Audition de M. Jacques DRUCKER,
Directeur général de l'institut de veille sanitaire

(21 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - La séance est ouverte.

Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre M. Jacques Drucker, directeur général de l'institut de veille sanitaire, que je remercie d'avoir répondu à notre convocation.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Drucker.

Je vous laisse maintenant la parole afin que vous exposiez à la commission votre sentiment sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des farines animales, notamment dans l'alimentation du troupeau ovin.

M. Jacques Drucker - L'institut de veille sanitaire a pour mission de coordonner la surveillance de l'état de santé de la population française. En liaison avec divers partenaires, il est à ce titre impliqué dans le suivi des conséquences du développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine : il est notamment chargé de la surveillance de la forme humaine, c'est-à-dire de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob liée -on a toutes les raisons de le penser- à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine.

C'est donc sous l'angle de vue d'un responsable d'institut d'épidémiologie que je me propose de présenter mon exposé introductif. Je commencerai ainsi par décrire la façon dont le dispositif de suivi épidémiologique des maladies humaines s'est mis en place depuis la déclaration de l'épidémie animale pour surveiller les conséquences sanitaires de celle-ci. Je présenterai ensuite les informations aujourd'hui disponibles en France avant d'aborder les questions que soulève le suivi épidémiologique dans notre pays.

Après la détection de la survenue et du développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine au Royaume-Uni, les épidémiologistes et les chercheurs spécialistes des maladies infectieuses humaines se sont, naturellement, assez rapidement interrogés sur le risque de transmission de l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine à l'homme. Au tout début des années 1990, nous avions déjà un éclairage sur le rôle des farines animales et sur la similitude entre la maladie des bovins et certaines maladies neuro-dégénératives de l'homme.

Plusieurs pays d'Europe ont alors mis en place un dispositif de surveillance des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles -encéphalopathies dont font partie les formes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et notamment celle qui allait apparaître comme sa nouvelle variante- dans le cadre d'une étude européenne dont l'objectif était d'estimer l'incidence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de préciser les différents facteurs de risque.

Cette étude, dont la coordination a été assurée en France par l'unité 360 de l'INSERM, l'institut de la santé et de la recherche médicale, a eu une importance cruciale puisque c'est dans son cadre que nos collègues anglais ont, en mars 1996, finalement mis en évidence - ou, tout du moins, annoncé - les premiers cas de cette nouvelle forme de maladie que l'on appelle maintenant la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, forme qui est donc liée à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine.

C'est aussi dans le cadre de cette étude que le premier cas français a été identifié en 1996, ce qui a conduit la France à renforcer son dispositif de surveillance des formes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme en rendant obligatoire, à partir du mois de septembre de cette même année, la déclaration de toute maladie ou, plus exactement, de toute suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

En 1996, l'institut de veille sanitaire, appelé alors réseau national de santé publique, s'est donc vu confié, comme pour les autres maladies à déclaration obligatoire, la coordination en liaison avec l'INSERM de la surveillance des formes de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Depuis 1996, le dispositif a encore été renforcé. Il constitue aujourd'hui un véritable réseau national de surveillance : multidisciplinaire, il associe des cliniciens, neurologues ou neuropathologistes, des biologistes, travaillant dans les centres de référence sur les maladies à prions ainsi que dans divers laboratoires de recherche sur ces agents de transmission, et, bien sûr, l'ensemble du tissu des professionnels de santé, puisque ceux-ci sont censés, s'agissant d'une maladie à déclaration obligatoire, signifier toute suspicion. Des outils de détection de plus en plus sensibles ont en outre été développés.

Toutes les informations ainsi recueillies sont centralisées, d'une part, à l'institut de veille sanitaire du fait de la déclaration obligatoire, d'autre part et surtout, à l'unité 360 de l'INSERM. Chaque suspicion notifiée fait en effet l'objet d'une investigation destinée, d'une part, à établir le degré de certitude, c'est-à-dire à déterminer s'il s'agit d'un cas possible, probable ou certain de maladie de Creutzfeldt-Jakob ou d'un cas qui, finalement, n'appelle pas ce diagnostic, d'autre part, à préciser l'étiologie, c'est-à-dire à déterminer s'il s'agit d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, familiale, iatrogène ou, et c'est ce qui nous intéresse ici, d'une forme variante.

Les objectifs du dispositif, qui fonctionne maintenant depuis huit ans, sont donc de repérer d'une façon aussi exhaustive que possible les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob, d'en préciser l'étiologie et notamment de repérer les formes variantes, mais aussi d'explorer les facteurs de risque de survenue, voire de repérer d'éventuels cas regroupés, ce qui aurait une importance particulière pour la compréhension de la transmission de la maladie.

Chaque mois, l'institut de veille sanitaire actualise les données épidémiologiques recensées rapportées par ce dispositif et les rend publiques sur son site web. Quelles informations avons-nous recueillies au cours des huit dernières années ?

Depuis quatre ans, nous assistons à une augmentation du nombre des déclarations de suspicion. C'est le résultat d'une recherche de plus en plus active et d'une sensibilisation de plus en plus forte des cliniciens, tant en matière de diagnostic que de déclaration des cas.

Au cours des cinq dernières années, nous avons aussi observé une augmentation du nombre des cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique diagnostiqués. Pour donner un ordre de grandeur, 68 cas certains ou probables de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique ont été recensés en 1996 ; en 1999, dernière année pour laquelle nous avons stabilisé les chiffres, 91 de ces cas ont été enregistrés, soit une augmentation d'environ 30 %, essentiellement due elle aussi à la meilleure performance du système. De façon globale, l'incidence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique est en France d'environ 1,5 cas par million d'habitants, ce qui place notre pays à peu près dans la moyenne européenne.

S'agissant de la forme variante, comme vous le savez sans doute, ont à ce jour été recensés en France deux malades décédés avec certitude de cette maladie, l'un en 1996, l'autre en 2000, et un malade classé pour le moment comme cas probable puisqu'il est toujours vivant et qu'il n'y a donc pas eu de confirmation possible. Au total, selon la définition européenne ou internationale de la maladie, il y a donc en France trois cas certains ou probables. Je rappelle qu'au Royaume-Uni 87 cas certains et 9 cas probables en cours d'exploration ont été recensés. Un seul autre cas à été recensé dans le monde, en Irlande.

La France dispose d'un système de surveillance assez performant, capable de détecter la survenue de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans sa forme variante, qui nécessiterait cependant d'être renforcé.

En effet, pour établir un diagnostic de certitude de maladie de Creutzfeldt-Jakob, le clinicien doit à l'heure actuelle disposer d'un examen anatomo-pathologique du cerveau, examen qui ne peut être réalisé, bien entendu après le décès du malade, que dans le cadre d'une autopsie. Or, en France, le taux d'autopsie en cas de suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob plafonne à 55 % ou à 60 %. Nos collègues anglais font un peu mieux que nous puisque le taux d'autopsie dans ce type de cas est d'environ 80 % au Royaume-Uni.

Pour permettre un suivi épidémiologique encore plus précis à l'avenir, il paraît donc nécessaire de renforcer un diagnostic qui ne repose aujourd'hui que sur les examens assez lourds et complexes que sont les examens anatomiques du cerveau. Vous le savez, une recherche assez active se poursuit actuellement en France pour tenter de mettre au point des tests de diagnostic d'utilisation plus courante, en particulier un test capable, le cas échéant, de détecter le prion ou la protéine pathologique dans le sang. Nous disposerions ainsi d'un outil plus performant de suivi épidémiologique.

La direction générale de la santé nous a demandés s'il était possible d'organiser en France un dépistage du portage de la protéine pathologique liée à la forme variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Nous avons donc procédé à une expertise au cours des derniers mois avec le concours de plusieurs spécialistes en la matière. Cette expertise nous a amenés à conclure que, en l'état actuel, compte tenu des tests disponibles et de la fréquence apparente de la maladie en France, compte tenu aussi des grandes incertitudes qui demeurent sur la durée d'incubation, compte tenu encore de considérations éthiques sur l'exploitation éventuelle des résultats, il n'était ni pertinent ni faisable de mettre en place un tel dépistage, cette position pouvant bien entendu évoluer dans le futur, en fonction notamment de la disponibilité de tests plus faciles à utiliser à grande échelle.

En dehors des questions que je viens d'évoquer -renforcement de la surveillance et pratique des autopsies, problème du dépistage-, une autre question nous est posée : peut-on aujourd'hui faire des prévisions ou des projections quant au nombre futur des malades compte tenu des connaissances actuelles sur l'épidémie animale et sur les risques de transmission du prion bovin à l'homme ?

Comme vous le savez, on trouve déjà dans la littérature scientifique ce type d'extrapolation. Nos collègues anglais notamment s'y sont livrés : sur la base de l'épidémiologie en Angleterre et, surtout, sur la base d'hypothèses évidemment relativement hasardeuses et encore assez instables -durée d'incubation, dose minimum infectante pour l'homme, degré réel d'exposition de la population à l'agent infectieux-, ils ont émis des chiffres qui, au fil des mois, se « resserrent » et deviennent un peu plus précis.

Les chiffres les plus raisonnables sur le plan scientifique ainsi publiés par nos collègues anglais font état d'une fourchette allant de 150 cas, hypothèse la plus basse, à environ 6 000 cas dans les trente prochaines années au Royaume-Uni.

L'institut de veille sanitaire n'a pas souhaité extrapoler à partir des chiffres anglais compte tenu de l'ampleur des incertitudes et de l'imprécision des hypothèses. Si l'on devait cependant donner un ordre de grandeur pour évaluer ce que pourrait être le développement de la maladie chez l'homme en France, le plus rationnel serait en définitive, considérant qu'il y a aujourd'hui environ trente fois moins de cas et étant estimé que l'exposition de la population au prion responsable de l'encéphalopathie spongiforme bovine a été environ vingt fois moins élevée en France qu'en Angleterre, de diviser par vingt les prédictions anglaises. On arrive ainsi à un résultat de l'ordre de quelque centaines de cas -environ 300- appelant, encore une fois, de nombreuses réserves et devant être interprété avec beaucoup de prudence.

Espérant avoir ainsi décrit à votre commission la situation en matière de surveillance épidémiologique des conséquences sanitaires de l'encéphalopathie spongiforme bovine en France, je terminerai mon propos en disant que l'hypothèse selon laquelle certains cas de tremblante du mouton seraient en fait liés à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine paraît tout à fait plausible.

M. Jean Bizet, rapporteur
- Je tiens, monsieur le directeur général, à vous remercier des précisions que vous nous avez apportées.

Cela dit, je voudrais revenir sur un point particulier : en effet, vous nous avez dit que la population française serait vingt fois moins exposée à la maladie de Creutzfeldt-Jakob que la population anglaise.

Or, compte tenu, d'une part, de l'importation malgré tout massive jusqu'au début de 1996 d'abats à risque provenant de la Grande-Bretagne et, d'autre part, de la présence de cervelle dans les petits pots pour bébé jusqu'en 1992, pensez-vous que la population française ait été soumise à des risques importants ?

Confirmez-vous cette notion de « vingt fois moins » ?

M. Jacques Drucker - C'est effectivement ce que j'ai dit tout à l'heure, mais bien évidemment, il y a tellement d'inconnues et d'incertitudes dans ce dossier, en particulier concernant le degré et les conditions d'exposition de la population -qui sont pourtant l'un des paramètres essentiels de la démarche d'évaluation des risques- qu'il nous faut rester très prudents.

L'institut de veille sanitaire, pour sa part, afin de procéder à ce type d'évaluation des risques, ne peut disposer que d'hypothèses fondées sur la situation en Grande-Bretagne qui, elle-même, repose sur les informations disponibles, qui sont « sur la table » si j'ose dire.

L'un des paramètres manquants pourrait s'énoncer ainsi : dans quelle mesure les dispositions de prévention et de précaution qui ont été prises dès le début des années quatre-vingt dix ont-elles été appliquées et, si oui, l'ont-elles été correctement ?

Si l'on part de l'hypothèse fondée sur l'importation des tissus à risque spécifié, vous le savez comme moi, mesdames, messieurs les sénateurs, il existe de fortes interrogations sur la rigueur avec laquelle ces mesures ont été appliquées. Dès lors, toutes les hypothèses sont possibles quant à l'exposition de la population française à cet agent infectieux et il nous faut, je le répète, rester extrêmement prudents.

M. le Rapporteur - Vous parlez de « fortes interrogations ». Disposez-vous pour cela d'autres éléments d'information ?

M. Jacques Drucker - Je ne détiens aucune information complémentaire, monsieur le rapporteur. Je me fonde ici sur le fait que, finalement, aujourd'hui, tous les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine qui ont été rapportés depuis 1997 sont apparus chez des bovins nés après l'interdiction des farines. J'en déduis donc que l'interdiction de l'importation des farines carnées n'a pas dû être absolue.

D'autres hypothèses ont également été émises quant au mode de transmission de la maladie à l'homme, mais la plus réaliste, à mes yeux, reste que l'interdiction de l'importation des farines animales n'a pas été totale et, dès lors, toutes les hypothèses portant sur l'exposition de la population restent assez hasardeuses, il faut le dire.

M. le Rapporteur - Vous avez parlé de cas « sporadiques » de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de nouvelles variantes. Or le diagnostic n'ayant pu être porté que post-mortem, j'aimerais savoir si un clinicien averti peut détecter la maladie sur des sujets vivants ?

M. Jacques Drucker - Je ne suis pas neurologue, monsieur le rapporteur, mais je sais, pour en avoir discuté à plusieurs reprises avec mes collègues cliniciens, qu'il existe des caractéristiques cliniques assez évocatrices de la nouvelle variante ; je pense notamment à l'âge des personnes malades dont les manifestations cliniques à forte composante psychiatrique sont plus perceptibles.

Il est vrai que jusqu'à présent, la commission de surveillance a constaté des signes de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez des sujets jeunes et qu'il faudra sans doute étendre le recours à l'autopsie car les caractéristiques cliniques de cette maladie pourraient évoluer pour toucher des personnes plus âgées. Dans ce contexte, la maladie de Creutzfeldt-Jakob risquerait d'être confondue avec d'autres démences plus fréquentes chez les personnes âgées telles que la maladie d'Alzheimer.

M. le Rapporteur - Peut-on imaginer que certaines variantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob aient pu échapper à tout système de surveillance ? Hélas, il est à noter une sorte d'omerta des professions médicales à l'égard de cette maladie.

M. Jacques Drucker - Il n'est effectivement pas exclu, monsieur le rapporteur, que des variantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob aient pu passer entre les mailles de la surveillance, de sorte que certains cas auraient pu survenir chez des sujets plus âgés, comme je viens de le dire.

Si votre question est : « le dispositif médical, en toute connaissance de cause, aurait-il pu ne pas signaler un cas de variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ? » Alors ma réponse est la suivante : « personnellement, je ne le pense pas ». En effet, je n'imagine pas que dans le dispositif actuel de surveillance qui, je le rappelle, repose sur tout un réseau de recherche en matière de santé publique, un cas de variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ait pu être passé sous silence.

Notre souci, aujourd'hui, est orienté dans l'autre sens, si je puis dire. En d'autres termes, quand un cas de suspicion de variante apparaît, nous faisons toutes les études nécessaires, même si c'est pour nous apercevoir que cette suspicion n'était pas fondée.

Cela dit, il n'est pas exclu que pour des raisons purement techniques de sensibilité du système, quelques cas de forme variante aient pu ne pas être repérés.

M. le Rapporteur - En parallèle, monsieur le directeur général, nous avons vu que la Commission européenne, dès les années quatre-vingt dix, a fait preuve d'une autorité très forte pour étouffer les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine, compte tenu des effets économiques induits, notamment pour la Grande-Bretagne.

Or sur un plan purement sanitaire, peut-on imaginer que l'institut de veille sanitaire puisse « discrètement » ne pas informer l'opinion publique sur le nombre exact de nouvelles variantes ? Cela n'est pas pensable, à votre avis ?

M. Jacques Drucker - En effet, cela n'est pas pensable, monsieur le rapporteur.

S'agissant de l'Europe, c'est la Commission elle-même qui, depuis 1992, a contribué à développer la connaissance de ces nouvelles maladies ; cela est indiscutable.

Pour ce qui est de l'institut de veille sanitaire, il ne paraît pas non plus pensable que, pour cette maladie comme pour d'autres, il ne porte pas à la connaissance des pouvoirs publics, des professionnels et plus généralement de l'opinion publique l'apparition probable de nouvelles formes variantes.

Ce qu'il faut comprendre dans le système de surveillance, c'est que, entre le moment où la suspicion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est notifiée et le moment où le diagnostic est confirmé, il peut se passer entre six à douze mois. La mise à jour doit donc se faire de façon un peu décalée et aujourd'hui, nous connaissons les données au 15 février, y compris les cas qui sont en cours d'investigation, c'est-à-dire qui, pour le moment, ne sont que des suspicions et non pas des maladies confirmées.

M. le Rapporteur - Monsieur le directeur général, vous avez tout à l'heure émis quelques craintes quant à la contamination interhumaine, notamment à l'occasion d'une transfusion sanguine. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

M. Jacques Drucker - Effectivement, il s'agit là d'un mode de transmission possible de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à l'espèce humaine, mais cela doit être étudié au cas par cas. Ainsi, dès qu'une suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob est portée à notre connaissance, nous mettons en place un dispositif d'hémovigilance au même titre qu'est explorée la voie d'une transmission éventuelle de cet agent pathogène au cours d'actes diagnostiques ou thérapeutiques invasifs.

A ce propos, un certain nombre de mesures ont été prises au cours des derniers mois qui continuent d'évoluer, la dernière en date étant une circulaire émanant de la direction des hôpitaux et portant sur le renforcement des mesures de stérilisation des appareils chirurgicaux. Or, comme vous le savez, il s'agit là d'un sujet extrêmement difficile car, contrairement à la maladie de Creutzfeldt-Jakob classique et « sporadique », il semble que le prion pathologique, agent de la forme variante, ait une dissémination beaucoup plus large par l'organisme que les agents des autres formes de la maladie qui, elles, se confinent si j'ose dire au système nerveux.

M. le Rapporteur - J'aimerais vous poser une dernière question, monsieur le directeur général.

Sur les quatre-vingt sept cas recensés à ce jour au Royaume-Uni, on a pu constater que treize patients étaient des donneurs de sang potentiels. Vos collègues anglais ont-ils un peu plus de certitudes quant au mode de transmission par transfusion sanguine notamment ?

M. Jacques Drucker - Pas à ma connaissance, monsieur le rapporteur. En effet, nos collègues épidémiologistes anglais n'ont pas communiqué ou transmis à la communauté scientifique d'informations permettant de mieux cerner le risque transfusionnel.

Par ailleurs, comme vous le savez, une expertise assez complète a été menée à la fin de l'année dernière sur ce risque-là en particulier, expertise au cours de laquelle ont été analysées toutes les données disponibles, y compris les informations anglaises.

Personnellement, je n'ai pas d'information complémentaire sur ce dossier.

M. Paul Blanc - Je voudrais simplement revenir sur l'épidémiologie des deux cas certains et d'un troisième, probable, de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en France. A-t-on profité de l'apparition de ces trois cas pour mener une enquête approfondie sur les habitudes alimentaires et la possibilité de contamination par voie digestive ?

M. Jacques Drucker - Absolument, monsieur le sénateur : nous avons fait une investigation aussi poussée que possible concernant les habitudes alimentaires des deux malades décédés et du troisième malade encore vivant, étant entendu que la prise en compte de ces habitudes alimentaires doit remonter à plusieurs années auparavant.

M. Paul Blanc - Les médias ont évoqué un autre cas possible...

M. Jacques Drucker - A ma connaissance, ce cas n'a pas été confirmé, monsieur le sénateur.

M. Paul Blanc - La déclaration de Mme le secrétaire d'Etat à la santé avait déclenché de nombreuses réactions concernant de possibles cas à venir. Dès lors, j'aimerais savoir si elle s'est appuyée sur des informations que vous lui auriez transmises, monsieur le directeur général.

M. Jacques Drucker - Non, l'institut de veille sanitaire n'a jamais fait d'évaluation de risque et donc, a fortiori, transmis de rapport contenant des prédictions quant au nombre de cas à venir.

Les éléments que vous avez pu lire dans la presse, monsieur le sénateur, sont des extrapolations des données de l'unité 360 de l'INSERM. A ma connaissance, il n'y a jamais eu d'étude structurée ou de modélisation en France, contrairement à ce qu'ont fait les Anglais.

M. Paul Blanc - Pouvez-vous nous dire, monsieur le directeur général, si, à votre connaissance, une étude des habitudes alimentaires aurait donné des résultats ?

M. Jacques Drucker - Ce que je peux vous dire, monsieur Blanc, c'est que nos collègues anglais, pour chaque cas suspect de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ont employé le même protocole d'investigation épidémiologique. Or à ce jour et à ma connaissance, ces investigations n'ont rien donné.

De la même façon, vous savez qu'actuellement les Anglais enquêtent sur un foyer de cinq ou six cas suspects se situant dans une commune de taille relativement limitée. L'investigation est aujourd'hui en cours, mais pour l'instant, aucune conclusion n'a été apportée à cette étude.

Il entre aussi dans les objectifs du système de surveillance français de repérer des cas regroupés géographiquement, et ce afin de mener des investigations pouvant aboutir à une meilleure connaissance des facteurs de risque. Nous n'avons pas encore rencontré ce type de commune en France, mais, je le répète, pour l'instant cette investigation de ce foyer de cinq à six personnes malades en Grande-Bretagne n'a pas donné de résultat.

M. Paul Blanc - Mais alors, pourquoi les Anglais ont-ils retiré les abats de la vente dès 1989 ? Est-ce parce qu'ils estimaient tout de même qu'une concentration possible de l'agent pathogène pouvait se révéler dangereuse pour l'homme ?

M. Jacques Drucker - Absolument, monsieur le sénateur.

Le premier cas d'encéphalopathie spongiforme bovine a été recensé en 1985 en Angleterre. Deux ou trois ans plus tard, les vétérinaires ont fait le lien entre les farines carnées et le développement de l'encéphalopathie spongiforme bovine. C'est ainsi qu'à la fin des années quatre-vingt, la physiopathologie, autrement dit la diffusion de l'agent pathogène dans le cas des bovins, était parfaitement connue. C'est cela effectivement qui a incité les Anglais à retirer de la vente ce que l'on appelle aujourd'hui les « matériaux à risque ».

M. le Président - Je voudrais revenir sur l'une des questions posées par M. Blanc concernant la déclaration de Mme la secrétaire d'Etat. Sur quoi était-elle fondée ?

M. Jacques Drucker - Je pense que la déclaration à laquelle vous faites allusion repose, je le répète, sur les données émanant de l'unité 360 de l'INSERM, monsieur le président.

M. Jacques Bimbenet - Que penser, monsieur le directeur général, des informations récemment révélées concernant les moutons ?

M. Jacques Drucker - Tout d'abord, monsieur le sénateur, je dois vous dire que vous ne vous adressez pas ici à un spécialiste de la maladie animale.

Cela étant dit, je pense - et ce n'est pas nouveau - que compte tenu de ses similitudes avec la tremblante du mouton, depuis que l'encéphalopathie spongiforme bovine a été détectée, certains ont pu émettre l'hypothèse que l'agent pathologique pouvait effectivement être transmis du mouton à la vache et ensuite que les bovins nourris aux farines animales ont pu à leur tour contaminer les moutons.

A ma connaissance, au cours de ces dernières semaines ou de ces derniers mois, aucun élément scientifique nouveau n'est apparu confirmant une telle hypothèse.

Par conséquent, est-il oui ou non justifié aujourd'hui de prendre des mesures de précaution s'agissant des moutons ? L'interprétation que j'en fais personnellement est qu'il vaut mieux effectivement envisager des mesures de précaution sur un risque théorique de ce type - « à froid » en quelque sorte - plutôt qu'en situation de crise ou de réaction à l'annonce d'un élément nouveau.

Bien sûr, reste à poser les limites de l'application du principe de précaution, sujet un peu délicat, vous en conviendrez, monsieur le sénateur.

Quoi qu'il en soit, l'hypothèse selon laquelle certains cas de tremblante du mouton seraient en fait des maladies dues à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine est une hypothèse tout à fait plausible.

M. le Président - La commission d'enquête vous remercie, monsieur le directeur général, des informations que vous avez bien voulu lui apporter.

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