C. UNE RÉFORME AMBITIEUSE QUI CONJUGUE RÉPARTITION ET CAPITALISATION

Trois objectifs ont été assignés au nouveau système de retraite :

- être budgétairement soutenable à long terme ;

- être totalement contributif en établissant un lien étroit entre les cotisations versées et la pension reçue ;

- être transparent en séparant complètement les fonctions d'assurance et de redistribution.

L'ancien système a été remplacé par un nouveau système public obligatoire composé de deux ensembles, l'un fonctionnant en répartition, l'autre en capitalisation, financés par une cotisation sociale prélevée au taux de 18,5 % sur les salaires et les revenus sociaux.

Le premier ensemble est un régime à cotisations définies fonctionnant en répartition géré par le ministère de la Sécurité sociale, auquel sont affectés 16 points de cotisations créditant des comptes individuels qualifiés de " notionnels ".

Le second ensemble est un régime en capitalisation géré par une nouvelle agence gouvernementale (PPM) avec des comptes individuels alimentés par 2,5 points de cotisation investis dans des actifs financiers diversifiés.

Sur les 18,5 % de cotisation totale, 16 % seront donc destinés à financer le régime général (système de répartition) et 2,5 % alimenteront un compte individuel de capitalisation. Le cotisant aura droit au moment de son départ à la retraite à deux types d'indemnités : l'une fondée sur ses revenus et ses cotisations ( Inkomstpension ) et l'autre fonction du rendement de ses placements ( Premiepension ).

La cotisation de 18,5 % portera sur les revenus jusqu'à un plafond de 278.000 couronnes suédoises 11 ( * ) par an. Les personnes dépassant ce plafond devront avoir recours à d'autres dispositifs s'ils souhaitent obtenir une retraite plus confortable.

A l'issue de la période de transition, dont les modalités sont encore en discussion, les cotisations sur les salaires seront financées à parité par l'employeur et le salarié, chacun à hauteur de 9,25 % du salaire brut (soit en fait 8,47 % pour le salarié si on tient compte des dégrèvements fiscaux). Les cotisations des salariés sont ainsi passées de 6,95 % du salaire brut en 1999 à 7 % en 2000 et devraient augmenter progressivement pour atteindre 8,47 %.

1. Le régime par répartition

Les indemnités seront calculées sur la moyenne des revenus pendant la totalité de la vie active et non plus seulement sur les 15 meilleures années, comme c'est le cas aujourd'hui.

Le niveau de la pension résultera donc de l'effort de cotisation réalisé tout au long de la vie active et non plus sur une fraction de la carrière professionnelle.

Pour enregistrer cet effort contributif, chaque actif est titulaire d'un compte individuel qui est crédité annuellement des cotisations versées. Plus la carrière professionnelle est longue, plus important est le " capital " virtuel de cotisation à partir duquel est calculé le montant de la pension. La notion de durée d'assurance disparaît puisque le niveau de la pension est directement lié à la totalité de l'effort contributif sans limite de durée.

Le choix de ne pas plafonner la durée d'assurance, et, de fait, de ne plus fixer un âge légal de départ à la retraite, est censé fournir des incitations fortes pour que les actifs prolongent spontanément leur activité, sans passer par des mesures légales de recul de l'âge de départ.

En outre, la réforme a précisément défini l'assiette des cotisations. Cette assiette est extensive puisqu'elle comprend toutes les catégories de ressources qui concourent au niveau de vie de l'individu, quel que soit son statut au regard de l'activité, tout au long de son cycle de vie adulte. Deux types d'assiette sont distingués :

- les revenus permettant d'acquérir directement des droits à pension sont constitués des revenus tirés de l'activité professionnelle (salariée et non salariée), les aides perçues au cours de la période d'études et les prestations de sécurité sociale 12 ( * ) (prestations maladie, chômage, familiales, invalidité, etc.). Cette assiette est appelée " pensionable earnings " ;

- des revenus de référence sont accumulés pour les périodes durant lesquelles aucun revenu (ou un faible revenu) n'est perçu (" pensionable amounts ") : années consacrées à l'éducation des jeunes enfants, période de service national, période d'invalidité ou de retraite anticipée. La principale caractéristique de cette catégorie de droits est qu'elle est calculée en reconstituant un revenu censé représenter le niveau de vie du bénéficiaire. Ce revenu est un " revenu notionnel " en ce sens qu'il n'a pas été effectivement perçu mais ouvre des droits à la retraite.

Seul un âge minimal de liquidation des droits à la retraite a été retenu et fixé à 61 ans. Au-delà de 61 ans, le départ à la retraite est flexible, le mode de calcul de la pension étant fonction de l'âge effectif de liquidation des droits à la retraite. La retraite peut être partielle et interrompue en cas de reprise d'activité. La notion d'âge de départ légal à la retraite tel qu'il était fixé jusqu'à présent a été en fait supprimée.

Les cotisations et les versements du système de répartition seront également liés à la croissance économique. Ainsi, le " capital " virtuel créditant chaque compte individuel est revalorisé chaque année selon un indice égal à la moyenne des trois dernières années du taux de croissance du revenu réel moyen par tête auquel on ajoute le taux d'inflation des douze derniers mois.

Le système de retraite sera également sensible aux évolutions démographiques. Le montant de la pension accordé sera calculé selon l'espérance de vie moyenne au moment du départ à la retraite.

Le calcul de la pension dans le régime par répartition est l'une des innovations de la réforme suédoise. La somme des droits à la retraite accumulés au cours de la vie active forme un " capital " C au moment du départ à la retraite. La pension annuelle est déterminée en appliquant à ce capital C un diviseur G, mesurant l'espérance de vie de la cohorte à laquelle appartient le nouveau retraité.

Le mode de revalorisation des pensions est directement lié à la méthode de calcul du diviseur G. En effet, la formule retenue pour l'index de revalorisation prend en compte la norme de 1,6 % de la façon suivante :

Index = taux d'inflation + (taux de croissance réelle du revenu par tête - 1,6 %).

Les pensions ne bénéficient de gains de pouvoir d'achat qu'à condition que le taux de croissance réelle du revenu par tête soit supérieur à la norme de 1,6 %. Les gains seront alors égaux à la différence entre ces deux termes. A l'inverse, lorsque le taux de croissance réelle du revenu par tête est inférieur à la norme de 1,6 %, les pensions enregistreront des pertes de pouvoir d'achat. La revalorisation des pensions est en conséquence flexible et dépend des bonnes performances de l'économie via les gains de pouvoir d'achat du revenu par tête.

2. Le régime en capitalisation

L'un des éléments novateurs de la réforme, outre son caractère consensuel et progressif, tient à l'introduction d'une part de capitalisation. En effet, sur les 18,5 % de cotisation totale, 16 % seront destinés à financer le régime général (selon un système de retraite par répartition) et 2,5 % alimenteront un compte individuel de capitalisation.

Dans le régime en capitalisation, les individus ont la liberté de choix du placement de leur épargne dans des actifs financiers nationaux ou étrangers. Ils communiquent leurs choix à une nouvelle agence gouvernementale ( Premiepensionmyndigheten ou PPM) créée en juillet 1998 pour administrer ce régime, les pouvoirs publics ayant choisi de centraliser des activités spécifiques telles que la gestion administrative et financière de comptes individuels en capitalisation.

L'agence nationale pour les fonds de retraite, l'autorité de surveillance " PPM " (premiepensionmyndigheten), a été instituée pour contrôler le bon fonctionnement du système de capitalisation et servir d'interface entre les cotisants qui décident de l'allocation de leur épargne dans les différents actifs financiers offerts et les organismes financiers agréés qui font des offres de produits financiers. PPM collecte et agrège les demandes individuelles d'actifs financiers et, après appel d'offres, exécute les ordres d'achat. Il n'y a ainsi jamais de relations directes entre les cotisants individuels et les organismes financiers.

Ces derniers n'ont donc pas à gérer des comptes individuels et des ordres individuels d'achat et de vente d'actifs. Ils sont par contre responsables de l'information donnée aux épargnants. Chaque gestionnaire privé devra conclure un accord de coopération avec " PPM ".

Le budget de fonctionnement de cette autorité est financé sous la forme d'un prélèvement de 0,3 % sur les versements des assurés. Jusqu'en 2020, les sommes ainsi obtenues seront cependant insuffisantes pour assurer le fonctionnement de PPM, qui devra emprunter auprès d'un organisme d'Etat.

PPM est chargée de diffuser une importante information auprès des assurés (guide, site internet, centre d'appels) pour les aider à choisir leur gestionnaire de compte. Dès le mois d'octobre 2000 en effet, les Suédois ont dû choisir leur gestionnaire parmi les 450 fonds existants. Nombre de ces fonds viennent d'ailleurs d'être créés par les organisations syndicales afin de collecter les avoirs de leurs membres.

Les salariés qui n'ont pas choisi de gestionnaire, volontairement ou involontairement, voient leur placement géré par le " 7 ème fonds " national de retraite. Ce 7 ème fonds -dont des équivalents existent également au Chili et en Nouvelle-Zélande- devrait à terme gérer les comptes d'environ 35 % des salariés, avec des placements " sans risques ". Cette structure devra cependant faire face à une forte concurrence, l'un des objectifs de la réforme étant précisément d'encourager la concurrence entre les gestionnaires.

3. La période de transition

Le nouveau régime, basé sur le montant et la durée des cotisations, sera obligatoire et s'appliquera partiellement aux personnes nées entre 1935 et 1953, et intégralement aux personnes nées à partir de 1954.

Les cohortes nées avant 1938 relèvent de l'ancien système. Le nouveau système de retraite sera progressivement mis en place avec une période de transition au cours de laquelle les cohortes d'assurés nées entre 1938 et 1953 relèveront à la fois de l'ancien et du nouveau système avec une part croissante du nouveau système selon une clé de répartition prédéterminée (cf. le tableau " Mise en place progressive de la réforme "). La génération née en 1954 sera la première cohorte relevant totalement du nouveau système lorsqu'elle atteindra l'âge minimal de départ à la retraite de 61 ans en 2014.

Pour permettre le passage de l'ancien au nouveau système, quatre fonds " tampon " d'égale importance ont été créés en janvier 2001, à partir des cinq premiers fonds nationaux de retraite " AP-fonden " sur les sept qui existent à ce jour. Dotés au total de 600 milliards de francs, ils auront pour mission de lisser les écarts temporaires entre les cotisations et les versements et devraient permettre de réguler les déficits dans les années où le creux démographique sera le plus fort.

Mise en place progressive du nouveau système de retraites

Année de naissance

Part de la pension provenant du nouveau système

Part de la pension provenant de l'ancien système

1938

4/20

16/20

1939

5/20

15/20

1940

6/20

14/20

1941

7/20

13/20

1942

8/20

12/20

1943

9/20

11/20

1944

10/20

10/20

1945

11/20

9/20

1946

12/20

8/20

1947

13/20

7/20

1948

14/20

6/20

1949

15/20

5/20

1950

16/20

4/20

1951

17/20

3/20

1952

18/20

2/20

1953

19/20

1/20

1954

20/20

0

Enfin, il convient de préciser que les personnes n'ayant qu'une faible pension versée par le nouveau système bénéficieront d'une pension minimale différentielle versée à partir de 65 ans sous conditions de ressources 13 ( * ) . Le niveau de ce minimum de pension est relativement élevé (2,13 fois le montant de base pour un célibataire) de sorte qu'on estime que près de 40 % des retraités devraient en bénéficier. Ces prestations seront financées par le budget de l'Etat et revalorisées selon l'indice des prix à la consommation.

4. Les questions en suspens

A l'occasion des entretiens menés avec les forces politiques, syndicales et associatives concernées, la délégation a pu mesurer le sentiment de fierté qu'inspirait aux Suédois le fait d'avoir pu réformer leur système de retraite avant que la situation financière des différents régimes ne se dégrade véritablement.

La délégation a toutefois pu noter qu'au-delà d'un consensus de principe, il existait certaines nuances d'appréciations sur les modalités de la réforme.

Ainsi, les représentants de l'Association nationale des retraités restent réticents quant à l'introduction des fonds de capitalisation, car ils auraient préféré que ces fonds soient gérés plutôt par l'Etat que par les gestionnaires privés.

Les organisations syndicales, qui n'avaient d'ailleurs pas été associées à la phase politique ultime de mise au point de la réforme, ont également exprimé quelques divergences de points de vue.

Comme l'association nationale des retraités, la principale confédération syndicale suédoise, la confédération générale du travail (L.O.), a souligné que le cumul de revenus tout le long de la vie se révélait plus équitable que le système précédent, qui favorisait plutôt les carrières courtes et à forte progression de rémunération. La confédération générale du travail regrette toutefois que l'âge " flexible " de départ à la retraite ne tienne pas compte de la pénibilité du travail de certaines professions, et que la privatisation des fonds de retraite fasse disparaître un levier traditionnel de la politique économique de l'Etat.

Pour sa part, la confédération générale des travailleurs intellectuels (SACO) s'est satisfaite du fait que les travailleurs puissent, s'ils le souhaitent, travailler plus longtemps durant leur vie active. Par ailleurs, cette dernière s'est exprimée contre la prise en compte des périodes de congés parentaux, et de service militaire pour le calcul des droits à pension. Toutefois, une fois ce principe retenu, elle a souhaité que les périodes d'études supérieures donnent également lieu à ouverture de droits.

Enfin, la confédération des employeurs suédois (SAF) souhaite voir augmenter la part réservée à la capitalisation. Elle regrette toutefois que la réforme des retraites ne revienne pas sur le niveau " trop élevé " des prélèvements, et continu de critiquer la création d'une nouvelle administration chargée de contrôler les gestionnaires de fonds.

La mise en place de ce nouveau système semble en outre générer des difficultés pratiques et un certain scepticisme de l'opinion. A cet égard, les pouvoirs publics attendent beaucoup des syndicats qui devraient contribuer à expliquer à leurs membres les mécanismes - complexes - du nouveau système.

Nombre de problèmes restent cependant en suspens :

- la nécessaire compensation salariale du fait de l'importante augmentation des cotisations à la charge des salariés de 6,95 % à 8,47 % des revenus ;

- les modalités pratiques de fonctionnement du mécanisme d'indexation des cotisations et des pensions sur la croissance économique. Le Parlement n'a pas encore pris de décision sur ce point, pourtant indispensable à assurer l'équilibre à long terme du système.

- l'application du principe de la flexibilité de l'âge de départ à la retraite et, notamment, son articulation avec les règles du marché du travail. Le Gouvernement espère que les salariés et les employeurs arriveront par la négociation à des accords collectifs sur ce point. Si tel n'est pas le cas, il envisage de légiférer.

Le processus de la réforme n'est donc pas totalement achevé et il faudra vraisemblablement attendre la fin de l'année 2001 pour pouvoir en dresser un premier bilan.

* 11 Environ 220.000 francs.

* 12 L'Etat prend en charge la cotisation employeur et le bénéficiaire des prestations la cotisation salarié.

* 13 Un individu ayant une pension publique (régime en répartition et régime en capitalisation) inférieure à 1,26 montant de base reçoit un complément de pension différentiel qui porte ses ressources au niveau de 2,13 montants de base. Lorsque sa pension est comprise entre 1,26 et 3,07 montants de base, il reçoit un supplément de pension égal à 0,87 montant de base(2,13 - 1,26) moins 48 % de la différence entre sa pension et 1,26 montant de base. Une pension supérieure à 3,07 montants de base ne donne droit à aucun supplément.

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