EXAMEN EN COMMISSION

Dans sa séance du 19 octobre 2000 , la commission a entendu une communication de M. Jacques Oudin sur les travaux du groupe de travail relatif au financement des infrastructures de transport.

Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Jacques Oudin a indiqué qu'il présentait les premières conclusions du groupe de travail de la commission. Il a rappelé qu'il avait été également chargé de présenter un rapport sur la politique européenne des transports par la délégation pour l'Union européenne et un rapport sur les schémas de service par la délégation à l'aménagement du territoire.

En introduction, il a indiqué que dans une période de croissance dynamique, la demande de transport ne cessait de croître, alors même que les investissements diminuaient. Il a expliqué que cette situation était imputable à la volonté de l'Etat de se désendetter et de rejeter les responsabilités financières sur les collectivités locales, mais également à son manque de vision stratégique des investissements de long terme.

M. Jacques Oudin a indiqué que le bilan financier du secteur des transports était difficile à établir. En effet, les financements publics ne sont pas consolidés : le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie reconnaît lui-même que l'effort public en matière de transports est dispersé. Il indique simplement que l'effort de l'Etat en matière d'infrastructures peut être évalué à 41 milliards de francs par an, dont 60 % à destination du secteur ferroviaire, 25 % pour les routes, les autres secteurs ne bénéficiant que des moyens résiduels. En tenant compte des taxes affectées aux établissements publics nationaux et de l'effort des collectivités locales, les fonds publics concernant l'entretien, l'exploitation et le développement des infrastructures de transport peuvent être estimés à 50 milliards de francs.

M. Jacques Oudin a toutefois émis des réserves quant à une interprétation trop rapide de ces chiffres, considérant qu'ils négligeaient par exemple certaines formes de financement, l'effort d'investissement en faveur du réseau autoroutier concédé se faisant par exemple sous la forme de l'adossement, c'est-à-dire sans subventions directes. Il a ajouté que la commission des comptes des transports de la Nation chiffrait à 82 milliards de francs pour 1998 les dépenses en infrastructures de transport, dont 54 milliards de francs pour la route, 12,5 milliards de francs pour le rail, 8 milliards de francs pour les transports collectifs urbains et 7 milliards de francs pour le reste. Il a noté qu'il existait une forte contradiction avec les chiffres donnés par le ministère des finances, notamment sur les contributions au mode ferroviaire, et il en a déduit que d'une manière générale, il était très difficile de faire le bilan des financements publics et privés allant aux différents secteurs de transport, dans la mesure où ce bilan dépendait largement de la méthodologie utilisée.

Il a déploré qu'il n'existe pas de bilan coût/contribution pour chaque infrastructure permettant de mettre en regard les subventions publiques et les ponctions effectuées sur chaque mode de transport. Par exemple, le dernier compte satellite des transports estime pour 1996 à 320 milliards de francs la fiscalité produite par le secteur, mais d'après le rapport annuel de la commission des comptes des transports de la Nation, les recettes spécifiques des administrations liées à l'activité des transports se sont élevées à 205 milliards de francs en 1998, dont 182 milliards de francs pour la fiscalité et 23 milliards de francs au titre du versement transport. Si tous les tableaux font apparaître que toutes les contributions publiques sont essentiellement supportées par la route, il n'existe pas de règles conventionnelles pour permettre de définir précisément la contribution financière de chaque mode de transport, ce qui permet d'alimenter sans fin des débats tel que : la route paie-t-elle ses coûts ?

M. Jacques Oudin a également indiqué que les règles de tarification des infrastructures étaient mal définies ou inexistantes. Malgré leur augmentation ces trois dernières années, de 44 milliards de francs en 1997 à 54 milliards de francs en 2000, les péages constituent encore un modèle d'exception pour la plupart des modes de transport, à l'exclusion du transport aérien et des autoroutes concédées. Si la part de l'usager dans le financement des autoroutes concédées atteint 92 %, elle descend à 56 % pour les ports, elle est très réduite pour le transport ferroviaire (25 %), les voies navigables (9 %) et nulle pour les routes nationales. Pour les modes de transport où le péage est faible, c'est le contribuable local ou national qui supporte l'essentiel de l'effort d'investissement.

M. Jacques Oudin a ajouté que, lorsqu'elles existaient, les règles de tarification des infrastructures étaient peu rigoureuses. La tarification au coût complet a été mise en oeuvre pour les infrastructures les plus rentables, à savoir les autoroutes concédées et le transport aérien. En revanche, les péages des voies navigables et des ports sont fixés à des niveaux relativement bas. Les péages du secteur ferroviaire sont emblématiques de l'absence totale de règles de tarification des infrastructures : le paiement des redevances est limité par la capacité contributive de la société nationale des chemins de fer français (SNCF), et environ un tiers des péages, soit près de 3 milliards de francs, est pris en charge directement par des concours publics. Si les péages versés par la SNCF à réseau ferré de France (RFF) sont inférieurs au coût marginal social, contrairement aux préconisations de l'Union européenne, la SNCF redoute toute augmentation qui mettrait en péril son équilibre financier, et compromettrait, notamment, son activité du fret ferroviaire.

M. Jacques Oudin a conclu que d'une manière générale, il n'était pas illogique que l'usager paie plus ou moins selon les modes de transport, mais qu'il regrettait la persistance de distorsions importantes au sein d'un même mode, comme la route, et l'absence totale d'analyse socio-économique objective pour expliquer les divergences dans le choix des modes de tarification.

M. Jacques Oudin a ensuite déclaré que les calculs de rentabilité socio-économique et financière des investissements publics ne lui paraissaient pas satisfaisants. L'écart entre l'évaluation socio-économique d'un investissement et son évaluation financière fonde la légitimité de la subvention publique, un investissement pouvant avoir un intérêt socio-économique sans être financièrement rentable. L'évaluation socio-économique a pour référence le rapport du commissariat général du plan de 1994 et la circulaire qui en a été tirée, mais celle-ci n'est pas appliquée de manière uniforme par tous les opérateurs de transport. Concernant la rentabilité financière, les calculs répondent également à des méthodes très peu satisfaisantes. La direction des routes a fait des efforts avec la création en mars 1999 d'un comité d'analyse et de maîtrise des coûts et d'un observatoire des coûts. En matière ferroviaire, fluviale et portuaire, ce sont les établissements publics en charge des infrastructures qui produisent eux-mêmes les études financières. Ils sont ainsi juges et parties, alors que l'Etat n'est pas en mesure de développer une capacité d'expertise indépendante. Par exemple, concernant les transports ferroviaires, la SNCF dispose de la seule véritable expertise a priori, même si les expertises ont été confiées au conseil général des Ponts et Chaussées, éventuellement associé au conseil général des finances pour le TGV Méditerranée ou le TGV Est européen, mais dans une démarche a posteriori.

M. Jacques Oudin a ensuite déclaré que les comptes des opérateurs des transports lui semblaient opaques ou biaisés. Les comptes de la SNCF ne permettent pas, par exemple, de déterminer clairement le montant des concours publics qui lui sont alloués, puisque le compte de résultat ne tient pas compte du versement à la caisse de retraite ni du versement de l'Etat au service de la dette. Globalement, le président de la SNCF a toutefois indiqué que les contributions publiques au secteur ferroviaire, comprenant celle à RFF, s'élevaient à 65 milliards de francs par an. D'une manière générale, l'équation financière de l'infrastructure ferroviaire est très complexe et facilite, dans une certaine mesure, l'opacité. De même, l'existence du cadre comptable dérogatoire, pour les sociétés concessionnaires d'autoroutes, a permis de développer des analyses souvent en contradiction avec la situation réelle de ces organismes.

Enfin, M. Jacques Oudin a regretté que chaque mode de transport soit géré de manière autonome, car du morcellement du secteur des transports résulte un éparpillement de l'expertise et l'absence d'une politique d'ensemble qui nuit à l'investissement.

Il a indiqué qu'il avait fait un constat évident, à savoir que globalement l'effort d'investissement de l'Etat en matière de transport était fluctuant sur le long terme, mais en baisse depuis dix ans. Il a cité les investissements ferroviaires, qui ont chuté de 18 milliards de francs en 1990 à 10 milliards de francs en 1999. Le budget d'investissement de RFF jusqu'en 2002 ne traduit pas d'inversion notable, sauf que les subventions d'investissement de l'Etat devront croître pour maintenir un même niveau d'investissement, en raison de la réduction des capacités d'investissement propres de RFF. L'investissement routier a quant à lui connu une inflexion depuis 1996 et les incertitudes les plus grandes demeurent sur le prolongement du programme autoroutier.

M. Jacques Oudin a ensuite indiqué que si les investissements des collectivités locales avaient repris leur progression ces trois dernières années, la perte progressive de leur potentiel fiscal et un environnement économique et financier moins favorable pouvaient contrarier leurs efforts. Or, l'Etat se défausse clairement sur les collectivités locales pour les investissements futurs et les transferts de charges se poursuivent. La régionalisation des services régionaux de transport de voyageurs, actuellement lourdement déficitaires, en est une illustration. Sans les moyens financiers, les collectivités locales ne pourront pas assurer la charge du financement des transports.

M. Jacques Oudin a ensuite expliqué les raisons de la chute de l'investissement, et tout d'abord le souhait des pouvoirs publics de limiter l'endettement. De fait, il a rappelé que la dette portée par le secteur public des infrastructures de transport s'élevait à 250 milliards de francs en 2000 pour le transport ferroviaire, dont 60 milliards de francs au titre du service annexe de l'amortissement de la dette ferroviaire pris en charge par l'Etat, et environ 130 milliards en 1997 pour la dette des sociétés publiques concessionnaires d'autoroutes. Compte tenu de cette très lourde dette, d'importants efforts sont mis en oeuvre pour limiter un nouvel endettement, à travers le cadrage réalisé par le comité des investissements économiques et sociaux, et en matière ferroviaire par le respect de l'article 4 du décret portant statut de RFF qui lui interdit de financer sur fonds propres des projets qui ne procurent pas des recettes suffisantes.

M. Jacques Oudin a toutefois rappelé que tout effort d'investissement était un pari sur l'avenir et qu'il était dès lors logique de faire peser sur les générations futures le poids des investissements de long terme dont elles bénéficieront avant tout, tout en s'efforçant de limiter l'endettement aux capacités de remboursement.

Il a ensuite fait état de l'augmentation de la demande de transport, en précisant qu'entre 1970 et 1996, le trafic routier avait progressé de 4,4 % par an, le trafic ferroviaire de 1,6 % par an, le trafic aérien de 9,3 % par an et le trafic autoroutier de 9,7 % par an. En moyenne, le trafic du secteur des transports aura progressé plus rapidement que le PIB en volume. Or, l'affaiblissement de l'investissement conjugué à l'augmentation des trafics crée un effet de ciseaux qui débouche sur des phénomènes de congestion des réseaux de transport. Même dans le scénario de référence pour les schémas de service, c'est-à-dire celui d'une croissance moyenne avec une politique volontariste en faveur du mode ferroviaire, les trafics progressent de manière importante. S'agissant de la répartition modale des voyageurs, la part de la route progresserait légèrement et le ferroviaire diminuerait. S'agissant de marchandises, le scénario retenu montre une croissance sensible de la part de la route (de 80 % à 85 %) et une diminution du fret ferroviaire (de 18 % à 14 %). Seul un scénario extrêmement volontariste et peu réaliste (doublement du prix de l'essence d'ici 2020, compensation intégrale de la réduction du temps de travail) permettrait d'inverser les tendances. Dans ces conditions, il apparaît que l'action sur la demande de transport ayant des effets limités, il est impératif de prévoir les infrastructures nécessaires.

M. Jacques Oudin a ensuite regretté que les politiques modales de transport aujourd'hui mises en oeuvre soient inadaptées. S'agissant du secteur routier, malgré la bonne situation financière du secteur et ses contributions importantes au budget de l'Etat, l'investissement souffre de l'incohérence de la politique actuelle, notamment en matière de financement autoroutier. Concernant le secteur ferroviaire, l'objectif courageux de doubler le trafic fret en dix ans se heurte aux difficultés de l'entreprise à accorder sa priorité au transport des marchandises et à gérer les dysfonctionnements de nature structurelle de cette activité. De surcroît, le développement de l'activité fret nécessiterait des investissements de contournement de l'ordre d'une vingtaine de milliards de francs, qui ne sont pour le moment pas décidés. En matière fluviale et portuaire, le relatif désintérêt des pouvoirs publics s'exprime par l'abandon du projet Seine-Nord et par l'absence de politique portuaire, comme l'a souligné un récent rapport de la Cour des comptes. Enfin, en matière aérienne, l'explosion de la demande nécessite des choix urgents et notamment des décisions relatives à l'emplacement du troisième aéroport de Paris.

Pour l'avenir, M. Jacques Oudin a souhaité que l'on donne la priorité à la clarté et à la fiabilité des comptes, estimant que les travaux réalisés par la commission des comptes des transports de la Nation ne permettaient pas de disposer d'indicateurs précis en matière de transport. Une politique de tarification et d'uniformisation des critères de rentabilité devrait être également mise en oeuvre dans le cadre de notre réflexion au niveau européen. L'organisation de la tutelle du secteur des transports devrait favoriser une synergie entre les modes plutôt que de promouvoir un cloisonnement des approches par direction thématiques. Enfin, l'endettement du secteur ferroviaire étant l'argument pour justifier l'absence de politique d'investissement, il est important que l'Etat dispose d'un véritable programme de remboursement de la dette de RFF qui, de fait, ne pourra qu'être à terme consolidé dans les comptes de l'Etat. Enfin, l'Etat devra rechercher des moyens nouveaux, auprès du secteur privé, et par l'utilisation de prêts de long terme que pourrait délivrer la Caisse des dépôts et consignations, ou encore par l'affectation de taxes.

Un débat s'est alors ouvert auquel ont participé MM. Alain Lambert, président, Jacques-Richard Delong, François Trucy et Mme Marie-Claude Beaudeau.

En réponse à M. Jacques-Richard Delong, M. Jacques Oudin a indiqué que l'expérience de la construction du Tunnel sous la Manche, qui avait fait appel à des fonds privés, ne permettait pas de rejeter ce type d'investissement, sous réserve d'améliorer les calculs de rentabilité. Il a regretté qu'un certain nombre d'investissements de long terme soient financés par des emprunts sur dix ans, avec un coût de la ressource élevé, alors même que la durée de remboursement des prêts pourrait être allongée. S'agissant du ferroutage, il a expliqué qu'il se heurtait à des obstacles pratiques, notamment l'absence d'harmonisation des systèmes ferroviaires européens et les dysfonctionnements du service fret de la SNCF, mais qu'il était, en tout état de cause, une solution d'avenir.

En réponse à M. François Trucy, M. Jacques Oudin a indiqué que la consommation d'énergie allait fortement progresser, et que d'une manière générale, des études sur le transport maritime montraient que l'élasticité de la demande de transport à la croissance serait plus importante dans les années à venir.

En réponse à Mme Marie-Claude Beaudeau, il a expliqué qu'il considérait également que le transport aérien connaîtrait dans les prochaines années une forte croissance, et qu'il était de la plus impérieuse nécessité de prendre des décisions d'implantation d'un nouvel aéroport afin de remédier à la saturation du ciel européen.

Puis la commission a donné acte à M. Jacques Oudin de sa communication et a autorisé la publication de ses conclusions sous forme d'un rapport d'information.

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