N° 43

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 24 octobre 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relative à la contraception d'urgence ,

Par Mme Janine BARDOU,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Dinah Derycke, président ; Mmes Janine Bardou, Paulette Brisepierre, MM. Guy-Pierre Cabanel, Jean-Louis Lorrain, Mmes Danièle Pourtaud, Odette Terrade, vice-présidents ;
MM. Jean-Guy Branger, André Ferrand, Lucien Neuwirth, secrétaires ; Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean Bernadaux, Mme  Annick Bocandé, MM. André Boyer, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Xavier Darcos, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Yann Gaillard, Patrice Gélard, Francis Giraud, Alain Gournac, Mme Anne Heinis, MM. Alain Joyandet, Serge Lagauche, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Jacques Machet, Philippe Nachbar, Mme Nelly Olin, M. Jean-François Picheral, Mme Gisèle Printz, MM. Philippe Richert, Alex Türk.

Voir le numéro :

Sénat : 12 (2000-2001)

Vie, médecine et biologie.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Au cours de sa séance du 4 octobre 2000, la Commission des affaires sociales du Sénat a décidé de saisir, à sa demande, votre Délégation de la proposition de loi de Mme Danielle Bousquet relative à la contraception d'urgence, qui a été adoptée le lendemain par l'Assemblée nationale.

Avant d'aborder l'objet et le dispositif de cette proposition de loi puis d'exposer les recommandations de votre Délégation, on rappellera les quelques étapes importantes de l'histoire de la contraception chimique, laquelle est encore très récente et, probablement, inachevée. En effet, tant les progrès accomplis en la matière en moins de quarante ans que les perspectives ouvertes par les recherches en cours conduisent à des évolutions législatives dont le présent texte n'est sans doute pas le dernier. Il importera à cet égard de préciser le cadre législatif dans lequel le recours à la contraception est aujourd'hui autorisé en France et d'examiner les politiques publiques mises en oeuvre pour le favoriser, afin, en dernier lieu, d'être en mesure d'apprécier exactement les termes du débat actuel sur la délivrance de la pilule dite "du lendemain" ou "d'urgence", disponible sous la marque NorLevo.

I. LA CONTRACEPTION CHIMIQUE : UNE HISTOIRE RÉCENTE MAIS RICHE, ENCORE PROBABLEMENT INACHEVÉE

La contraception est l'ensemble des moyens employés pour provoquer une infécondité temporaire chez la femme ou chez l'homme.

Dans l'histoire humaine, elle ne se substitue aux techniques abortives, qui ont pour objet l'expulsion du foetus avant terme, que de manière assez récente, avec le développement du préservatif, des méthodes d'auto-observation et du stérilet. Outre l'avantage qu'elle présente en matière de maîtrise de la fécondité, puisqu'elle permet de prévenir les grossesses non désirées, la contraception constitue un progrès fondamental en matière de sécurité sanitaire en évitant aussi un nombre significatif d'avortements qui conduisaient trop souvent, compte tenu du caractère rudimentaire des techniques employées et jusqu'à l'adoption de lois autorisant l'interruption volontaire de grossesse dans les pays occidentaux, au décès des femmes.

Le mot de contraception, qui, selon le Petit Robert , n'apparaît dans notre vocabulaire qu'en 1929, est contemporain du mouvement de contrôle des naissances engagé par les féministes des pays anglo-saxons dans la première moitié du XX e siècle et que connaîtra la France, après la seconde guerre mondiale, avec la Maternité heureuse , créée en 1956 par le Dr Marie-Andrée Lagroua-Weill-Halé et Evelyne Sullerot et devenue à partir de 1960 le Mouvement français pour le planning familial .

A l'évidence, la maîtrise des méthodes contraceptives chimiques, la sûreté et la sécurité de leurs résultats, participent directement des progrès accomplis pour l'émancipation des femmes au cours du siècle. A cet égard, ceux-ci ont connu une avancée fondamentale dans le courant des années 50 quand, prenant appui sur les travaux de biologistes anglais effectués avant-guerre et qui avaient confirmé le rôle des hormones dans le processus de la conception, différentes équipes de médecins et de biologistes américains s'efforcèrent de synthétiser des hormones capables à la fois de bloquer avec efficacité l'ovulation et d'être tolérées par leurs utilisatrices. C'est en 1956 que les docteurs américains Gregory Pincus et John Rock, en associant progestérone et oestrogène, obtinrent la première pilule contraceptive durablement et effectivement active, sans effets dangereux pour la santé en cas d'utilisation normale sous contrôle médical.

Commercialisée aux Etats-Unis dès 1960 sous le nom d'Enovid et autorisée en France à partir de 1966, cette pilule a rapidement acquis, avec l'affinement des dosages, une efficacité supérieure à 99,5 %, apportant ainsi aux femmes une sécurité bien plus grande que les méthodes d'auto-observation ou les autres moyens contraceptifs. On peut ajouter que les progrès de la recherche accomplis depuis quarante ans ont, à la fois, permis d'affiner les dosages hormonaux afin de supprimer les effets secondaires désagréables qui pouvaient conduire à renoncer à la pilule comme méthode contraceptive, et donné naissance à des produits nouveaux plus particulièrement adaptés à tel ou tel type de physiologie (pilule séquentielle, minipilule, pilule biphasique, pilule triphasique, micropilule). La recherche d'une adéquation maximale des produits aux constitutions de leurs utilisatrices, tout comme l'existence de contre-indications, justifient cependant et rendent indispensable un contrôle médical strict en cas de recours aux traitements contraceptifs.

Si le spectre de ces traitements paraît aujourd'hui suffisamment large pour convenir à la quasi-totalité des femmes, la recherche de produits toujours plus sûrs et d'utilisation plus aisée n'est pas pour autant interrompue. En particulier, une contrainte pèse sur la pilule contraceptive : celle de la prise quotidienne. Un oubli, même s'il ne s'agit parfois que d'un simple décalage, en compromet l'efficacité. C'est pourquoi sont actuellement en cours d'expérimentation diverses méthodes de vaccination qui pourraient se substituer temporairement ou durablement soit à la pilule, soit à d'autres traitements qui sont élaborés depuis une vingtaine d'années et qui, s'ils évitent la contrainte de la prise quotidienne, ne sont ni exempts d'effets secondaires, ni d'une efficacité comparable à celle de la pilule (en particulier, injections trimestrielles par voie intramusculaire d'acétate de médroxy-progestérone-retard, dite "piqure-retard", disponible en France, ou implantation sous-cutanée de bâtonnets de silicone diffusant des hormones, d'une durée d'efficacité de cinq ans et retirables à tout moment, commercialisés aux Etats-Unis). Ces prototypes de vaccins ont tous pour principe la production d'anticorps destinés soit à interdire le démarrage du processus de blastogenèse après l'implantation de l'oeuf fécondé dans l'utérus, soit à empêcher cette implantation elle-même, soit encore à altérer la membrane de l'ovocyte de manière à rendre impossible la fécondation par un spermatozoïde. La maîtrise de telles méthodes immunologiques constituerait à l'évidence une nouvelle étape essentielle dans l'histoire encore courte de la contraception.

Mais celle-ci ne saurait s'achever sans que soient examinées de manière plus approfondie qu'aujourd'hui les perspectives de mise au point d'une contraception chimique masculine efficace. La pilule pour homme n'a connu aucun succès de commercialisation, non seulement en raison d'importantes préventions culturelles ( ( * )*), mais aussi à cause de la lourdeur du traitement qui, associant à la prise quotidienne de la pilule une piqûre de testostérone tous les quinze jours et à l'analyse d'un spermogramme tous les mois, nécessite des consultations hospitalières. Cependant, une récente découverte dans le cadre de travaux relatifs à la stérilité masculine permet d'envisager la mise au point - pas avant quelques années toutefois - d'un vaccin capable de bloquer l'action de la fertiline, protéine produite par le spermatozoïde et qui lui permet d'adhérer à la membrane de l'ovule.

Dans ce tableau, brossé à grands traits, de l'histoire de la contraception, les pilules contragestives dites "du lendemain" ou "d'urgence" (méthode de Yuzpe), vendues sous les marques Tetragynon et NorLevo, sont les produits les plus récents, et ne sont commercialisés en France que, respectivement, depuis janvier et juin 1999 (elles étaient cependant disponibles depuis quelques années déjà dans d'autres pays, tels l'Allemagne, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Finlande, etc...). Ces pilules ne doivent pas être confondues avec la pilule abortive, également qualifiée "du lendemain", le RU-486, vendue en France sous le nom de Mifégyne, qui est une anti-hormone synthétisée au début des années 80 par le Professeur Etienne-Emile Baulieu pour provoquer l'avortement dès lors qu'elle est prise dans les sept semaines d'aménhorrée ( i.e. dans les cinq premières semaines de la grossesse).

Le Tetragynon et le NorLevo n'ont, eux, d'autre effet, s'ils sont pris dans les 72 heures qui suivent le rapport sexuel, que d'empêcher soit l'ovulation (comme tout contraceptif hormonal classique), soit, si l'ovulation a déjà eu lieu, la nidation dans l'utérus de l'oeuf fécondé. Il ne s'agit donc pas d'un produit abortif puisque, si cette nidation a eu lieu, la prise du contragestif est sans conséquence et la grossesse se poursuit. Dans ces conditions, plus l'ingestion du produit est proche du rapport sexuel, plus son efficacité est grande (s'agissant du NorLevo, cette efficacité est supérieure à 95 % si le premier des deux comprimés du traitement est absorbé dans les 24 heures qui suivent le rapport, elle est de 85 % si l'ingestion a lieu entre 24 et 48 heures et de 58 % si elle s'effectue entre 48 et 72 heures).

Mais alors que le Tetragynon, qui associe des oestrogènes à des progestatifs, doit être prescrit par un médecin en raison des contre-indications à l'absorption d'oestrogènes (tout comme la pilule traditionnelle), le NorLevo, lui, est exclusivement composé d'un dérivé de progestérone, le lévonorgestrel, auquel aucune contre-indication médicale n'est associée. Cette innocuité, attestée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en août 1998, constitue la véritable originalité de ce produit par rapport aux autres contraceptifs disponibles actuellement.

* (*) On ne saurait nier pour autant qu'elles constituent le frein essentiel au développement de la contraception chimique masculine puisque même les recherches en la matière sont extrêmement limitées, comme le regrettait la gynécologue Joëlle Brunerie-Kauffmann dans une interview accordée à Libération en avril 1999.

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