III. L'AVENIR DU KOSOVO DANS LE NOUVEL ENVIRONNEMENT RÉGIONAL

La résolution 1244, tout en posant le principe de l'évolution du Kosovo vers une autonomie substantielle au sein de la République fédérale de Yougoslavie, a laissé en suspens la question de son statut futur, renvoyée à la conclusion d'un règlement politique définitif.

Lors de son séjour, la délégation a constaté la situation de blocage engendrée par l'antagonisme persistant entre des communautés dont la coexistence dépend aujourd'hui de l'interposition des forces internationales, alors que la population d'origine albanaise souhaite massivement une indépendance exclue par les termes mêmes de la résolution des Nations unies.

Le départ de Slobodan Milosevic modifie profondément la donne, ouvrant des perspectives de négociation tout en compliquant la position de ceux qui, à Belgrade comme à Pristina, trouvaient leur intérêt au maintien d'une logique d'affrontement. Il ne clarifie pas pour autant les contours d'un futur statut, tiraillé entre l'exigence de maintien de l'intégrité territoriale de la Yougoslavie et le refus des Kosovars albanais de revenir sous l'autorité de Belgrade.

L'évolution de la Serbie vers la démocratie, si elle se consolide après les élections législatives du 23 décembre, permet cependant d'envisager une modification du contexte régional, même s'il reste bien du chemin à parcourir pour définir un nouvel équilibre dans les Balkans.

A. L'ÉVOLUTION POLITIQUE AU KOSOVO : VERS UN APAISEMENT DES TENSIONS ?

Le poids de la présence internationale et la perspective d'établissement d'un dialogue avec Belgrade contribuent à maintenir au Kosovo une situation stabilisée qui demeure fragile, tant les antagonismes entre communautés demeurent forts et peuvent être ravivés au moindre incident.

1. Le maintien d'un fort antagonisme entre communautés

La vision d'un Kosovo multiethnique, soutenue par la communauté internationale, peine à rentrer dans les faits. Il ne s'agit plus aujourd'hui d'envisager une réconciliation ethnique mais d'assurer, non sans mal, une coexistence séparée des communautés.

La province vit sous un régime de partition de fait, la région du nord de Mitrovica et les enclaves serbes étant physiquement séparées des zones à peuplement albanais par le rideau de protection mis en place par la KFOR. Si la liberté de circulation entre la région de Mitrovica et la Serbie est assurée, elle n'est possible entre cette dernière ou les enclaves et le reste du Kosovo, que grâce à la protection armée de la KFOR.

Nombreux dans les semaines qui ont suivi le retrait des forces serbes, les actes de violence perpétrés à l'encontre de ressortissants des minorités serbes ou tziganes ont décru, sans pour autant disparaître. Ces actes interviennent en représailles d'exactions commises durant la crise sur les populations albanaises, le plus souvent par des forces paramilitaires ou des milices extérieures au Kosovo. Ils visent également à provoquer, par l'intimidation, un exode de ces populations minoritaires, dont une partie importante est déjà réfugiée en Serbie et au Monténégro, et à réaliser ainsi une sorte de purification ethnique à rebours.

Il est vrai que dans la population d'origine albanaise , l'action des forces serbes en 1998-1999 a provoqué un traumatisme profond dont le souvenir ne peut s'effacer rapidement. Au dire de plusieurs interlocuteurs de la délégation, ce n'est qu'après deux, voire trois générations, que de telles cicatrices peuvent s'estomper. Dans l'immédiat, et au-delà de la recherche et de la traduction en justice des auteurs de crimes de guerre, la population albanaise reste extrêmement sensibilisée par deux problèmes clefs :

- le devenir de plus d'un millier de prisonniers albanais détenus en Serbie,

- le sort des personnes disparues , dont le nombre avoisinerait 3 000, plus de 600 corps ayant en outre été retirés des charniers, sous la responsabilité du tribunal pénal international.

La population d'origine serbe réagit pour sa part vivement aux actes de violence ou d'intimidation dont elle est victime depuis juin 1999, d'autant qu'elle ne se considère pas responsable d'exactions commises par des éléments extérieurs au Kosovo. Elle vit recluse dans des enclaves dont la viabilité est hypothétique. Elle revendique fortement le retour de ses propres réfugiés, repliés en Serbie ou au Monténégro, question que le représentant spécial, M. Kouchner, souhaite lier à celle de la libération de prisonniers albanais.

2. Le changement politique à Belgrade ouvre des perspectives d'apaisement

Présente à Pristina alors que Slobodan Milosevic devait quitter le pouvoir, la délégation a pu vérifier auprès de ses interlocuteurs, combien ce changement politique a, dans un premier temps, décontenancé la classe politique kosovare albanaise. Cette dernière a, en effet, largement développé l'analyse selon laquelle M. Kostunica incarnait un nationalisme serbe encore plus intransigeant que celui de Milosevic. Cette réaction témoignait sans doute de la crainte de voir l'avènement des forces démocratiques redonner une respectabilité internationale à la Serbie, alors que le maintien au pouvoir de Milosevic constituait un véritable repoussoir pour la communauté internationale et servait en cela objectivement la cause de l'indépendance du Kosovo, rendant inacceptable toute éventualité de retour de la province sous une quelconque autorité de Belgrade. De même, la délégation a constaté les réactions très négatives face à la levée très rapide des sanctions contre la Yougoslavie, et la crainte de voir cette dernière attirer à son profit la majeure partie de l'aide financière aux Balkans.

Face à cette situation nouvelle, plusieurs signes inquiétants de radicalisation sont apparus, qu'il s'agisse de la recrudescence d'attentats et de violences à l'encontre à l'encontre de ressortissants d'origine serbe ou de kosovars albanais modérés, ou de la reprise des actions armées de l'UCPMB dans la vallée de Presevo. L'assassinat d'un proche collaborateur de M. Rugova et l'attentat à la bombe contre la résidence du représentant yougoslave à Pristina, au cours du mois de novembre, ont illustré de façon spectaculaire ce regain de tension.

Malgré ces événements inquiétants, d'autres éléments laissent entrevoir de réelles perspectives d'apaisement .

Tout d'abord, les élections municipales du 28 octobre au Kosovo ont consacré la nette victoire de la ligne modérée , incarnée par Ibrahim Rugova, certes totalement acquise à l'indépendance du Kosovo, mais soucieuse d'emprunter une voie exclusivement pacifique.

Deuxièmement, face à ce qui peut apparaître comme des provocations, les autorités de Belgrade ont procédé à une réaction ferme mais mesurée, soucieuse d'éviter toute dramatisation.

Enfin, le président Kostunica a accompli des premiers gestes importants en direction des albanais du Kosovo, en permettant la libération de la pédiatre et poète Flora Brovina, figure de la résistance albanaise à Milosevic, et de quelques dizaines de prisonniers albanais. Il faut souhaiter qu'après les élections législatives serbes du 23 décembre, dont on peut attendre une consolidation des forces démocratiques, Belgrade s'engage plus nettement dans cette direction, par exemple par le vote d'une loi d'amnistie. Des mesures favorables aux prisonniers albanais diminueraient la tension au Kosovo et permettraient d'envisager en contrepartie le retour de réfugiés serbes.

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