Audition de M. Michel PAILLIER,
Directeur général de la société Bonilait Protéines

(28 février 2001)

(Huis clos demandé)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Michel Paillier, nous vous remercions d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes auditionné en qualité de directeur général de la société Bonilait Protéines dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire. Je vous rappelle les conditions dans lesquelles se déroule une commission d'enquête parlementaire.

Vous avez demandé à être auditionné à huis clos ; nous procédons donc de cette manière. Bien entendu, votre audition fait l'objet d'un compte rendu sténographique qui sera publié en annexe du rapport écrit, sauf opposition de votre part.

M. Michel Paillier - Monsieur le président, messieurs les sénateurs, je suis ici pour répondre à vos questions. J'ai souhaité être entendu à huis clos car mon entreprise ne me semble pas concernée par le débat sur les farines animales. La médiatisation des problèmes a déjà fait beaucoup de mal et alors que nous connaissons une crise très importante au niveau européen et mondial, moins on met en cause des entreprises qui ne sont pas concernées, mieux elles se portent.

Puisque vous me le proposez, je préfère que le compte rendu de mon audition ne figure pas en annexe du rapport ; mais je vous en laisse juges.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Pallier.

Audition de M. Martin HIRSCH,
Directeur général de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

(28 février 2001)

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Directeur, merci d'avoir bien voulu répondre à la convocation de cette commission d'enquête.

Je me permettrai d'être brièvement à la fois président par intérim et rapporteur, Gérard Dériot ayant dû s'absenter. Il devrait toutefois nous rejoindre dans quelques instants.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Hirsch.

M. Martin Hirsch - L'AFSSA est un établissement public administratif, placé sous la tutelle des ministres de la santé, de l'agriculture et de la consommation, dont les missions ont été fixées par la loi du 1er juillet 1998.

La première mission de l'Agence porte sur l'évaluation des risques de la chaîne alimentaire, depuis l'alimentation animale jusqu'au stade de la consommation finale -produits animaux et végétaux- mais aussi sur l'ensemble des différentes étapes, qu'il s'agisse des process, de la qualité des matières premières ou des différents risques qui peuvent être évalués -nutritionnels, toxicologiques, microbiologiques.

Cette mission d'évaluation comporte aussi une mission spécifique concernant les médicaments vétérinaires, puisque l'Agence accueille en son sein l'Agence nationale des produits vétérinaires, chargée de l'évaluation et du suivi des médicaments vétérinaires.

La seconde mission de l'AFSSA est une mission d'appui scientifique et technique qui s'exerce à travers treize laboratoires, qui ont été intégrés dans l'Agence au moment de sa création. On y retrouve les deux-tiers des effectifs de l'Agence, soit 800 personnes.

Ces laboratoires font de l'appui scientifique et technique en santé animale, en hygiène des aliments et dans le domaine des eaux. Ce sont des activités de référence. Pour prendre l'exemple le plus actuel, le laboratoire de référence sur la fièvre aphteuse se trouve au sein de l'Agence et est actuellement sollicité pour vérifier la situation française en la matière.

Nous avons également des laboratoires de référence en matière d'ESB, ainsi que dans d'autres domaines très variés.

On exerce cet appui scientifique et technique le plus souvent à la demande des ministères, en participant à l'organisation de plans de surveillance, de diagnostics de confirmation, etc.

La troisième mission de l'Agence est une mission de recherche en santé animale compte tenu de l'origine des laboratoires qui ont été intégrés dans l'Agence. Petit à petit, ces recherches sont diversifiées en fonction des priorités scientifiques que l'on met en place.

Une réflexion a été lancée depuis la création de l'Agence pour parvenir à une émergence de projets, afin que ceux-ci soient rattachés aux priorités sanitaires et qu'ils puissent être examinés avec le concours des différentes autorités, sous l'égide du Conseil scientifique, pour définir des axes de recherche à moyen et long terme.

On a plusieurs gros projets qui ont déjà été lancés, qui sont en cours de finalisation, impliquant plusieurs laboratoires de l'Agence, mais aussi des laboratoires français ou étrangers d'autres secteurs.

Voilà donc les caractéristiques de cette Agence.

M. le Rapporteur - Sur quels programmes ?

M. Martin Hirsch - On a approuvé, il y a deux ou trois mois, après passage devant le Conseil scientifique, une vingtaine de projets de recherches, concernant par exemple la listéria dans les différents produits, ce qui permet de travailler sur les produits de la mer, les produits laitiers, la charcuterie...

M. le Rapporteur - Sur ce point précis, iriez-vous jusqu'à contredire la norme officielle de l'OMS, ou êtes-vous d'accord avec celle-ci ?

M. Martin Hirsch - Sur les sujets d'évaluation, nous avons deux types de travaux. On a produit un rapport général de 150 pages, après saisine des ministères sur la listéria, sur toutes les données scientifiques dont on disposait et sur un certain nombre de recommandations qui portaient sur le réexamen de l'état clinique de consommation d'un certain nombre de produits, afin de reprendre la classification des aliments, pour être sûr que des produits ne soient pas classés en fonction de critères anciens ou arbitraires, mais scientifiques, en fonction du PH et de différentes caractéristiques physico-chimiques.

D'autres recommandations ont porté sur l'alimentation animale puisque, si certains animaux sont porteurs de la listéria, cela peut avoir des conséquences sur le produit final.

Cette palette a donné lieu à des recommandations, y compris sur la révision de la norme qui concernait certains produits de charcuterie. Celles-ci n'étaient pas en contradiction avec la norme de l'OMS mais, en France, il existait un certain flou dans les tolérances par rapport à ce qui avait été défini en matière de produits à base de lait cru, et nous avons donc recommandé que des critères s'appliquent.

Parmi les autres sujets, on trouvera des sujets de pure santé animale. On travaille par exemple beaucoup sur les virus qui peuvent atteindre les élevages porcins, comme la maladie du porcelet, qui est en régression, ou, en recherche fondamentale, sur la compréhension des virus ainsi que sur l'amélioration des vaccins. On trouve toute une variété de sujets, y compris ceux concernant la nutrition et l'amélioration de nos capacités de travail en matière d'alimentation animale.

M. le Rapporteur - Estimez-vous que la France a répété les erreurs de 1996 en laissant au seul ministre de l'agriculture la gestion d'une crise de santé publique et d'une crise de confiance des consommateurs ? De quelle manière, à votre avis, devrait être géré l'aspect politique de la question ?

C'est une question peut-être délicate, mais c'est au coauteur de "L'affolante histoire de la vache folle" que je m'adresse.

M. Martin Hirsch - C'est la même personne !

Depuis ce livre -dont la préface a été rédigée par le précédent ministre de la santé, qui indiquait qu'il serait peut-être judicieux de créer une agence de sécurité européenne- plusieurs changements institutionnels importants sont intervenus en France et ont conduit à la création d'une Agence qui, comme je le rappelais, a comme caractéristique de dépendre de trois ministères.

Beaucoup des acteurs qui participent à ces travaux -ministères, scientifiques, responsables administratifs, consommateurs- ont conscience de ce que cela apporte.

En effet, les différents ministères sont au courant des projets de réglementation, l'Agence étant saisie soit par les trois ministères, soit par l'un d'eux, avec information immédiate des autres, ce qui permet un travail en amont.

En second lieu, note mission et notre mode de fonctionnement obligent à ce que, à tous les stades de l'instruction des saisines et des avis, des échanges aient lieu avec les administrations, soit parce qu'on a besoin de recueillir des données auprès d'elles, soit parce que l'on a besoin de leur transmettre des informations, des avis ou des recommandations. On peut également agir par l'intermédiaire de groupes de travail, etc.

Je crois donc que le changement est extraordinaire par rapport aux habitudes de cloisonnement administratif françaises. Beaucoup de réunions ont permis de mettre à plat des approches différentes en matière d'épidémiologie, de produits de santé, ou dans le secteur alimentaire.

On en a de multiples illustrations. C'est ainsi que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et l'AFSSA ont, cette semaine, conjointement saisi le comité interministériel sur l'ESB pour évaluer les derniers procédés de sécurisation des gélatines. Il y a là, je crois, un décloisonnement complet qui profite à la santé publique.

M. le Rapporteur - J'en viens directement aux cas d'ESB découverts au cours de l'année 2000, qui concernent des bovins nés entre 1993 et 1995, bien après l'interdiction des farines.

Quelle est, pour vous, l'hypothèse la plus probable : contaminations croisées, trafics illicites de farines ou utilisations de graisse dans les compléments alimentaires ? Quelle est la piste que vous privilégiez avec le recul qui est le vôtre ?

M. Martin Hirsch - Une précaution oratoire préalable : je ne suis pas expert. Je suis chargé d'organiser l'expertise et d'endosser la responsabilité des avis qui engagent l'Agence, mais vous rencontrerez d'autres interlocuteurs plus compétents pour savoir comment le prion se comporte selon les milieux, les espèces, etc. Ils pourront vous faire un point précis en leur qualité de scientifiques.

Nous travaillons maintenant depuis près de quatre mois sur un certain nombre de questions qui nous ont été adressées par les trois ministères sur la sécurité des farines animales employées pour nourrir les espèces pour lesquelles elles ont été autorisées, après leur interdiction chez les ruminants.

En premier lieu, nous avons proposé, lorsque nous avons été saisis, de regarder si des faits scientifiques nouveaux permettant de penser que des espèces réputées non sensibles à l'ESB -porcs, veaux, lapins, chevaux- pouvaient être contaminées.

Le second bloc de questions portait sur le fait de savoir si, en examinant les données issues des contrôles qu'on nous demandait explicitement de pratiquer, l'on pouvait dire que les sécurisations n'étaient pas complètes pour ces produits. En d'autres termes, il s'agissait de savoir si des contaminations croisées étaient toujours possibles, au moment où les farines restaient autorisées pour certaines espèces.

La troisième question concernait les risques potentiels relatifs aux farines de viande et d'os et les autres dérivés d'animaux qui n'auraient pas été interdits pour les ruminants. On s'est intéressé aux lacto-remplaceurs, aux phosphatines bicalciques, dont on avait considéré jusqu'alors qu'il n'y avait pas de problème à les autoriser chez toutes les espèces.

La quatrième question portait sur les risques induits par une suspension et une interdiction des farines par rapport à des espèces comme les poissons, et soulevait le problème des garde-fous à mettre en oeuvre pour éviter de créer d'autres risques. C'est un sujet particulièrement important concernant le stockage et le traitement des farines elles-mêmes, mais également de leurs effluents.

La cinquième question concernait l'évaluation des produits de substitution qui seraient donnés aux animaux selon les différentes espèces, et les dernières questions portaient sur les effets que pourrait avoir une mesure unilatérale prise par un pays, si d'autres pays ne la mettaient pas en oeuvre, dans un contexte de libre-échange.

C'est sur ces différentes questions que nous avons mobilisé tous nos groupes d'experts, et nous avons continué à le faire une fois que la suspension a été décidée au niveau français, puis européen, pour savoir si la suspension devait ou non être prolongée, s'il y avait des aménagements à y apporter, et quelles explications rétrospectives pouvaient être données aux cas qui s'étaient présentés.

Ce sujet illustre plusieurs difficultés. En premier lieu, il existe des questions purement scientifiques : le porc est-il sensible par voie d'inoculation intra-fécale ou alimentaire ? Au bout de quel délai d'incubation ? Ce sont là des données purement scientifiques, mais il faut également pouvoir porter une appréciation sur l'efficacité des dispositifs mis en place.

La loi du 1er juillet prévoit que les données sur le contrôle doivent être communiquées à l'Agence, qui doit effectivement pouvoir évaluer les dispositifs. Au delà de la question de savoir si les porcs, les veaux ou les autres espèces sont sensibles à l'ESB, la question est de savoir si les espèces pour lesquelles ces farines sont interdites peuvent courir un risque malgré l'interdiction.

La réponse dépend à l'évidence des appréciations que l'on peut porter sur l'efficacité des mesures prises par le passé.

Ce sujet, nous l'avions abordé dans un rapport sur l'alimentation animale et la sécurité des aliments, que l'on avait lancé à la suite de la crise de la dioxine, estimant que l'importance du sujet justifiait un tour d'horizon de l'ensemble de l'alimentation animale.

S'agissant des farines de viande et d'os, nous avions identifié quelques points critiques, en recommandant que l'on porte une grande attention à l'éviction des matériels à risques, aux procédés de traitement, et à la séparation des circuits. Toute une série de choses nous ont ainsi facilité le travail, à partir du moment où la question de savoir ce qu'il en était à la fin de l'année dernière nous a été posée.

Il s'agissait principalement de déterminer si les écarts -car il est rare qu'une réglementation aussi complexe soit vérifiée et contrôlée à 100 %- peuvent avoir un impact sanitaire ou s'ils sont purement formels, soit qu'il s'agisse d'écarts secondaires, soit qu'il s'agisse d'écarts que l'on rattrape à l'étape suivante et qui, bien que réels, n'auraient pas d'impact sanitaire.

C'est ce travail que l'on est en train d'achever, sur le fondement des évaluations faites par le Comité sur l'ESB, fin 1998-début 1999 qui, pour expliquer les cas naïfs -à une époque où il y en avait beaucoup moins que maintenant- avait recensé cinq ou six hypothèses possibles, depuis les contaminations croisées aux différents stades, jusqu'à d'éventuelles autres voies de transmission que les voies alimentaires, en les classant par ordre décroissant de probabilités.

C'est cette thématique que l'on a reprise dès que l'Agence a été créée, en se demandant si les cas naïfs étaient dus à des maintiens de contaminations croisées avec les farines interdites, ou à des produits qui restaient autorisés pour certaines espèces, comme ceux que je citais auparavant.

Les conclusions ont montré que ces deux hypothèses doivent être prises en considération et qu'il pouvait y avoir une justification à élargir la liste de ce que l'on interdisait -farines animales, etc.- puisqu'il est préoccupant de voir que le nombre de cas nés après l'interdiction des farines est bien supérieur au nombre de cas nés avant.

Si une partie de l'explication peut se trouver dans l'amélioration indéniable des procédures de surveillance, celle-ci n'est pas suffisante et conduit à considérer ces deux hypothèses comme possibles. On se heurte là à deux difficultés. La première vient du fait qu'on n'a les réponses que quelques années après, puisque les cas se déclarent en moyenne cinq ans plus tard. Or, beaucoup de facteurs sont communs à l'ensemble des bovins, et démêler celui qui pourrait être à l'origine de la maladie n'est pas simple.

C'est pour cela qu'a été lancée une étude lourde appelée "cas-témoins", destinée à comparer les exploitations qui ont connu un cas avec celles comparables en tous points -taille, type d'élevage, type de localisation- qui n'en ont connu aucun.

Les différentes enquêtes ont démontré qu'on ne peut exclure la possibilité d'une contamination croisée, soit à l'origine, soit au moment du transport, soit à la ferme. Toutes ces pistes permettront de cerner de mieux en mieux les choses.

A cet égard, les enseignements qui ont été tirés du programme de tests sont extrêmement importants. Elles ont permis une meilleure connaissance de la maladie, et de voir que le nombre de cas détectés par cette voie ne l'avaient pas été pas uniquement dans des élevages mixtes où l'on trouvait des porcs et des bovins, mais dans un nombre d'exploitations important où il n'y avait que des bovins, ce qui implique une contamination croisée en amont. Il y a ainsi toute une série d'informations capitales pour progresser.

M. le Rapporteur - Considérez-vous que l'AFSSA se heurte à des difficultés pour connaître la composition des compléments alimentaires destinés au bétail ou des plats cuisinés destinés à l'alimentation humaine ?

M. Martin Hirsch - S'agissant de la composition des aliments, je pense effectivement que tout le monde se heurte à des difficultés. En effet, les différents ingrédients sont complexes et si l'on n'examine un par un l'ensemble des ingrédients, on peut passer à côté de quelque chose d'important.

C'est la raison pour laquelle on s'est attaché, lorsqu'on a travaillé sur les greffes d'os, les phosphates bicalciques, les suifs, etc., à bien établir la liste des produits animaux qui entraient dans les différents aliments.

On a également étudié quels étaient les facteurs communs en amont. C'est ce qui nous a conduits à mette l'accent sur un point central du dispositif : le problème de l'incorporation des corps vertébraux en amont de la chaîne, qui pouvait avoir des répercussions sur les produits dérivés.

Ceci nous a conduits à recommander, l'année dernière, que les vertèbres soient retirées de la chaîne alimentaire, en France comme dans les autres pays de l'Union. Cette position qui a été soumise par la France à ses partenaires, et a été rejointe par l'ensemble de la Commission, puisqu'une décision rend obligatoire le retrait des vertèbres dans les pays touchés par l'ESB.

Par ailleurs, plus généralement, on mène des travaux sur la composition des aliments au sein de l'Agence. Notre centre d'informations sur la composition et la qualité des aliments essaye de décomposer, aliment par aliment, le contenu de ceux-ci.

On ne peut toutefois le faire pour l'ensemble des aliments. Il faut donc des objectifs précis. On le fait par exemple aujourd'hui sur la teneur en sel de certains produits, pour pouvoir aider les allergologues à parfaitement connaître la composition des aliments et ne pas risquer de soumettre des sujets allergiques à un certain produit sans qu'ils le sachent.

De même, nous cherchons à apporter une clarification sur les produits d'origine animale qui peuvent se trouver dans différents ingrédients. C'est un sujet complexe, compte tenu de l'immense variété des process. On ne peut prétendre avoir, du jour au lendemain, la composition exacte, ingrédient par ingrédient, de l'ensemble des aliments, mais je crois que les choses progressent beaucoup.

Un certain nombre d'ingrédients sont en effet soumis à des procédures d'autorisation, dans le cadre des réglementations nationales et européennes. Il y a un certain nombre de données capitales, tant sur le plan de la sécurité alimentaire que sur celui des aspects nutritionnels.

M. Jacques Bimbenet - Comment faites-vous par rapport au secret de la fabrication ? Il n'existe plus ?

M. Martin Hirsch - On y a été confronté à propos d'une boisson gazeuse. Leur recette est protégée par le secret industriel. En revanche, rien n'empêche de passer ces aliments dans différentes machines complexes -spectrographes de masse et autres- et d'en sortir tous les ingrédients, tous les ions, toutes les protéines que l'on y trouve pour avoir la composition de ces aliments, sans en connaître la recette.

M. Jacques Bimbenet - Vous ne pourrez pas la divulguer à la concurrence !

M. Martin Hirsch - Je ne crois pas que la composition finale soit protégée. On ne s'est jamais heurté à cette difficulté-là dans nos travaux sur la composition des aliments.

Les équipes d'évaluation essayent de comprendre, de faire des tableaux pour voir ce qui se passe, et les soumettent aux professionnels en demandant s'ils ont oublié quelque chose. Il y a une démarche itérative pour savoir si ce que l'on pense correspond aux pratiques et aux formules qui sont employées.

M. Paul Blanc - Je voudrais revenir sur votre livre "L'affolante histoire de la vache folle". Confirmez-vous que l'embargo sur la viande anglaise était plus destiné à rassurer le consommateur qu'à assurer une véritable mesure de santé publique ?

M. Martin Hirsch - Vous voulez savoir s'il y a un désaccord entre l'un des coauteurs du livre et le directeur général de l'Agence ! (Rires).

M. Paul Blanc - Je pose une question, c'est tout !

M. Martin Hirsch - L'embargo est une mesure qui n'a pas été prise après consultation des scientifiques. C'est une première remarque.

Seconde remarque : il est souvent nécessaire de prendre des mesures qui peuvent avoir un fondement soit sanitaire et scientifique, soit psychologique ou économique, destiné à réguler les marchés. Parfois, cela coïncide ; d'autres fois, non.

Un bon exemple dans lequel cela a coïncidé est celui des conditions du dépistage. Il était nécessaire, pour des raisons économiques, de rassurer le consommateur -ce type de mesures pouvant d'ailleurs avoir des conséquences pires que celles que l'on a connues sur le cours et la consommation de la viande.

Ceci a coïncidé avec un cheminement parallèle des instances scientifiques, travail préparé avec le programme expérimental de dépistage.

Je puis garantir -et je dépose sous serment- que c'est indépendamment que les scientifiques ont été conduits à dire qu'il existait un fondement sanitaire qui imposait de procéder au dépistage des bovins de plus de trente mois.

M. Paul Blanc - N'y a-t-il pas là une contradiction, à partir du moment où l'on a dit aussi qu'on éliminait pratiquement une contamination possible à travers le muscle ?

M. Martin Hirsch - Je ne crois pas, dans le mesure où tout le raisonnement scientifique a été basé sur le fait de dire qu'à partir du moment où un animal était infecté, il fallait tout faire pour qu'aucun de ses produits n'entre dans la chaîne alimentaire.

Lorsque le prion est présent chez ces animaux, on peut toujours craindre qu'il soit à des niveaux non détectables, ou, surtout, si l'on ne peut enlever 100 % de l'ensemble des matériaux à risques spécifiés, que l'on puisse laisser entrer dans la chaîne alimentaire des éléments que l'on doit interdire.

M. Paul Blanc - Et le muscle ?

M. Martin Hirsch - On n'a jamais détecté de prion dans le muscle mais, lorsqu'on est face à un animal infecté, le muscle peut être découpé avec un couteau entré en contact avec la moelle épinière. C'est donc un principe de base.

Je ne voulais pas esquiver la question sur l'embargo. Comment mettre en place une mesure de précaution, et comment la lever ? C'est la question soumise à l'Agence, qui a répondu qu'il lui semblait que lever une mesure de précaution prise dans un certain contexte, à un moment où l'on disposait de nouveaux tests, ne serait pas cohérent avec les objectifs de santé publique.

Elle a estimé qu'il valait mieux connaître la réalité de la maladie, puisqu'on a maintenant des outils dont on ne disposait pas il y a cinq ans, et savoir ensuite si cette réalité était ou non proche des choses.

C'est ce raisonnement qui a conduit à ce que les tests soient mis en place, permettant de démontrer que les pays qui en avaient déjà en avaient plus que prévu et que les pays qui n'en avaient pas comptaient en fait, pour la majorité d'entre eux quelques cas.

Le Royaume-Uni est en train de faire des programmes de tests et il est probable qu'ils aboutissent aux mêmes conclusions. Par conséquent, les présupposés du schéma d'exportation n'étaient pas fondés, et il y a donc eu des erreurs d'hypothèse dans la façon dont on a prévu la levée de l'embargo.

M. Paul Blanc - Dans un autre ordre d'idée, pouvez-vous nous confirmer qu'il y a eu une importation légale, jusqu'en 1996, de veaux anglais ?

M. Martin Hirsch - Je ne peux ni le confirmer ni l'infirmer.

M. Paul Blanc - Il aurait été intéressant, au cas où vous auriez eu de telles informations, de savoir ce que ces veaux sont devenus, s'ils sont partis en boucherie ou s'ils sont devenus vaches. Cela pourrait aussi expliquer la recrudescence de l'ESB en France.

Je suppose qu'une enquête épidémiologique très poussée a été menée pour connaître l'origine du bétail ?

M. Martin Hirsch - J'espère ne pas me tromper, mais j'ai le souvenir qu'effectivement, à cette époque, ont été abattus tous les animaux qui avaient été importés vivants du Royaume-Uni. Les services vétérinaires seront plus compétents que moi sur ce sujet, car je parle de mémoire.

Chaque fois qu'il y a enquête sur un cas, on regarde l'origine, le père, la mère, les mouvements précédents. C'est pour cela qu'il y a des rapports de 25 pages à chaque fois, avec la filiation, les séjours dans les différentes exploitations, les aliments consommés, etc.

M. Paul Blanc - Comment l'ancien responsable ministériel que vous êtes explique-t-il le déferlement médiatique qu'a suscité le problème de l'ESB ?

M. Martin Hirsch - Plusieurs raisons font que ce sujet est au coeur des préoccupations. La presse, en général, essaie d'écrire des choses qui intéressent la population. Elle est le reflet de ce qui préoccupe les gens -ou alors il s'agit de poussées de fièvre vite oubliées.

M. Paul Blanc - Et ce à propos de sujets beaucoup plus graves : je pense en particulier au nombre de morts du cancer du poumon dus au tabac !

M. Martin Hirsch - Il y a plusieurs caractéristiques. La première différence réside dans les incertitudes sur l'ampleur de l'épidémie. Les épidémiologistes anglais disent qu'en fonction de tous les éléments qu'ils peuvent faire entrer dans leurs modèles mathématiques, la fourchette est comprise entre quelques dizaines et 136 000 cas de personnes contaminées.

Or, je n'ai jamais entendu aucun scientifique sérieux dire qu'on peut privilégier l'une ou l'autre de ces hypothèses ! On peut le faire par conviction, mais non sur une base scientifique.

En général, les scientifiques qui connaissent bien ce sujet disent qu'il y a un certain nombre d'incertitudes sur les prévisions épidémiologiques et qu'ils ne peuvent trancher. Ce ne sont pas des devins.

La deuxième différence s'explique par le fait que les consommateurs ont l'impression qu'ils ne sont pas libres de leur choix, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, ils sont obligés de se nourrir alors qu'ils ne sont pas obligés de fumer ou de prendre leur voiture. En second lieu, on découvre au fur à mesure que les choses sont plus compliquées qu'il n'y paraissait au début. C'est un peu le raisonnement qu'ont découvert les éleveurs sur l'alimentation des animaux que nous découvrons dans notre vie quotidienne. Ces raisons-là suscitent donc l'inquiétude.

Je crois, en troisième lieu, que l'on est là face à quelque chose qui bouleverse tous les concepts habituels des maladies infectieuses, puisque le prion a un comportement qui, à chaque fois, a déjoué les connaissances classiques, qu'il s'agisse du modèle de Pasteur ou de la virologie des années 1950.

On a commencé par penser que cela ne passait pas d'une espèce à l'autre ; or, cela passe d'une espèce à l'autre ! Il y a toute une série de choses qui étaient plutôt rassurantes qui le sont moins. Tout le monde espère effectivement qu'en ce qui concerne les populations humaines exposées par voie alimentaire, il y aura peu de victimes, mais tant que ces incertitudes demeurent, il est assez logique que les préoccupations à propos d'une maladie qui est plus préoccupante que d'autres restent fortes.

M. Jean-Paul Emorine - Je voudrais revenir à l'utilisation des farines animales : depuis l'interdiction, quel a été le rôle de l'AFSSA ?

Beaucoup de revues affirment que, pendant cette période, des farines animales auraient continué à circuler. Vous nous avez indiqué que l'alimentation animale faisait partie de vos missions. Votre attention a-t-elle été attirée sur l'origine des farines destinées à nourrir les animaux ?

En second lieu, face à un cas d'ESB dans un cheptel, en France, aujourd'hui, le Gouvernement a décidé d'abattre l'ensemble du cheptel alors que, dans le reste de l'Union européenne, ce n'est pas le cas. Quelles sont les motivations qui font que l'on a pris cette décision ? J'aimerais connaître votre avis sur ce point.

M. Martin Hirsch - Depuis que les mesures de suspension ont été prises, on a été conduit à rendre plusieurs avis sur les aménagements aux mesures générales. Par exemple, on a rendu, à la mi-février, un avis pour indiquer que l'on pouvait admettre que l'on n'interdise plus les farines de poisson et qu'un certain nombre d'aménagements pouvaient être pratiqués, sur lesquels on a procédé à des évaluations scientifiques.

Seconde chose : pendant toute cette période, on a effectivement travaillé pour recueillir les données des plans de contrôle et pour pouvoir, à travers les différents points critiques -chauffage, etc.- porter une appréciation sur l'efficacité du dispositif.

Notre mission n'est pas de réaliser les contrôles nous-mêmes. Il est cependant de notre responsabilité de tirer la sonnette d'alarme, comme on l'a fait à plusieurs reprises, quand les données du terrain ou les résultats du contrôle laissent penser qu'il y a un risque pour la santé humaine. C'est l'esprit de la loi. Il y a une chaîne de police sanitaire, une chaîne d'évaluation scientifique et, entre les deux, des ponts pour éviter que les pouvoirs publics se retrouvent face à deux avis complètement contradictoires.

En fait, si nous ne sommes pas intervenus durant les dernières semaines, c'est parce qu'on ne nous a pas demandé notre avis et que nous ne nous sommes pas auto-saisis de cette question.

En effet, nous avons déjà suffisamment de mal à savoir quelles sont les causes des cas d'ESB et quel était l'état effectif du chauffage des farines et des différentes étapes il y a quelques mois, pour ne pas avoir d'évaluation scientifique supplémentaire à apporter à ce sujet.

Nous sommes toutefois intervenus sur un point important en disant qu'il ne fallait pas prendre de demi-mesures et faire en sorte que l'on ait un dispositif difficilement contrôlable. Lorsqu'on nous a demandé si l'on pouvait réintroduire les protéines de cuir dans la chaîne de l'alimentation animale, on a recommandé de ne pas le faire, au motif que l'on risquait alors de ne plus pouvoir distinguer les protéines "légales" des protéines "illégales".

Dès lors qu'il faut prendre une mesure de suspension générale, il convient de rester sur les généralités. Accepter les farines de poissons, ce n'est pas forcément gênant, mais accepter les protéines animales, cela semble ingérable.

Ceci rentre tout à fait dans notre rôle. En revanche, nous serions totalement incapables de courir après des données de contrôle ponctuelles, pour lesquelles il existe des services dont c'est le rôle.

Concernant l'abattage total, la question est la suivante : si l'on passait de l'abattage total, tel qu'il est pratiqué en France depuis le premier cas d'ESB, à un abattage sélectif, aurait-on un niveau de protection aussi élevé pour le consommateur et susceptible de garantir la non pérennisation de la maladie ? C'est la question qui nous est posée.

Que fait-on pour y répondre ?

Regardons d'abord ce qui passe dans les différents pays. Il y a trois cas de figures : les pays à abattage total, les pays où il n'y a pas d'abattage du tout et les pays à abattage sélectif.

L'absence d'abattage -si ce n'est le premier cas- c'est la stratégie du Royaume-Uni. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a pas jugulé rapidement l'épidémie et qu'il y a plusieurs cas par troupeau. Cette stratégie n'était recommandée par personne, même si elle n'a pas été modifiée dans ce type de pays.

La seconde possibilité, c'est l'abattage total ou sélectif. Entre les deux, il est difficile de trancher, pour plusieurs raisons.

Depuis quelques mois, on récupère les cerveaux d'un grand nombre de bovins abattus. Ce n'est pas forcément toujours faisable, mais nous essayons d'avoir des milliers d'échantillons, que l'on teste. A travers ceux-ci, on peut essayer de répondre à ces questions.

Pourquoi ne l'a-t-on pas fait plus tôt ? Il y a quatre ans, on ne pouvait faire de dépistage à grande échelle, et l'on ne disposait pas de méthodes permettant de faire des centaines de tests. Il y a encore deux ans, le nombre total de tests pratiqués en France était d'environ 300 ; l'année dernière, il était de 20.000. Cette année, il est de 3 millions.

Cependant, pour pouvoir répondre aux questions, il faut un certain nombre d'échantillons suivant les différentes tranches d'âge. On aura rapidement la réponse pour les animaux qui sont à peu près dans la même tranche d'âge. Il faut également examiner les animaux plus âgés ou plus jeunes, mais en ayant conscience que l'on n'est pas sûr d'avoir l'ensemble des réponses, dès lors que les méthodes de tests ne fonctionnent qu'à partir d'un certain âge. C'est pour cela qu'on n'a jamais recommandé de faire du dépistage en-dessous de trente mois.

Dans une exploitation, un animal de six mois qui réagit négativement au test peut être soit totalement indemne, soit avoir des tissus déjà infectés, sans que cela n'apparaisse pour autant dans le système nerveux central avant un certain temps. C'est la raison pour laquelle on avait recommandé, il y a quelques mois, d'autoriser à nouveau la consommation des cervelles de bovins jusqu'à 12 mois.

Pour faire le travail sérieusement et avoir des milliers d'échantillons, ce qui est statistiquement faisable, il faut encore un peu de temps, et nous nous sommes donc engagés à fournir ces éléments au printemps. En tout état de cause, les différents pays ne sont pas forcément très sûrs de leur propre stratégie, et personne ne détient la recette miracle.

M. le Rapporteur - Que pouvez-vous dire concernant les fonds de sauces ? C'est une question qui revient souvent. Avez-vous étudié le problème et expertisé ce point précis ?

M. Martin Hirsch - Non. Je ne peux rien dire de particulier sur les fonds de sauces, mais au moment où l'inquiétude a grandi, début novembre, le Gouvernement a saisi l'Agence pour obtenir une évaluation et savoir s'il y avait ou non plus de risques qu'avant.

A un moment, la question s'est posée de savoir si l'on pouvait demander à l'Agence de répondre plat par plat.

Nous avons répondu que nous ne pouvions répondre en trois jours. Il y a en effet deux façons de faire. La première consiste à poser des questions générales. La bonne approche, aux yeux des scientifiques, est d'étudier les choses en amont. Dès lors que les matières premières sont bien sécurisées, il n'y a aucun problème pour les fonds de sauces ou pour les autres plats.

C'est pourquoi nous avons proposé, début novembre, que soient prises six ou sept mesures faciles à appliquer, destinées à augmenter le degré de sécurité, depuis les mesures concernant le T-bone, jusqu'à la suspension et l'interdiction des farines, en passant par le dépistage à grande échelle, afin de sécuriser la gélatine et les différents aliments éléments qui entrent dans les fonds de sauces.

Je crois que la question des fonds de sauces est liée à la sécurisation des graisses ou de ce type de produits qui rentrent dans différents aliments, et que la mesure consistant à retirer les colonnes vertébrales est la plus scientifiquement fondée pour ajouter un degré de sécurisation alimentaire au degré actuel, sachant que l'on estime que 4 % des gélatines utilisées dans l'alimentation humaine sont faites à base d'os de ruminants et 96 % plutôt à base de couenne ou d'os de porc, etc.

Je ne sais si ma réponse vous satisfait.

M. le Rapporteur - Votre réponse nous satisfait.

Dans le droit fil de cette question, êtes-vous satisfait des mesures de traçabilité et de l'étiquetage informatif jusqu'au niveau de la RHF ? Imaginez-vous aller plus loin ou non ?

M. Martin Hirsch - La traçabilité d'identification peut être faite soit à titre purement informatif, parce qu'on aime savoir ce que l'on mange, soit pour permettre le libre choix de produits autorisés pour des tas de raisons -y compris religieuses, etc.- soit encore pour des raisons de santé publique. C'est en cela que nous sommes concernés, les deux autres raisons ne nous regardant pas.

Quels objectifs recherchons-nous en matière de traçabilité ? On a vu que le fait que l'identification de la traçabilité des bovins ait été mise en place précocement en France est l'un des éléments essentiels de la sécurisation du système, avec le retrait systématique des matériaux à risques spécifiés. C'est la raison pour laquelle, en France, le dépistage systématique marche, ce qui permet de prendre des mesures.

Beaucoup de pays sont très en retard dans ce domaine. On discute aujourd'hui de la levée de l'embargo qui frappe les viandes portugaises. Dans le dossier portugais, on voit que l'identification des bovins date de 1999 ou de 1998 !

M. le Rapporteur - En Angleterre, elle remonte à 1995.

M. Martin Hirsch - En effet.

Ces procédures, pour différentes raisons, sont plus difficiles à mettre en oeuvre pour les ovins, d'où les difficultés que l'on a aujourd'hui pour être sûr que l'on repère bien les ovins qui viennent d'Angleterre.

Dans ce domaine, la traçabilité de l'identification doit donc être considérablement améliorée. S'agissant des plats cuisinés et des aliments eux-mêmes, elle doit certainement l'être également pour différentes raisons : allergies, rappels de lots... Plus il y a d'informations, plus les mesures de sécurité, lorsqu'elles sont nécessaires, peuvent être ciblées, efficaces et moins douloureuses.

Il y a donc un tas d'améliorations que l'on peut apporter, et que l'on peut examiner sujet par sujet si vous le désirez.

M. le Rapporteur - Même si vous ne vous autorisez pas le moindre jugement sur les opinions émises lors de la promulgation des avis de l'AFSSA, quelle est votre analyse sur le jugement de l'INRA au sujet des mesures que vous avez préconisées en ce qui concerne le mouton ?

M. Martin Hirsch - Je dispose d'un communiqué de presse de l'INRA -que je n'ai pas ici- qui indique que l'INRA n'a pas à se substituer à l'AFSSA dans l'évaluation. Il y a des chercheurs de l'INRA dans les comités d'évaluations de l'Agence et l'INRA considère -je crois- qu'il n'y a pas de divergences entre l'avis du CSD et l'avis du Comité.

Il est vrai que l'on travaille énormément, soit en matière de recherches, avec des laboratoires de l'INRA, soit en matière d'évaluation avec des chercheurs qui viennent de l'INSERM, de l'INRA, du CNRS, du CEA, de l'AFSSA elle-même, et de différents domaines.

S'il existe des sujets sur lesquels on peut avoir une certaine compétition scientifique, c'est sur les sujets de recherches, ce qui est normal entre organismes de recherches.

En revanche, on a effectivement des missions d'évaluation et de sécurité alimentaire que n'a pas l'INRA. Certaines personnes ont aussi plusieurs rôles et on a été à plusieurs reprises, ces derniers temps, dans des situations dans lesquelles il pouvait y avoir décalage entre la façon dont étaient générés et conclus des avis européens et français.

Nos méthodes de travail sont les suivantes : les avis sur ce sujet sont élaborés par des comités qui ont été sélectionnés sur la base de leurs publications scientifiques, leurs travaux préalables, leurs comités d'experts, et sous l'égide du Conseil scientifique de l'Agence. Une fois qu'ils sont composés, nous mettons dans nos avis l'intégralité, à la virgule près, des conclusions auxquelles ils ont abouti.

Sur l'avis ovin, on trouve donc, à la virgule près et en italiques, l'intégralité des conclusions du Comité interministériel, qui sont très proches, à un détail près, je crois, sur l'âge du système nerveux central -certains scientifiques ont d'ailleurs participé aux deux- des conclusions des groupes de travail qui ont été mis en place au niveau européen sur ce sujet.

M. le Rapporteur - Avez-vous lu le livre de M. Eric Laurent "Le grand mensonge" ?

M. Martin Hirsch - Je l'ai parcouru.

M. le Rapporteur - Est-ce qu'il ne serait pas du ressort de l'AFSSA de formaliser par écrit un certain nombre de réfutations sur les informations scientifiques ou pseudo scientifiques qui y sont incluses ?

M. Martin Hirsch - Nous nous refusons en général à intervenir par réaction sur tel ou tel livre.

M. le Rapporteur - La commission le souhaiterait, parce que, très honnêtement, ce qui est écrit est assez choquant !

M. Martin Hirsch - Je vais donc le faire ici.

Normalement, nous nous y refusons. Effectivement, le journal qui en avait publié les bonnes feuilles m'avait demandé si je voulais écrire quelques lignes. Pour une fois, j'avais accepté, mais ils n'en ont finalement pas eu besoin, et je ne les ai pas écrites.

Je vais cependant vous dire ce que j'en pense. Je crois que les mensonges par omission sont aussi importants que les autres. Toutefois, si l'on réagissait sur certains livres et pas sur d'autres, on dirait que ceux sur lesquels l'AFSSA n'a pas réagi sont des livres qui ont notre caution, alors que les autres sont considérés comme mauvais par l'AFSSA.

On ne réagit donc pas aux articles de presse, sauf lorsqu'il y a des inexactitudes sur tels ou tels travaux de l'AFSSA. Là, il n'y a pas d'inexactitude sur les travaux de l'AFSSA : ce livre est écrit comme si l'AFSSA n'existait pas -sauf si je me suis trompé.

J'ai trouvé très intéressant de voir qu'était citées dans ce livre un certain nombre de choses qui nous ont beaucoup préoccupés un certain temps, comme le jonchage, dont nous nous étions auto-saisis, à propos duquel nous avions fait des recommandations qui ont été appliquées extrêmement rapidement.

Tout ce travail mis en place depuis quelque temps, qui a préexisté à l'AFSSA et qui a peut-être eu un mouvement d'accélération et de meilleure formalisation avec l'Agence, consistant à regarder en amont, à donner les éléments scientifiques, à coller à ce que l'on connaissaient des pratiques de la réglementation, des failles, des données scientifiques les plus actualisées d'un travail collégial, a conduit à modifier la réglementation un grande nombre de fois et à une meilleure transparence.

Rappelez-vous, nous avons rendu un avis pour confirmer que certains animaux infectés avaient pu rentrer dans la chaîne alimentaire, puisqu'on ne les détectait pas tous. Je crois que l'opinion publique sait entendre de telles choses. Cela n'a d'ailleurs pas semé de panique. Je pense que c'est si l'on prétend le contraire et que l'inverse est démontrable rapidement que se posent les problèmes !

J'ai en effet vu que l'auteur de ce livre ne prenait pas en compte un certain nombre de choses qui se font ces derniers temps, mais je ne peux savoir pourquoi.

M. le Rapporteur - Vous ne pouvez réfuter par écrit, pour la commission, un certain nombre de points contenus dans cet ouvrage ?

M. Martin Hirsch - Monsieur le Président, un certain nombre d'avis rendus par l'Agence sont en eux-mêmes probablement en contradiction avec un certain nombre de choses, mais il y aura d'autres livres, et je crois que nous sortirions de notre rôle. D'abord, cela nous occuperait beaucoup, et l'on ne pourrait pas faire ce que l'on nous demande !

M. le Rapporteur - Si l'AFSSA ne peut le faire, ne pensez-vous pas que le ministère de la santé ou de l'agriculture pourrait le faire ? Je pense qu'à force de laisser passer de tels écrits, l'opinion publique finit par les accréditer. Ce sera peut-être l'une des recommandations du rapport. Nous sommes aujourd'hui à mi-étape, et je verrai donc cela avec l'ensemble de mes collègues.

Je crois que l'opinion publique est aujourd'hui réceptive à un certain nombre d'informations, y compris celles devant souligner la dérive de certains journalistes.

Je cite la page 34 : "Le muscle contient forcément des prions en plus faible concentration que les abats spécifiés". Les consommateurs, nos concitoyens, lorsqu'ils peuvent lire cette phrase, doivent être à mon avis extrêmement troublés. Je pense que c'est le rôle de l'AFSSA ou -si vous estimez, en tant que directeur, que cela ne l'est pas- celui d'un de vos ministères de tutelle.

M. Martin Hirsch - Je pense qu'il y a beaucoup de choses approximatives qui ont été écrites sur ce sujet, soit volontairement, soit involontairement.

M. le Rapporteur - Ce livre affirme qu'il y a des prions dans le muscle, même en moindre concentration. Ces affirmations sont de vrais mensonges et quand on voit -ce qui est logique- l'ampleur des sommes financières mises en jeu par le Gouvernement pour inciter nos concitoyens à consommer davantage de viande rouge, je pense qu'il serait tout aussi utile de consacrer quelques lignes à essayer de réfuter ce type d'information !

M. Martin Hirsch - Si je me souviens bien des travaux préparatoires de la loi, ce que le Parlement et le Gouvernement attendaient en créant l'Agence, c'était d'avoir en face d'eux un organisme sur lequel se reposer pour dresser une évaluation sérieuse des risques afin, le cas échéant, d'arrêter des mesures adaptées.

On est extraordinairement sollicité par les médias. Le nombre de fois où l'AFSSA a été citée -on le voit à la facture de l'Argus de la presse- est impressionnant. Beaucoup de références sont faites à ce que l'on écrit ou à ce que l'on dit.

On nous soupçonne quelquefois de mal penser, mais on a le sentiment que lorsque l'Agence dit quelque chose, ce n'est pas pour travestir une vérité, ni pour amplifier quelque chose, mais pour essayer d'être factuel.

Je puis garantir que l'on n'a pas eu cinquante coups de téléphone de journalistes, après la sortie de ce livre, pour nous dire que l'AFSSA n'avait visiblement pas fait son travail.

Les ministères doivent-ils prendre position ? C'est toujours compliqué. Si on le fait pour l'un, faut-il le faire pour l'autre ? Je crois que ce travail a été fait, et je n'ai pas eu le sentiment que ce livre ait fait l'objet de commentaires soulignant la documentation scientifique et la rigueur des raisonnements tenus jusqu'à présent.

M. le Rapporteur - Toutes les questions d'alimentation humaine sont maintenant de vrais problèmes de société. Je sais que vous produisez chaque année un rapport d'activité mais, au delà de la loi de 1998 qui a institué l'AFSSA, ne serait-il pas pertinent d'officialiser une rencontre annuelle pour que vous présentiez au Parlement vos travaux au cours de l'année écoulée ?

M. Martin Hirsch - Effectivement, la loi prévoit que le rapport annuel est transmis au Gouvernement et au Parlement. On le fait selon la procédure classique : on transmet le rapport au Secrétariat général du Gouvernement, en lui demandant de le transmettre au Parlement.

Je crois que cette loi, qui est d'initiative parlementaire, montre que le Parlement est très attentif au suivi des travaux de l'Agence. Dans l'esprit des textes, il était bien entendu que l'Agence devait être en capacité de rendre compte devant le Parlement.

M. le Rapporteur - Vous y seriez favorable ?

M. Martin Hirsch - Bien entendu.

M. le Rapporteur - On essaiera de le formaliser.

M. Martin Hirsch - On ne voit aucun inconvénient à ce que ce soit formalisé ou non. Nous avons à vous rendre des comptes et à vous expliquer comment on travaille, ou à prendre en compte ce que vous pensez du fonctionnement de cette Agence qui a été créée par la loi.

M. le Rapporteur - Au travers du rapport de la commission d'enquête, nous essaierons de formaliser ce souhait, car je pense qu'il est important pour l'ensemble des membres du Parlement de savoir ce que vous avez fait, et quels ont été les résultats au cours de l'année écoulée.

Une dernière question -je crois vous l'avoir déjà posée lors d'une précédente rencontre. Elle concerne plus généralement le Livre blanc sur la sécurité alimentaire et sur l'alimentation animale : le ministère de l'agriculture, selon vous, a-t-il évolué en ce qui concerne la fameuse "liste positive" à laquelle, personnellement, je suis assez attaché, dans la composition des aliments pour animaux ?

M. Martin Hirsch - Oui. Le Livre blanc, à juste titre, contient des chapitres extrêmement importants sur l'alimentation animale et sur la liste positive. On a du coup, je pense, dans ce contexte difficile, déjà clarifié un certain nombre de choses sur l'alimentation animale, en ayant une démarche analytique, en supprimant un certain nombre de choses sur lesquelles on ne voyait pas suffisamment clair, et je pense que les choses peuvent être maintenant plus mûres pour les travailler au niveau européen.

Je n'ai jamais entendu de réticences du ministère de l'agriculture sur ce sujet.

M. le Rapporteur - Nous avons eu, avec notre collègue Emorine, qui a beaucoup travaillé sur cette question, quelques apartés sur ce point. J'ai senti malgré tout une réticence du ministère de l'agriculture sur l'élaboration d'une liste positive.

M. Martin Hirsch - Peut-être sur sa faisabilité, mais jamais sur le principe.

M. le Rapporteur - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions ? Il n'y en a pas !

Monsieur le Directeur général, nous vous remercions.

M. Martin Hirsch - Merci, Monsieur le Président.

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