II. LE DISPOSITIF DE PRÉVENTION ET DE RÉPRESSION DE LA MALTRAITANCE INFANTILE

Le problème du droit des enfants et de leur nécessaire protection contre les mauvais traitements n'est pas une idée nouvelle. Dès 1924, la SDN a engagé une réflexion sur la nécessité d'accorder une protection spéciale à l'enfant.

Plus récemment, en 1959, l'Organisation des Nations Unies a adopté une première déclaration des droits de l'enfant qui n'a été ratifiée par la France que trente ans plus tard, c'est-à-dire le 2 juillet 1990 : son article 19 affirme le droit des enfants à être protégés des mauvais traitements.

En outre, depuis une dizaine d'années, la France s'est dotée d'un dispositif législatif et réglementaire ambitieux contre la maltraitance infantile, ordonné principalement autour de la loi dite Dorlhac du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance.

Enfin, divers rapports et campagnes de sensibilisation ont témoigné au cours des années récentes du souci des pouvoirs publics de répondre à cette situation.

1. La loi du 10 juillet 1989

a) Une obligation de signalement

Avant même la ratification de la Convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, le Parlement a adopté la loi du 10 juillet 1989 qui a pour principal objet de préciser les modalités de signalement de ces mauvais traitements et la mission des conseils généraux dans le domaine de l'enfance en danger.

La loi confirme le rôle du président du conseil général comme principal animateur de l'action sociale en faveur de l'enfance et fait obligation aux départements de mettre en place des dispositifs chargés de recueillir les informations relatives aux mineurs maltraités.

Elle crée par ailleurs un service national d'accueil téléphonique, le SNATEM, qui emprunte la forme d'un groupement d'intérêt public entre l'Etat et les départements.

Le SNATEM dispose d'un numéro vert national, le 119, qui doit obligatoirement être affiché dans tous les lieux accueillant des enfants ; cette ligne " Allô, enfance maltraitée " est gratuite, accessible de toute la France métropolitaine, fonctionne tous les jours 24 heures sur 24 et offre à toute personne, y compris aux enfants eux-mêmes, un moyen direct de signaler des situations présumées de maltraitance.

b) Des dispositions préventives et de formation

La loi de 1989 comporte également des dispositions relatives à la prévention des mauvais traitements et à la formation des " professionnels ".

Son article 4 stipule ainsi que " les médecins ainsi que l'ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, les travailleurs sociaux, les magistrats, les enseignants et les personnels de la police nationale et de la gendarmerie reçoivent une formation initiale et continue propre à leur permettre de répondre aux cas d'enfants maltraités et de prendre les mesures nécessaires de prévention et de protection qu'ils appellent ".

c) Le signalement à l'autorité judiciaire

L'article 69 du code de la famille et de l'aide sociale, introduit par l'article 3 de la loi de 1989 dispose par ailleurs que " lorsqu'un mineur est victime de mauvais traitements ou lorsqu'il est présumé l'être et qu'il est impossible d'évaluer la situation ou que la famille refuse manifestement d'accepter l'intervention du service de l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil général avise sans délai l'autorité judiciaire... "

d) Les textes d'application de la loi de 1989

Cette loi a fait l'objet de plusieurs textes d'application dont les plus importants sont les suivants :

- le décret du 9 décembre 1991 relatif à la formation des professionnels qui précise notamment les thèmes susceptibles d'être abordés à l'occasion de cette formation ;

- la circulaire interministérielle du 3 mai 1995 relative à la coordination des programmes d'action des différents ministères concernés au sein du groupe permanent interministériel pour l'enfance maltraitée (GPIEM) ;

- le décret et l'arrêté du 12 mars 1997 relatifs à la coordination interministérielle en matière de lutte contre les mauvais traitements et atteintes sexuelles envers les enfants.

Outre ces textes d'application de la loi de 1989, le dispositif législatif a été renforcé récemment par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles et à la protection des mineurs qui comporte notamment un véritable statut spécifique protecteur des mineurs victimes.

2. Les dispositions complémentaires

A côté du dispositif de la loi de 1989, le code pénal, le code de déontologie médicale et diverses circulaires viennent préciser l'obligation de signalement qui incombe aux " professionnels ".

a) Les dispositions pénales générales

Il convient d'abord de rappeler que l'article 40 du code de procédure pénale dispose que " toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui dans l'exercice de ses fonctions acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ".

Cette obligation générale est renforcée par l'article 434-3 du code pénal qui pose que la non-assistance à personne en danger constitue l'une des bases du signalement : " le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de mauvais traitements ou privations infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger (...) de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement ou de 300 000 F d'amende ".

b) La levée du secret médical

L'article 45 du code de déontologie prévoit en ce domaine pour les médecins une exception au secret médical : " lorsqu'un médecin discerne qu'un mineur auprès duquel il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour le protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection, mais en n'hésitant pas, si cela est nécessaire, à alerter les autorités compétentes s'il s'agit d'un mineur de quinze ans ".

c) Le dispositif réglementaire propre à l'éducation nationale

Outre ces dispositions générales, l'éducation nationale a publié plusieurs circulaires spécifiques destinées à prévenir la maltraitance infantile.

La circulaire du 24 juin 1991 relative aux missions et au fonctionnement du service de promotion de la santé en faveur des élèves.

Cette circulaire, de quelque quinze pages, a été publiée à la suite du rattachement du service de la santé scolaire au ministère de l'éducation nationale et ne consacre que quelques lignes à la lutte contre la maltraitance ; elle ne prévoit en effet que des actions sélectives en faveur des publics prioritaires visant notamment " des interventions en urgence pour les enfants ou adolescents en danger physique et moral, notamment aux victimes de sévices ".

Ces interventions sont précisées dans la définition des missions du médecin scolaire : " le médecin sera amené à faire une évaluation de la situation par l'enfant et un constat des lésions organiques ou des troubles psychologiques induits par la maltraitance ; s'il constate que la santé ou le développement de l'enfant est compromis ou menacé, et sans préjudice des compétences et de la saisine des autorités judiciaires, il en rend compte sans délai aux services départementaux compétents et avertit le médecin responsable départemental ".

S'agissant du rôle de l'infirmière scolaire, celle-ci doit indiquer " au médecin de secteur les enfants qui lui paraissent avoir besoin d'un examen à la demande personnalisé " ; cette disposition peut aussi s'appliquer " aux élèves qui sont signalés à l'infirmière par les enseignants, le service social scolaire ou tout membre de l'équipe éducative ".

Ainsi, même si ces interventions en situation d'urgence ont un champ d'application plus large que les seuls cas de maltraitance, et si elles peuvent se révéler tardives, force est de constater que la médecine scolaire a incontestablement vocation à détecter et à prévenir ces mauvais traitements.

La circulaire du 15 mai 1997 sur la prévention des mauvais traitements à l'égard des élèves constitue le texte essentiel témoignant du souci de l'éducation nationale de lutter contre la maltraitance.

Après avoir rappelé les dispositions législatives et réglementaires applicables, elle précise sur un plan général que " la politique engagée en France repose notamment sur la nécessité d'informer et de former les adultes en relation avec les enfants pour qu'ils sachent entendre et comprendre les élèves, avertir les autorités compétentes. " Elle ajoute que " l'éducation nationale a en ce domaine une fonction déterminante. Ses personnels, en contact permanent avec les enfants, ont une obligation de vigilance et doivent être informés des signes révélateurs de maltraitance, mauvais traitements et atteintes sexuelles, et des comportements à adopter lorsque le cas se présente. Il incombe également à l'école de participer à la prévention par les actions d'information qu'elle conduit auprès des élèves ".

Il convient de noter que cette circulaire répond très largement aux objectifs visés par la présente proposition de loi qui est soumise à l'examen du Sénat.

Elle indique également, sans en préciser les modalités, que " le dispositif de prévention de la maltraitance mis en oeuvre par les recteurs et les inspecteurs d'académie implique une collaboration étroite avec (...) bien entendu, en tout premier lieu les personnels sociaux et de santé " et rappelle les règles applicables en matière de formation, l'organisation des relations entre l'éducation nationale, les collectivités locales, les services de l'Etat, les associations ainsi que la procédure de signalement des maltraitances.

Force est de constater que cette fonction est mal assurée au sein de l'école du fait d'une insuffisance chronique du nombre des personnels médico-sociaux et aussi de la réticence des enseignants et des médecins scolaires à mettre en cause les familles présumées maltraitantes : seuls 10 % des signalements judiciaires trouveraient ainsi leur origine au sein du système éducatif.

La circulaire du 4 septembre 1997 tend enfin à préciser, en application de l'article 40 du code de procédure pénale, les conséquences d'un non signalement des cas de maltraitance au procureur de la République, dès la connaissance des faits, pour les personnels de l'éducation nationale : " tout manquement à cette obligation légale expose à être poursuivi en justice pour non-empêchement de crime, non-dénonciation de mauvais traitements, omission de porter secours ou non-assistance à personne en péril ".

3. La nécessité de renforcer le dispositif existant

a) Le rapport Moirin sur l'enfance en danger

Remis au Premier ministre le 1 er octobre 1996, le rapport du député de l'Essonne Odile Moirin, intitulé " Pour une véritable politique de l'enfance " traitait en fait de l'enfance en danger.

Ce rapport rappelait d'abord que plus des trois quarts des parents maltraitants souffraient de troubles psychologiques et de profondes carences affectives et avaient eux-mêmes subi dans leur jeunesse des violences physiques ou morales.

Il dénonçait ensuite l'absence de formation des professionnels de l'enfance et s'inquiétait notamment que les futurs éducateurs ne soient soumis à aucun dépistage médico-psychologique.

Il soulignait enfin les dysfonctionnements du dispositif de l'enfance en danger en raison de la multiplicité des intervenants, ainsi que le coût élevé de la prise en charge de ces enfants par les départements, pour des résultats au demeurant peu satisfaisants.

Les propositions du rapport s'ordonnaient autour de quelques priorités :

- une formation spécifique obligatoire des enseignants traitant des signes de maltraitance éventuelle et de la manière d'effectuer un signalement, cette formation devant être étendue aux éducateurs, magistrats, médecins, personnels médicaux, avocats et travailleurs sociaux ;

- un développement de l'information via un numéro vert national et des numéros départementaux ;

- une action de prévention empruntant la forme d'une journée d'information à l'école et d'un entretien médico-psychologique avant toute prise de fonction ;

- la création d'un fonds d'indemnisation des avocats chargés de prendre en charge la défense de l'enfant ;

- l'instauration d'un statut juridique de l'enfant victime, via la création d'un code de protection de l'enfance et de la jeunesse qui inclurait notamment le délit de non-assistance à enfant en danger ;

- la création de centres de " victimologie " pour venir en aide à l'enfant victime ;

- la constitution d'un fichier génétique des agresseurs sexuels...

b) Une campagne récente de sensibilisation

Lancée le 13 mars 1997 par le gouvernement de M. Alain Juppé, la compagne de sensibilisation en faveur de l'enfance maltraitée a été érigée en " Grande cause nationale 1997 ".

A cette occasion un label a été attribué à seize associations représentatives afin de " faire passer le grand public d'une solidarité de principe à une vigilance active ", ce label étant octroyé par un comité scientifique et technique de 12 experts issus des milieux médicaux, éducatifs et administratifs, un comité de parrainage et un secrétariat permanent assurant par ailleurs la coordination des instances créées.

Cette campagne devait se traduire par un programme d'action contre toute forme de mauvais traitements envers les enfants qui a été annoncé au Congrès de Stockholm en août 1996, et présenté par le gouvernement le 20 novembre 1996.

Le programme " Agir pour la protection des enfants maltraités " poursuivait trois objectifs : prévenir pour faire comprendre aux enfants qu'ils ont le droit de dire non, mieux réprimer pour éviter les récidives, tout faire pour aider les victimes.

Il s'est traduit par un projet de loi, adopté en conseil des ministres le 29 janvier 1997, prévoyant une peine de suivi médico-social pour les délinquants sexuels, des sanctions alourdies contre les auteurs d'actes de pédophilie, l'accompagnement psychologique des enfants appelés à témoigner, la prise en charge des soins aux victimes.

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