c) Des imperfections persistantes

En dépit des progrès constatés, la commission estime que la situation peut encore être améliorée tant en matière de traçabilité que d'information des consommateurs.

(1) Les maillons faibles de la traçabilité : le steak haché, la restauration collective et les produits cuisinés

La fiabilité des procédures assurant la traçabilité semble pouvoir être encore renforcée sur plusieurs points : le traitement et le transfert des données, la fabrication du steak haché, la restauration collective et les produits cuisinés contenant des produits bovins.

Le traitement et le transfert des informations sur la viande bovine

La principale contrainte à laquelle sont soumis les pouvoirs publics pour assurer une parfaite traçabilité dans la filière bovine réside dans la multiplicité des intervenants aux différents stades de l'élevage, de l'abattage, de la transformation et de la distribution. La multiplicité des opérateurs impose, en effet, un grand nombre d'opérations de saisie d'informations de transfert et de vérification d'informations, qui peuvent être autant de sources d'erreurs ou de falsifications.

Les dispositifs de traçabilité mis en place par chaque opérateur au sein de la filière présentent de ce point de vue autant de cas particuliers. Les contrôles menés par la DGCCRF montrent que certains dispositifs permettent mieux que d'autres de se prémunir contre des ruptures de la chaîne d'information liées à des erreurs de saisie ou des falsifications, à des défaillances au niveau de l'homogénéité des lots ou du strict respect des cahiers des charges.

Chaque dispositif correspondant à un cas particulier, il est difficile d'en tirer des recommandations générales en dehors du respect des normes AFNOR destinées à assurer la traçabilité. La multiplicité des opérations de saisie, le plus souvent manuelles, étant de façon générale une source d'erreur ou de fraude, la commission souhaite promouvoir des dispositifs assurant un transfert continu et infalsifiable des données et permettant des contrôles a posteriori des informations portées sur les étiquettes.

La « steak-option » : la clé de voûte de l'équilibre de la filière bovine

En France, 380.000 tonnes de viande hachée sont consommées annuellement. La crise de l'ESB a soulevé au sein de l'opinion publique de nombreuses inquiétudes quant à l'origine, la traçabilité et la composition de ces steaks.

Cette inquiétude est d'autant plus forte que les steaks hachés sont considérés par les professionnels eux-mêmes comme un des maillons faibles de la traçabilité de la viande bovine. Ainsi, M. Laurent Spanghero, président de la Confédération des entreprises bétail et viandes (CEBV), a-t-il déclaré devant la commission : « nous devons absolument lever la suspicion sur le steak haché. C'est un élément capital. Il faut donc fournir des efforts importants, établir un cahier des charges draconien et communiquer afin de réellement relancer la confiance. Le steak haché est consommé par les enfants, par les vieillards et par des malades ».

Les professionnels entendus ont souligné combien cette suspicion était alimentée par l'absence de communication sur les exigences de la réglementation relative à la composition des steaks hachés.

La fabrication de ce produit de grande consommation est, en effet, soumise depuis plusieurs années à une réglementation stricte concernant les conditions de production, de mise en marché et d'étiquetage des viandes hachées 65 ( * ) .

Cette réglementation n'autorise dans la composition des steaks hachés que les muscles, éventuellement recouverts de leurs tissus adipeux. Outre les matériaux à risque spécifiés, les viandes séparées mécaniquement (les VSM ou viandes récupérées sur les carcasses par des procédés mécaniques de raclage, broyage et pression) issues de bovins, les chutes de découpe ou de parage sont interdites, aussi bien dans les préparations à base de viande que dans les steaks hachés. Lorsque sont incorporés d'autres ingrédients que le muscle (abats, coeur ,foie, protéines végétales), l'étiquetage doit le préciser. Il s'agit alors de « préparations à base de viande hachée » qui doivent cependant toujours être composées d'au moins 50 % de muscles.

La commission d'enquête a pu constater lors de la visite d'entreprises de transformation de viande, en particulier à Villefranche d'Allier, que ces obligations étaient bien respectées. Elle a, en outre, été surprise de voir combien ces ateliers de production de viande hachée et leurs personnels s'astreignaient à des règles d'hygiène drastiques.

Il convient toutefois de souligner que l'image de ce produit a également souffert de la liberté avec laquelle les industriels ont parfois appliqué la réglementation relative à l'étiquetage.

Ainsi, lors d'une enquête de la DGCCRF en 1998 66 ( * ) auprès d'une trentaine de collectivités, il a été constaté que 87 % des prélèvements ne correspondaient pas aux valeurs annoncées sur l'étiquetage : 58 % dépassaient le taux indiqué de matière grasse et 42 % le taux indiqué de collagène sur protéines de viande. Il s'agissait, pour l'essentiel, de steaks hachés congelés annonçant moins de 15 % de matière grasse. Toutefois, les dépassements n'excédaient pas les tolérances admises. D'autres anomalies ont été constatées sur l'étiquetage : absence de la mention du rapport collagène sur protéines, absence d'indication de masse nette ou du lot de fabrication. Enfin, on a constaté qu'un fournisseur livrait des steaks hachés surgelés provenant d'un atelier italien, alors que l'acte d'engagement et la fiche de fabrication garantissaient une origine française.

Ces manquements n'ont aucunement mis en danger la santé des consommateurs, ils ont cependant contribué à alimenter la méfiance des consommateurs qui souhaitent légitimement être assurés de la fiabilité des informations fournies par l'étiquetage et connaître l'origine des viandes utilisées.

L'image de ce produit a également pâti d'une traçabilité moins précise que celle d'autres produits bovins.

Comme l'a souligné M. François Toulis, Président de la Fédération nationale de coopératives bétail et viandes (FNCBV) : « le steak haché ne pose pas un problème au niveau de la dangerosité du produit. C'est au niveau de la traçabilité. Plus vous avez une unité industrielle importante, plus vous avez des mélanges. Si l'artisan boucher hache la viande devant vous, à condition que son hachoir respecte les conditions d'hygiène, vous savez quels morceaux de viande sont à l'origine de ce steak. Dans les usines, les volumes sont différents ».

Le steak haché industriel est produit à partir de lots de viande provenant de plusieurs bovins. Le nombre de ces bovins est d'autant plus important que les steaks hachés ne sont pas produits à partir de la viande de carcasses entières, mais à partir des seules pièces avants des bovins .

Cette particularité explique que le steak haché soit considéré par les professionnels de la filière comme « la pierre angulaire de l'équilibre de la filière bovine entre les avants (viandes hachées, viandes à braiser : épaules, basses côtes) et les arrières (viandes à griller) ». Il faut un nombre important de pièces avants pour constituer un lot. Plus les lots sont importants, plus la viande provient d'un nombre élevé de bovins, plus la traçabilité est imprécise et les retraits de marchandises, nécessaires en cas de contamination, importants.

L'application du règlement communautaire du 17 juillet 2000 relatif à l'étiquetage de la viande bovine et des produits à base de viande bovine devrait toutefois améliorer quelque peu la situation .

Des dispositions particulières d'étiquetage sont, en effet, prévues pour les viandes hachées. Celles-ci sont dispensées de la mention des numéros d'agrément d'abattoir et d'atelier de découpe, mais depuis le 1 er septembre 2000, les mentions du numéro ou code référence, le pays d'abattage et le pays d'élaboration sont obligatoires. A partir du 1er janvier 2002, la communication sera obligatoire sur les pays de naissance, d'élevage, d'abattage et de transformation. Dans le cas de pays identiques, la notion d'origine couvrira l'ensemble, en cas contraire, le détail sera exigé.

Les industriels français de la viande hachée de boeuf ont, en outre, décidé de devancer cette obligation en s'engageant à travers un logo 100 % pur boeuf à faire figurer, en plus des informations requises, le pays d'origine de l'animal dont est issue la viande .

L'application volontaire de ce logo permettra de garantir que la viande hachée fournie aux consommateurs est un produit 100 % pur muscle de boeuf, identifié et tracé par des informations sur son origine (viande issue d'animaux dont les pays de naissance, d'élevage et d'abattage sont connus) et sa composition.

La restauration collective

En France, environ quinze millions de personnes bénéficient chaque jour d'une prestation de restauration hors domicile. Ces prestations sont servies à hauteur de 25 % par des entreprises spécialisées et pour les 75 % restant par des régies ou des services en régie directe des collectivités.

La viande de boeuf est un élément important en Restauration Hors Domicile (RHD). Piécée ou tranchée, hachée ou servie sous forme de préparation à base de viande hachée, elle permet de varier les menus des quelque 3 milliards 360 millions de repas servis chaque année en restauration collective en France. Chaque année en France, 310.000 tonnes de viande bovine sont ainsi distribuées dans ces circuits.

La crise de l'ESB a soulevé de nombreuses inquiétudes quant à l'origine, la traçabilité et la composition des produits à base de viande bovine servis dans la restauration collective, particulièrement de la part des fédérations de parents d'élèves et des municipalités.

Les professionnels de la filière bovine entendus par la commission considèrent que ce secteur est un des secteurs où le consommateur est le moins bien informé sur la nature des produits qui lui sont vendus et où la traçabilité de la viande est la moins bien assurée.

Ainsi, M. Jean-Jacques Rosaye, président de la Fédération nationale groupement de défense sanitaire du bétail (FNGDS), a-t-il souligné que : « le plus gros problème est certainement au niveau de la restauration collective où il est très difficile d'aller jusqu'aux consommateurs ».

M. Pierre Chevalier, président de la Fédération nationale bovine (FND) et de l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL), a de même indiqué que « concernant la traçabilité et l'étiquetage, il est nécessaire d'introduire la plus grande transparence possible dans la RHD. Il est certain que nous ne pourrons restaurer la confiance du consommateur tant que des mesures ne seront pas prises ».

Comme l'a fait observer M. Damien Verdier, président de la Commission qualité, sécurité alimentaire du Syndicat national de la restauration collective (SNRC), les professionnels de la filière viande, conscients de la situation avaient, à partir de 1999, apporté un premier élément de réponse au secteur de la Restauration Hors Domicile en signant l'accord interprofessionnel relatif à la traçabilité des viandes bovines en RHD dit: Transparence Traçabilité Viande (TTV).

Cette charte engage les fournisseurs des adhérents du SNRC à identifier le pays d'abattage de toutes les viandes bovines servies, à fournir ces informations à leurs clients et à se soumettre aux inspections d'un bureau de contrôle indépendant. Selon M. Damien Verdier « toutes nos entreprises et tous nos fournisseurs sont contrôlés par le BVQI sur la traçabilité d'abattage ». La profession propose maintenant de prolonger et de compléter ce dispositif avec l'établissement d'un Contrat de transparence, entre les fournisseurs et le secteur de la RHD assurant une traçabilité sur l'origine de l'ensemble des produits bovins utilisés. Cette démarche ne concerne cependant que les entreprises qui ont accepté d'adhérer à ces contrats.

Les aliments à base de produits bovins : fonds de sauce, raviolis...

Les préparations alimentaires, plats cuisinés, fonds de sauce ou autres aliments contenant des produits bovins, sont soumises aux règles générales relatives à l'étiquetage des produits alimentaires préemballés.

Ces aliments doivent donc être accompagnés de la mention des ingrédients dans l'ordre décroissant de leur importance pondérale. Ils ne sont, en revanche, soumis à aucune autre obligation d'information concernant les produits bovins qu'ils contiennent.

Cette situation explique sans doute pourquoi cette catégorie de produits, qui comprend notamment les fonds de sauce, les raviolis ou les cassoulets, a suscité lors de la deuxième crise de la vache folle une forte inquiétude, qui traduisait avant tout le besoin d'information des consommateurs .

Il convient de rappeler que ces produits sont, en matière de sécurité sanitaire soumis à la même réglementation que les produits bovins et, en particulier, à l'interdiction des « matériaux à risques spécifiés » (MRS).

L'inquiétude des consommateurs a, en outre, pu être alimentée par l'absence d'un dispositif de traçabilité comparable à celui existant en boucherie. De ce point de vue, ces produits sont dans une situation comparable aux steaks hachés.

Non seulement les industries d'aliments conservés ne sont soumises à aucune obligation réglementaire en matière de traçabilité des produits bovins qu'elles utilisent, mais leur mode de production ne permet pas de mettre en place une traçabilité du produit à la vache. Ainsi, pour la fabrication des raviolis, la farce est-elle constituée d'un « mineraie » contenant de la viande hachée en provenance de très nombreuses pièces avants, elles mêmes issues de nombreux bovins. Dans le meilleur des cas la traçabilité est assurée d'un lot de « mineraie » à un lot de viandes qui lui même peut être associé à une série de bovins. Comme dans le cas de la viande hachée, le degré de précision de la traçabilité dépend de la taille des lots de viande bovine utilisés.

* 65 La production de viande hachée est en particulier réglementée par :

- la directive CE n° 94/64 du 14 décembre 1994 établissant les exigences applicables à la production et à la mise sur le marché de viandes hachées et de préparations de viandes ;

- l'arrêté du 29 février 1996 fixant les conditions sanitaires de production et de mise en marché des viandes hachées et des préparations de viandes ;

- le décret n° 97-74 du 28 janvier 1997 relatif à la composition, la préparation et l'étiquetage des viandes hachées et préparations de viande qui ne sont pas destinées à être cédées directement au consommateur final ;

- le règlement 1760/2000 du 17 juillet 2000 du Parlement européen et du Conseil relatif à l'étiquetage de la viande bovine et des produits à base de viande bovine.

* 66 Rapport d'activité de la DGCCRF 1999.

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