision du mécanisme des aides de l'ADEME doit certes s'inscrire dans l'ensemble de mesures présenté ci-dessus, globalement favorable aux collectivités locales. Il faut en outre noter que certains projets ont bénéficié d'un taux global d'aide au financement tout à fait déraisonnable, de l'ordre de 80 %, ce qui a contribué à pousser à la hausse le coût moyen des projets.

Toutefois, il convient de remarquer :

• que deux décisions contradictoires ont été prises concernant l'évolution des taux de l'ADEME en 1998 27( * ) et en 1999. Elles témoignent à l'évidence d'un défaut de prévision et sont en partie le reflet de l'absence de président de l'ADEME, faute de nomination, pendant une année, jusqu'au début de 1998 ;

• que l'ADEME ne souffre pas actuellement d'insuffisance de crédits, notamment en crédits de paiement ; c'est sur les autorisations de programme qu'une insuffisance, vraisemblablement en 2002, était prévue en février 1999 sur la base du rythme de consommation observé. C'est en raison de cette non-soutenabilité à moyen terme que le mécanisme a été révisé ;

• que cette diminution des taux d'aide a été concomitante à l'augmentation du produit de la taxe sur les déchets ménagers incluse dans la TGAP et versée au budget général de l'Etat (400 millions de francs supplémentaires qui n'ont pas été versés à l'ADEME en raison de la réforme de la TGAP), ce qui n'a pas été bien interprété par les collectivités locales.

Votre rapporteur spécial déplore que l'Etat (les ministères de tutelle technique et budgétaire) et l'ADEME n'aient pas su mieux gérer cette politique « à durée déterminée » et qu'ils aient par des décisions tardives ou contradictoires parfois contribué à accroître les difficultés existantes et futures.

III. LES NOUVEAUX DÉFIS DE L'ENVIRONNEMENT SONT-ILS BIEN TRAITÉS PAR LE MINISTÈRE ?

A. QUE FAIT LE MINISTÈRE FACE À L'APPROPRIATION PRIVÉE DU PATRIMOINE ENVIRONNEMENTAL COMMUN DE L'HUMANITÉ ?

Le dépôt de brevets protégeant des organismes vivants (végétaux et animaux) et en particulier leur information génétique constitue de plus en plus un préalable indispensable à l'investissement en recherche et développement pour les firmes spécialisées dans les biotechnologies. Cette appropriation privée de ce qui constitue bien le patrimoine commun de l'humanité est problématique.

Ces dérives mercantilistes doivent être prises au sérieux par le ministère. Une veille intensive et efficace doit être mise en place et déboucher sur des propositions concrètes d'actions.

B. L'INDISPENSABLE RECHERCHE

Par ailleurs, votre rapporteur spécial souhaite rappeler l'importance qu'il attache à la recherche en matière environnementale pour réduire dans le futur les pollutions. Il estime que c'est dans l'utilisation de matériaux et la mise en oeuvre de processus de production moins polluants que réside la solution à la majeure partie des problèmes environnementaux que nous connaissons aujourd'hui.

C'est pourquoi il estime que les crédits supplémentaires dont disposera l'année prochaine le ministère de l'Environnement auraient pu être mieux employés en venant soutenir la recherche.

Or la recherche fait figure de parent pauvre de cet opulent budget : 82,4 millions de francs en dépenses ordinaires et crédits de paiement, en stabilité par rapport à 1999, et 14,6 millions de francs en autorisations de programme, soit une légère augmentation de 1,3 % 28( * ) .

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