Audition de M. Jean-Jacques ROSAYE, Président de la Fédération nationale
des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS)

(10 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - J'appelle maintenant M. Rosaye, Président de la Fédération Nationale des Groupements de Défense Sanitaire du Bétail, FNGDS, accompagné de M. Cassagne, Directeur de la FNGDS, et Mme Touratier, vétérinaire conseil de la FNGDS.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Rosaye, Cassagne et à Mme Touratier.

M. le Président - Dans un premier temps, je vous demanderais de nous présenter la position de votre organisme par rapport aux problèmes engendrés par l'utilisation des farines animales et des conséquences sur l'ESB.

M. Jean-Jacques Rosaye - Concernant la FNGDS, les groupements de défense sanitaire sont des organismes à vocation sanitaire tels qu'ils sont authentifiés par la loi du 4 janvier 2001. Cette loi fait suite aux différentes lois de 1953 et 1964.

Nous réunissons la quasi totalité des éleveurs de France puisqu'environ 96 % d'éleveurs sont volontairement adhérents aux groupements de défense sanitaire. C'est la seule structure française qui s'occupe du sanitaire dans les élevages et est représentative, en matière sanitaire, au niveau français.

Concernant l'ESB, nous intervenons en échanges avec l'Etat et notamment au niveau du soutien des éleveurs et du calcul des indemnisations dans les cas d'ESB constatés. C'est la raison pour laquelle nous intervenons plus particulièrement sur l'ESB, bien que cette prophylaxie soit gérée par l'Etat.

Par ailleurs, nous avons sensibilisé M. Henri Nallet, ministre, dès 1989 sur ce dossier. Une lettre a été remise par mon prédécesseur, M. Alain Blandin, au ministre de l'Agriculture en 1989, car lors d'une visite en Grande-Bretagne il avait remarqué un certain nombre de problèmes qui n'étaient pas très bien identifiés à l'époque et qui paraissaient alarmants.

Sur ce dossier, en préambule, dès l'origine la France a toujours pris plus de mesures que l'ensemble de ses partenaires européens. Nous avons, tant l'Etat que la profession, toujours joué la transparence sur ce dossier, même si nous nous apercevons que nous sommes, malheureusement, accusés. Je crois pourtant que nous avons été transparents et nous avons clairement expliqué la situation.

Les décisions qui ont été prises depuis 1996 à propos du retrait des matériaux à risques spécifiés, les MRS, a été, à notre avis, le point le plus important parmi les mesures de sécurité alimentaire qui étaient prises depuis 5 ans.

Il est vrai que cette maladie a un effet retard car l'incubation est d'un minimum de 5 ans sur les bovins et les effets de cette mesure ne se constatent qu'à partir de maintenant.

Par ailleurs, nous avons, depuis quelques mois, procédé à une analyse de l'évolution épidémiologique de l'ESB en France, par les données émanant du ministère ou autres. Elle est intéressante et je vous ferai part des conclusions.

Concernant l'analyse de l'ESB, elle fait apparaître deux vagues de contamination. S'agissant des différentes sorties d'animaux malades, il existe deux vagues en fonction de la date de naissance des animaux. Une première vague, concernant principalement la Bretagne, était probablement liée aux importations de farine de viande de 1987, 1988 et 1989 en provenance d'Angleterre car les animaux ont été malades en 1992, 1993 et 1994.

C'était l'expression des importations de farine de viande en provenance de Grande-Bretagne et qui, à l'époque, ont certainement augmenté. Il aurait sans doute été nécessaire de les limiter mais elles ne l'ont été qu'en 1989 et 1990.

La deuxième vague qui ressort actuellement, depuis 6 mois ou un an, concerne les animaux nés en 1994, 1995 et 1996. Il semblerait, d'après nos études, qu'il s'agirait d'animaux contaminés par des importations (de la Grande-Bretagne vers la Bretagne) qui auraient été réincorporées dans le circuit des farines françaises.

L'hypothèse la plus probable, puisque normalement il n'y avait plus de farine de viande dans l'alimentation des bovins, concerne des contaminations croisées entre l'alimentation des bovins, des porcs et des volailles.

C'est sans doute une source essentielle mais il en existe peut-être d'autres, à savoir les importations frauduleuses ; toutefois, il est plus difficile de les cerner et d'en apporter la preuve. On en entend beaucoup parler mais il est impossible d'affirmer que c'est l'une des sources les plus importantes.

Certains GDS dans les départements nous ont fait part de naturalisation de farine anglaise via les ports méditerranéens, la Belgique ou les Pays-Bas, qui importaient encore, et nous retransmettaient des farines de viande qui n'était plus britanniques lors de leur arrivée en France. Ce type de fraude est difficile à quantifier et à prouver car cela concerne les années 1993 à 1995. Selon des personnes qui ont eu quelques informations, elles n'étaient pas négligeables mais je ne sais pas à quel niveau.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Disposez-vous d'éléments susceptibles de nous éclairer davantage ?

M. Cassagne - C'est difficile car nous n'avons pas le pouvoir de la police. Des départements nous ont indiqué qu'il avait existé des farines naturalisées, sans qu'il soit possible de remonter à la source de cette information. A l'époque, on nous avait indiqué des lieux mais ces phénomènes datent de quelques années auparavant. Nous n'avons pas les moyens d'aller chercher des preuves en la matière. C'était plutôt une information a posteriori.

Nous avions, au niveau national, des échos, à des moments précis, mais ils sont arrivés tardivement. Ne disposant pas de moyens d'investigation, il ne nous était pas possible de les chercher.

En revanche, nous soutenons totalement Madame le juge Boizette qui souhaite pouvoir conduire une enquête. Cela nous semble nécessaire même si nous pensons qu'il sera difficile de trouver des preuves.

M. Jean-Jacques Rosaye - Hormis ce problème majeur de fraude, je reviendrai sur les contaminations croisées telles que nous pouvons les analyser.

La Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires a publié un rapport en 1999. On peut, à cet égard, regretter qu'elle ne publie pas de rapport chaque année ; d'autres rapport ont été réalisés avant 1999 mais ils n'ont jamais été rendus publics.

Concernant le rapport de 1999, il est indiqué : « L'état actuel des enquêtes alimentaires menées sur le cas déclaré en 1999 montre que, comme les années précédentes, à côté de possibles contaminations croisées d'élevage par des aliments destinés aux porcins ou aux volailles, ou des contaminations croisées de transport, il est mis en évidence de façon constante une possibilité de contamination croisée accidentelle d'usine par des produits susceptibles de provenir, en tout ou partie, de déchets à hauts risques de ruminants, d'au moins un aliment destiné aux bovins présents dans l'exploitation.

En effet, on peut considérer que presque toutes les usines ayant utilisé ces produits dans des aliments destinés aux volailles et aux porcs présentent, ou présentaient, à l'époque supposée de la contamination, un risque de contamination croisée si elles ont fabriqué des aliments destinés aux bovins dans la même entreprise ».

S'agissant des usines qui fournissent les aliments pour les bovins, beaucoup de celles-ci fabriquaient des aliments pour les porcins, les volailles et les bovins, sans avoir de chaîne distincte de production entre les trois espèces.

Quand la fabrication d'une catégorie d'aliments était terminée, on passait à la catégorie suivante. En raison du type de fonctionnement de ces usines, il est évident qu'il doit toujours rester un dépôt à un stade quelconque de la filière. Il peut s'agir de quelques dizaines de kilos qui peuvent repartir dans la fourniture suivante. Ce risque important existait avant 1996 puisqu'après 1996 les morceaux à risques étaient enlevés des farines de viande, quelle que soit leur destination. Avant 1996, si des farines de viande destinées aux porcs et aux volailles entraient dans l'alimentation bovine, des morceaux à risques pouvaient être incorporés.

Concernant les contaminations croisées des exploitations, il n'est pas possible de les nier car certaines élevaient des porcs et des bovins sur la même exploitation. Quand un lot d'aliments pour les porcs était terminé, il pouvait en rester au fond du silo.

L'AFSSA avait fait une étude à propos des premiers tests réalisés sur Prionics et parmi les 26 premiers cas d'ESB, 20 producteurs ne réalisaient qu'un seul type de production. Il n'est pas possible de généraliser.

S'agissant des transports, qui constituent un autre point important, on sait que pour transporter les aliments en vrac par camion les produits sont séparés par des cloisons. Il était donc possible qu'un même camion livre plusieurs productions, de l'aliment pour bovins et pour porcins. Mécaniquement, lors de la fin d'une livraison, 20 ou 30 kilos d'aliments pouvaient rester dans la vis sans fin et ils étaient refoulés avec la deuxième livraison. Je suis éleveur et quand un camion me livre des aliments je constate, même actuellement, que des granulés ne sont pas de la même couleur que ceux de ma commande d'aliments.

De plus en plus d'usines sont spécialisées et créent des chaînes spécialisées ou enlèvent les farines de viande de leur production. C'est donc un peu moins vrai. De plus, les farines de viande sont plus sécurisées qu'il y a 4 ou 5 ans.

Dans les usines on pouvait constater un autre phénomène, à savoir des possibilités de réincorporation de retour. Quand une exploitation n'utilisait pas tout un lot d'aliments pour des porcins ou des volailles, le fournisseur s'engageait à le reprendre. L'usine reprenait donc les aliments mais je ne sais pas s'ils repartaient dans une chaîne concernant la même catégorie d'animaux.

Il semble, à nos yeux, que cette contamination croisée constitue la majeure partie des risques rencontrés dans les années 1992 à 1996 alors que les farines n'étaient pas sécurisées. Les fabricants n'étaient sans doute pas aussi rigoureux qu'aujourd'hui sur les croisements d'aliments.

Comment expliquer cette situation ? Avant 1996, on ne parlait pas d'ESB comme on le fait depuis mars 1996 et depuis la déclaration du ministre anglais de la Santé.

Il existait des recommandations mais il n'est pas possible de savoir si les usines les appliquaient totalement. Je ne pense pas que ce soit le cas car la séparation des chaînes d'alimentation n'était pas effective et je ne pense pas que toutes les mesures aient été prises correctement entre 1990 et 1996.

Concernant l'application de la réglementation, le pourcentage de farine d'os devait être de moins de 0,1 % avec la possibilité d'incorporer 0,35 % de farine de viande. Ce n'est pas négligeable puisque cela constitue 3,5 kilos de farine de viande pour 1 000 kilos d'aliments. C'était réglementaire.

Selon les chiffres de la DGCCRF, le pourcentage d'échantillons analysés et situés au-delà de ce chiffre n'était pas négligeable : en 1997, 4,2 % étaient au-delà du 0,1 % réglementaire, en 1998, 1,2 % et en 1999, 1,64 %. Ce n'est pas beaucoup mais c'est plus que zéro.

Un autre point a participé à la moindre vigilance des différents intervenants. Au niveau des scientifiques, le principe admis au début, et la commission d'enquête britannique l'avait souligné, était que la dose contaminante pour le bovin était élevée. Or, après un certain nombre d'études, il s'est avéré qu'une dose de moins de 1 gramme pourrait contaminer un bovin. De ce fait, très peu de morceaux à risques étaient nécessaires pour contaminer un bovin. A l'époque, en estimant que la dose contaminante était élevée, on pensait avoir une marge de manoeuvre importante alors que ce n'était pas vrai.

On peut s'interroger sur l'absence de prise en compte de cette dose contaminante par les scientifiques ; cela aurait pu être un seuil d'alerte pour les usines.

Un autre point est, selon moi, important, à savoir le problème des contrôles : ont-ils été effectués correctement ou assez fortement ?

Ce n'est pas tout à fait sûr puisque l'office alimentaire et vétérinaire européen indiquait, en 1999, que certains problèmes existaient. Ses représentants avaient visité deux établissements de fabrication d'aliments : l'un était satisfaisant en fonction des législations européenne et française, mais l'autre n'avait pas fait la preuve de son efficacité sur la mise en place des ces mêmes législations.

Le nombre d'échantillons prélevés n'était pas suffisant par rapport au nombre d'usines ou aux productions d'aliments faites en France. La DGCCRF avait réalisé 307 prélèvements en 1997, 419 en 1998 et 380 en 1999. En rapport avec le nombre d'usines en France, c'est sans doute plus que cela. Je ne pense pas que toutes les usines aient été contrôlées au moins une fois chaque année. De plus, la répartition géographique n'a pas été effectuée correctement.

Ceci soulève deux questions de nature plus ou moins politique : pourquoi aucun protocole standardisé de contrôle sur la maîtrise des procédures de fabrication n'a-t-il été défini, en particulier par l'Etat, et pourquoi l'instance d'évaluation, l'Agence Française de Sécurité sanitaire des Aliments, n'en a-t-elle pas exprimé le besoin ?

L'AFSSA n'a jamais indiqué qu'il était nécessaire d'avoir un protocole standard de contrôle et n'a jamais insisté dans ce sens.

Par ailleurs, au niveau de l'estimation dans les exploitations ayant eu un cas d'ESB, une enquête a été réalisée sur le terrain par les vétérinaires. Dans les premières phases d'expérimentation du test Prionics, sur les 32 premières exploitations où un cas avait été détecté, seules pour 26 l'enquête est remontée à l'AFSSA. Cela nous interroge car 6 cas n'ont pas été analysés en détail : je ne sais pas si c'est normal.

Concernant les moyens, au niveau de la Direction Générale de l'Alimentation on constate une baisse constante des moyens mis en place, notamment en matière d'effectifs, pour faire les contrôles ainsi qu'assurer le suivi de l'ensemble de la traçabilité et le suivi sanitaire.

Tant au niveau de la centrale nationale que des services vétérinaires départementaux, le programme de création d'emplois sur deux ans, annoncé par le ministère de l'Agriculture, permet à peine de compenser les pertes de ces dernières années en effectifs alors que l'on met de plus en plus de missions, au niveau des services vétérinaires, de contrôle, d'inspection, de suivi en matière d'ESB, de maîtrise des abattages dans les élevages où le cheptel est positif, etc. Notamment dans les départements de l'Ouest, certains services vétérinaires sont dépassés parce qu'ils n'ont pas assez de moyens en termes d'effectifs.

En conclusion, pour résumer notre analyse, les cas nés après l'interdiction des farines depuis 1990 résultent essentiellement d'une contamination croisée des aliments (à l'usine, au transport ou dans l'exploitation), entre les années 1992 à 1996, ayant contaminé les bovins qui sont actuellement positifs. Les contrôles n'ont pas été suffisants et, de plus, leur nature et leur nombre n'ont pas pu permettre d'éviter ce risque.

Néanmoins nous sommes convaincus que des fraudes ont certainement été faites sans que nous puissions les quantifier, ni en apporter la preuve ; ce ne sont pas seulement des rumeurs. Il est difficile de savoir à quel niveau, par qui et comment elles ont eu lieu. Ce serait difficile à prouver et nous n'avons pas les moyens de le faire. Il est évident que ce point a pu être la source d'un risque.

Un point doit être soulevé en matière de santé publique. On entend beaucoup de choses et parfois n'importe quoi au niveau des médias. Il ne faut pas oublier l'effet d'optique dû aux durées d'incubation de la maladie à propos des bovins. Les effets concernant les mesures mises en place aujourd'hui ne seront visibles que dans 5 ans. Les mesures mises en place en 1994, 1995 et 1996 auront des effets à partir de 2001 et 2002.

Je ne sais pas si les mesures mises en place cette année étaient justifiées. Il aurait sans doute fallu attendre que les mesures mises en place dans les années 1996 aient un plein effet avant de procéder à la mise en place de nouvelles mesures qui s'ajoutent les unes aux autres et ne sont pas toujours bien contrôlées.

Je rappelle les propos de l'Union fédérale des consommateurs et une analyse très bien réalisée : « Les principaux risques à la consommation existaient dans les années 1988 et 1989 et sont beaucoup plus faibles aujourd'hui. Les mesures d'interdiction d'incorporation des farines de viande et d'os dans l'alimentation des bovins, en 1990, et surtout la décision de retrait et de destruction des matériaux à risques spécifiés de tout aliment pour toute espèce, en 1996, constituent les deux mesures essentielles pour la sécurité du consommateur ».

Au niveau de la FNGDS, nous partageons totalement cette analyse du risque. Depuis 1996, la France a pris un certain nombre de mesures qui sont de bons sens et porteront leurs fruits seulement maintenant.

S'il existait des contaminations entre 1990 et 1996, seraient-elles quantifiables ? Je ne le sais pas. C'est difficile à affirmer puisque les scientifiques britanniques avaient essayé de faire des simulations scientifiques sur l'évolution de la variante de la malade de Creutzfeldt-Jakob dans les 10 ou 20 ans à venir. Au niveau de la contamination des bovins, il n'est pas possible de savoir quelle était la contamination exacte à l'époque. Elle reste très faible en France ; en rapportant les cas positifs par rapport au cheptel bovin français, elle est de l'ordre de quelques animaux par million de têtes de bétail : nous avons 20 millions de têtes de bétail et depuis 1991, soit en 10 ans, nous avons eu 250 cas, ce qui est relativement peu par rapport à la Grande-Bretagne (avec 190 000 cas) et d'autres pays comme la Suisse.

Mme Touratier - Par rapport à leur population bovine, ils ont trois fois plus de cas. Il est important de rapporter ces chiffres aux bovins de plus de 24 mois qui sont susceptibles de faire une ESB. Actuellement, l'incidence augmente dans notre pays, ce qui pose un problème, mais elle reste faible : en incidence glissante sur les 12 derniers mois, le nombre de cas est de 15 par million de bovins de plus de 24 mois. Une maladie qui concerne quelques dizaines d'individus par million d'individus est une maladie à incidence faible.

Le problème est que ces incidences augmentent puisqu'il y a 12 mois il s'agissait de 3 cas par million de bovins. Bien qu'il s'agisse d'une multiplication par 4 ou 5 du nombre de cas, l'incidence reste faible. On peut concevoir que sur un cheptel de 20 millions de bovins, les contaminations croisées, avec cette dose contaminante faible, produisent les effets actuels.

M. Jean-Jacques Rosaye - Les différents ministres, de l'Agriculture et autres, ont pris, au niveau de la France, de bonnes mesures pour protéger la santé du consommateur essentiellement et pour éradiquer la maladie progressivement dans les élevages. Il est vrai que nous avons été mis à l'index car nous avons mis en place des tests en place au niveau français : comme on dit, qui cherche trouve. Malheureusement, quand on trouve on est mis à l'index mais c'est une manière de protéger les consommateurs.

La FNGDS a demandé à Monsieur le ministre de l'Agriculture qu'une commission d'enquête publique, comparable à celle de Grande-Bretagne, soit mise en place et qu'elle dispose de larges moyens d'investigation pour aller plus en profondeur, notamment en termes de fraude. Si des fraudes ont existé, il faut les trouver et les dénoncer. Actuellement, nous n'avons pas les moyens de le faire. La brigade vétérinaire enquête mais je ne suis pas sûr qu'elle puisse aller jusqu'à l'investigation assez approfondie pour dénoncer les fraudes.

Les contaminations par les farines de viande, dans les années 1990/1996, résultent pour une grande part des contaminations croisées en usines, et éventuellement en transport et en exploitation. La pression des contrôles a été insuffisamment harmonisée. Les moyens des services concernés n'étaient pas là pour le faire.

La question en matière de sécurité sanitaire porte moins sur les farines carnées en elles-mêmes que sur le retrait des matériaux à risques spécifiés. Alors que depuis 1996 la France a pris des mesures, d'autres pays européens n'ont pas procédé à de tels retraits. En matière de circulation des farines de viande (cela nous a été dit par les représentants du ministère), ce marché était, jusqu'à il n'y a pas très longtemps, un marché communautaire ; de ce fait, les frontières des pays n'existant plus au niveau communautaire, des farines étrangères à la France pouvaient arriver en France. Ce risque porte donc une interrogation.

De plus, des pays n'ayant pas pris de mesures depuis 1996, des produits animaux rentraient encore en France jusqu'à il y a très peu de temps et ont pu apporter un risque au niveau de la sécurité alimentaire de la France.

Enfin, de manière plus large, il est nécessaire de faire part de l'analyse de la FNGDS quant aux luttes d'influence entre les ministères, tant sur ce dossier que, plus généralement, sur celui de l'ESB. Ce qui apparaît comme une véritable guerre des ministères, et de leurs services, perturbe en profondeur la lisibilité et l'efficacité des mesures prises. Dans un climat de surenchère, de suspicion ou de critique permanente, l'opinion publique et les producteurs finissent par en être les victimes : les uns parce qu'ils sont les enjeux de la communication et de la volonté de pouvoir et les autres parce qu'ils assistent, impuissants, notamment les éleveurs, à la destruction exagérée de leur outil de travail et à la mise en accusation devant cette même opinion publique.

Les éleveurs ont été souvent mis à l'index depuis quelques mois concernant ce dossier. Leur sentiment sur le terrain est une exaspération car ils ne sont pas plus la cause de cette vague d'ESB que n'importe qui. Ils en sont les victimes.

M. le Président - Concernant la copie du courrier figurant dans votre dossier, existe-t-il une réponse ?

M. Cassagne - Les ministres n'ont pas toujours l'habitude de répondre au courrier qu'on leur adresse. En revanche, très rapidement, des premières réunions ont eu lieu, auxquelles nous participions, au niveau de la Direction Générale de l'Alimentation, pour faire le point sur ce dossier et voir ce qui pourrait être fait dans l'hypothèse où, en France, un cas se produirait.

M. le Rapporteur - Êtes-vous satisfaits du dispositif d'identification et de contrôle des mouvements d'animaux au niveau européen ?

Il nous a semblé lire dans la presse, ces jours derniers, que le laboratoire Boehringer Ingelheim aurait mis au point un test ante-mortem sur la détection de l'ESB. Avez-vous quelque information fondamentale sur ce point ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Sur l'identification, je pense que depuis la dernière réforme, en date de 1998, l'identification fonctionne bien en France et est fiable. Je n'affirme pas qu'il n'existe pas de fraude, car de telles possibilités peuvent exister, mais elles sont très minimes.

Nous disposons d'un système informatique permettant de suivre les animaux et d'avoir connaissance de documents les concernant.

Des contrôles des services vétérinaires, qui ont lieu dans les élevages depuis deux ans, ont permis de remonter de petites infractions mais pas de grosses infractions permettant d'affirmer qu'il existe une fraude. De ce côté, je ne pense pas qu'il existe de problème majeur.

M. le Rapporteur - Sur les carcasses et, à la fin, sur l'étal du boucher, considérez-vous que des progrès doivent être faits en la matière ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Je ne connais pas toute la filière jusqu'à l'étal du boucher. Depuis un an et demi ou deux ans, tout le monde fait des efforts pour identifier tous les morceaux. Le plus gros problème est certainement au niveau de la restauration collective où il est très difficile d'aller jusqu'aux consommateurs. Il existe un point où il faut s'arrêter et la traçabilité est très difficile à réaliser jusqu'aux consommateurs ; toutefois, tout le monde essaie, au moins pour rassurer les consommateurs, d'apporter le maximum d'informations.

M. Cassagne - Le système de traçabilité français est constitué de l'identification et de l'étiquetage. Qu'attend-on de ce système et que veut-on savoir ? Le consommateur peut savoir que le morceau de viande qu'il achète provient de l'exploitation de M. Rosaye. En termes de marketing, c'est rassurant pour le consommateur mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel est que les contrôles permettent d'assurer la traçabilité du morceau de viande jusqu'au bovin ou l'inverse.

Le système est sans doute perfectible mais, globalement, nous avons la sensation que le système de traçabilité, tel qu'il est actuellement, permet globalement la traçabilité selon la formule « de la fourche à la fourchette » et de « l'étable à la table ».

Nous en parlions avec des personnes d'Interbev et, globalement, on peut l'assurer. J'avais cru comprendre que votre question avait une dimension européenne, ce qui constitue une tout autre situation.

Concernant l'exemple de la restauration collective, vous êtes souvent, Messieurs les Sénateurs, des élus locaux, des maires, et vous devez vous occuper de cantines scolaires. Cela dépend probablement de la taille des communes, c'est souvent en régie directe mais vous passez également par l'intermédiaire d'entreprises. Vous avez sans doute eu la curiosité de regarder, dans le cadre d'appels d'offres, les réponses qui sont fournies. Nous avons pratiqué cela, sous une autre forme, pour la ville de Paris.

La traçabilité est assurée, sur les viandes d'importation, à partir de l'abattoir. Il est impossible de remonter, pour les entreprises ayant répondu à l'appel d'offres et proposant des animaux abattus en Hollande, au-delà de l'abattoir dans lequel l'animal a vécu ses derniers instants. Alors qu'en France on peut remonter jusqu'à l'exploitation d'origine, dans ce cas c'était absolument impossible.

Ceci, dans le système que nous connaissons, ne présente pas, à nos yeux, un niveau de garantie suffisant. Les choses changeront ; on le constate avec ce qui se passe en Allemagne. Des pays se sont présentés comme indemnes d'ESB, malgré l'avis des scientifiques (ils faisaient de l'ESB sans cas clinique), et la libre circulation faisait qu'il n'existait pas de traçabilité totale depuis l'élevage jusqu'à l'abattoir.

M. le Rapporteur - Cela voudrait dire que des animaux importés d'un pays de l'Union Européenne et abattus sur le territoire français n'auront de traçabilité qu'à partir de cet abattoir.

M. Cassagne - Jusqu'en octobre 2000, il n'existait pas de décision européenne de retrait des matériaux à risques spécifiques. Parmi les pays européens, beaucoup, pas très loin de la France, ne procédaient pas à ce retrait alors que l'on sait, sur un plan scientifique, que c'est la mesure, certes pas unique mais essentielle en matière de sécurité alimentaire. Ce manque de traçabilité et cette absence de retrait des matériaux à risques spécifiques font que s'il existe des risques sanitaires pour la santé publique, ils doivent probablement être recherchés du côté d'animaux de ce genre plutôt que sur des animaux français.

Cela ne signifie pas qu'en France tout est propre et clair. Toutefois, l'effort fait en France en matière d'identification (certains pays ont mis en place très tard des systèmes d'identification inférieurs à ce qui existait en France dès 1998) procure une garantie supplémentaire, probablement mal vendue auprès du consommateur, et que l'on ne trouve pas, ou de manière insuffisante, dans certains autres pays européens.

J'ajoute, en matière de traçabilité sanitaire, qu'actuellement le ministère de l'Agriculture est en voie de finalisation d'un logiciel informatique répondant au nom de « Civet et Marcassin » : « Civet » parce qu'il s'occupe d'hygiène alimentaire et « marcassin » pour la santé animale. Ce logiciel sera déployé d'ici septembre 2001 dans l'ensemble des département français, à savoir les Directions des services vétérinaires et les groupements de défense sanitaire : Marcassin renforcera la traçabilité sanitaire des animaux et Civet fera de même pour les produits.

Dans le même temps, il devrait renforcer la capacité d'intervention des services vétérinaires de contrôle en permettant d'assurer une traçabilité renforcée puisque toutes les informations seront stockées sur une base nationale située à Toulouse. Les contrôles seront donc beaucoup plus faciles ; en cas de problèmes sanitaires, les services de contrôle pourront intervenir beaucoup plus rapidement et conduire beaucoup facilement les enquêtes épidémiologiques nécessaires. Nous avons donc plutôt une bonne identification en France. Nous allons renforcer, sur le plan sanitaire, cette traçabilité par un logiciel unique de santé animale et d'hygiène alimentaire.

Dans un autre temps, nous considérons que le risque, même s'il est très difficilement quantifiable, repose plus sur des animaux étrangers que sur des animaux français.

M. Jean-Jacques Rosaye - Concernant un test ante-mortem, je souhaiterais citer une phrase du Professeur Dormont à qui la question avait été posée concernant la date d'obtention d'un tel test. Il nous avait répondu, à nous, éleveurs, qu'il espérait que l'on n'en trouve jamais.

En effet, le prion, en tant que tel, ne se trouve que dans le système nerveux central, en phase terminale. Pour trouver le prion, il faut abattre l'animal pour analyser le cerveau et la moelle épinière. Si l'on trouve un test permettant de détecter le prion sur le lait ou sur le sang, cela signifiera que la contamination se fait par le lait, le sang ou la viande. De ce fait, le risque est important.

Je ne sais pas s'il existe d'autres moyens indirects, peut-être par des déductions scientifiques, de trouver le prion qui se trouve dans le cerveau.

Mme Touratier - Je complète cette réponse. Aujourd'hui, le modèle le plus sensible permettant de détecter le prion est celui de l'inoculation intracrânienne à la souris. Des essais expérimentaux ont été faits sur des bovins et des veaux, essentiellement en Grande-Bretagne, avec des doses contaminantes expérimentales extrêmement élevées, à savoir d'environ 100 grammes. On fait ingérer à des veaux 100 grammes de cerveau de vache folle. Cela constitue entre 100 et 1 000 fois plus que la dose contaminante déterminée -dont il a été question tout à l'heure- qui est très faible puisqu'elle se situe à moins d'un gramme de cerveau de vache folle.

Ces doses expérimentales sont extrêmement importantes. Ensuite, régulièrement, tous les 4 mois, on découpe en morceaux des lots d'animaux : 50 tissus sont ensuite inoculés par voie intracrânienne à des souris calibrées pour cela.

Avec ces essais (qui sont aujourd'hui le modèle le plus sensible, qui ne détecte pas le moindre prion, en raison d'un seuil de sensibilité des techniques, bien qu'elles soient très sensibles) on ne retrouve du prion que dans une fraction du tube digestif, ou plutôt dans les plaques de Peyer, uniquement lors d'essais expérimentaux. En effet, sur des animaux atteints naturellement, on ne trouve rien, y compris dans les plaques de Peyer, parce que les doses contaminantes naturelles sont probablement très inférieures à ces doses expérimentales.

Dès 6 mois après la contamination expérimentale, on retrouve des traces de prion dans ces plaques de Peyer, à un taux faible, tout au long de l'incubation. On ne commence à retrouver du prion, à des doses faibles, que 32 mois, au plus tôt, après. Cette dose augmente dans le système nerveux central (cerveau, moelle épinière et un certain nombre de ganglions le long de la moelle épinière) et cette quantité de prion n'explose véritablement dans ce système nerveux central que dans les 3 à 6 mois qui précèdent l'apparition des signes cliniques.

C'est ce que l'on observe avec des doses expérimentales extrêmement fortes. Personne ne peut dire que l'on n'en trouvera pas ailleurs car il existe un cheminement de ce prion dans l'organisme, depuis le tube digestif, puisque la contamination se fait par voie orale, jusqu'au système nerveux central.

Il existe deux voies de recherche fondamentales : la voie du système lymphatique ou la voie d'un certain nombre de troncs nerveux. Pour le dire diplomatiquement, il est extrêmement curieux qu'un laboratoire annonce qu'il mettra au point, dans les mois à venir, un test sur le sang. En effet, tous les éléments scientifiques, qui se recroisent et sont confirmés depuis des années, rendent plus que curieux ce genre d'annonce.

Même si l'on en avait trouvé dans le sang des animaux, ce qui n'est pas le cas chez les bovins, ce type de test est extrêmement délicat à valider. Cela nécessite à grande échelle, comme on le constate avec les tests Prionics ou les tests rapides, de valider des erreurs par défaut ou par excès. Ce sont des protocoles extrêmement délicats et, très franchement, pour le dire un peu moins diplomatiquement, ce genre d'annonce tient plus de la gesticulation que de ce que l'on sait au niveau de ce qui est publié scientifiquement.

J'ai lu cette annonce dans la presse. Ensuite, des responsables viennent tempérer ce genre d'annonce mais elles tiennent plus du marketing, ou du commercial, que du fondé au plan scientifique.

M. Cassagne - Le laboratoire a peut-être trouvé quelque chose. Puisqu'il n'existe rien d'autre qu'une rumeur et une information prospective, pour l'instant il ne faut pas se baser sur cette information.

Mme Touratier - Le problème de ce prion est qu'il n'existe pas de réaction. On pourrait rechercher un indicateur, et non pas directement le prion, qui augmenterait au niveau sanguin dans le cas d'une contamination par le prion.

La validation d'un test, quand on cherche l'agent lui-même, est très complexe mais quand on passe par un indicateur indirect la validation ne se compte pas en mois mais en années. Sans être scientifique, je dispose d'une certaine culture scientifique, et je suis extrêmement surprise devant ce genre de déclaration qui ne coïncide pas avec ma culture scientifique.

M. Jean-François Humbert - Je suis désolé de revenir sur un élément car je sais que vous ne pourrez pas répondre autre chose que ce que vous avez déjà répondu. Vous avez parlé, à plusieurs reprises, d'importations frauduleuses en nous disant que les informations sont celles de « l'homme qui a dit à l'homme qui a dit à l'homme etc. ». Toutefois, ne pourrions-nous pas en savoir plus ?

Notre mission est d'essayer de comprendre un certain nombre de choses et, sans vouloir vous demander de procéder à telle ou telle délation, n'a-t-on pas, ici ou là, assisté à quelques premières procédures judiciaires, notamment dans l'Est de la France, en région Lorraine et même dans les Vosges ?

Sans avoir à citer qui que ce soit, en respectant le secret de l'instruction ou la présomption d'innocence, en regardant du côté de l'Est, pourrions-nous avoir quelques premiers éléments de réponse ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Je connais le dossier car ce n'est pas loin de chez moi dans les Vosges.

L'étude en cours concerne la recherche de farine de viande dans les silos d'aliments d'un éleveur dont le bétail a été touché par l'ESB. Même si on retrouve de la farine de viande dans cet aliment, est-ce dû à une contamination croisée ou à une fraude ? Je ne peux pas répondre.

Je pense, mais je ne peux rien prouver, qu'il s'agit plutôt de contamination croisée d'avant 1996 puisqu'ils recherchant dans des silos ayant quelques années. Des morceaux d'os ont été retrouvés : s'agit-il de farines d'os d'avant 1996 et qui auraient pu être croisées avec d'autres aliments, soit au camion soit à l'usine, ou est-ce frauduleux ? Je ne peux pas le dire car je n'ai aucune preuve sur ce sujet.

M. Cassagne - Nous avons connaissance de quelques exemples, par la presse, d'actions en justice qui avaient été engagées. Les informations dont nous disposons complétaient certains points. On a vu, à l'époque, comment cela s'est terminé ; il est très difficile de retrouver les preuves car certaines entreprises, en dehors d'une comptabilité, n'ont aucune archive. Ce n'est pas une obligation : elles peuvent être détruites par le feu, disparaître ou être volées. Il est donc extrêmement difficile d'apporter la preuve de ce qui aurait pu éventuellement se passer à tel ou tel endroit.

Dans les processus de justice qui se sont produits dans un certain nombre de cas, nous avons constaté l'impossibilité, pour la justice et les enquêteurs, d'aller au-delà d'un certain nombre de choses car il n'existait aucun moyen d'aller dans un sens ou dans un autre. C'est sans doute un travail de longue haleine.

Il faudrait d'ailleurs que ce soit coordonné au niveau européen car il s'agissait d'un problème européen. On sait qu'il existe, dans d'autres secteurs tels ceux des hormones ou d'autres médicaments, des filières mafieuses de distribution « sous le manteau » de médicaments.

Cela ne signifie pas que tous les éleveurs sont des criminels ou que tous les vétérinaires sont des complices. Ce genre de situation existe et provient d'autres pays. Le Président de la FNB avait apporté des exemples extrêmement précis à la Direction Générale de l'Alimentation sur le trafic de produits médicamenteux. Cela se heurte à certains niveaux et c'est au niveau européen que l'Europe de la sécurité sanitaire, ou des investigations sanitaires, devrait être plus efficace car la France se heurtera toujours à ces mêmes situations sans qu'il soit possible d'aller plus loin. Nous avons d'ailleurs pu voir, sur M6, un reportage concernant un marchand de bestiaux qui était poursuivi par la Police française et dînait tranquillement dans un restaurant belge.

Le problème ne pourra pas, à ce niveau, être résolu dans l'espace intérieur de chaque pays mais plutôt dans l'espace intérieur de l'Union Européenne.

M. Jean-Jacques Rosaye - Jusqu'en 2000, le marché de la farine de viande était européen. Cela signifie que même si la France sécurisait ses farines de viande, des farines de viande pouvaient transiter ou passer en France, tout à fait légalement, en provenant de pays où les morceaux à risques et des bovins morts étaient encore inclus dans ces farines de viande. Ceci se faisait en toute légalité puisqu'il s'agissait d'un marché européen.

Mme Touratier - Concernant la difficulté d'apporter une preuve, il faut constamment avoir en perspective le problème de l'incubation. Nous évoquons des faits qui se sont déroulés en moyenne 6 ans plus tôt ; en effet, en France l'incubation moyenne des cas d'ESB est de 5 ans et 10 mois. Par ailleurs, certains animaux ont une incubation très supérieure à cette moyenne.

Sur le plan juridique, c'est très complexe car cela se heurte à des difficultés d'apporter des preuves ainsi que, sans doute, à des délais de prescription.

Par ailleurs, la date de 1996, celle du retrait des matériaux à risques spécifiés, est déterminante en matière de diminution et de maîtrise des risques. Par contre, les contaminations croisées ont persisté même si elles ont diminué visiblement après 1996. Concernant les chiffres de la DGCCRF, l'analyse a été mise au point en 1997. S'agissant de la tendance de la courbe de ces échantillons qui sont à plus de 0,1 % d'os, soit plus de 0,3 % de farine de viande et d'os, elle est de 4,2 % en 1997, 1,3 % en 1996 et 1,6 %, ou 1,7 %, en 1998.

M. Cassagne - Les chiffres sont de 4,2 % en 1997, 1,2 % en 1998 et 1,64 % en 1999.

Mme Touratier - Pour les chiffres publiés jusqu'à récemment par la DGCCRF, 0 % en 2000, avec une augmentation du nombre d'analyses sur la dernière partie de 2000. La tendance est à la baisse.

Or, si on met en perspective l'incubation qui est de 6 années, les cas observés actuellement concernent des animaux nés entre 1993 et 1995, avant ces analyses. Si on reconstitue la courbe, le taux de contamination croisée était probablement supérieur durant ces années-là.

Sur un cheptel de 20 millions de bovins, sans parler des fraudes sur lesquelles nous n'avons pas d'information tangible, au plan épidémiologique je trouve qu'il n'y a rien de mystérieux à voir quelques dizaines de bovins contaminés, de surcroît avec une dose contaminante faible.

M. Cassagne - L'autre méthode consiste à augmenter la pression de contrôle ; il faut que le pouvoir régalien intervienne, mais ceci repose le problème des moyens : un demi contrôleur n'est pas suffisant pour surveiller 3, 10 ou 20 camions. Je ne dis pas qu'il faut augmenter le nombre de fonctionnaires ; il existe d'autres méthodes passant par l'intermédiaire des vétérinaires libéraux. Toutefois, sur certaines prestations ceux-ci nous disent que les tarifs sont ceux d'une femme de ménage.

M. Paul Blanc - A peine !

M. Cassagne - Ne pouvant pas faire appel aux fonctionnaires de l'Etat, qui sont en nombre insuffisant, il faut s'adresser à des vétérinaires, dans le cadre du mandat sanitaire, pour effectuer certains contrôles. Dans un cas, nous ne disposons pas des moyens et dans l'autre cas il n'y a pas non plus de moyens pour que les vétérinaires puissent accomplir décemment ces missions.

La pression est largement insuffisante et il faut attendre 5 ou 6 ans pour savoir ce qui s'est passé. C'est un problème de moyens et notamment de moyens au niveau des services vétérinaires.

M. Jean-François Humbert - Concernant l'importation frauduleuse, nous avons lu et entendu un certain nombre de remarques depuis que cette Commission a commencé à travailler. L'une des hypothèses (qui n'est pas prouvée, mais on le sait) est que les Anglais ont continué à fabriquer des farines de viande, qu'elles auraient éventuellement transité par l'Irlande et seraient ensuite revenues en France, par un circuit qui n'est pas complètement éclairé et élucidé, en passant sans doute par la Belgique à laquelle vous faisiez allusion. Je suis désolé d'insister davantage mais ne pouvez-vous pas nous en dire plus, vos informations sont-elles insuffisantes ?

M. Cassagne - Nos informations concordent avec les vôtres car, comme vous, nous l'avons lu dans la presse. En effet, les farines irlandaises n'ont pas fait l'objet des mêmes dispositions que les farines anglaises et les liens historiques de la Grande-Bretagne avec l'Irlande peuvent nous laisser faire certaines suppositions. C'est une hypothèse totalement plausible.

Toutefois, je ne suis pas certain qu'il aurait fallu naturaliser belge, portugais, etc. ces farines ; elle étaient irlandaises et auraient probablement pu aller dans un certain nombre de pays. Nous ne vous apporterons rien de plus par rapport à vos propres informations car nos seules informations reposent sur des rumeurs et des indications. Cela fait un faisceau de présomptions dont on peut considérer qu'il est un embryon de preuve. Malgré cela, nous n'avons pas de « papier miracle » à vous communiquer.

M. Georges Gruillot - Je regrette de vous pousser dans vos retranchements. Vous êtes ici devant une commission d'enquête, vous êtes tenu d'y dire tout ce que vous savez, sous peine d'un certain nombre de difficultés consécutives. Or, quand je prends votre document, dans le dernier paragraphe vous vous permettez d'écrire, en parlant des luttes d'influence entre ministères, tant sur ce dossier que généralement sur celui de l'ESB : « Ce qui apparaît comme une véritable guerre des ministères, et de leurs services, perturbe en profondeur la lisibilité et l'efficacité des mesures prises dans un climat de surenchère, de suspicion et de critiques permanentes. L'opinion publique, ainsi que les producteurs, finissent par en être les victimes, les uns parce qu'ils sont les enjeux de la communication et de la volonté de pouvoir.... ».

Vous vous permettez d'écrire une critique très grave mais vous l'écrivez en termes si généraux que cela ne signifie pas dire grand-chose. Or, je pense que vous n'avez pas écrit cela sans avoir en tête des exemples et des cas très précis à nous signaler. Vous devez, devant une commission d'enquête, nous donner plus de précisions dans ce domaine et nous informer de ce que vous savez. Je ne pense pas que vous vous seriez permis de l'écrire en termes généraux.

M. Jean-Jacques Rosaye - Sur ce dossier de l'ESB, beaucoup de choses ont été dites depuis quelques mois. On s'aperçoit qu'un certain nombre de ministères, ou de représentants de ceux-ci, pratiquent des annonces publiques, parfois contradictoires, qui font que la communication auprès du public est de plus en plus illisible et rend la psychose encore plus importante.

Pour ne rien cacher, on sent un certain tiraillement entre le ministère de la Santé et le ministère de l'Agriculture ; c'est évident et sensible. L'un dit que l'autre ne fait pas assez, le second répond qu'il fait le maximum, etc. Quand un ministre ou un secrétaire d'Etat annonce à la télévision que des dizaines ou des milliers de cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob seront enregistrés dans les prochaines années, cela ne réconforte pas le consommateur. Scientifiquement, il n'existe aucune preuve et cela ne va pas dans le bon sens.

M. le Rapporteur - Avez-vous eu des échanges épistolaires avec les différents ministères sur ce point précis ?

M. Jean-François Humbert - C'est un document officiel et ce que vous écrivez est grave.

M. Cassagne - C'est une analyse de la FNGDS ; c'est notre vision. Il est, pour nous, clair qu'il existe une lutte d'influence entre les ministères sur l'affaire de l'ESB. Cette lutte est probablement fondée sur une appréciation différente de la notion du principe de précaution. Il s'agit probablement, cela n'engage que moi, au ministère de la Santé d'un traumatisme dû au sang contaminé avec la volonté de s'entourer du maximum de garanties absolues.

Du côté du ministère de l'Agriculture, il existe la même volonté d'appliquer le principe de précaution. Il existe toutefois une différence d'appréciation puisqu'il s'agit, d'un côté, de médecins et, de l'autre, de vétérinaires qui sont sur le terrain avec les animaux. Bien qu'il s'agisse de médecine dans les deux cas, il s'agit d'une médecine vétérinaire et d'une médecine humaine et il n'est pas possible de calibrer les deux pour n'en faire qu'une seule.

Ensuite vous avez, comme dans toutes les Administrations, des querelles et des luttes d'influence. Quand cela s'exprime publiquement, c'était le cas du ministère de la Consommation il y a quelque temps, cela apparaît comme une surenchère non fondée, ni scientifiquement ni épidémiologiquement, et donne l'impression que l'un ou l'autre veut, dans cette « course à l'échalote », dans laquelle chacun veut essayer de récupérer le « bébé », la Santé considérant que le dossier serait mieux géré par elle et l'Agriculture estime que les vétérinaires connaissent bien la santé animale et le problème de la santé publique.

Cela me semble humainement normal. Toutefois, à certains moments, cette situation laisse transparaître dans la presse, de manière directe ou indirecte, que certains services ne font pas bien leur travail. Cela constitue un jugement rapide et il faudrait plutôt vérifier si les services incriminés disposent de moyens réels pour conduire ces missions.

Il ne s'agit pas de prêter à nos propos une mise en accusation en parlant de « guerre » entre ministères ; nous utilisons des guillemets car ce n'est qu'une image. Dieu merci, nous n'en sommes pas là.

M. Jean-François Humbert - Je me contente de lire ce que vous avez écrit. Je me serais jamais permis d'écrire cela et j'estime que vous prenez des risques.

M. Cassagne - La notion de prise de risques et le principe de précaution sont très forts.

M. Jean-François Humbert - Il y a ici un pharmacien, un médecin et trois vétérinaires et tous s'entendent bien.

M. Cassagne - La guerre des ministères fait référence à la guerre des polices. Cela ne signifie pas qu'un policier et un gendarme ne peuvent pas s'entendre.

M. Georges Gruillot - J'admets qu'un échotier quelconque écrive cela, mais s'agissant d'un organisme national responsable comme le vôtre, c'est une prise de risques.

Vous avez parlé largement d'identification. En Corse le troupeau est-il totalement identifié ? Quand j'étais vétérinaire praticien et qu'il m'arrivait de me rendre en Corse, je n'ai jamais vu là-bas une vache identifiée. En sommes-nous encore là aujourd'hui ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Il existe une spécificité corse qui n'est pas que politique puisqu'il s'agit de l'identification ; je pense que cela s'améliore doucement au rythme de la Corse.

M. Cassagne - Si vous connaissez bien la Corse, l'élevage y est terriblement extensif. Actuellement, des efforts réels sont faits en matière d'identification. Ce n'est pas de la langue de bois car nous sommes allés sur place et nous avons constaté cette volonté, notamment des groupements sanitaires corses, d'accélérer le mouvement d'identification.

Nous avons discuté avec les agents identificateurs qui nous expliqué en quoi consistait leur journée de travail. Les spécificités géographiques et de l'élevage font que l'identificateur a énormément de difficultés à identifier.

Il existe ce que l'on appelle les troupeaux fantômes qui sont sans propriétaire. Le propriétaire, qui habite en ville ou sur le continent, a hérité d'un troupeau et ne s'en occupe absolument pas ; de ce fait, le troupeau divague. Ce sont des spécificités réelles qui font qu'actuellement l'identification en Corse n'est pas aussi fiable qu'en France car tous les animaux ne sont pas identifiées. Un effort est mis en oeuvre mais sera-t-il suffisant ?

C'est le même problème en Corse pour les troupeaux ovins. Les animaux en bordure de la mer sont bien identifiés et ceux qui sont dans l'arrière-pays le sont beaucoup moins bien.

M. Paul Blanc - Je passerai sur l'identification des troupeaux. Je ne pense pas que les montagnes corses constituent un obstacle plus important que les montagnes pyrénéennes, sans parler des problèmes transfrontaliers de cette région.

Au niveau de la chaîne alimentaire, il semblerait que tout animal présentant des symptômes de folie bovine n'ait pas toujours été éliminé et soit rentré dans le circuit alimentaire. Peut-être qu'un diagnostic formel n'avait pas été fait ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Cela dépend de la date à laquelle vous situez cela. Il est possible, il y a deux ou trois ans, que des animaux ayant des problèmes neurologiques aient pu rentrer dans l'équarrissage, après leur euthanasie, ou en abattage d'urgence et qu'ils soient passés dans la chaîne alimentaire.

M. Paul Blanc - Pouvez-vous indiquer une date à partir de laquelle plus aucun animal présentant de tels problèmes ne serait rentré dans la chaîne alimentaire ?

M. Cassagne - Je parle sous contrôle des vétérinaires. Il existe d'autres possibilités de comportement anormal de l'animal en dehors de la maladie de la vache folle. Durant des années, de bonne foi, l'examen ante-mortem pouvait ne pas orienter nécessairement vers une suspicion d'ESB.

Mme Touratier - Cela a été abordé dernièrement dans la presse et cela corrobore peut-être la question grave que vous avez posée.

Un rapport de l'AFSSA sur les 15 000 premiers prélèvements du programme de tests a été publié le 11 décembre. Il met en perspective que le réseau d'épidémio-surveillance n'aurait pas fonctionné aussi bien que souhaitable. Pour alimenter cette thèse, il indique que l'état de déclaration du nombre de suspicions augmente de façon conséquente à partir de mai et juin 2000, à savoir quand le programme de tests a été rendu public.

Ces éléments sont incontestables mais, très sincèrement, penser que l'ESB (les vétérinaires ici présents le savent) se manifeste systématiquement sous la forme des images d'animaux atteints passant en boucle à la télévision, c'est loin d'être le cas. Beaucoup des animaux détectés par notre système d'épidémio-surveillance n'étaient pas facilement détectables.

Au-delà de la fraude, personne ne peut s'engager décemment pour indiquer à partir de quelle date les fraudes se seraient arrêtées. C'est très ténu, l'incidence est très faible et aucune personne honnête ne pourrait vous donner une date juste. Cela supposerait qu'à une date donnée on passerait du mal au bien ; or, personne ne peut rien garantir dans ce domaine.

Par contre, il faut parler d'une part de négligence et d'une pression qui n'a pas été effectuée. La vision que l'on peut avoir du rapport de l'AFSSA, y compris en tant que technicien, est un rejet de la faute sur l'agriculture et les éleveurs. Très franchement, je pense que le problème de l'ESB ne sera pas résolu en parlant de faute ; il faut traiter les verrous à améliorer et la responsabilité.

Évidemment, certaines suspicions n'ont pas été déclarées. Toutefois, concernant des animaux malades tels qu'ils sont présentés à la télévision, je n'affirme pas que la suspicion est nulle mais elle me semble extrêmement faible. Par contre, que des symptômes douteux n'aient pas été déclarés, cela constitue le problème.

Dire que cela revient exclusivement aux éleveurs et à l'agriculture constitue une analyse trop facile. Cela ne permet pas de mettre en lumière l'ensemble des créneaux d'amélioration. Il faut faire une analyse ne recherchant pas les fautes mais les possibilités d'amélioration. A l'époque, le réseau d'épidémio-surveillance était sous la responsabilité de l'ex-CNEVA, qui est l'animateur du réseau qu'est maintenant l'AFSSA. En quoi l'animateur de ce réseau nous a-t-il alerté pour nous faire part d'un problème ?

Concernant les suspicions, on connaît la gamme de ce qui peut recouvrir les animaux identifiés et classés comme atteints d'ESB : cela couvre des champs largement plus étendus que ces animaux atteints de façon évidente.

Cela pose un problème d'amélioration aussi sur ces phases. Quelque part, sous-entendre, bien que ce soit peut-être une perception exagérée, que c'est de la faute de l'agriculture, c'est un peu court !

M. Paul Blanc - Nous sommes là pour essayer de connaître la vérité et vous êtes là pour essayer de nous éclairer. Je vous pose cette question et vous êtes revenue sur une question que je voulais vous poser concernant cette distorsion entre les chiffres de réseaux épidémiologiques et les chiffres réels d'ESB. A votre avis, peut-on parler d'un phénomène de sous-déclaration ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Ce n'est pas une fraude en tant que telle mais plutôt une faute ou une négligence.

M. Paul Blanc - Nous ne menons pas une enquête policière mais nous essayons de connaître la vérité.

M. Jean-Jacques Rosaye - Il ne faut pas le nier, il a sans doute existé une sous-déclaration à l'époque où nous ne disposions pas des informations actuelles et nous ne connaissions pas le problème comme aujourd'hui. Par ailleurs, comme le disait Mme Touratier, nous n'avions pas un réseau de vétérinaires capables d'identifier l'animal en tant que tel.

M. Jean Bernard - Cela a toujours existé : durant 30 ans, j'ai rencontré des cas de vaches ayant des symptômes neurologiques, etc. alors même qu'il n'y avait pas de farine de viande dans les aliments.

Cela a été décrit depuis très longtemps et la symptomatologie des maladies nerveuses n'est pas facile. Il existe le même problème avec la rage. Il ne faut culpabiliser personne.

M. Cassagne - C'était la nature même, en fonction des outils dont nous disposions à l'époque, d'un système d'épidémio-surveillance passif fondé sur l'erreur humaine, sur la bonne volonté, etc. mais cela avait le mérite d'exister. Je dirais plutôt que cela n'a pas été constaté sur certains animaux.

M. le Président - Nous vous remercions pour tous les éléments intéressants, à approfondir, que vous venez de fournir.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page