DEUXIÈME PARTIE :

LES CRÉDITS DE TRANSPORT AÉRIEN ET DE

MÉTÉOROLOGIE DU BUDGET DU MINISTÈRE DE

L'ÉQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT


CHAPITRE PREMIER :

VERS UNE UNIFICATION DE L'INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE EUROPÉENNE ?

Votre commission des finances a adopté au mois de juin dernier un rapport 10( * ) consacré à définir un projet aéronautique européen susceptible d'assurer les positions de l'Europe dans un secteur industriel stratégique du point de vue économique mais aussi politique.

Soulignant les acquis engendrés par les rapprochements intervenus au sein de l'industrie française, il appelait à une relance du processus de concentration européenne en en énonçant les conditions.

L'annonce de la fusion entre Aérospatiale-Matra et DASA, dont les conditions et les suites restent à analyser, a, depuis, constitué un pas important en vue d'une Europe aéronautique plus forte.

I. LA STRUCTURATION DE L'INDUSTRIE FRANÇAISE

Au prix d'une série d'opérations complexes à caractère juridique et financier, la réorganisation de l'industrie française a donné naissance à un champion national occupant en outre des positions majeures sur l'échiquier européen.

A. DES OPÉRATIONS COMPLEXES

Apports, fusions et privatisation ont été nécessaires pour réorganiser l'industrie aéronautique française.

1. Le transfert de la participation de l'Etat dans Dassault Aviation à Aérospatiale, une démarche inachevée

Fin décembre 1998, l'Etat a transféré à Aérospatiale 45,76 % du capital de Dassault Aviation.

Le rapport susmentionné avait jugé les conditions de ce transfert assez obscures, qu'il s'agisse de la négociation préalable, de son contenu ou de son impact sur les parties concernées.

Au vu des développements les plus récents, ce jugement ne peut qu'être formulé à nouveau.

S'agissant des négociations , l'élément capital a été le sort des droits de vote double attachés à la participation de l'Etat chez Dassault. Ils mettaient l'Etat en bonne situation pour négocier avec l'entreprise un rapprochement de ses actifs avec ceux d'Aérospatiale. La question s'est même posée de savoir si l'Etat se trouvait en mesure d'imposer un tel rapprochement. Le déroulement de la négociation a conféré à cette interrogation un caractère seulement théorique mais elle n'en est pas moins légitime d'un point de vue rétrospectif au vu de l'histoire des tentatives de rapprochement entre les avionneurs français.

Dans les faits, le problème des droits de vote double s'est enrichi de la question de savoir si un transfert de la participation de l'Etat à Aérospatiale s'accompagnerait du maintien ou de la perte des droits liés à cette participation. Il semble que, saisi pour avis, le Conseil d'Etat ait penché pour le maintien de ces droits. Mais, cette façon de voir aurait pu être combattue devant les juridictions commerciales compétentes qui auraient elles-mêmes pu adopter une attitude différente.

C'est probablement cette considération, parmi d'autres, qui a incliné les parties à rechercher plutôt la négociation.

L'on entre alors dans les inconnues portant sur la substance de l'accord conclu entre les parties à la négociation. Celle-ci suscite un nombre important de questions.

Evoquons d'abord les certitudes :

L'Etat s'est dessaisi de ses droits au profit d'Aérospatiale.

Ce dessaisissement n'a été que partiel puisque les droits de l'Etat dans l'entité Dassault-Systèmes n'ont pas été transférés à Aérospatiale. Cette réduction du périmètre transféré à l'entreprise publique est, à coup sûr, très notable compte tenu de la valorisation boursière de Dassault-Systèmes et de ce que la participation de l'Etat au capital de Dassault Aviation lui confère 16,33 % de cette capitalisation. D'un point de vue stratégique, l'exclusion de Dassault-Systèmes du périmètre transféré à Aérospatiale peut être justifiée par la nature du métier de l'entreprise -conception industrielle par ordinateur- et par sa position commerciale qui fait de Boeing l'un de ses premiers clients. Il n'en reste pas moins que le sort de la participation de l'Etat dans Dassault-Systèmes devra être réglé.

Dernière certitude, l'Etat a renoncé à ses droits de vote double.

L'on entre à ce stade dans le domaine des interrogations.

Une première question fondamentale porte alors sur ce qu'a obtenu l'Etat à l'occasion de son renoncement à ses prérogatives particulières. Autrement dit quelle a été la valeur d'échange des droits de vote double de l'Etat, quelles contreparties celui-ci a-t-il obtenu contre cet abandon ?
La réponse à cette question est loin d'être éclaircie. La contrepartie acquise par l'Etat consiste-t-elle dans le seul accord de Dassault au transfert réalisé au profit d'Aérospatiale et au volet patrimonial et industriel de l'accord entre les parties ? Peut-elle être alors jugée suffisante et donc équitable ? D'autres clauses viennent-elles l'enrichir ?

Autant de questions qui, étant donné leur caractère stratégique et leur aspect financier -la détention de droits de vote double a un prix qui peut-être considéré comme un actif de la Nation-, méritent des précisions de la part des pouvoirs publics.

Liée à cette problématique, la question se pose alors évidemment du degré de contrôle d'Aérospatiale sur Dassault Aviation résultant de cette opération.
Aérospatiale n'étant pas appelée à bénéficier des privilèges liées à la participation de l'Etat elle détient 45,76 % du capital de Dassault Aviation, ce qui en fait certes un actionnaire de référence majeur mais toutefois un actionnaire minoritaire par rapport à la holding Dassault Industries qui en détient 49,90 %, le reste, 4,34 % étant en Bourse

L'accord intervenu entre les parties a, sans doute, inclus des dispositions élargissant les droits d'Aérospatiale au-delà des seuls droits attachés à sa participation et dont seule une connaissance précise permettrait d'en évaluer l'impact. Mais, en contrepartie, il semble que l'actionnaire majoritaire se soit vu conférer des prérogatives particulières incluant des clauses de préemption.

Le rapport susmentionné appelait à des clarifications qui restent nécessaires.

En tout état de cause, la voie de la fusion entre Dassault Aviation et Aérospatiale ayant été écartée, la question de la cohérence de l'opération se posait.

Sur le plan financier,
cette question est celle du bilan de l'opération pour les trois acteurs. Elle renvoie aux questions relatives à la substance même de ce qui a été échangé et à son évaluation pour les uns et les autres.

Le sentiment se dégage que l'accord n'a guère été exigeant pour Dassault Aviation 11( * ) tandis que, pour l'Etat, la perte de ses droits de vote double et le traitement comptable de l'apport réalisé au bénéfice d'Aérospatiale suscitent certaines interrogations. Du côté d'Aérospatiale, les évaluations sont complexes. Compte tenu de la valorisation boursière de Dassault Aviation hors Dassault Systèmes, les droits de l'Etat ont pu être évalués à 880 millions d'euros, soit 5.764 millions de francs. Cependant, un certain nombre d'objections peuvent être faites à l'adoption de cette seule méthode de valorisation, ces objections revenant à relativiser la valorisation de marché de l'entreprise, susceptible compte tenu du nombre d'actions en bourse de ne pas refléter entièrement sa valeur. A partir de méthodes d'évaluation alternatives passant par des valorisations comptables ou l'examen des plans d'affaires, on est conduit à insister sur des variables plus complexes et notamment celles relatives aux avances clients et fournisseurs qui, dans le secteur de l'industrie aéronautique, occupent une place très importante. De la même manière, il apparaît alors qu'en tout état de cause, l'évaluation de la participation d'Aérospatiale dans Dassault Aviation est fondamentalement liée au devenir du Mirage 2000-5 et surtout du Rafale, programme majeur de la firme.

La réussite passée de Dassault, les comparaisons de prix des avions de combat -voir tableau ci-après -, la disponibilité du missile MICA pour équiper les appareils de Dassault, les incertitudes entourant les capacités opérationnelles de certains concurrents et, tout particulièrement, de l'Eurofighter plaident en faveur du succès de ces deux programmes.

En sens inverse, le poids de la diplomatie économique américaine, l'isolement de Dassault, l'engagement des autres grands européens de la défense en faveur de l'Eurofighter constituent autant d'obstacles.

Ces données amènent à adopter un parti pris qui peut paraître décevant, celui consistant à considérer qu'une pleine valorisation économique de ces programmes est prématurée.

Aussi, en l'état, faute de mieux, l'évaluation mentionnée plus haut peut-elle être considérée comme significative du renforcement financier d'Aérospatiale du fait d'une opération au terme de laquelle les capitaux propres de l'entreprise ont, notons-le, été accrus de 20 %.

La cohérence stratégique de l'opération reste quant à elle à démontrer.

Il semble que l'accord industriel conclu entre les parties ait plus valeur d'armistice que le mérite de constituer un socle offensif. Les positions étant figées par des droits de préemption consentis aux parties et l'extension du champ des décisions requérant une majorité qualifiée des 2/3 - les décisions d'accords industriels restent, semble-t-il, soumises à la majorité simple -, chacun reste maître chez soi.

Une telle situation ne peut à l'évidence perdurer puisque, dans le futur, les avions de combat ne pourront être produits qu'au sein de groupes puissants financièrement, commercialement et politiquement. Des décisions devront être prises dans ce sens. De ce point de vue, l'opération pourrait avoir pour grand mérite de les faire dépendre du consentement d'un ensemble industriel national puissant, autrement dit de désigner un partenaire national comme partenaire obligé. On éviterait ainsi la perspective de choix excluant des entreprises françaises même si, de ce point de vue, la dépendance du développement d'un appareil militaire envers les crédits publics constituait déjà une certaine garantie.

A ces questions s'ajoutent celles portant sur les effets plus immédiats de l'accord.

Au-delà du renforcement de la capacité financière d'Aérospatiale résultant de l'augmentation de ses fonds propres, de sa participation au capital d'une entreprise aux ratios bien supérieurs et d'un meilleur équilibre entre les sources civile et militaire du chiffre d'affaires de l'entreprise, ces effets ont été quasi-nuls jusqu'à présent.

La réorganisation en cours chez Dassault Aviation, avec une séparation des branches militaire et civile qui paraît conduite " proprio motu ", ne semble d'ailleurs pas intégrer une quelconque dimension nouvelle liée à la constitution d'un groupe.

Sauf à être durablement sous-optimale, la démarche de rapprochement entre Aérospatiale et Dassault Aviation devra donc être prolongée.

2. Le transfert des activités satellites à Thomson, une opération à la cohérence remise en cause

Une importante modification du périmètre d'Aérospatiale est intervenue avec le transfert à Thomson CSF des activités d'Aérospatiale dans le domaine des satellites à l'été 1998. Le chiffre d'affaires de cette division s'était élevé à 3,4 milliards de francs en 1997 contre 5 milliards en 1996 représentant 6 % de l'activité totale de l'entreprise. Ce transfert était accompagné d'une clause de non rétablissement par laquelle Aérospatiale s'était engagée à abandonner toute activité dans le secteur. En contrepartie de ce transfert, Aérospatiale avait reçu 4 % du capital de Thomson CSF remodelé après l'entrée d'Alcatel et de Dassault Industries dans l'entreprise, si bien que celle-ci s'est trouvée privatisée de facto.

Cette opération a été remise en cause par le projet de fusion entre Aérospatiale et Matra Hautes Technologies qui, accompagnée de la privatisation d'Aérospatiale, constitue l'élément principal des opérations portant sur l'entreprise et l'événement majeur de la structuration de l'industrie aéronautique française.

Toutefois, une solution de compromis a alors été décidée consistant à sortir du périmètre d'Aérospatiale sa participation dans Thomson CSF pour la faire porter par l'Etat. Cette solution n'est évidemment pas appelée à persister. Son dénouement sera certainement concomitant des évolutions que devra entreprendre Thomson CSF.

3. Le rapprochement Aérospatiale - Matra Hautes Technologies, un événement majeur

a) Rappel des enjeux

La dimension financière de la fusion a suscité bien des interrogations.

La question a porté en substance sur la détermination de la quotité du capital du nouvel ensemble à attribuer à MHT et donc sur l'évaluation implicite d'Aérospatiale et des apports de Lagardère.

Les enjeux attachés à cette question fondamentale doivent être rapidement mentionnés. Hormis les enjeux, privés, concernant Lagardère, ils relevaient de deux catégories, patrimoniale et stratégique.

Sur le plan stratégique , l'évaluation de MHT étant supposée connue en raison de la cotation en bourse de Lagardère SCA, l'attribution d'une quotité de titres Aérospatiale en échange de l'apport de MHT à l'entreprise pouvait être considérée comme une évaluation implicite d'Aérospatiale. A l'heure où la structuration de l'industrie aéronautique européenne butait en particulier sur des divergences d'évaluation des entreprises, une telle évaluation consistait à dévoiler ses cartes aux partenaires.

Consciente de cette difficulté, la Commission des participations et des transferts (CPT) a tenu à insister tant dans son avis sur la fusion 12( * ) sur l'absence de prise en compte à ce stade des effets de synergie résultant du rapprochement des deux entités et a souligné que de tels effets devront en revanche être estimés lors de la mise sur le marché du nouveau groupe.

Sur le plan patrimonial , étant rappelé qu'Aérospatiale était alors une entreprise publique, la valorisation implicite retenue à l'occasion de la fusion devait peser lourd alors même que la mise sur le marché annoncée d'une quotité de 20 % du capital était programmée.

Il importait donc de vérifier que la valorisation de l'actif public était minorée par rapport à celle de l'actif apporté par Lagardère SCA ce qui aurait été synonyme de perte sèche pour l'Etat.

b) Les grandes lignes de l'accord

L'accord général a comporté trois accords particuliers.

L'accord du 15 février 1999 entre l'Etat et Lagardère SCA précise les solutions financières.

Le groupe Lagardère, en échange de ses apports, recevrait 31,45 % du capital de la future entreprise, le périmètre d'Aérospatiale étant préalablement réduit du fait du transfert à l'Etat de la participation de l'entreprise dans le capital de Thomson CSF (3,87 %).

Le groupe Lagardère se voit reconnaître, par un pacte d'actionnaires, le statut de partenaire privilégié dans la future entreprise, statut défini à travers les droits reconnus à Lagardère par ledit pacte d'actionnaire conclu avec l'Etat dont il reste à préciser complètement la substance.

Outre l'apport des actifs de MHT à Aérospatiale, Lagardère SCA versera à l'Etat une soulte de 850 millions de francs au minimum représentative de 1,55 % du capital de l'entreprise, et dans la limite de 1.150 millions de francs, une somme variant selon la performance boursière relative du titre Aérospatiale-Matra appréciée sur une période de deux ans.

Plus le titre se valorisera par rapport au CAC 40, moins la soulte à verser par Lagardère sera substantielle ; si le cours du titre monte de 10 % par rapport au CAC 40, la dette de Lagardère sera annulée. Une clause prévoit en outre que tout désengagement du nouvel actionnaire dans les deux ans rend exigible la soulte calculée prorata temporis .

Selon le communiqué de presse du 15 février 1999, l'une des clauses du pacte d'actionnaires conclu entre l'Etat et Lagardère SCA stipule que " les principales décisions concernant le nouveau groupe seront arrêtées d'un commun accord entre ses deux premiers actionnaires, l'Etat et le groupe Lagardère. "

L'avis de la CPT évoque en outre l'organisation d'un système croisé de droits de préemption. L'Etat dispose de la possibilité d'acquérir la participation de Lagardère SCA si cette société change de contrôle ou si elle entend céder sa participation.

L'avis indique que " Réciproquement, Lagardère SCA pourra acquérir les actions cédées par l'Etat si la participation de celui-ci descendait en-dessous de 20 % ".

Le troisième pilier de l'opération est constitué par un accord industriel conclu le 3 mars 1999 entre Aérospatiale d'une part, Lagardère SCA et MHT d'autre part. Cet accord restera en vigueur tant que Lagardère SCA détiendra plus de 20 % des droits de vote de la nouvelle entité.

Quatre clauses de l'accord industriel doivent être mises en évidence :

- Aérospatiale rapprochera ses activités de missilier avec Matra-Bae Dynamics dont l'actionnariat restera inchangé ;

- les fonctions à l'exportation du nouvel ensemble seront assurées par un groupement d'intérêt économique (GIE) constitué entre Lagardère SCA et Matra Aérospatiale, avec la répartition suivante des parts sociales : 49 % pour la première, 51 % pour la seconde ;

- les sociétés du nouveau groupe bénéficieront d'un accès gratuit, mais non transférable, au savoir-faire et droits de propriété industrielle de l'ensemble des membres du groupe ;

- enfin, les conventions de prestations entre Lagardère SCA et les entités de MHT sont maintenues jusqu'au 31 décembre 2003.

Cet accord industriel est complété par une série d'accords passés avec les partenaires de Lagardère SCA et, en particulier, GEC (MMS) et BAe (MBD), au terme desquels GEC exercera notamment son droit d'équilibrer sa participation dans MMS avec celle de MHT.

c) Que penser de cet accord ?

Le volet financier du rapprochement doit être apprécié en gardant à l'esprit que les problèmes soulevés par l'évaluation des entreprises sont à ce point complexes qu'une part d'incertitude subsiste toujours, inévitablement . Il faut donc dépasser l'idée d'estimer l'équilibre d'un échange à partir de l'ambition d'en établir la stricte équivalence financière. Celle-ci est techniquement hors de portée.

En outre, d'autres considérations sont à prendre en compte et, en particulier, le coût d'un non-accord . Or, en l'espèce celui-ci aurait été sans doute fort élevé de part et d'autre, l'isolement d'Aérospatiale pouvant être considéré comme annonciateur d'une perte patrimoniale pour l'Etat.

La méthode centrale d'évaluation utilisée à l'occasion de l'apport de MHT a consisté à actualiser les flux de trésorerie prévisionnels des deux entreprises dans les cinq années à venir sur la base de l'estimation de leurs plans de développement (business plan).

L'on ne peut conférer à une telle méthode classiquement utilisée dans de telles négociations plus de vertus qu'elle n'en a.

Pas plus qu'en macro-économie, la prévision micro-économique ne peut se prévaloir du statut de la science exacte.

L'exercice confine à l'art mais a pour avantage mais aussi pour handicap, de reposer sur le consensus. Or, celui-ci est plutôt le résultat de la négociation que son fondement.

A partir de là, il va de soi que la silhouette du départ de chaque partie à la négociation profile celle-ci et détermine donc largement ses résultats.

Ces remarques ne sont pas purement " intellectuelles ", " théoriques ". Elles visent à rendre intelligibles les termes d'une négociation qui ont été fortement déterminés par les événements qui ont entouré la présentation des comptes d'Aérospatiale pour 1998.

La soudaine révision à la baisse des performances de cette entreprise a joué un rôle considérable dans la négociation
en favorisant la position de Lagardère SCA et, finalement, le bon accueil réservé à ses prétentions.

Le résultat d'exploitation d'Aérospatiale est en effet passé entre ces deux exercices de 1.078 à 409 millions de francs, et ce malgré une hausse du chiffre d'affaires dans un contexte où la contribution d'Airbus au résultat, historiquement positive, s'est soldée par une perte (- 68 millions de francs contre un profit de 1131 millions en 1997).

Les facteurs de variation du résultat de l'entreprise entre 1997 et 1998 sont étroitement liés à des événements exceptionnels dont la récurrence semble établie du moins sur courte période et pour certains d'entre eux.

C'est probablement le cas des provisions qui ont été considérablement augmentées de 650 millions de francs pour la seule activité Airbus, sous l'effet d'exigences nouvelles du GIE. Cet effort de provisionnement, brutal, semble résulter de la considération d'engagements " hors-bilan " constitués par les garanties sur les valeurs résiduelles offertes aux clients d'Airbus.

Au terme de ces garanties (qui peuvent porter sur le paiement des loyers, la valeur résiduelle des avions ou la participation au financement de la vente de certains appareils), si le prix touché par le détenteur d'un appareil au moment de sa revente éventuelle est inférieur à la valeur résiduelle garantie par le constructeur lors de la vente, celui-ci " rembourse la différence " à son acquéreur.

L'ampleur des provisions passées à ce titre en 1998 peut à bon droit susciter quelques interrogations sur elles-mêmes (ces provisions sont-elles justifiées ? sont-elles passées de la même manière dans les autres entreprises du GIE Airbus ?), mais aussi sur les conditions dans lesquelles les comptes de l'entreprise ont pu être certifiés dans le passé.

Mais, il faut aussi tenir compte des frais de recherche-développement autofinancés par l'entreprise pour comprendre l'évolution négative de son résultat en 1998. Ce type de charges qui a joué un rôle important dans les évaluations ne peut être quant à lui jugé entièrement récurrent puisqu'il dépend en particulier des décisions des pouvoirs publics 13( * ) De 527 millions d'euros en 1997, ces charges sont passées à 587 millions lors de l'exercice écoulé pour l'ensemble du groupe. La variation de ce poste de charges paraît intégralement dû à l'augmentation des remboursements d'avances consenties par l'Etat au titre des premiers programmes Airbus. Elle s'élèverait à 622 millions de francs, les remboursements passant de 1.155 à 1.777 millions entre les deux années sous revue.

Même si une telle évolution est la résultante d'un mode de soutien public garantissant les intérêts de l'Etat et conforme aux engagements de la Communauté européenne, elle est symptomatique d'un système de financement public de l'industrie aéronautique mal adapté aux exigences de compétitivité des entreprises. On renverra sur ce sujet aux conclusions d'un précédent rapport de la commission des finances 14( * ) dont les conclusions ont été malheureusement beaucoup négligées.

En tout état de cause, l'effet des remboursements d'avances sur les comptes d'Aérospatiale est très lourd.

Dans un contexte où le montant des charges de recherche-développement supportées par Aérospatiale est considérable, il s'élève à 7 % de son chiffre d'affaires contre seulement 1,5 % pour British Aérospace et 5,5 % pour DASA, il faut souligner que cet effort est sensiblement plus réduit pour MHT (3,4 % du chiffre d'affaires consolidé) dont les activités de recherche sont plus souvent financées sur des ressources externes.

Si les caractéristiques de l'activité d'Aérospatiale expliquent le niveau relativement élevé par rapport à la situation de MHT des charges de recherche-développement de l'entreprise, la comparaison du niveau de ces charges par rapport à la moyenne des entreprises comparables invite à approfondir cet aspect du dossier.

On est ainsi amené à considérer que les charges de recherche-développement étant à court terme indépendantes de l'activité peuvent être aménagées assez librement, ce qui en fait un poste de charges ajustable à des fins comptables au moins jusqu'à un certain point. De plus, l'appréciation des charges de recherche développement supportées par Aérospatiale devait tenir compte des besoins de programmes en voie de terminaison comme ArianeV ou les A 330 et A 340, 500 et 600.

Outre ces évolutions intégrées dans les comptes de l'entreprise, d'autres variables-clefs censées influer sur les comptes futurs ont été prises en compte dans les négociations.

Il s'est essentiellement agi de questions relatives au change des devises . Une partie considérable du chiffre d'affaires d'Aérospatiale est réalisée à partir de ventes libellées en dollar. Dans le même temps, les charges supportées par l'entreprise sont principalement exprimées en francs. Selon les analyses financières de la direction de l'entreprise, le point mort est atteint lorsque le cours du dollar contre franc se situe aux alentours de 5 francs.

Plus le cours du dollar est élevé, plus, toutes choses égales par ailleurs, les performances d'Aérospatiale sont bonnes . Dans l'évaluation de l'entreprise, la variable de change était donc centrale.

La valeur anticipée du cours du dollar n'ayant pas été communiquée à votre rapporteur et ne figurant pas dans l'avis de la CPT, on ne peut faire autrement que de supputer la solution retenue. A cet égard, on ne peut que supposer qu'elle a consisté dans une cote intermédiaire entre une valeur de l'ordre de 5,50 - 5,60 francs pour un dollar compte tenu des couvertures de risques de change pratiquées en 1999.

Une telle option amène une observation. L'hypothèse pourtant envisageable d'une montée en puissance des opérations commerciales libellées en euros n'a pas été retenue lors de la négociation. Or, sa réalisation aurait pour effet d'insensibiliser plus ou moins totalement les comptes d'Aérospatiale aux évolutions de change.

Mais la question du change a également été à l'origine d'une charge imprévue pour Aérospatiale. L'existence d'un risque de change résiduel a ainsi été " découverte " à l'occasion des négociations.

Dès lors qu'une entreprise ne maîtrise pas ses recettes du fait de variations possibles du change, il existe un risque de change que la prudence commande de couvrir. Or, il est apparu que cette couverture n'était pas entièrement organisée au delà de l'année 1999, un volant d'affaires de l'ordre de 12 milliards de dollars restant non couverts.

La poursuite de la politique prudentielle d'Aérospatiale, c'est à dire l'objectif de garantir des recettes sur la base d'un cours de 1 dollar contre 5,50 francs 15( * ) , supposait de compléter les mécanismes de gestion du risque au delà de 1999. Les coûts de ce parachèvement ont été estimés à environ 300 millions de dollars compte tenu de l'économie fiscale associée à cette charge.

Cette charge a été prise en compte dans la négociation, la décision ayant été prise de passer en totalité les coûts de l'extension de la couverture de change en charges dès 1999 16( * ) .

Une constatation s'impose, celle du cumul des événements défavorables pour les comptes d'Aérospatiale survenus à l'occasion de l'opération de fusion.

Ce faisceau de coïncidences ne peut pas conduire à conclure que des manipulations artificielles auraient permis de réduire la valeur de l'entreprise pour favoriser la bonne fin de la négociation. Mais, il témoigne certainement de choix, certes pas arbitraires, mais discutables qui ont pu peser sur la base à partir de laquelle a été conduite l'évaluation du dynamisme de l'entreprise.


D'un autre côté, certaines prérogatives accordées au nouvel arrivant pourraient paraître exorbitantes si elles n'étaient pas provisoires.

Il reste que l'équilibre de l'opération doit être jugé à l'aune de l'importance stratégique d'une réorganisation du paysage industriel français qui n'est pas sans effet sur la valeur patrimoniale de la participation du secteur public dans l'entreprise.

4. La privatisation d'Aérospatiale

A ce sujet, les conditions de la mise sur le marché d'une fraction de cette participation - 17 % - approuvées par la Commission des participations et des transferts laissent penser que l'Etat n'a pas tiré tout le parti des perspectives d'une entreprise dont le potentiel devrait être mieux exploité à l'avenir.

La sur-souscription du placement réservé aux institutionnels (plus de 35 fois) et pourtant offert au prix le plus élevé de la fourchette prévue dans le cadre du pré-placement, le bond du titre le premier jour de sa cotation et l'introduction d'une clause de revalorisation du produit de la cession consentie au bénéfice du Consortium de réalisation(CdR), principal vendeur dans cette opération en témoignent.

Dans une perspective patrimoniale et stratégique, il aurait été souhaitable de mieux valoriser le nouveau groupe.

Il reste à souhaiter que la recomposition du paysage aéronautique français soit approfondie ce qui suppose un meilleur arrimage des avions de combat et de prolonger la logique des concentrations horizontales.

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