2. Le cas des péages ferroviaires

a) Des péages en progression

Les péages du secteur ferroviaire sont emblématiques de l'absence totale de critères de tarification des infrastructures.

La SNCF paye à RFF une redevance d'utilisation de l'infrastructure ferroviaire.

De 1997 à 1998, le montant des redevances d'utilisation de l'infrastructures versées par la SNCF à RFF a été plafonné par le décret n° 97-446 du 5 mai 1997 à 5,85 milliards de francs puis à 6 milliards de francs, à volume constant et consistance du réseau inchangé.

Pour 1999, le barème des redevances a été sensiblement revalorisé, pour atteindre 9,8 milliards de francs. Les barèmes des redevances d'infrastructures versées par la SNCF à RFF ont été relevés par l'arrêté du 8 juillet 1999. Compte tenu du volume de circulation prévu par la SNCF en 1999, le nouveau barème a conduit à un montant prévisionnel de redevances de 9.870 millions de francs (+ 61,7 %) contre 6.105 millions de francs en 1998 et 5.908 millions de francs en 1997. Pour 2000-2001, le barème devrait rester inchangé, mais les redevances progresseraient grâce au trafic.

Les péages versés par la SNCF à RFF (en millions de francs)

1997

1998

1999

2000 (e)

redevances d'infrastructures

5.908

6.105

9.856

10.138

facturations complémentaires

100

103

106

107

total

6.008

6.208

9.962

10.245

Source : ministère de l'équipement, des transports et du logement

b) Des péages limités par la capacité contributive de la SNCF

Malgré leur progression ces trois dernières années, les redevances sont limitées en France par la capacité contributive de la SNCF. Le ministère des finances reconnaît lui-même que " en pratique, sur les 9,9 milliards de francs de péages ferroviaires, 2,8 milliards de francs sont pris en charge par des concours publics . ". Le paiement des redevances est biaisé puisque qu'une partie de ce qui est versé est pris en charge par l'Etat, ce qui revient à faire transiter par la SNCF une subvention de l'Etat à RFF.

Le ministère de l'équipement, des transports et du logement faisait savoir l'an dernier que " l'Etat s'est engagé à garantir à la SNCF des concours supplémentaires pour l'aider à faire face à ces augmentations sans compromettre son équilibre ".

Faute de précisions sur cette compensation, on pouvait s'interroger sur la réalité de la compensation et sa nature. En réponse au questionnaire sur son budget pour 2001, le ministère de l'équipement, des transports et du logement a bien voulu détailler le montant de la compensation.

La hausse des redevances d'infrastructure fait en effet l'objet de compensations à la SNCF. En 1999, la hausse de redevances s'est élevée à 3,75 milliards de francs, résultant pour 3,5 milliards de francs de la revalorisation du barème et pour 200 millions de francs de l'évolution des trafics.

Au total, la compensation a représenté 3,158 milliards de francs, ce qui a laissé à la charge de la SNCF un coût net de 600 millions de francs, dont 400 millions de francs pour la revalorisation du barème et 200 millions de francs pour la hausse des trafics.

Mesure de compensation à la SNCF de la hausse des redevances à RFF
(en millions de francs)

Montant

Rémunération versée par RFF à la SNCF

600

Augmentation de la contribution de l'Etat à la SNCF au titre des services régionaux de voyageurs (hors régions expérimentatrices)

958

Transfert de dette au service annexe d'amortissement de la dette et transfert de taux par la création d'une franchise de soulte entre la SNCF et le SAAD

800

compensation transitoire de la hausse des redevances

800

TOTAL

3.158

Dans le document de la direction du contrôle de gestion de la SNCF intitulé démarche prévisionnelle pour 2000, un tableau détaille, page 46, " le changement de présentation du compte prévisionnel 1999 (...) pour l'aligner sur la structure comptable de l'exercice 1998 et prendre en considération l'incidence des compléments de péages d'infrastructures décidés en février 1999. " En effet, à la ligne versements de l'Etat et des collectivités publiques, il est noté " contributions aux péages : + 800 millions de francs sur les grandes lignes, + 200 millions de francs sur TER ". Les versements publics à la SNCF passent donc de 8,6 milliards de francs à 9,6 milliards de francs. De fait, les compléments de péages représentant 1,6 milliards de francs pour les grandes lignes et 200 millions de francs pour les TER, les augmentations auront été compensées pour moitié sur les grandes lignes et intégralement pour les TER.

Aujourd'hui, le niveau des péages versés par la SNCF à RFF est inférieur au coût marginal social. " La tarification devra évoluer " selon les termes du ministère de l'économie et des finances. Mais toute évolution se heurte aux contraintes du seul opérateur français, la SNCF.

Dans les annales de la direction de la stratégie 1999 de la SNCF, ceci est dit sans ambiguïté : " on a manifestement atteint un niveau au-delà duquel serait remis en cause l'équilibre de la politique de volume mise en oeuvre par la SNCF et encouragée par le gouvernement pour conquérir de nouvelles clientèles ". Ou encore " l'activité fret, avec un résultat prévisionnel négatif de l'ordre de 300 millions de francs en 2000 ne peut évidemment supporter aucune hausse de ses redevances ". Concernant la ligne nouvelle Est, la SNCF suggère même d'ajuster les barèmes généraux de péages " en fonction de la variation de capacité contributive de la SNCF ".

Le principe du péage pour l'utilisation des infrastructures de transport est donc reconnu, mais pas appliqué en pratique, sauf lorsqu'il s'agit de faire payer directement l'usager, comme en matière autoroutière. Or, en matière ferroviaire, le péage est acquitté par le seul opérateur public du secteur, qui bénéficie par ailleurs de subventions publiques, et le niveau du péage est fixé par les pouvoirs publics. On obtient ainsi un système que l'on pourrait qualifier de " transparence fictive " où, sous couvert d'opérer une véritable séparation entre propriétaire, gestionnaire et client, se met en place une mécanique complexe dont pratiquement tous les leviers sont en définitive aux mains de l'Etat.

A cet égard, la France ne fait pas exception. La plupart des pays européens n'ont pas réalisé une séparation réelle entre l'utilisateur et le propriétaire de l'infrastructure ferroviaire, un certain nombre de pays s'étant contentés d'une simple séparation comptable. Il y a donc lieu de s'interroger sérieusement sur la capacité des pays européens de " normaliser " le secteur ferroviaire en l'intégrant dans une logique sinon de rentabilité, du moins d'efficacité.

Réformes mises en oeuvre dans l'Union européenne

Etats européens

Séparation comptable

Séparation institutionnelle

Séparation organisationnelle

Séparation totale

Allemagne

X

Autriche

X

Belgique

X

Danemark

X

Espagne

X

Finlande

X

France

X

Grèce

X

Irlande

X

Italie

X

Luxembourg

X

Pays-Bas

X

Portugal

X

Royaume-Uni

X

Suède

X

Source : RFF

On pourra enfin observer que la " transparence fictive " n'est pas l'apanage du mode ferroviaire. Dès lors qu'il existe un opérateur public dans une situation de prédominance, voire d'exclusivité, sur un secteur précis et qu'il est amené à intervenir sur différents aspects de la réglementation de ce secteur, il y a un risque de confusion des genres. A titre d'exemple, on pourra signaler que le commissaire de gouvernement au conseil d'administration d'Air France est également à celui d'Aéroports de Paris : il fixe les tarifs d'utilisation des infrastructures aéroportuaires et doit en même temps promouvoir une ouverture à la concurrence du secteur.

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