II. LE PROTOCOLE DE KYOTO : UN EFFORT RÉEL MAIS INACHEVÉ POUR RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE

L'objectif de réduction de gaz à effet de serre constitue le principal apport du protocole de Kyoto. Cet objectif global se décline sous la forme d'engagements différenciés selon les pays signataires. Quant aux instruments de mise en oeuvre, ils reposent, à titre principal, sur les mesures nationales et, de manière subsidiaire, sur des « mécanismes de flexibilité » associant plusieurs Etats. Le parti pris de souplesse retenu par le dispositif peut apparaître comme un gage d'efficacité. Cependant, l'insuffisance des mécanismes de contrôle et l'absence de sanctions représentent d'indéniables faiblesses.

A. DES OBJECTIFS PRÉCIS, DES MOYENS SOUPLES

1. Des engagements chiffrés

a) Un objectif global de réduction des gaz à effet de serre

Le protocole fixe aux pays industrialisés l'objectif de réduction d'au moins 5,2 % en moyenne des émissions de gaz à effet de serre sur la période 2008-2012 par rapport à l'année 1990. Cet objectif peut paraître bien modeste au regard des positions initiales de certaines parties -ainsi l'Union européenne plaidait pour une baisse de 15 %- mais aussi de l'effort nécessaire pour stabiliser le phénomène de réchauffement climatique, soit une réduction de moitié des émissions d'ici 2050.

Cependant, en retenant le principe d'une réduction des émissions, le protocole de Kyoto marque une avancée indéniable sur la convention-cadre relative au changement climatique dont l'objectif était seulement la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre en 2000 à leur niveau de 1990.

L'impact de l'objectif chiffré est encore renforcé, il faut le souligner, par le champ d'application du protocole. Le texte vise en effet, comme le prévoit l'annexe A, non seulement le dioxyde de carbone (CO2), mais aussi le méthane (CH4), l'oxyde nitreux (N2O), les hydrofluorocarbones (HFC), les hydrocarbures perfluorés (PFC), l'hexafluorure de soufre (SF6).

b) Des engagements différenciées selon les pays

. Seuls les pays industrialisés et à économie de transition sont soumis à une obligation chiffrée de réduction de leurs émissions.

Le protocole distingue d'abord entre les pays en développement et les pays industrialisés et à économie de transition (souvent appelés « pays de l'annexe I » car l'annexe I de la convention-cadre relative aux changements climatiques en fixe la liste). Seul ce dernier groupe se voit assigner des objectifs chiffrés de réduction de gaz à effet de serre . Les pays en développement ont, quant à eux, pour principales obligations de préparer un programme national de l'effet de serre et de soumettre une communication nationale (dont la préparation est financée par les pays industrialisés à travers le Fonds pour l'environnement mondial).

Si la convention-cadre et le protocole ne prévoient pas d'obligation et, a fortiori, de calendrier pour un renforcement des obligations des pays en développement, le réexamen périodique des engagements des parties, prévu par le protocole (art. 4§2 d et 7§2 a) pourrait permettre, en la matière, des évolutions. Tout renforcement des obligations doit naturellement être accepté par la Conférence des parties. Les Etats en développement peuvent également, à tout moment, demander à être soumis à un objectif de réduction de leurs émissions comme l'ont fait l'Argentine et le Kazakhstan.

. Les distinctions au sein des pays industrialisés et à économie de transition

Le protocole introduit par ailleurs plusieurs distinctions au sein même du groupe des pays industrialisés et à économie de transition.

En premier lieu, chacun des Etats de l'annexe I est soumis à un objectif de réduction, fixé par l'annexe B du protocole et différent d'un pays à l'autre. Sur la période 2008-2012, la France, comme l'Allemagne, doit réduire de 8 % ses émissions par rapport à 1990, les Etats-Unis de 7 %, le Japon de 6 %. Certains Etats, comme la Russie, se doivent seulement de stabiliser leurs émissions. D'autres peuvent même les augmenter (+ 8 % pour l'Australie par exemple).

Cependant, les Etats peuvent décider de remplir conjointement leurs engagements (art. 4). A condition que le total cumulé de leurs émissions ne dépasse pas l'addition de leurs engagements individuels, les Etats peuvent alors redistribuer entre eux leurs quotas selon une répartition différente de celle retenue dans le cadre du protocole. Les Etats intéressés forment une « bulle » : ils signent un accord séparé, notifié aux autres parties au moment de la ratification du protocole de Kyoto et destiné à rester en vigueur pendant la période 2008-2012.

Les Etats membres de l'Union européenne ont ainsi choisi de former ensemble une « bulle ». Dans ce cadre, l'Allemagne et la France par exemple, qui s'étaient engagées dans un premier temps sur un objectif similaire de réduction de 8 % pour 2008-2012 par rapport à 1990, ont vu leurs objectifs ramenés respectivement à 0 % et - 21 %. L'Union européenne s'est ainsi engagée pour l'ensemble de ses Etats membres à réduire de 8 % les émissions.

Dans l'hypothèse où l'objectif commun de réduction ne peut être atteint, la responsabilité des Etats membres est engagée conjointement avec celle de l'organisation régionale sur la base des engagements fixés dans l'accord séparé.

. Le cas particulier des pays en transition vers une économie de marché au sein du groupe des pays de l'annexe I.

Le protocole ouvre aux pays en transition vers une économie de marché, la possibilité, s'ils n'ont pas encore communiqué leurs inventaires nationaux de stock de carbone, de demander à la Conférence des parties de retenir une autre date de référence que 1990 pour respecter leurs engagements. Cette disposition prolonge la décision de la seconde Conférence des parties de fixer, pour la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne et la Roumanie, une autre année de référence que 1990 pour comptabiliser leurs réductions d'émissions (art. 3§5).

Par ailleurs, les pays en transition disposeront d'une latitude plus grande dans l'exécution de leurs différents engagements autres que l'obligation de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (art. 3§6).

Une certaine différenciation est également appliquée en fonction des gaz émis dans la mesure où il est possible de retenir 1995 et non 1990 comme année de référence pour les hydrofluorocarbones, les hydrocarbures perfluorés et l'hexafluorure de soufre (art. 3§8).

2. Les instruments : le parti pris du pragmatisme

Aux termes du protocole, l'objectif de réduction des émissions à effet de gaz passe d'une part, par l'adoption de mesures nationales et d'autre part, par des mécanismes d'application associant plusieurs Etats.

a) L'adoption de politiques et de mesures nationales

Le protocole cite une liste non exhaustive des actions qui peuvent être entreprises au niveau national (art. 2§1 a) :

- la protection et le renforcement des puits et réservoirs de gaz à effet de serre (notamment par la promotion des méthodes durables de gestion forestière, boisement et reboisement) ;

- la recherche et l'utilisation accrue de sources d'énergie renouvelables ;

- la réduction et la suppression graduelle des imperfections du marché tendant à favoriser les secteurs émettant des gaz à effet de serre, en particulier les incitations fiscales ou les subventions ;

- la limitation ou la réduction des émissions en provenance des transports ;

- la réduction des émissions de méthane dans le secteur des déchets, de la production et de la distribution de l'énergie.

Il ne s'agit là toutefois que d'un inventaire indicatif ; le protocole de Kyoto se montre en revanche plus précis sur les méthodes auxquelles les Etats peuvent recourir de manière conjointe.

b) Les mécanismes de flexibilité

Si chacune des parties signataires du protocole doit s'efforcer de respecter les quotas d'émission qui lui ont été attribués, elle peut aussi rencontrer des difficultés dans l'exécution de ses engagements. Le protocole lui permet alors d'accroître les droits d'émission, soit en procédant à des échanges de droits d'émission avec d'autres parties de l'annexe, soit en finançant des projets d'aide dans les pays en développement. Ces « mécanismes de flexibilité » se fondent sur une double considération :

- l'objectif poursuivi par le protocole reste une réduction globale de l'émission des gaz à effet de serre ; un aménagement dans la répartition des droits d'émission demeure possible tant que cet objectif est respecté ;

- dans cette perspective, des possibilités de dépassement de quota, si elles sont encadrées, peuvent s'avérer plus efficaces que la détermination de quotas rigides qui ne seraient pas appliqués.

La difficulté tient naturellement au respect de l'équilibre entre la souplesse nécessaire et la réduction indispensable des émissions à effet de serre.

L'Union européenne a d'ailleurs obtenu que ces mécanismes de flexibilité n'interviennent qu'en « complément » des politiques et mesures nationales. Si le principe de ces mécanismes de flexibilité a été admis par les Etats parties, leur mise ne oeuvre pratique demeure un objet de différends et a d'ailleurs été renvoyée à des réunions ultérieures de la Conférence des parties.

Le protocole de Kyoto prévoit trois types de mécanisme de flexibilité :

- l'échange de permis d'émissions négociables ;

- la mise en oeuvre conjointe ;

- le mécanisme de développement propre.

. L'échange de permis d'émissions négociables (art. 17)

Les pays qui ont pris des engagements chiffrés peuvent procéder entre eux des échanges de droits d'émission . Ainsi, un pays qui aura dépassé le quota qui lui était attribué peut racheter une partie des quotas d'un Etat dont les émissions auront été inférieures au niveau fixé par le protocole.

. La mise en oeuvre conjointe (art. 6)

La mise en oeuvre conjointe ne constitue qu'une variante de l'échange d'émission. Elle ne concerne également que les pays de l'annexe I. Elle permet à un pays d'obtenir des « unités de réduction des émissions » en contrepartie du financement dans un autre pays d'un projet destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre. En pratique, ce mécanisme pourrait s'appliquer à l'aide qu'un Etat occidental pourrait apporter à un pays de l'ancienne sphère soviétique : substitution de combustible d'une centrale thermique, développement d'une infrastructure ferroviaire... Ces unités de réduction augmenteront d'autant le quota de la partie qui financera le projet tout en étant déduites du quota du pays bénéficiaire.

Ce mécanisme de flexibilité est soumis à deux conditions principales :

- l'agrément des parties intéressées (sous la forme d'un accord intergouvernemental),

- l'exigence que le projet financé permette une réduction supplémentaire des émissions par rapport à celle qui pourrait être obtenue par les mesures nationales.

Le protocole permet par ailleurs aux parties d'autoriser des personnes morales -dans les faits des entreprises nationales- à participer à ce mécanisme.

. Le mécanisme de développement propre (art. 12)

Ni l'échange de permis d'émissions négociable, ni la mise en oeuvre conjointe ne peuvent s'appliquer aux pays en développement pour lesquels aucun quota d'émission n'a été fixé. En revanche, un « mécanisme pour un développement propre » permet aux pays industrialisés d'obtenir des droits supplémentaires d'émission quand ils investissent dans des projets de réduction d'émissions pour des pays en développement.

Ce mécanisme est toutefois encadré. En effet, dans la mesure où le pays bénéficiaire ne perd pas de quotas puisqu'il n'a pas pris d'engagements chiffrés, ce dispositif pourrait être aisément détourné de ses objectifs. C'est pourquoi les réductions d'émissions doivent être certifiées par des entités opérationnelles composées d'auditeurs indépendants. Ces derniers vérifient en particulier que les projets, approuvés conjointement par les deux parties intéressées, procurent des « avantages réels, mesurables et durables liés à l'atténuation des changements climatiques » et permettent une réduction supplémentaire d'émissions par rapport à celles qui auraient eu lieu en l'absence d'activité certifiée. Ainsi les projets ne peuvent être considérés comme un substitut aux efforts que les pays en développement doivent eux-mêmes entreprendre.

L'évaluation des émissions évitées au titre du mécanisme de développement propre constitue l'une des questions majeures discutées dans le cadre des négociations que devrait conclure la conférence de la Haye en novembre 2000. Deux hypothèses sont aujourd'hui envisagées : l'évaluation « fine » destinée à déterminer pour chaque projet les émissions évitées et une évaluation par « quota » sur la base d'une attribution de droits par type de technologie développée. Ces conditions d'évaluation devront être précisées rapidement : en effet, les réductions d'émissions certifiées obtenues entre 2000 et 2008 pourront être utilisées pour aider à respecter les obligations prévues dans le cadre de la première période d'engagement 2008-2012.

Une partie des fonds provenant d'activités certifiées permettra de couvrir les dépenses administratives et d'aider les pays en développement particulièrement vulnérables aux changements climatiques.

Enfin, le mécanisme de développement propre est ouvert aux personnes publiques et privées.

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