B. LE STATUT FUTUR DU KOSOVO : UNE ÉQUATION AUX MULTIPLES INCONNUES

Le succès des forces politiques modérées lors des élections municipales du Kosovo le 28 octobre et celui des forces démocratiques en Serbie, dans l'hypothèse probable où les élections législatives serbes confirmeraient l'élection présidentielle yougoslave, créent un contexte nouveau, puisqu'un dialogue entre Pristina et Belgrade, jusqu'alors impossible, paraît désormais envisageable pour évoquer le statut futur du Kosovo.

Ce contexte est également renforcé par l'évolution de l'environnement régional : réintégration de la Yougoslavie dans la communauté internationale, alternance en Croatie, relative stabilisation en Bosnie-Herzégovine, malgré les faiblesses des institutions et de l'économie.

Ces évolutions positives ne laissent pas pour autant entrevoir à court terme beaucoup d'éléments de solution aux multiples questions conditionnant le statut futur du Kosovo.

1. Comment mettre en oeuvre la résolution 1244 sans préjuger d'un règlement définitif ?

Contestée par le régime précédent, la résolution 1244 constitue aujourd'hui pour Belgrade la pierre angulaire d'un règlement politique du conflit, dans la mesure où elle consacre l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie, au sein de laquelle le Kosovo doit accéder à l'autonomie substantielle.

De leur côté, les forces politiques kosovares albanaises sont unanimes à rejeter toute idée de lien, si ténu soit-il, avec Belgrade.

L'ambiguïté de la résolution 1244, qui ne tranche pas la question de savoir si le Kosovo doit ou non rester partie intégrante de la république de Serbie , est aujourd'hui concrètement illustrée par les interrogations sur l'organisation, au Kosovo, des élections législatives serbes du 23 décembre. Jusqu'en 1989, le Kosovo disposait de son propre Parlement, qui désignait ses représentants au Parlement de Serbie. Ce système à deux degrés fut supprimé par Milosevic, les Kosovars étant appelés à élire directement leurs représentants au Parlement serbe. A la différence de l'élection présidentielle fédérale, l'organisation des élections législatives serbes au Kosovo n'était pas acceptable pour les formations politiques kosovares albanaises qui y auraient vu la consécration de la suppression du statut d'autonomie de 1989. Pour autant, le refus de laisser se dérouler ces élections pouvait apparaître comme une reconnaissance de la non-appartenance du Kosovo à la Serbie.

Fort heureusement, Belgrade n'a pas fait de l'organisation des élections législatives serbes au Kosovo un point de principe, la solution retenue par la MINUK étant de ne rien faire pour faciliter ni pour empêcher ces élections auxquelles les Serbes du Kosovo pourront de fait participer selon des procédures non officielles.

Cette difficulté ponctuelle démontre la complexité des questions qui pourront se poser à l'avenir, dès lors que l'on cherchera à mettre en oeuvre la résolution 1244.

Face à l'impossibilité, à moyen terme, de résoudre la question de l'appartenance du Kosovo à la Serbie, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, Bernard Kouchner, a plaidé pour l'accélération de la marche de la province vers l'autonomie substantielle , c'est-à-dire vers l'autoadministration d'un Kosovo demeurant, pour le moment, sous la tutelle directe des Nations unies.

Après l'instauration d'une structure administrative conjointe, puis de conseils municipaux élus, l'organisation d'élections législatives au Kosovo au début de l'année prochaine semble devoir constituer la toute prochaine étape de ce processus.

Une telle décision peut être prise par la MINUK, qui dispose des pouvoirs législatifs et exécutifs au Kosovo et qui a reçu mandat, par la résolution 1244, d' « organiser et superviser la mise en place d'institutions provisoires pour une autoadministration autonome et démocratique en attendant un règlement politique, notamment la tenue d'élections ».

Ici encore, la mise en oeuvre de cet objectif soulève plusieurs interrogations.

Quelle sera la nature de l'institution élue par les Kosovars ? Ne risque-t-elle pas, aux yeux de Belgrade, de préjuger du futur statut du Kosovo qui, doté d'un Parlement, perdrait de facto le statut qui était le sien entre 1989 et 1999 dans la république de Serbie ? Dans quelle mesure la création de cette institution doit-elle, pour préserver le règlement ultérieur, être acceptée par les autorités de Belgrade, ou tout du moins être concertée avec elles ? La dernière question, intimement liée à la précédente, est de savoir si ces élections pourront véritablement être générales, c'est-à-dire assurer la participation de toutes les communautés ? Pour que cette dernière condition soit remplie, il faudrait que les minorités qui avaient boycotté les élections municipales, et en tout premier lieu les Serbes, acceptent de s'inscrire sur les listes électorales, et que la date de l'élection laisse le temps nécessaire à la réalisation de ces enregistrements.

2. Comment concilier l'appartenance à la fédération yougoslave et l'aspiration des Kosovars albanais à l'indépendance ?

La résolution 1244 maintient le rattachement du Kosovo sinon à la Serbie, du moins à la république fédérale de Yougoslavie .

Cette formulation, qui n'avait pas été retenue à Rambouillet mais l'a été par le Conseil de sécurité, préserve plusieurs possibilités représentant autant de degrés de subordination à Belgrade .

Une première possibilité, guère crédible aujourd'hui, serait le retour à la situation de 1989-1999, c'est-à-dire un Kosovo partie intégrante de la république de Serbie.

Une deuxième possibilité est l'élévation du Kosovo au rang de république, jouissant, au sein de la fédération, d'un statut égal à celui du Monténégro.

Une troisième possibilité, intermédiaire aux deux précédentes, serait un retour à la situation de 1974-1989, c'est-à-dire une très large autonomie n'allant pas jusqu'au statut de république. Au cours de cette période, le Kosovo disposait de son propre gouvernement, de son Parlement et d'une représentation au sein de la présidence collégiale au même titre que les 6 républiques fédérées et la Voïvodine.

A vrai dire, toutes ces solutions paraissent désormais dépassées car aucune ne recueille l'assentiment de la population albanaise du Kosovo, massivement acquise à l'indépendance et hostile à tout rétablissement d'un lien avec Belgrade.

Au demeurant, l'avenir de la fédération est lui-même actuellement incertain , alors que vont s'engager dès le début de l'année prochaine entre la Serbie et le Monténégro, des discussions qui devraient assez rapidement déboucher sur une nouvelle Constitution. Cette réforme, au minimum, redéfinira la nature des liens entre les deux entités au sein d'une fédération rénovée, voire d'une confédération, mais elle peut également se conclure par l'accession du Monténégro à l'indépendance. Dans cette hypothèse également, les Albanais du Kosovo trouveraient un motif supplémentaire pour revendiquer l'indépendance, d'autant que la disparition de la république fédérale de Yougoslavie conduirait inévitablement à revoir le schéma établi par la résolution 1244.

3. Quel avenir pour un Kosovo dépourvu de tout lien avec Belgrade ?

Le fait qu'aujourd'hui la réintégration du Kosovo dans la république fédérale de Yougoslavie paraisse à la plupart des observateurs extrêmement hypothétique, ne laisse guère d'autre option qu'une indépendance -de fait ou de droit- du Kosovo, dont l'échéance, la forme ou les modalités demeurent indéterminées.

Si la question de l'indépendance n'est pas, à ce jour, d'actualité, on peut néanmoins s'interroger sur la viabilité d'une entité de moins de deux millions d'habitants , représentant la superficie de deux départements français moyens.

Sur le plan politique tout d'abord, assisterait-on à une « cantonalisation », séparant dans des zones distinctes les différentes communautés ? Qu'en serait-il alors des droits politiques des minorités ? Si l'idée de « Grande Albanie » ne semble nullement retenir l'attention à Pristina, pas plus qu'à Tirana, tant les liens entre les deux populations sont ténus, ne risquerait-on pas en revanche d'encourager les tentatives de recomposition territoriale , en direction de la vallée de Presevo et de certaines zones du Monténégro, voire de Macédoine ?

Sur le plan économique, sauf à considérer que c'est à la communauté internationale de pourvoir durablement aux besoins de la province, quel peut être l'avenir d'une stratégie tendant à couper le Kosovo de son débouché naturel, la Serbie ? Ce débouché ne saurait être remplacé par des voisins beaucoup moins développés ni par une intégration économique à l'Europe occidentale, qui semble peu réaliste. A cet égard, la vision présentée à la délégation, par certains responsables kosovars albanais, de Balkans composés de multiples entités indépendantes reliées, pour leur soutien économique, à Bruxelles, ne saurait constituer une solution viable.

4. La question du Kosovo peut-elle être traitée indépendamment d'un règlement régional ?

Il apparaît bien que la question du Kosovo, en elle-même complexe, ne peut être traitée indépendamment d'un règlement régional.

Tout d'abord, elle renvoie à la question albanaise , elle-même posée depuis la désagrégation de l'empire ottoman et la création, en 1913, d'un Etat albanais ne recouvrant que la moitié des territoires d'implantation effective des populations albanophones. Aux prises avec ses propres difficultés, l'Albanie ne semble pas en mesure de peser sur un règlement politique, d'autant que ses relations avec les Kosovars ne témoignent que d'une communauté toute relative. Beaucoup plus étroits sont les liens et les échanges entre le Kosovo et les Albanais de Macédoine , en plein essor démographique, puisqu'ils approcheraient 30 % de la population. Le jeune Etat macédonien repose sur un équilibre politique et ethnique fragile, dont on ne pourra faire abstraction en orientant l'avenir du Kosovo. Le Monténégro compte lui aussi, tout comme la Serbie du Sud, une minorité albanaise, dont le sort sera lié à l'évolution de la fédération yougoslave.

Plus globalement, est-il possible de se prononcer sur le statut du Kosovo sans redéfinir les relations entre la Serbie et l'ensemble des partenaires de la région, c'est-à-dire non seulement le Monténégro, son partenaire dans la fédération, mais également la Bosnie Herzégovine, que les accords de Dayton, malgré leurs mérites, ne sont pas parvenus à ériger en Etat au sens plein du terme.

La présence au Sommet de Zagreb , le 24 novembre, pour la première fois, de l'ensemble des acteurs de la région -Albanie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine et Yougoslavie- réunis autour des quinze Etats membres de l'Union européenne- marque une étape importante , le retour de la Serbie permettant désormais de donner une plus forte consistance à l'idée de pacte de stabilisation des Balkans.

Alors que la transition en cours à Belgrade, déterminante pour l'avenir des Balkans, peut encore connaître des difficultés, le processus de coopération régionale est à peine esquissé. Il verra vraisemblablement se dresser devant lui de nombreux obstacles avant que l'on puisse parler de réconciliation, puis de coopération.

Il est donc difficile de discerner l'avenir. Les plus optimistes voudraient parvenir, dans les Balkans, à concilier les aspirations à l'autogouvernement de toutes les entités issues de l'ex-Yougoslavie, le maintien d'un certain lien politique entre elles et une nécessaire intégration économique sous la forme, par exemple, d'une zone de libre-échange. Cette intégration paraît en effet indispensable à la restauration d'économies délabrées, mais pour l'heure, ces perspectives de recomposition des Balkans semblent prématurées.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page