N° 259

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 8 mars 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant la ratification de la Convention portant statut de la Cour pénale internationale ,

Par M. André DULAIT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 2065 , 2141 et T.A. 443 .

Sénat : 229 (1999-2000

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 28 juin dernier, le Parlement réuni en Congrès a modifié la Constitution afin de prendre en compte les adaptations nécessaires, préalables à la ratification, par la France, de la Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale.

Cette phase ultime de la ratification est désormais engagée et la France figurera parmi les premiers Etats ayant signifié leur consentement à la mise en oeuvre de cette institution.

La convention de Rome, signée le 17 juillet 1998, n'entrera en vigueur qu'après que 60 Etats l'auront ratifiée, sachant qu'à ce jour six pays ont procédé à cette ratification.

La Cour pénale internationale se veut l'instrument judiciaire répressif et dissuasif à l'égard de ceux qui entendraient commettre ou commettraient, à l'avenir, les crimes les plus odieux qui heurtent l'humanité, crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes d'agression. L'actualité démontre à quel point l'existence s'impose d'un tribunal pénal permanent, à vocation la plus universelle possible pour que ces crimes ne puissent plus être perpétrés avec, le plus souvent, pour leurs auteurs, l'assurance de l'impunité.

La future institution, qui jugera des individus, devra composer avec les Etats : le statut de la Cour traduit ces compromis entre souveraineté étatique et justice internationale et la dépendance de celle-ci par rapport à celle-là. De même, la Cour pâtira-t-elle sans doute de l'hostilité dont ont témoigné certains Etats lors de la signature de la convention de Rome, parmi lesquels figurent les Etats-Unis et la Chine, deux des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.

L'an passé, votre rapporteur avait, au nom de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présenté au Sénat un document d'information sur la Cour pénale internationale 1 ( * ) . Le présent rapport en reprendra les principaux axes d'analyse et se limitera donc à une présentation plus succincte du dispositif qui nous est proposé, qui prend cependant en compte les importants sujets qui demeurent en suspens ou font l'objet de débat.

I. LA CONVENTION DE ROME CONFÈRE A LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE DES CAPACITÉS ÉLARGIES A L'ÉGARD DES AUTEURS DES CRIMES LES PLUS GRAVES COMMIS CONTRE LE DROIT HUMANITAIRE INTERNATIONAL

A. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE SERA UNE INSTANCE PERMANENTE

La convention de Rome, en son article premier, crée " une Cour pénale internationale en tant qu'institution permanente, qui peut exercer sa compétence à l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale (...) "

Le caractère permanent de la future Cour est l'un des éléments qui la distingue le plus clairement des juridictions pénales internationales, instituées jusqu'à présent et destinées à punir les responsables des crimes commis contre le droit humanitaire international. En effet, les deux tribunaux spéciaux actuellement en exercice -le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie ou le Tribunal spécial pour le Rwanda- ont été créés, par voie de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, dans un cadre politique précis destiné à parachever la solution d'un conflit. Ainsi revêtent-ils un caractère d'autant plus ponctuel, circonstanciel ou " sélectif ", que leur compétence se trouve limitée et dans le temps et dans l'espace.

Quelle que puisse être leur évidente fonction de justice au profit des victimes et du droit humanitaire, ces tribunaux spéciaux, de par cette compétence ainsi doublement limitée qui leur est reconnue, peuvent accréditer l'idée d'une justice de circonstance, mise en place à certains endroits du monde sur décision politique et par hypothèse incompétente à l'égard de crimes analogues commis ailleurs.

La Cour pénale internationale sera préservée de cette critique du fait de son caractère permanent et le plus universel possible. Préexistant à l'éventuelle commission de crimes relevant de sa compétence, elle pourra s'appuyer sur une fonction dissuasive, déconnectée de toute logique d'opportunité politique.

B. SA COMPÉTENCE MATÉRIELLE SERA CONCENTRÉE SUR LES CRIMES LES PLUS GRAVES, DONT L'IMPRESCRIPTIBILITÉ EST CONFIRMÉE

Rappelons tout d'abord que, contrairement aux tribunaux pénaux internationaux qui l'ont précédée, la CPI n'aura compétence qu'à l'égard des crimes commis après son entrée en vigueur.

Les crimes qui relèveront de la compétence de la Cour pénale internationale sont entendus, aux termes de l'article 5, comme " les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale " , à savoir : le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. C'est autour de ce " noyau dur " que la compétence de la Cour a finalement été circonscrite, conformément d'ailleurs aux voeux de notre pays au cours des négociations. Ainsi ont été écartées de la compétence de la Cour des incriminations liées au terrorisme ou au trafic de drogue. Cela étant, ce périmètre de compétence défini à l'article 5 pourra être révisé et donc éventuellement élargi si une conférence de révision, convoquée sept ans après l'entrée en vigueur du statut, en décidait ainsi (article 123).

Si le crime de génocide est assez succintement décrit sur la base de la convention existante de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, les articles 7 et 8, relatifs respectivement aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerres sont précisément définis.

La notion de crimes contre l'humanité recouvre ainsi chacun des 11 actes énumérés à l'article 7 §1 lorsque cet acte " est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ". L'article 7 §2 donne au demeurant une définition détaillée de certains de ces actes : attaque lancée contre une population civile, extermination, réduction en esclavage, grossesse forcée...

S'agissant des crimes de guerre , l'article 8 reprend pour l'essentiel des éléments de définition figurant déjà dans les conventions internationales pertinentes, notamment les conventions de Genève du 12 août 1949 ou les lois et coutumes applicables aux conflits armés. Une distinction formelle est opérée entre les crimes susceptibles d'être commis dans le cadre des conflits armés internationaux (article 8, §2, a) et b)) ou dans des conflits armés ne présentant pas un caractère international (article 8, §2, c) et e)).

La convention précise, pour ce dernier type de conflit, qu'elle n'est pas applicable " aux situations de troubles et tensions internes telles que les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire ". Le paragraphe 3 de l'article 8 précise enfin, comme limite à la compétence de la Cour à l'égard de tels crimes commis dans le cadre d'un conflit armé non international, que " rien (dans ces dispositions de l'article 8, §2, c) et e)) n'affecte la responsabilité d'un gouvernement de maintenir l'ordre public dans l'Etat ou de défendre l'unité et l'intégrité territoriale de l'Etat par tous les moyens légitimes ".

La France a l'intention de présenter, lors de la ratification, une déclaration interprétative sur la définition des crimes de guerre 2 ( * ) . Les 7 paragraphes de cette déclaration portent sur l'exercice par la France de son droit de légitime défense, sur la définition de certains concepts (" avantage militaire ", " objectif militaire "), et rappellent notamment que, conformément au Statut de Rome, les dispositions de son article 8 ne pourront être interprétées comme interdisant l'usage de l'arme nucléaire. Rappelons que la France s'apprête à adhérer au protocole n° 1, additionnel aux conventions de Genève et que la présente déclaration interprétative reprend l'essentiel des termes de celle qu'elle présentera lors de son adhésion au protocole.

La définition du crime d'agression reste à faire : le paragraphe 2 de l'article 5 renvoie cette démarche à une procédure de révision ultérieure de la convention, soit sept ans après son entrée en vigueur. En effet, il n'existe pas, aujourd'hui, d'instrument international normatif à vocation universelle définissant l'agression. Trois textes, de portée bien différente, étaient à la disposition des négociateurs de Rome :

- le Statut de Nuremberg qui, dans son article 6 (a) définit les crimes contre la paix comme " la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent ".

- la définition de l'agression annexée à la résolution 3314 de l'Assemblée générale des Nations unies en date du 14 décembre 1974. Elle a été adoptée par consensus mais n'a pas de valeur normative. Elle ne donne au demeurant qu'une définition très vague qui relève de l'évidence : " l'agression est l'emploi de la force armée par un Etat 3 ( * ) contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations unies "(...).

- enfin l'article 16 du projet de code des crimes contre l'humanité, adopté par la Commission du Droit international des Nations unies et qui est à l'heure actuelle soumis à l'examen des Etats.

La France fait valoir sur ce point une conception qui tend à préserver les prérogatives du Conseil de sécurité, premier responsable, en vertu de l'article 39 du chapitre VII de la Charte des Nations unies, pour déterminer l'existence d'un acte d'agression. Cette détermination par le Conseil de sécurité serait une condition préalable et nécessaire au renvoi d'une situation devant la Cour. Une fois ce préalable éventuellement acquis, il serait alors de la compétence de la Cour d'apprécier s'il y a eu ou non, dans le cadre de l'acte d'agression reconnu par le Conseil, commission d'un crime d'agression.

La position française tend à éviter que la Cour ne devienne une nouvelle instance, qui serait alors concurrente du Conseil de sécurité, devant laquelle les Etats viendraient porter leurs différends politico-militaires, ce qui nuirait à l'efficacité et à la crédibilité de la CPI.

C. SA COMPÉTENCE SERA COMPLÉMENTAIRE DE CELLE DES TRIBUNAUX NATIONAUX DES ETATS PARTIES

La convention de Rome reconnaît la prééminence des juridictions nationales dans la répression de ces " crimes d'une telle gravité qu'ils menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde ". Il y est ainsi rappelé qu' " il est du droit de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ". Dans le même esprit, le préambule du statut souligne encore, comme l'article premier " que la Cour pénale internationale est complémentaire des juridictions nationales ".

Chaque Etat se voit ainsi confier le devoir -et en même temps reconnaître le droit- de juger, par son système judiciaire national les responsables de ces crimes susceptibles de relever de la compétence de la CPI, Celle-ci tient donc un rôle explicitement complémentaire aux juridictions nationales, apparaissant comme un recours dans le cas -et seulement dans le cas- où tel ou tel Etat faillirait -délibérément ou non- à cette obligation de faire justice.

Cette complémentarité est à mettre en regard du principe de primauté reconnue aux deux tribunaux spéciaux qui leur permet de procéder au dessaisissement d'une juridiction nationale à leur profit et auquel celle-ci ne pourrait s'opposer.

Dans le cas de la Cour pénale internationale, la souveraineté judiciaire de chaque Etat partie est donc reconnue, en même temps que son obligation d'agir à l'encontre du ou des auteurs de crimes impliquant sa compétence juridictionnelle. Ce n'est qu'à défaut d'une telle action que pourrait alors intervenir la cour pénale internationale dont le statut prévoit, dans cette hypothèse, les différents cas où elle pourrait être saisie d'une affaire.

Il ressort ainsi de l'article 17 du statut que la Cour ne pourrait être saisie d'une affaire que s'il s'avère qu'un Etat, compétent en l'espèce, n'a pas eu la volonté ou a été dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites. Pour étayer son appréciation sur le manque de volonté de l'Etat, la Cour vérifiera :

- si la procédure engagée par l'Etat concerné l'a été dans le but de " soustraire la personne incriminée à sa responsabilité pénale (...) ",

- si la procédure a subi un retard injustifié qui, (...) est incompatible avec l'intention de traduire en justice la personne intéressée,

- si cette procédure n'a pas été ou n'est pas menée de manière indépendante ou impartiale.

Pour apprécier l'éventuelle incapacité de l'Etat en cause, la Cour examinera si cet Etat n'est pas en mesure, " en raison de l'effondrement de la totalité ou d'une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de l'indisponibilité de celui-ci ", de se saisir de l'accusé ou de réunir les éléments de preuve et les témoignages nécessaires. De fait, comment attendre de certains pays, devenus le théâtre d'affrontements armés particulièrement violents, sur le territoire desquels seraient commis les crimes les plus graves et dont la structure étatique aurait été ruinée, qu'ils engagent des procès mettant en cause des éléments de telle ou telle faction en conflit ? Dans cette hypothèse, la CPI aurait vocation à se substituer à un système judiciaire national devenu inefficient.

En tout état de cause, en cas de contestation sur la compétence de la Cour, c'est à cette dernière que le statut confie le soin de statuer en dernier ressort.

D. LA COUR PÉNALE ET LES SOUVERAINETÉS NATIONALES

Deux limitations des souverainetés nationales entraînées par le Statut de la Cour pénale internationale ont été mises en avant :

La première découle des règles de compétence de la Cour. Celle-ci peut en effet s'estimer compétente si un crime international a été commis sur le territoire d'un Etat Partie ou s'il l'a été par le ressortissant d'un Etat Partie . Il se peut donc que le ressortissant d'un Etat non partie au Statut ayant commis un crime de guerre sur le territoire d'un Etat partie soit attrait devant la Cour pénale internationale. De sorte qu'un Etat non partie pourrait se trouver ainsi lié par un texte, sans que cet Etat ait pourtant accepté de souscrire au dispositif et donné son consentement à être lié par le Traité. Cette disposition a été déterminante dans le refus des Etats-Unis de voter la Convention de Rome.

La seconde limitation concerne l'exercice de la souveraineté judiciaire interne. En dépit de la priorité reconnue aux juridictions nationales, un Etat n'aura pas toute latitude pour exonérer éventuellement les coupables de crimes relevant de la compétence de la Cour. Il peut donc en résulter, comme le Conseil constitutionnel l'avait relevé dans sa décision du 22 janvier 1999, une forme d'atteinte à certains principes de souveraineté nationale .

En effet, si un Etat partie décidait d'amnistier ou de prescrire certains actes relevant de sa compétence judiciaire, notamment lorsque le pays considéré souhaite engager une démarche de " réconciliation interne ", destinée à mettre fin à une période de dictature ou de troubles civils, cette décision, plaçant alors ses tribunaux dans l'impossibilité légale de juger les auteurs de tels crimes, pourrait entraîner, ipso facto , la compétence de la Cour. Il résulte ainsi de la combinaison des articles 17 et 20 du Statut, relatifs respectivement au principe de complémentarité et au principe " non bis in idem ", aux termes duquel nul ne peut être jugé deux fois pour le même crime, que la Cour dispose d'une faculté d'appréciation de la recevabilité d'une affaire dont elle et saisie et qui aurait fait l'objet d'une décision nationale d'amnistie.

Si celle-ci intervenait avant la condamnation par une juridiction répressive nationale, le principe de complémentarité et donc la compétence de la Cour s'appliquerait si celle-ci estimait que l'amnistie aurait été prononcée " dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale ".

Si la loi d'amnistie intervenait après la décision d'une juridiction répressive nationale, la Cour ne pourrait, en se saisissant de l'affaire, faire exception au principe " non bis in idem " de l'article 20 que si la procédure suivie devant la juridiction nationale

- " avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale ", ou

- " n'a pas été menée de manière indépendante ou impartiale (...) mais d'une manière qui (...) démentait l'intention de traduire l'intéressé en justice " (article 20, paragraphe 3).

Ce n'est donc que dans ces circonstances fort exceptionnelles et après une interprétation assez large de sa part que la Cour pourrait alors se déclarer compétente et se saisir d'une affaire déjà jugée par une juridiction nationale.

* 1 Rapport d'information n° 313 (1998-1999). " La Cour pénale internationale, quel nouvel équilibre entre souveraineté, sécurité et justice pénale internationale ? "

* 2 Voir annexe n° 1 au présent rapport.

* 3 Incluant la notion de " groupe d'Etats ".

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