Audition de M. Bruno POINT,
Président du Syndicat des Industries Françaises de Coproduits Animaux (SIFCO)

(20 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, président - Merci, Monsieur Point, d'avoir répondu à notre invitation.

Je rappelle que vous êtes Président du Syndicat des Industries Françaises de Coproduits Animaux le (SIFCO).

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Point.

M. le Président - Nous vous demandons au titre de votre fonction de nous rappeler comment vous fonctionnez, surtout par rapport au problème des farines animales puisque c'est le sujet de notre commission d'enquête.

M. Bruno Point - Je me permets de vous remettre un document comportant des chiffres.

Je représente le SIFCO (Syndicat des Industries Françaises de Traitement des Coproduits Animaux).

Ce syndicat regroupe 23 entreprises qui représentent grosso modo un chiffre d'affaires de 4 MDF. Sont adhérents 30 sites de production qui fabriquent des farines, des graisses et des suifs. Ces farines et ces graisses sont concernées par l'objet de votre enquête et étaient commercialisées, notamment auprès de fabricants d'aliments pour animaux.

Ces 30 sites de production sont répartis sur le territoire français, 10 sites de production travaillant en parallèle sur les produits concernés par le service public de l'équarrissage. Je vous ai remis à cet égard deux tableaux simples et synthétiques donnant un petit schéma des filières et rappelant les volumes concernés par l'une et l'autre de ces activités.

Le service public de l'équarrissage a été institué en 1996 suite aux arrêtés du 28 juin 1996 et a fait l'objet d'une loi en décembre 1996. Il concerne les cadavres d'animaux, les saisies d'abattoirs et les MRS, c'est-à-dire les matières ou matériels -selon la traduction de l'anglais- à risques spécifiés que sont les systèmes centraux nerveux des ruminants.

Je ne vais pas vous énoncer les quantités que vous avez sous les yeux, mais cela correspond très globalement à de 3 à 3,5 tonnes de coproduits valorisables jusqu'au 14 novembre 2000, après un départ à 600 000 tonnes, le service public de l'équarrissage ayant beaucoup évolué puisqu'il a fait l'objet d'arrêtés complémentaires sur de nouveaux produits, le dernier en date concernant les boyaux de bovins, qui portent ces volumes à 850  000 tonnes.

Pour mémoire, la production globale des farines et des graisses animales est en Europe de l'ordre de 3 millions de tonnes pour les farines et de 1,5 tonne pour les graisses, chiffre grossier mais qui situe le niveau de production.

Je vous ai fait une description très générale et synthétique des entreprises adhérant à notre syndicat, qui représente la quasi-totalité des producteurs.

Il s'agit d'entreprises spécifiques de production de farines et de graisses animales à partir des coproduits et d'ateliers intégrés au sein des abattoirs dont l'activité marginale est connexe. Il s'agit en général de grands groupes de viande qui se sont équipés eux-mêmes en annexe de leur production de viande et de leur travail sur les coproduits.

Notre profession a vu sa réglementation profondément évoluer depuis 1990. Je pense que vous avez analysé tous les textes, le texte principal étant celui de 1990, qui interdit l'utilisation des farines de viande dans l'alimentation des bovins et qui a été repris en 1994 pour être élargi aux ruminants.

De même, la directive européenne 667 de 1990 est très importante, car elle définit l'encadrement général de notre profession. Elle a été reprise en France en 1991.

Nous appelons cela dans notre métier « l'arrêté de 1991 », qui définit les produits, donc les matières (c'est-à-dire les produits et sites à bas et haut risque) et détermine les procédures d'agrément pour tous ceux-ci. C'est un texte clé qui encadre toute la profession européenne et française.

En 1994, une directive européenne importante a défini les conditions exactes de traitement des coproduits animaux, en déterminant les paramètres de traitement, notamment en termes de temps, de température et de pression. Il a été complété en 1996 sur le plan européen et en 1998 sur le plan français, à travers la stérilisation sous pression à 133 degrés, 3 bars et 20 minutes.

J'ai déjà fait allusion au retrait, en 1996, des cadavres d'animaux, des saisies d'abattoirs et des systèmes centraux nerveux des ruminants, suivi le 30 décembre de la loi sur le service public de l'équarrissage.

En conclusion -j'ai avec moi une liste de textes, mais je suppose que vous en disposez-, il a été interdit le 14 novembre 2000 d'utiliser les farines de viande et les graisses animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et dans celle des animaux de compagnie, avec quelques exceptions pour ces derniers.

Plus récemment, l'interdiction européenne n'est applicable qu'aux farines, sachant que l'Allemagne a pris la décision d'interdire les graisses complémentaires, à l'image de la France.

Je vais maintenant vous dire quelques mots de l'encadrement de notre profession par rapport aux textes français. Jusqu'en 1996, avec la loi du 30 décembre, nous étions sous le régime de celle de 1975, dite d'équarrissage, qui définissait notre profession en mettant en place la nécessité pour chaque Préfet d'appliquer 3 arrêtés préfectoraux départementaux.

Le premier définissait une commission dite d'équarrissage présidée par le Préfet, dans laquelle siégeaient les administrations, notamment de l'agriculture et des fraudes, le Conseil Général et les professions, c'est-à-dire les éleveurs, les abattoirs et nous-mêmes.

Le second était un arrêté préfectoral dit de périmètre. Le Préfet devait faire en sorte que, dans tout son département, l'intégralité des cadavres et des déchets animaux issus des abattoirs soit collectée par un équarrisseur, sachant qu'en son temps l'application de cette loi nous a beaucoup été reprochée. On considérait qu'elle était à notre bénéfice, puisque chaque entreprise se voyait attribuer un périmètre dans le cadre de laquelle elle avait apparemment l'exclusivité en matière de collecte.

C'est un débat passé sur lequel nous ne reviendrons pas, mais cela cadrait le système. Il y avait là une volonté claire du législateur de s'assurer que tous les cadavres et coproduits animaux étaient bien récupérés et que les abattoirs disposaient d'un service obligatoire de collecte de ces derniers.

Enfin et très accessoirement, le Préfet devait appliquer un arrêté de tarification quand des problèmes d'indemnité se posaient.

Cependant, tous ces éléments ont été modifiés par la loi de 1996, qui a institué le service public de l'équarrissage, mais qui ne traite que des cadavres d'animaux, des saisies d'abattoirs et des matières à risque spécifié, dont l'objectif était la santé humaine, c'est-à-dire le retrait volontaire de la chaîne alimentaire d'abats et de coproduits susceptibles de véhiculer des prions.

Les autres coproduits sont à considérer sous l'angle d'un déchet qui n'a pas de définition légale précise si ce n'est d'être un déchet.

En conclusion, maintenant que ces produits sont interdits et après que nous ayons travaillé pendant dix ans -nous l'avions déjà fait auparavant- à sécuriser notre profession, à mettre en place des outils de traitement ainsi que les tris en abattoirs, à établir des guides de bonnes pratiques avec ces derniers et à répondre à toutes les sollicitations des administrations en matière d'informations techniques quant à la réalité et à la diversité de notre métier, nous avons aujourd'hui un autre objectif, qui consiste à gérer le maintien de la collecte des coproduits en abattoirs et en boucheries et leur destruction, sans parler de leur stockage intermédiaire pendant la période un peu trouble que nous allons traverser.

C'est probablement à ce prix, en étroite concertation avec les Pouvoirs publics et beaucoup d'élus locaux, que nous arriverons à gérer ce nouveau problème.

M. le Président - Nous constatons que cohabitent à l'intérieur des mêmes usines et des mêmes établissements deux activités différentes : d'une part le service public de l'équarrissage -comme vous l'avez rappelé- et, parallèlement, la fabrication de farines destinées à l'alimentation animale. Cela a-t-il pu favoriser des mélanges de farines saines et « contaminées » ? Pensez-vous que cette organisation à l'intérieur de chaque usine ait été mise en place suffisamment tôt ?

M. Bruno Point - Des collectes distinctes se sont très rapidement mises en place en 1996, effectuées dans des véhicules distincts, et les usines se les sont réparties, sachant qu'il n'existe plus aujourd'hui que deux usines mixtes, c'est-à-dire à l'intérieur desquelles s'exercent ces deux activités. Les 8 autres ne traitent que les coproduits afférents au service public de l'équarrissage.

Ceci s'est fait au fil des mois, mais la contrainte qui a été la nôtre depuis notamment deux ans a plutôt consisté à affecter de nouvelles usines au service public de l'équarrissage étant donné l'augmentation des volumes apportés du fait que, l'équarrissage au sens de la collecte des cadavres devenant un domaine public, nous avons vu leur nombre augmenter peu à peu, mais de façon très régulière et importante, l'Etat ayant été le premier surpris.

Nous avons vu dans les deux années qui ont suivi le nombre d'enlèvement de petits animaux augmenter de beaucoup, mais ce n'est pas du tout vrai pour les bovins, qui étaient parfaitement collectés.

La commercialisation des farines et des graisses animales est interdite, mais -c'est en tout cas le principe arrêté aujourd'hui et il semble que cela doive être maintenu- les cadavres, les saisies et les MRS (c'est-à-dire des produits potentiellement à risque) font toujours l'objet d'une loi et doivent être traités distinctement, sachant que cela devrait probablement durer.

Nous constatons en revanche une augmentation très importante des volumes, notamment s'agissant des boyaux de bovins, et il nous faut, au fil des mois ou des années, y affecter des usines, ce qui n'est pas simple.

Cela signifie qu'une usine qui traite des produits valorisables doit être débaptisée parce qu'elle traite des produits dits dangereux, tout au moins dans l'opinion des médias et de l'opinion publique, ce que nous concevons, cette opération ne se faisant pas sans douleur, de nombreux freins étant préoccupants pour nous.

Pour répondre à l'aspect premier de votre question, la collecte est tout à fait distincte, de même que les usines, à l'exception de deux d'entre elles, qui sont mixtes. Je n'en suis pas l'inspecteur, mais je crois pouvoir dire qu'elles sont parfaitement étanches. En tout cas, la réglementation est précise à ce sujet : il faut qu'une séparation existe à l'intérieur de ces usines.

M. le Président - Ce n'est pas fait actuellement.

M. Bruno Point - Il reste deux usines dites mixtes.

M. le Président - Qu'en était-il avant 1996 ?

M. Bruno Point - Toutes les usines étaient communes.

M. le Président - Pensez-vous que des contaminations aient pu se produire avant 1996 ?

M. Bruno Point - Avant 1996, tous les produits étaient traités et commercialisés au sein des mêmes usines. Par conséquent, si des matières à risque contenaient des prions et que toutes les interrogations des scientifiques sont fondées -étant entendu que je me garderai d'émettre la moindre opinion sur ces sujets-, il est clair que ces produits ont été travaillés et commercialisés jusqu'en 1996.

M. le Président - Il est vrai qu'il n'existait pas d'interdiction.

Vous nous avez rappelé qu'en France les types de traitement, en matière de chauffage, de temps et de pression, sont restés les mêmes.

M. Bruno Point - En effet. J'ai même l'intime conviction -mais cela n'engage que moi et c'est très subjectif- que la France -il apparaît au vu des chiffres qu'elle est un pays très important s'agissant du cheptel bovin- était un pays très important jusque dans les années 1994-1995 en termes d'utilisation de farines de viande. En effet, dans la mesure où elle avait un grand élevage, notamment de volailles, elle avait un besoin en protéines et utilisait donc les protéines animales de façon assez performante.

Les procédés de cuisson -que je connais au-delà de la réglementation de par ma profession- étaient à haute température. Il existait notamment à l'époque de façon assez large, en particulier dans les grandes régions de production, des outils de traitement dans un bain de graisse à 150 degrés.

Il ne s'agit pas sur le plan scientifique de 133 degrés, de 3 bars et de 20 minutes, et je me garderais de dire que cela inactive les produits, mais j'ai le souvenir d'avoir vu mes aînés être dans cette profession très attentifs à ce que l'on appelait les incuits. Ils prenaient garde à ce que le produit soit cuit ; cela faisait partie de la tradition française.

De même, nous avons toujours connu des contrôles en matière bactériologique, même s'ils ont évolué. Un contrôle était effectué tous les mois, il y a 25 ans, contre un par semaine il y a 20 ans et un tous les jours il y a 15 ans.

La situation a évolué, mais les Directeurs des services vétérinaires ont toujours suivi la bactériologie de nos produits. Je ne suis pas certain que ce soit le cas au Royaume-Uni, mais en tout cas j'ai toujours été surpris que cela n'ait pas été mis en avant.

Il a été mis en avant que le procédé à basse température, qui a fait l'objet d'un investissement massif au Royaume-Uni, était l'une des sources probables de la diffusion du prion, mais j'ai toujours été surpris que l'on ne s'interroge pas sur la destruction de la bactériologie simple, banale et courante, pour tout l'agroalimentaire au sens large, dans le cadre de ce procédé thermique, parce que les températures utilisées ne permettaient pas, par exemple, de détruire les clostridiums, ce qui n'aurait jamais pu arriver en France, car cela ne faisait pas partie de notre esprit et de notre culture et parce que des contrôles ont toujours été effectués, même s'ils étaient il y a vingt ans moins importants qu'aujourd'hui.

M. Paul Blanc - Vous avez à plusieurs reprises fait référence à la loi du 31 décembre 1996, sachant que les critiques sont nombreuses sur la concentration excessive des entreprises d'équarrissage dans votre secteur. Pensez-vous que cette loi a renforcé cette concentration et êtes-vous au courant de ces critiques ?

M. Bruno Point - Oui, nous les entendons régulièrement, davantage sous un angle économique.

M. Paul Blanc - Pensez-vous que la loi a pu renforcer ces concentrations ?

Par ailleurs, vous avez indiqué par rapport à cette loi, ce qui m'a fait sursauter, que l'élimination des carcasses et des abats (notamment de produits à risque) avait été en quelque sorte systématiquement ordonnée et coordonnée vis-à-vis du risque que présentent les prions. En était-il donc déjà question en 1996 ?

M. Bruno Point - On en parle depuis 1990, ou en tout cas de l'ESB. Peut-être n'ai-je pas employé le mot adéquat.

M. le Président - Vous ne l'auriez pas employé à l'époque.

M. Bruno Point - En effet, j'emploie le langage d'aujourd'hui et non celui de 1996. Vous faites bien de le souligner, car cela me permet d'être plus précis.

M. Paul Blanc - A ma connaissance, on ne parlait pas de prions en 1996 et par conséquent on ne pouvait pas parler d'élimination d'abats à risque, de contaminations dans le cadre de maladies humaines et de l'ESB. C'était le cas pour d'autres maladies à risque (la brucellose notamment), mais certainement pas pour l'ESB, car le prion n'était pas connu à ce moment-là.

Estimez-vous que le stockage des farines est aujourd'hui effectué de façon satisfaisante ? En effet, nous en avons vu et entendu beaucoup à ce sujet.

M. Bruno Point - Votre propos contient deux questions, la première ayant trait aux concentrations liées à la loi. Je pense que cette dernière a pu favoriser la poursuite de ces concentrations, mais j'estime que c'est l'évolution des normes qui les a générées au fil des années.

En effet, les normes devenant de plus en plus pointues, techniques et exigeantes, elles nécessitent des moyens humains, sachant que nous sommes passés en trente ans de l'artisanat à l'industrie et de l'industrie de production à l'industrie de sécurité et sanitaire. C'est le métier qui veut cela.

Je ne dis pas que la faute en revient aux normes, mais l'évolution générale de la société et des métiers nécessite des moyens humains, techniques et financiers.

Il est par ailleurs certain que la scission entre les produits à détruire et ceux qui restaient valorisables jusqu'à ce jour a aussi posé des problèmes. J'ai notamment parlé des usines mixtes : les opérateurs n'ont pas la vocation économique de les maintenir, mais il arrive qu'une région ne compte qu'une usine.

Il pourrait être envisagé de construire une deuxième usine, mais ce serait un parcours du combattant au regard des textes qu'il importe de respecter en matière de procédures d'établissements classés. De même, il faudrait trouver un site d'accueil, dire que c'est impossible étant une banalité. En tout cas, nous ne sommes pas invités, donc ce serait un combat.

M. Paul Blanc - Ma deuxième question portait sur le stockage.

M. Bruno Point - Nous avons des réunions régulières avec M. le Préfet Proust, qui mène une action tout à fait coordonnée et très volontaire. A ce jour, le stockage correspond à la production, mais il est certain que de toute façon l'équation que M. le Préfet Proust doit gérer consiste à mettre en place des débouchés d'incinération, au fil des mois qui viennent, pour stocker ce qu'il est nécessaire de stocker mais pas plus.

En effet, s'il ne se brûle pas un kilo de plus dans les mois qui viennent, nous devrons faire face à 700 000 ou un million de tonnes dans un an, le potentiel de stockage homologué faisant l'objet de procédures d'établissements classés et correspondant à un cahier des charges assez strict, dont la dernière copie nous a été remise ce matin. Cela fonctionne, mais il ne faudrait pas que cela dure six mois. Si un système d'incinération n'est pas mis en place d'ici là, cela n'ira pas.

M. Paul Blanc - Nous avons vu à la télévision des images de stockages assez agressives pour le public, avec des risques de ruissellement, etc.

M. Bruno Point - Il s'agissait de stockages anciens, les médias utilisant très souvent les mêmes sources. Nous voyons les mêmes images -qui sont les moins satisfaisantes- depuis trois ans, mais c'est un peu symbolique, le Gouvernement ayant nommé un Préfet pour ne pas renouveler les difficultés et les errements du passé.

Ceci dit, cela permet de passer le message qu'il est fondamental que, lorsque des mesures sont prises, elles le soient en coordination avec nos professions afin que nous puissions pour le moins -chacun faisant son travail- exposer ce que nous pensons devoir être les soucis qui se profilent à l'horizon.

Par exemple, l'abattage des bovins de plus de 30 mois est une mesure européenne -sur laquelle je n'entends absolument pas porter de jugement parce que ce n'est pas mon propos- reprise en France. Or, je n'ai pas lu à ce sujet un mot concernant les procédures d'élimination.

En revanche, les contraintes sont mentionnées, sachant qu'il faut veiller à ce que même le suif soit éliminé, étant entendu -nous avons assisté à une réunion à ce sujet ce matin- que nous ne pouvons pas en France gérer cette mesure immédiatement. Je ne dis surtout pas que la profession n'entend pas s'y associer, mais nous ne saurons pas le faire au 1er janvier.

M. Paul Blanc - Si je ne m'abuse, la décision communautaire de 1996 sur le traitement thermique des farines n'a été transposée en France qu'en février 1998. L'explication ne résiderait-elle pas dans ce que vous venez d'indiquer s'agissant de l'élimination des cadavres de bovins de plus de 30 mois, à savoir qu'en fait les industries françaises n'étaient pas prêtes à appliquer ces normes plus tôt ?

M. Bruno Point - Les industries françaises n'étaient en effet pas prêtes techniquement à assurer ce traitement thermique.

M. Paul Blanc - Comme elles ne sont pas prêtes aujourd'hui à assurer l'élimination des cadavres de bovins.

M. Bruno Point - J'ai également le souvenir d'avoir entendu des ministres et même des sommités scientifiques dire que la priorité en France était en fait une histoire de paquets et qu'il fallait investir dans ceux-ci, le paquet n°1 étant pour les autorités scientifiques le retrait des abats à risque, la France ayant mis l'accent sur cette mesure, qu'il fallait gérer, ce qui a eu un coût et a demandé une mise en place ainsi que des outils.

M. Paul Blanc - Vous indiquez que le traitement des matériaux à risque était la priorité, mais estimez-vous que la séparation entre celui-ci et la fabrication de farines animales pour porcs et volailles a été réalisée de façon satisfaisante ?

M. Bruno Point - Je pense que, très certainement, cela n'a pas pu être satisfaisant dans les premiers mois de la mesure. Il a fallu six mois pour que ce soit réellement opérant, ce genre de mesure ne fonctionnant que si l'on est efficace à tous les bouts de la chaîne. Si un maillon est défaillant, la mesure est imparfaite.

Cependant, cela s'est mis en place relativement rapidement et avec efficacité. J'en veux pour preuve les volumes, qui ne garantissent pas une étanchéité absolue, mais 600 000 tonnes ont été détruites qui auparavant étaient valorisées, ce qui est significatif.

M. Paul Blanc - Avez-vous exporté des farines animales après 1996 ?

M. Bruno Point - Je ne me suis pas préparé à répondre à cette question, mais nous avons toutes les statistiques. Nous avons après 1996, jusqu'au 14 novembre, connu des mouvements d'exportation extrêmement divers et nous avons rencontré durant certaines périodes de réelles difficultés en matière d'exportation, sachant qu'un certain nombre de pays (en général importants en termes d'importation de farines animales) prohibaient les produits alimentaires français (et non les farines de viande) et en particulier le bovin, donc par voie de conséquence les produits dérivés.

En revanche, nous avons connu à d'autres moments des exportations importantes parce que nous en avions besoin, la consommation en France n'ayant cessé de baisser depuis 1996, au fil des mois et des années, à chaque crise, chaque événement médiatique et chaque mesure de séparation parmi les fabricants d'aliments.

C'est ensuite un problème de prix, sachant que, si vous vous situez au-dessous du prix international, vous parvenez parfois à exporter plus facilement. Nous avons en tout cas exporté des quantités importantes.

M. Paul Blanc - Vous parlez de business.

M. Bruno Point - Je parle de la réalité du marché.

M. Paul Blanc - Je vais à ce titre vous poser des questions sur les relations entre les différents groupes. Votre société fait partie du Groupe Caillaud qui fait lui-même partie du groupe belge Tessenderlo Chemie. De plus, si je ne m'abuse, 40 % du capital de Tessenderlo est détenu par le groupe E.M.C. Or, la Société Glon-Sanders, spécialisée dans la nutrition animale, est également détenue à 23 % par cette dernière. Il existe donc de nombreuses interrelations. Quelles sont les relations exactes entre les producteurs de farines et les fabricants de farines pour animaux ?

M. Bruno Point - Je peux vous assurer que les relations entre le groupe détenteur du capital de la société dans laquelle je travaille et le Groupe Glon-Sanders, où nous retrouvons le même actionnaire, sont bonnes, mais que celles nées du capital sont nulles, ce qui signifie que le Groupe Glon-Sanders achète très concrètement de la farine au Groupe Caillaud ou à qui il veut, à ceux qui lui proposent le meilleur prix et lui assurent les conditions de livraison, la quantité et la qualité qui lui conviennent.

Cependant, il n'existe aucun lien -je pèse mes mots- qui favoriserait qui que ce soit, de la même façon que vous trouverez dans les autres filiales le Groupe TREDI, qui est une unité de destruction de DIS (déchets industriels spéciaux) qui traite les cas d'ESB en matière de farines animales.

Je vous prie de croire que nous payons strictement le même prix et que nous prenons rendez-vous comme tout le monde pour ce qui concerne les lots de farines. C'est vraiment complètement indépendant.

Quant aux relations générales entre notre profession et les fabricants d'aliments, il s'agit de relations de fournisseurs à clients, avec des cahiers des charges et des négociations de prix. Elles se sont beaucoup amplifiées au cours des dernières années du fait des syndicats et de l'application des normes dans le cadre de la défense des farines de viande.

Nous nous sommes beaucoup rapprochés du SNIA pour mettre en place en commun des argumentaires et des guides de bonnes pratiques afin de valider les farines de viande, mais les récents événements montrent que nous avons échoué.

M. le Président - Passons aux graisses : les valorisez-vous ou non aujourd'hui ?

M. Bruno Point - L'arrêté du 14 novembre proscrit l'utilisation des farines et des graisses dans l'alimentation animale ainsi que dans ce que l'on appelle le « pet food », à savoir les aliments pour animaux de compagnie, ce qui signifie qu'elle est proscrite pour l'alimentation, mais pas pour le reste, et que l'on pourrait imaginer un autre débouché.

Il est important de le souligner, sachant qu'en l'occurrence ce n'est pas le cas, les farines et les graisses étant à ce jour détruites, ces dernières faisant l'objet sur le plan européen et mondial d'un usage technique, c'est-à-dire qu'elles peuvent être utilisées après distillation, par exemple pour des lubrifiants.

Rien n'interdit sur le plan français et encore moins européen -les graisses n'étant pas interdites dans le cadre de l'alimentation animale- cette commercialisation, même si nous pouvons penser que cela évoluera dans les mois qui viennent et qu'une réflexion sera menée sur tous ces sujets.

En revanche, les graisses dites spécifiques -qui ont fait l'objet de l'audition de M. Robin- sont celles de boeuf, de porc ou de volaille, sachant que globalement dans notre activité, de façon historique, si l'on oublie tout l'aspect destruction et SPE, il existe deux types d'usines : celles qui reçoivent des produits du type os et boyaux avec lesquels l'on fabrique d'abord de la farine -c'est le composé le plus important- et celles qui produisent de la graisse. Quand on cuit des boyaux et des os, le rendement est par exemple de 30 % de farine et de 15 % de graisse.

Une autre activité, les fondoirs, appartient en termes d'agréments et d'établissements classés à la même famille. Cela revient au même sur le plan administratif, mais pas sur celui de la technicité, dans les abattoirs étant collectés de façon distincte les tissus adipeux des animaux, notamment ceux des bovins et des porcs et depuis quelques années ceux des volailles.

Quand un animal est abattu, il existe plusieurs parties de corps gras, comme le gras de rognon -qui entoure les rognons- ou l'émoussage (toute la partie située entre le cuir et la viande).

C'est un gras que l'on a toujours qualifié de noble qui, lorsque les circonstances industrielles le rendent possible, est véhiculé sur des sites particuliers qui s'appellent des fondoirs, certains d'entre eux faisant l'objet d'un agrément spécifique pour l'alimentation humaine.

L'activité des fondoirs consiste à fondre et à produire en majeure partie de la graisse à des taux beaucoup plus importants, de l'ordre de 50 à 60 %. De plus, accessoirement, les tissu nerveux attenants à la graisse produisent de la farine qui traditionnellement servait et sert encore -mais les normes sont loin d'être claires à ce jour dans ce domaine- à l'alimentation des chiens et des chats.

M. le Président - De toute façon, les Pouvoirs publics sont obligés de stocker les graisses en général, à part celles issues des tissus adipeux.

M. Bruno Point - Ils doivent stocker les graisses classiques, mais pas les suifs alimentaires. Elles sont stockées ou incinérées et l'on devrait trouver pour elles un débouché plus facilement que pour les farines. En effet, leur PCI est très important et quasiment équivalent à celui du fuel, sachant qu'il est presque aussi simple de brûler de la graisse que du fuel dans une chaudière, moyennant quelques aménagements.

M. le Président - Continuerez-vous à fabriquer des farines, certaines d'entre elles pouvant être bonnes, ou seront-elles brûlées systématiquement ?

M. Bruno Point - Notre profession a défendu la valorisation des farines. Il me semble que la messe est déjà un peu dite, mais nous verrons ce qui va se passer sur le plan européen.

J'ose espérer que, dans l'intérêt global des filières, à la fois sous l'angle sanitaire, sous celui de la santé et celui de la compétition économique et de la coordination entre les pays, il existera un dispositif européen unique, même si je ne suis pas certain qu'il se mettra en place aussi vite que nous l'espérons tous. En tout cas, je ne sais pas si les farines referont leur apparition dans l'alimentation animale, le lecteur de journaux que je suis n'y croyant pas trop. Les farines et les graisses sont interdites, ce qui permet de tourner une page, mais les coproduits animaux sont toujours là.

Ils serviront très probablement pour partie à l'alimentation humaine, sachant que nous collections par exemple des dizaines de milliers de tonnes de pieds de porc, car nos traditions culinaires font que nous en mangeons moins. Or, si des pieds de porc doivent être détruits, je suppose que l'on en congèlera et que l'on en vendra, ce qui signifie que cette source de coproduits trouvera probablement une autre voie, négative et coûteuse, ce qui resituera les marchés différemment.

En revanche, il en restera une masse importante et notre profession aura à mon avis toujours son utilité en tant que maillon d'une filière dans la mesure où il n'existe que trois solutions pour gérer les déchets animaux, la première consistant en les incinérer immédiatement, ce qui n'est pas simple et demande une grande souplesse. Or, je suis convaincu que nous ne parviendrons pas à la mettre en place.

Par ailleurs, soit on stocke, on congèle et on trouve des solutions, soit on déshydrate le produit rendu inerte, ce qui demande d'aménager des systèmes d'incinération, de faire évoluer la réglementation et d'intéresser des incinérateurs. Je pense que ce ne sera pas simple et que cela prendra des mois, voire des années, mais des actions sont menées dans ce sens.

M. le Président - Nous avons fait le tour de la question. Nous vous remercions infiniment d'avoir essayé de nous éclairer sur ce vaste problème.

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