B. L'ÉMERGENCE D'UNE CONSCIENCE ENVIRONNEMENTALE PLANÉTAIRE S'INSCRIT DANS LA DURÉE

1. La lente réaction de la communauté internationale confrontée aux dérèglements climatiques

La prise de conscience par la communauté internationale de la fragilité de l'environnement s'inscrit dans la durée.

La notion d'effet de serre artificiel résultant d'une anormale concentration de dioxyde de carbone provenant des activités anthropiques, a été élaborée par le savant suédois Svante Arrhenius à la fin du XIXème Siècle.

La « croissance exponentielle dans un monde fini » 3 ( * ) , qui marque les Trente Glorieuses, est à la fois l'occasion d'un accroissement de la diffusion des substances fossiles dans l'atmosphère, mais aussi de la prise de conscience des risques liés au progrès technique par les opinions publiques et la communauté scientifique.

Dès 1963, cinq années après l'installation d'une base de mesure de la teneur en CO2 à Hanoi, la possible modification de l'ensemble du cycle naturel en dioxyde de carbone par les activités humaines est avancée.

Les conclusions du rapport du Club de Rome ont été débattues en 1972 lors de la conférence organisée à Stockholm par l'Organisation des Nations unies. La création du programme des Nations unies pour l'environnement, dont le siège se trouve à Nairobi (Kenya) répond aux préoccupations suscitées par la protection de l'environnement, parmi lesquels le réchauffement climatique. Toutefois, de nombreuses dissensions opposent les Etats industrialisés du nord et les pays du sud sur les moyens de concilier la préservation de l'environnement avec le développement économique.

En 1985, la découverte d'une baisse spectaculaire et régulière de la quantité d'ozone au-dessus de l'Antarctique depuis 1979, légitime les perspectives inquiétantes évoquées par les instances de l'Organisation des Nations unies quant aux conséquences climatiques des activités humaines.

Les craintes émises par l'ONU trouvent un relais au sein du G7, réuni à Toronto en 1988, qui exprime sa « vive inquiétude » face à l'effet de serre.

La même année, la création par l'Assemblée générale des Nations unies du groupe intergouvernemental d'évaluation du climat (GIEC) confère à un panel de plus de deux mille experts de tous horizons et provenant de près de soixante pays, la mission d'évaluer les données scientifiques sur l'évolution du climat, d'en apprécier les incidences écologiques et socio-économiques afin de formuler auprès des autorités gouvernementales des stratégies optimales de prévention et d'adaptation.

La décennie 90 va enregistrer continûment des records de chaleur - selon le climatologue américain Mike Mann, l'année 1998 a été la plus chaude du millénaire - ainsi que des catastrophes climatiques d'une ampleur sans précédent. Parmi ces derniers, le phénomène de réchauffement des eaux du Pacifique dénommé « El Niño » qui a entraîné la mort de plus de 21 000 personnes et provoqué plus de 33 milliards de dollars de dégâts entre 1997 et 1998.

Au cours de cette décennie les déclarations de principe vont faire place à des dispositions plus volontaristes comprenant des mesures contraignantes. La lutte contre l'effet de serre apparaît désormais comme le fruit d'une volonté politique confrontée à l'urgence de mesures concrètes.

2. La décennie 1990 est marquée par la création d'instruments perfectibles de régulation

La première décision multilatérale plus spécifiquement consacrée à la lutte contre l'effet de serre, a été prise lors de la Conférence de Montréal organisée en 1987 par l'adoption d'un protocole d'application de la Convention de Vienne de 1985 relatif à la sauvegarde de la couche d'ozone, signé par cent cinquante Etats. La responsabilité des chlorofluorocarbones (CFC), dans la formation du « trou » d'ozone dans la stratosphère arctique et antarctique, a motivé l'engagement de ces Etats à respecter la décision d'un arrêt progressif de leur utilisation et production. L'objectif est de revenir début 2100 à une proportion de gaz CFC qualifiée de « normale ».

Mais le caractère alarmant des phénomènes enregistrés a contribué à l'amplification des mesures décidées lors de la convention de 1987. Dès 1990, le premier rapport du GIEC a préconisé la nécessaire réduction de plus de 60 % des émissions de dioxyde de carbone et de méthane dans l'atmosphère. Les conclusions de ce premier rapport ont trouvé un relais institutionnel lors des conférences de Rio (juin 1992) et de Copenhague (novembre 1992).

A Rio, le « Sommet de la Terre » aboutit à l'adoption d'une convention-cadre sur les changements climatiques qui prévoyait la stabilisation du niveau des émissions de gaz à effet de serre en l'an 2000 à celui de 1990. Seuls les pays industrialisés, regroupés au sein de l'Annexe I, ont accepté de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. En outre, un Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM) a été constitué. Il a pour objectif de financer les inventaires nationaux des émissions de gaz à effet de serre des pays en développement ainsi que de soutenir financièrement les projets de développement s'inscrivant dans le programme de lutte contre le changement climatique. Le Sommet de Rio a ainsi permis d'identifier les grands problèmes relatifs à la préservation de l'environnement mondial et a été la source de nombreux accords multilatéraux comme la convention cadre sur le changement climatique, la convention pour la diversité biologique et la convention pour la lutte contre la désertification. Cependant, l'affirmation de la souveraineté des Etats en matière d'exploitation de leurs ressources selon leur propre politique d'environnement 4 ( * ) relativise la portée des instruments internationaux destinés à lutter contre le réchauffement climatique.

La conférence de Copenhague, réunie en novembre 1992 sous l'égide du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a décidé l'abandon anticipé de la production et l'emploi de certaines substances (halons, chlorure de méthyle et certains CFC) par rapport au calendrier initialement fixé à Montréal en 1987. La création d'un fonds spécial destiné aux Etats en développement pour favoriser l'adoption de nouvelles réglementations internationales en matière de protection de l'environnement, a été entérinée.

Cependant, l'efficacité des mesures annoncées lors des différentes conférences réunies autour du réchauffement climatique incitait à un certain scepticisme. C'est pourquoi la Déclaration de Genève de 1996 a préconisé l'adoption de dispositions contraignantes dans le cadre de protocoles à la convention cadre sur les changements climatiques. Elle a ainsi mandaté la Conférence de Kyoto (11 décembre 1997) d'élaborer un protocole tendant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Confrontée à l'urgence des mesures efficaces pour lutter contre le phénomène de réchauffement climatique, la communauté internationale a dû s'efforcer de surmonter certaines dissensions.

3. Le problème de l'environnement révèle la diversité d'approches au sein de la communauté internationale

Le débat sur le réchauffement planétaire a été jusqu'à présent la source de tensions entre Pays du Nord et du Sud lorsque sont confrontées les exigences apparemment antinomiques de la croissance industrielle et de la préservation nécessaire de l'environnement.

a) Les équivoques du développement durable

Pour les pays en développement, la répartition actuelle et les perspectives d'émissions des gaz à effet de serre semblent souligner la responsabilité des Etats les plus industrialisés dans le réchauffement climatique : les pays membres du G8 devraient ainsi montrer l'exemple dans la lutte contre l'effet de serre.

Emissions annuelles de CO2 :

L'importance croissante des pays en développement

Part des émissions mondiales de CO2 (En %)

1990

2050

OCDE

48

25

dont Etats-Unis

23

12

Europe de l'Est et ex-Union soviétique

23

17

Chine et Inde

13

38

Reste du monde

16

20

Source : modèle GREEN de l'OCDE, 1998

Emissions de CO2 par habitant en 1993

(en tonnes de carbone par an)

Etats-Unis

5,4

Pays-Bas

3,1

OCDE

3

Allemagne

3

France

1,7

Chine

0,6

Afrique

0,2

Monde

1,1

La concertation entre les Etats doit tenir compte d'une double aspiration : les pays du Sud accordent la priorité à leur développement économique tandis que les pays du Nord poursuivent leur objectif de croissance. Dans ces conditions, l'accroissement des émissions de gaz à effet de serre et la réduction des puits d'absorption pourraient paraître inéluctables.

Le Rapport Brundtland de 1987, en définissant le concept de « durabilité », souligne que seul un développement garantissant une répartition plus équilibrée des fruits de la croissance mondiale et surtout privilégiant des politiques de long terme, parmi lesquelles la préservation de l'environnement, demeure le meilleur compromis entre croissance et lutte contre la pollution.

Mais la signification du « développement durable » préconisé par le Rapport Brundtland ne fait nullement l'unanimité au sein de la Communauté Internationale. La Convention de Rio a révélé ces ambiguïtés : elle prône une « croissance forte et durable », sans pour autant distinguer le Nord du Sud. Mais l'augmentation des quantités rejetées notamment au nord depuis 1992 souligne que la notion de « plus de développement » s'est substituée à celle de « meilleur développement » initialement préconisée.

b) Les pays en développement dans la négociation : une absence d'unanimité

Une extrême hétérogénéité caractérise le groupe des pays en développement. La perception de leur vulnérabilité au changement climatique ainsi que leurs besoins de développement déterminent leurs intérêts et leurs positions face aux mesures à adopter pour lutter contre le réchauffement climatique. La diversité des stratégies adoptées dépend avant tout de leur niveau actuel de développement, de l'ouverture ou de la dépendance de leur économie respective aux exportations d'énergie fossile et aux caractéristiques actuelles de leur appareil industriel.

Or, les perspectives de consommation des pays en développement à l'horizon 2020 présentent une nette augmentation de leur consommation qui devrait être de l'ordre de 50% de l'énergie mondiale. Bien qu'ils rejettent aujourd'hui près d'un tiers des émissions des gaz à effet de serre, la plupart de ces pays refusent catégoriquement toute décision de réduction, au nom du droit au développement. Mais une telle position ne fait nullement l'unanimité : entre les pays de l'Alliance des petits Etats insulaires (APEI), directement menacés par la montée des eaux résultant du réchauffement climatique, et les membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), les positions sont différentes.

Les pays de l'APEI préconisent des actions rapides et globales pour réduire les émissions de dioxyde de carbone, en raison de l'incertitude de leurs effets, conformément au principe de précaution . Ils ont été les premiers à proposer un objectif chiffré de réduction des émissions de dioxyde de carbone de près de 20% entre 1990 et 2005 tout en prévoyant un calendrier de concertation pour parvenir à la réduction progressive des autres gaz à effet de serre. Mais leur faible poids économique constitue un obstacle à l'adhésion des autres Etats à un tel programme.

Au contraire, les pays de l'OPEP sont, quant à eux, opposés à toute réduction de consommation d'énergies fossiles -sur l'exportation desquelles leur économie dépend en majeure partie. L'incertitude quant aux effets prévisibles de la diffusion des gaz à effet de serre a été avancée par plusieurs Etats membres de l'OPEP, dont le Koweit, l'Iran, l'Arabie Saoudite, le Vénézuela et soutenue par la Thaïlande afin de souligner le caractère prématuré d'un protocole aux aspects contraignants.

Trois autres groupes peuvent être distingués :

- les pays producteurs de charbon (principalement la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud) dont les exportations et les consommations énergétiques dépendent fortement de cette source d'énergie. Si la Chine a signé le protocole de Kyoto, l'Inde et l'Afrique du Sud s'y sont pour l'heure refusé.

- les pays semi-industrialisés de l'Asie du Sud-Est : leur identité économique résulte de l'augmentation du contenu énergétique de leurs exportations consécutive des délocalisations industrielles mises en oeuvre au début des Années 80. Mais des prises de positions divergentes caractérisent plus particulièrement les Etats de ce groupe : s'il est vrai que la Thaïlande s'aligne sur les positions de l'OPEP, la Corée du Sud , quant à elle, nouveau membre de l'OCDE, a entrepris une réduction volontaire des émissions de gaz à effet de serre dans son nouveau plan énergétique.

- les pays d'Amérique Latine : seul le Brésil se détache de la discrétion observée par les autres pays de cette région sur le problème de l'émission des gaz à effet de serre. Les propositions brésiliennes ont été exprimées lors du « Mandat de Berlin » de 1995 destiné à préparer l'élaboration du protocole de Kyoto : elles préconisent une méthodologie de calcul global des émissions, un renforcement des obligations de réduction de 30% entre 1990 et 2020, la définition d'une responsabilité en matière d'émissions au prorata des objectifs définis pour chaque gaz avec une périodicité des évaluations sanctionnables pécuniairement, et enfin la constitution d'un fonds de réduction et de stabilisation des émissions dans les pays n'appartenant pas à l'Annexe I.

* 3 d'après le Rapport sur les limites de la croissance dirigé par Dorothy Meadows, 1972.

* 4 Article 3 de la Convention sur la diversité biologique

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