Audition de M. Jean-François HERVIEU,
Président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA),
accompagné de M. Daniel GRÉMILLET, Mme Dominique BRINBAUM
et M. Guillaume BAUJIN

(28 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Hervieu, merci d'avoir répondu à notre convocation et, mesdames et messieurs, merci de l'accompagner.

Vous savez, monsieur Hervieu, que vous êtes entendu ici en tant que président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, que vous êtes amené à témoigner devant une commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre, je suis obligé de vous faire prêter serment. Je le ferai également pour vos collaborateurs. De cette façon, si vous avez besoin de leur passer la parole au cours de l'audition, il n'y aura pas de problème. Chacun à leur tour, ils jureront de dire la vérité et toute la vérité.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Hervieu, Grémillet, Baugin et Mme Brinbaum.

M. Jean-François Hervieu - Je me suis permis de me faire accompagner de M. Grémillet, président de la Chambre d'agriculture des Vosges, qui vient d'ailleurs d'être réélu, parce que, au niveau des chambres d'agriculture, sur le plan national, il est chargé des établissements départementaux d'élevage. C'est donc lui qui, à l'intérieur des chambres d'agriculture, suit tout spécialement ces problèmes.

J'ai également à mes côtés Mme Brinbaum, directeur général adjoint de l'APCA, tout spécialement chargée de la politique agricole en général. Elle pourra, sur des questions particulières assez pointues et techniques, vous apporter un complément qui pourra peut-être vous intéresser.

M. le Président - Je vais vous demander de bien vouloir prêter serment, madame.

Mme Dominique Brinbaum - Je le jure.

M. Jean-François Hervieu - Enfin, nous avons M. Baugin, qui est chargé des relations avec le Parlement et qui ne prendra pas la parole.

M. le Président - Très bien.

Dans un premier temps, je vais vous laisser la parole pour que vous puissiez nous parler succinctement, vu de votre place, de la manière dont vous voyez cette affaire des farines animales et de la propagation de l'ESB, après quoi mes collègues et moi-même vous poserons les questions qu'il nous semble utile de poser.

M. Jean-François Hervieu - Il est certain qu'au sein de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'une des questions que nous avons suivie le plus est le problème des farines, le problème du développement de l'ESB en tant que telle étant plus particulièrement scientifique, un élément sur lequel nous sommes plus au niveau des informations qu'au niveau des décisions.

Je vais vous rappeler un certain nombre de dates (ce sont des choses que vous connaissez et que vous avez déjà entendues) qui me semblent importantes en ce qui concerne les farines.

M. le Président - Ce n'est peut-être pas la peine. Je suppose que vous allez nous reparler de dates que nous connaissons. Nous n'avons que trois quarts d'heure.

M. Jean-François Hervieu - Il ne s'agit pas d'insister lourdement sur les dates mais de rappeler simplement que le premier cas d'ESB a eu lieu en 1986 en Grande-Bretagne et que, pendant les trois années qui ont suivi, aucune décision efficace n'a été prise.

La première décision efficace a été prise par la France en 1989 sur l'interdiction des importations et il a fallu attendre 1990 pour interdire l'utilisation des farines de viande en général et des protéines animales pour l'alimentation des bovins. C'est donc un point important. La question que chacun se pose sur ce plan, nous-mêmes comme vous-mêmes à travers votre commission d'enquête, est de savoir ce qui s'est passé dans les importations entre juillet 1988 et août 1989, lorsqu'il a été possible de continuer à importer en dehors de toute réglementation, puisqu'il n'y avait pas d'interdiction en tant que telle.

La deuxième question que nous nous posons porte sur les dates effectives de cessation des importations de farines animales. En effet, nous pensons qu'il a été possible de faire un certain nombre d'importations d'une façon ou d'une autre à cette époque.

L'année 1996 marque vraiment le début de la première crise de l'ESB en tant que telle en France, crise qui est liée à la directive de l'Union européenne sur la méthode de chauffage des farines qui permettait normalement de faire face à la destruction des prions. A la suite de cela, en 1996, au niveau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, nous nous sommes mobilisés sur le problème de l'utilisation des farines. En effet, nous avons considéré qu'il était grave que les éleveurs, par l'étiquetage des farines, en particulier, ne soient pas du tout au courant des produits réels qui existaient et qui étaient utilisés dans le cadre de leurs farines. Tout à l'heure, M. Grémillet, qui est en même temps éleveur, pourra vous apporter des compléments d'information sur ce point.

Durant toute cette période, nous avons évidemment posé le problème aux différents intervenants sur le marché, c'est-à-dire les fédérations de coopératives comme l'industrie privée, pour obtenir une amélioration sensible et être certains des produits qui étaient mis dans la fabrication des aliments du bétail pour bovins.

Nous avons fait des demandes allant dans le même sens auprès des pouvoirs publics et, malheureusement, nous n'avons eu aucune réponse. Nous n'avons obtenu, de la part des fabricants, que des réponses (elles ont été faites à cette période et elles ont été ultérieurement redonnées) liées soit à des problèmes de secrets de fabrication en disant : "nous ne pouvons pas divulguer publiquement les produits que nous utilisons", soit à des arguments économiques en disant : "compte tenu de la variation des prix des produits qui sont utilisés pour les aliments du bétail, il faudrait changer l'étiquette trop souvent et nous sommes dans l'impossibilité de le faire."

M. le Président - Excusez-moi de vous interrompre. Je suppose que toutes ces demandes ont été faites tant aux pouvoirs publics qu'aux fabricants d'aliments du bétail. Pourrez-vous nous donner les documents correspondant aux lettres que vous avez envoyées et les réponses qui vous ont été faites, même si, comme vous l'avez dit, elles sont négatives ?

M. Jean-François Hervieu - Nous avons eu essentiellement des réponses orales.

M. le Président - D'accord. Il nous faudrait au moins les lettres que vous avez envoyées, vous.

M. Jean-François Hervieu - Nous vous les communiquerons. Nous pensons, à partir de là, que la responsabilité des éleveurs, qui est évidemment engagée en tant que telle, a été défaussée du fait qu'il n'y avait pas une connaissance réelle de ce qu'ils pouvaient donner à leurs animaux. C'est donc un problème de fond et nous nous rendons compte finalement que, cinq ans après, la situation n'a pratiquement pas évolué. C'est donc une chose fondamentale.

Bien sûr, les mesures qui ont été prises très récemment évitent les accidents que l'on a pu connaître à cette époque, mais, pendant toute cette période, les éleveurs ont pu, à leur insu, avoir un certain nombre de produits introduits dans leurs aliments en allant à l'encontre de leur propre volonté.

C'est un événement important pour nous, dans la mesure où c'est l'une des actions sur lesquelles nous avons voulu très directement agir pour faire en sorte qu'une responsabilité soit prise par les producteurs.

Nous nous interrogeons aussi sur le retard qui a été pris par la France pour transposer la directive européenne de cette période de 1996 jusqu'en 1998, puisque, durant un peu plus d'un an et demi, il y a eu une différence de réglementation entre l'Europe et la France. Cela a été l'un des éléments importants sur lesquels nous agissons.

Cela étant, les décisions importantes ont maintenant été prises, puisqu'il s'agit de la suppression de l'utilisation des farines animales en tant que telles, si bien que le problème est relativement réglé sur ce plan.

Je dois dire que, lorsque la décision a été prise à ce moment-là, nous avons approuvé cette interdiction, malgré le coût qu'elle représentait, pour une raison essentiellement psychologique, puisqu'il était important de satisfaire l'opinion publique et de répondre aux interrogations que pouvaient avoir les consommateurs dans ce domaine. C'était certainement le moyen le plus efficace d'y répondre, même si, économiquement et matériellement, d'autres solutions auraient pu être prises.

Quant à la reprise de l'utilisation, puisque c'est l'une des questions qui sera posée et que cette interdiction a été prise à titre temporaire, nous pouvons dire que nous ne sommes pas hostiles au principe d'une réutilisation des farines animales, non pas pour les ruminants, bien sûr, mais pour les espèces monogastriques. Cependant, il est évident que le public et les consommateurs, en particulier, ne sont pas du tout prêts à l'accepter. C'est donc une possibilité peut-être à long terme mais elle n'est en tout cas pas à prendre dans les mois qui viennent car cela ne ferait que déstabiliser encore un peu plus les consommateurs par rapport aux problèmes de la viande. Ils ont besoin, sur ce plan, d'être légitimement sécurisés en matière d'alimentation.

Sur l'étiquetage, en particulier, je pense que le président Grémillet, si vous en êtes d'accord, pourrait vous apporter quelques compléments.

M. Daniel Grémillet - Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Sénateurs, effectivement, les agriculteurs découvrent, en 1996, une nouvelle maladie, au moment où la crise est rendue publique par les médias. En 1996, s'enclenchent deux niveaux d'action.

Le premier niveau concerne l'APCA et la délégation que m'a confiée le président en ce qui concerne la politique de l'élevage. Nous avons réuni l'ensemble des présidents et directeurs de tous les départements de France pour voir comment nous pourrions faire en sorte que la réglementation française et européenne nous permette de connaître le contenu des aliments et des ingrédients présents dans les aliments que l'on injecte.

A cette époque, nous avons fait plusieurs démarches.

Une démarche a tout d'abord été faite avec les professionnels de l'alimentation : les professionnels coopératifs ou privés. Nous avons obtenu une fin de non-recevoir, avec l'argument majeur du secret de fabrication. Je vous rappelle que le fait de connaître les ingrédients présents n'a rien à voir avec le secret de fabrication. Les ingrédients présents ne sont pas les pourcentages. Nous pourrons vous donner les documents qui font état de cette demande des éleveurs initiée par l'APCA.

Une autre démarche a été faite au niveau du ministère de l'agriculture en demandant que la réglementation soit changée.

Le deuxième niveau a concerné, dans le même temps, en 1996, les éleveurs-paysans dans le département des Vosges. Dès lors que nous avons appris qu'une nouvelle maladie frappait des bovins, qu'elle pouvait provenir de la consommation de farines mal conditionnées et que ces farines anglaises auraient pu venir sur notre pays, nous avons été dix-sept éleveurs du département des Vosges à demander à nos fabricants de connaître la composition des aliments que nous avions achetés et payés sur la période 1990-1996. Là aussi, nous avons eu un refus.

Compte tenu de ce refus, nous avons engagé une procédure au tribunal de grande instance, au niveau du juge des référés, au civil et non au pénal, pour que celui-ci nous permette de connaître la composition des aliments.

J'ai pris avec moi une photocopie --que je pourrai vous laisser-- de l'étiquette accompagnant la livraison du 2 décembre 1992, une livraison d'aliments dans mon exploitation. Je vous lis cette étiquette pour confirmer le propos du président quant au fait qu'aujourd'hui (c'est bien le drame et c'est pourquoi nous faisons des propositions sur la transparence), à aucun moment, on ne peut connaître ce que comporte l'alimentation. Voici donc cette composition :

"Catégorie d'ingrédients : coproduits de céréales" (on ne nous dit pas lesquelles), coproduits de sucreries, tourteaux plus produits azotés végétaux" (on ne sait pas quoi), céréales et amylacés, produits cellulosiques, substances minérales".

On pourrait dire que, depuis 1992, la réglementation a changé. J'ai donc pris avec moi l'étiquette qui accompagne mon bon de livraison du 29 janvier 2001 et je vous la lis :

"Tourteaux de soja, colza, tournesol, cornfield, radicelles, drêches de blé, coproduits de la fabrication de lysine protéinale, urée (1,25 %)."

Cela veut dire qu'aujourd'hui, on en est pratiquement toujours au même stade sur la composition des aliments. Cependant, cette procédure --c'est intéressant- nous a permis de toucher plusieurs domaines.

Le premier, c'est que nous nous sommes rendu compte qu'il n'y avait pas de traçabilité. Si vous venez dans mon élevage, je peux vous donner les animaux qui étaient présents en 1992 grâce à la traçabilité et au registre d'élevage que nous avons dans nos fermes et je peux donc vous donner les achats d'aliments puisque, lorsque nous avons demandé au tribunal de nous aider à connaître la composition des aliments, le président du tribunal nous a demandé de fournir l'ensemble de nos comptabilités de 1990 à 1996, ce qui est tout à fait normal. Nous avons donc fourni l'ensemble des factures et des bons de livraison des aliments que nous avions utilisés.

Dans ce propos, je souhaite vous faire toucher du doigt le fait que nous avons été confrontés à deux problèmes que nous avons découverts après coup.

Le premier, c'est que l'on était en train de mettre en place le marché unique tout doucement au niveau européen, ce qui a constitué un obstacle. Dans le cadre des auditions qu'il a réalisées, l'expert nommé par le tribunal nous a indiqué que, dès lors qu'une farine qui quitte l'Angleterre arrive aux Pays-Bas, elle ne peut plus s'appeler "farine anglaise" et qu'elle peut revenir en France sous l'appellation "farine néerlandaise". Il n'y avait donc aucune traçabilité et la réglementation ne permettait pas à ceux qui étaient chargés de contrôler les importations de savoir si ces farines venaient ou non d'Angleterre.

Je rappelle qu'en Angleterre, l'interdiction d'utiliser les farines animales a été prise et que personne ne s'est soucié de savoir ce qu'elles devenaient. Elles étaient interdites en Angleterre mais elles ne l'ont pas été pour les autres pays.

La deuxième chose que nous avons découverte, c'est qu'en 1989, une lettre a été envoyé par les services du ministère de l'agriculture, et non du ministre, à l'ensemble des fabricants d'aliments, lettre qui est datée du 13 novembre 1989. L'ensemble des fabricants a donc été alerté sur ce qui était en train de se passer.

Le ministre Nallet, qui a été auditionné le 12 février 2001, nous a fait part d'une chose très intéressante. Il a dit en effet qu'à aucun moment, ni les scientifiques, ni les experts, ni ses services vétérinaires ne l'ont alerté et que les décisions qui ont été prises en 1990 l'ont été par le ministre de l'agriculture suite aux articles de presse qui faisaient état de la transmission, notamment lorsque la barrière des espèces a été franchie et lorsqu'on a découvert, en 1990, que des chats avaient été contaminés.

C'est très important, car cela veut dire que l'on a évolué, durant les années 1988, 1989 et 1990 à 1996, au fur et à mesure des connaissances. Au début, on pensait que cette maladie était essentiellement animale et qu'elle n'était pas transmissible à l'homme, aucun rapport n'ayant mis en évidence ces faits.

Je signale une autre chose intéressante : le problème des importations d'animaux vivants provenant d'Angleterre. Là aussi, des décisions ont été prises et le directeur des services vétérinaires des Côtes d'Armor, M. Gouello, qui nous a expliqué que tout animal vivant venant d'Angleterre devait être abattu avant six mois. Or il semblerait que tous les animaux venant d'Angleterre n'ont pas été abattus dans les six mois.

Cela veut dire que nous avons pu avoir, à l'intérieur de notre propre traitement, en France, des animaux vivants qui, ensuite, ont rejoint les morceaux qui partaient dans les farines animales en France et qui provenaient de carcasses anglaises.

La deuxième chose très intéressante, sachant que l'on était dans le cadre d'un système de dérogation, c'est qu'il nous a dit que jamais une dérogation n'avait été refusée concernant les importations de farines anglaises.

Voilà des éléments qui montrent l'ampleur de ce qui a pu se passer et qui expliquent surtout la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Je voudrais terminer mon propos par un exemple. En 1996, lorsqu'on a découvert la maladie, on avait deux solutions : soit gérer le problème, soit le cacher. Le gérer, cela impliquait qu'il fallait dire que des farines contaminées avaient pu entrer dans différents pays de l'Union européenne. Je vous rappelle que l'on n'est pas sûr que tous les pays de l'Union européenne ont des systèmes conformes en matière de traitement des cadavres et des résidus de la consommation de la viande.

Par ailleurs, gérer le problème, cela impliquait d'admettre que l'on avait pu avoir des contaminations par mélange. Là aussi, la preuve a été faite que la plupart des usines d'aliments, en France, ne sont pas des usines spécialisées soit pour volailles-porcs, soit pour bovins, mais que la même usine est habilitée à faire à la fois des aliments pour bovins et des aliments pour les porcs et que le même camion peut les transporter indifféremment. Cela veut dire que l'on a pu avoir des contaminations croisées.

Si on avait géré intelligemment le problème en 1996, on aurait pu, comme je viens de le faire en vous parlant des livraisons de 1992 dans mon exploitation, savoir que, sur tel site, des farines ont effectivement été introduites et que, sur tel autre site, aucune farine n'a été introduite. Aujourd'hui, il y a suspicion sur l'ensemble de l'alimentation et l'ensemble du cheptel alors qu'en fait, l'ensemble du cheptel n'a pas été exposé aux farines.

C'est une solution qui n'a pas été choisie pour différentes raisons. Au niveau de l'APCA, nous le regrettons parce que l'initiative que nous avions prise en 1996 était de dire : "gérons le problème". Or la décision qui a été prise a été justement de ne pas gérer le problème, puisque nous étions persuadés que cela ne pouvait pas nous arriver.

Cela a été le drame de 2000. En effet, rien n'est plus terrible, dans la vie, que de donner l'impression qu'on a menti. En 1996, on a mis en place une initiative très intéressante, qui était Viande Bovine Française (VBF), avec la traçabilité et la connaissance de l'ensemble des détenteurs de chaque animal durant sa vie, et on a expliqué alors que les animaux, en France, ne pouvaient pas être contaminés puisque les farines étaient bien traitées.

Cependant, on n'avait pas intégré tous les points que je viens de soulever, à savoir les importations venant directement d'Angleterre en France ou provenant d'autres pays dont la case départ était l'Angleterre. Cela veut dire que, lorsque le phénomène s'est développé en 2000, les consommateurs et les citoyens français ont eu l'impression que, quelque part, on leur avait menti puisque le nombre de cas était en train de remonter.

Mon dernier propos est de dire, hélas, que les faits nous donnent plutôt raison. Je vous rappelle que l'initiative prise dans le département des Vosges l'a été avant que nous ayons un cas d'ESB : nous l'avions fait à titre préventif. A l'époque, le président du tribunal d'Epinal nous avait posé une question terrible à nous, éleveurs : "si, demain, avec la procédure que vous avez engagée, vous apprenez que des aliments que vous avez achetés ont contenu des farines, que faites-vous des animaux ?" Nous avions répondu alors, en 1996 : "nous ne commercialiserons pas ces animaux". Le premier cas d'ESB dans le département des Vosges date du mois d'octobre 2000, soit quatre ans après.

Nous sommes aujourd'hui à fin février 2001 et je ne sais toujours pas ce que contiennent les aliments que j'ai achetés et payés sur la période de 1990 à 1996.

M. le Président - Merci. Cela étant, il faut relativiser les choses quand on sait comment cela se passe. En effet, après avoir relevé des cas d'ESB dans certains élevages, on aurait peut-être pu retrouver, s'il n'y avait eu qu'un ou même deux fournisseurs, la composition des aliments et mener une investigation à cet égard.

Or vous savez bien --c'est tout naturel-- que, souvent, des éleveurs se servent chez plusieurs fournisseurs, quand ils ne fabriquent pas leurs propres aliments.

M. Daniel Grémillet - Vous posez une vraie question. Le tribunal d'Epinal, en 1996, a exclu toutes les procédures dès lors que l'éleveur achetait plusieurs types d'aliment. Les éleveurs qui sont en procédure aujourd'hui n'ont acheté, sur la période 1990-1996, que chez un seul fournisseur d'aliments.

M. le Président - D'accord. Et vous êtes sûr qu'ils ne donnaient que ces aliments ?

M. Daniel Grémillet - Bien sûr, puisque nous avons fourni l'ensemble des comptabilités.

M. le Président - Cependant, je voudrais vous faire remarquer que, tout à l'heure, entre vos deux étiquettes, il y a eu une certaine évolution, parce que la dénomination n'est pas tout à fait la même. Au début, on vous donne très peu d'indications, mais ensuite, on vous indique quand même : "tourteaux de soja, tournesol, etc." C'est quand même une évolution. Je trouve cela assez net.

Cela étant, c'est logique et normal. C'était la réglementation, mais il est vrai que vous pouvez souhaiter en savoir davantage, ce qui est tout à votre honneur. Je veux simplement dire qu'il y a quand même eu une petite évolution à travers l'exemple que vous nous avez donné.

M. Daniel Grémillet - La question que nous posons et que nous continuons à poser ne porte pas sur la composition des aliments mais sur les ingrédients présents dans les aliments qui nous sont livrés, ce qui est totalement différent.

Aujourd'hui, la plupart des aliments sont livrés en vrac, c'est-à-dire que, dès lors que le camion a déchargé, même si vous contestez la livraison, vous ne pouvez plus le faire parce qu'on peut toujours dire que vous l'avez mélangée à autre chose. Dans le département des Vosges, la Chambre d'agriculture, avec la FNSEA, a mis en place un système d'auto-contrôle. Nous avons fait un prélèvement par huissier au début, au milieu et à la fin de la livraison, au mois de décembre 2000, et je peux vous dire, monsieur le Président, mesdames et messieurs, que, dans cette livraison, certains ingrédients qui n'étaient pas sur l'étiquette y figuraient, tout simplement parce que le camion qui avait livré l'aliment avait livré auparavant de la luzerne : on trouvé des bouchons de luzerne dans la livraison d'aliments pour vache laitière.

La luzerne n'est pas un problème, bien sûr, mais je dis cela pour vous sensibiliser sur le fait que le problème peut se poser en ce qui concerne le transport, la fabrication, le stockage ou le transport des matières premières. Le fait de demander la connaissance des ingrédients présents permet non seulement d'entrer dans les secrets de fabrication (peu importe s'ils en mettent 18 ou 15 %) mais de savoir qu'un aliment que l'on donne à un bovin ne contient que des ingrédients conformes à l'alimentation des bovins.

C'est pourquoi j'insiste sur la distinction entre la composition qui a effectivement changé par rapport à ma livraison du mois de décembre 1992 mais qui n'a à aucun moment changé par rapport aux mélanges qui peuvent intervenir au moment de la fabrication ou de la livraison.

Le meilleur exemple que nous avons est celui de M. Vaxelaire, un éleveur qui a eu le premier cas d'ESB de notre département alors qu'il n'a jamais mis dans son silo d'autres aliments que des aliments pour bovins. Des prélèvements ont été réalisés sur la paroi intérieure du silo et on y a relevé la présence d'os. Cela veut dire qu'à l'insu de l'éleveur, à un moment donné, soit par contamination croisée, soit par introduction volontaire, de la farine animale a été dans ce silo.

C'est un exemple concret qui a été vécu dans le département des Vosges au mois de décembre 2000.

M. le Président - Si je comprends bien, vous pensez qu'il y a eu des retards dans les décisions pour faire évoluer les réglementations. Quel est votre sentiment sur ce point ? Est-ce tout à fait cela ou pensez-vous qu'on ne pouvait pas faire autrement ?

M. Jean-François Hervieu - On pourrait comprendre qu'il y ait un décalage de quelques jours. En revanche, le fait qu'il y ait un décalage de plusieurs mois me paraît incompréhensible face à un problème de cette importance. Il y a donc eu, à un moment ou à un autre, un laisser-aller ou une faute, disons quelque chose d'anormal par rapport soit à des décisions qui ont été prises à Bruxelles, soit à des faits qui se sont passés en particulier en Grande-Bretagne.

Le dernier point qui est assez étrange, c'est qu'en ce qui concerne l'incinération des farines animales, la réglementation européenne datait de 1996 et que l'adaptation française n'a été faite qu'un an et demi après, alors qu'on était en pleine crise. L'ensemble des sites d'incinération français correspondait-il de façon satisfaisante aux réglementations européennes ? Je ne le sais pas, mais la réglementation aurait pu être adaptée quasiment au même moment.

M. le Président - Par ailleurs, pensez-vous que les éleveurs ont été suffisamment informés à l'époque de l'interdiction de l'utilisation des farines animales pour les bovins ? L'information a-t-elle été suffisante et cela n'a-t-il pas entraîné une continuité, en dehors même des fabricants d'aliments du bétail, d'utilisation par les éleveurs, à certains moments, d'une petite partie de farines animales dans la fabrication d'aliments faits à la ferme, par exemple ?

M. Daniel Grémillet - J'ai dans les mains une note qui a été faite par l'ambassade de France en Grande-Bretagne au mois de mars 1989 et qui alerte la France sur ce qui se passe en Angleterre. Cette note est très claire et je pense que vous l'avez sûrement.

M. le Président - Vous nous la donnerez. Nous pourrons la comparer pour vérifier que c'est bien celle que nous avons.

M. Daniel Grémillet - Il en est de même pour la lettre du 3 août 1989. Elle a été envoyée par la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire qui, suite à une visite en Angleterre, a interpellé le ministère en demandant une rencontre. Cela s'est passé en 1989. Je vous rappelle qu'à cette époque, tout est géré par les services et non par le ministère, puisque la lettre envoyée aux fabricants d'aliments datant du mois de novembre 1989 est envoyée par les services du ministère et non pas signée par le ministre, mais tous les fabricants l'ont eue.

La seule remarque que je tiens à rapporter est un propos plein de bon sens de la part du directeur de la DGCCRF. Il nous a en effet expliqué que les farines anglaises étant interdites en Angleterre, elles n'ont pas eu une interdiction européenne. Cela veut dire qu'elles ont pu continuer, soit par d'autres pays, soit par dérogation, de rentrer dans notre pays. C'est un premier problème.

Par ailleurs, dès lors qu'une farine en est effectivement une, les contrôles s'arrêtent là. Il nous a alors donné un exemple plein d'images : la personne qui introduit de la drogue dans un camion frigorifique ne va pas marquer sur le bon de livraison que c'est de la drogue. Autrement dit, même si on voulait recenser les importations et connaître les transits des farines, vous ne pourrez pas déceler si cela a été fait d'une manière illégale. La DGCCRF expliquait que ce n'était pas en demandant des bordereaux aux entreprises que l'on pouvait déceler s'il y avait eu fraude. S'il y a fraude, il faut tomber dessus au moment précis de la fraude. Sinon, on ne peut plus refaire l'histoire.

C'est un point important à signaler, parce qu'il ne faut pas oublier qu'une matière première qui est interdite soudainement dans un pays ne vaut plus rien. Je vous rappelle --mais je pense que vous avez dû avoir cette information-- que les fabricants des farines françaises ont alerté le ministère des finances en 1988-1989 sur les bas prix des farines anglaises qui entraient dans notre pays en disant qu'il n'était pas possible d'avoir des distorsions de concurrence aussi importantes. Je le dis parce que ce sont les fabricants français eux-mêmes qui l'ont indiqué, ce qui voulait dire qu'il y avait une certaine spéculation et des intérêts financiers derrière cela.

Quant aux éleveurs et à la question plus précise de l'utilisation de farines animales dans les exploitations, je peux vous dire qu'au niveau des EDE, la plupart des aliments donnés aux bovins sont malgré tout achetés par les éleveurs. De toute façon, si jamais ce sont des farines qui sont légalement entrées dans l'alimentation du bétail, vous aurez les bordereaux de livraison, mais cela ne dira pas si ces farines viennent de France ou d'Angleterre, puisque la réglementation nous l'interdit du fait du marché unique. Je parle bien des bovins et non pas des porcins. Le système de fabrication des aliments du bétail est très développé en ce qui concerne l'alimentation bovine alors que, dans le système porcin, on a peut-être un pourcentage plus élevé de personnes qui fabriquent elles-mêmes leurs aliments.

M. le Président - De toute façon, il fallait bien qu'ils achètent leurs compléments d'aliment et on ne peut pas savoir d'où ils viennent.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Avez-vous gardé par devers vous, dans les archives de l'APCA, des échanges de courriers entre les fabricants d'aliments du bétail et les pouvoirs publics sur cette distorsion de concurrence et le bas prix des farines animales anglaises ?

M. Daniel Grémillet - Je peux vous donner le nom de la personne qui a envoyé cette lettre aux fabricants le 13 novembre 1989. Il s'agit de M. Jacques Olry, qui était contrôleur général au Conseil général des vétérinaires entre 1990 et 1994.

M. le Président - Pouvez-vous nous la donner ?

M. Daniel Grémillet - Je ne l'ai pas. C'est lui qui nous a informés de ce qui a été envoyé.

M. le Rapporteur - En s'adressant à lui, nous pourrions donc avoir le double de ce courrier. Il s'agit bien du 13 novembre 1989 ?

M. Daniel Grémillet - Exactement. C'est une lettre qui a été envoyée à l'ensemble des fabricants d'aliments par les services du ministère, signée de M. Olry.

M. Paul Blanc - Dans le même ordre d'idée, en ce qui concerne la fabrication de ces aliments, vous avez tout à l'heure mis dans le même sac, si je peux m'exprimer ainsi, les privés et les coopératives fabricant des aliments. Or il me semble que les coopératives sont elles-mêmes gérées par des agriculteurs. Vous avez dit tout à l'heure que vous aviez insisté auprès des fabricants pour qu'ils prennent en compte ce problème. N'avez-vous pas pu être mieux entendu par les coopératives ?

M. Daniel Grémillet - Hier, j'ai présidé, avec le président Hervieu, une réunion à l'APCA avec tous les présidents de l'élevage des chambres d'agriculture de France et leurs directeurs, et nous avions invité le président Montécot, pour le privé, et M. Rabiller, pour le SYNCOPAC.

A la demande de tous les éleveurs, j'ai dit : "Compte tenu de ce qui est en train de se passer, travaillons ensemble autrement et allons plus loin que la réglementation", mais je n'ai eu qu'une fin de non-recevoir.

Je vous précise que, dans le département des Vosges (quand on est dans cette situation, il faut bien prendre des initiatives à un moment donné), nous avons mis en place un système qui fait que les éleveurs sont en train de signer des contrats et que, dès lors que le fabricant, quel qu'il soit, ne s'engage pas à fournir, avec chaque bon de livraison, la totalité des ingrédients présents, nous n'achetons plus des aliments chez ces fabricants. Nous allons au-delà la réglementation française et européenne. C'est très important.

L'APCA souhaite que cette transparence, qui est nécessaire aujourd'hui pour la confiance et l'exercice de notre métier en tant qu'éleveurs, mais aussi pour le citoyen et le consommateur, puisse s'exercer à tous les niveaux de la chaîne, que ce soit pour que nous connaissions la composition des aliments que nous achetons, que ce soit lorsque nous vendons nos produits (aujourd'hui, la réglementation a changé et beaucoup de choses sont maintenant connues) ou que ce soit pour le produit final qu'achète le consommateur.

M. Jean-Paul Emorine - Tout à l'heure, lorsque vous avez évoqué la période de 1996, vous nous avez dit qu'à l'époque, pour ce qui concerne les farines qui venaient de Grande-Bretagne et qui pouvaient transiter par la Belgique, on vous avait répondu qu'à ce titre, on n'avait pas à savoir d'où elles venaient. Je pense qu'au titre de la traçabilité, même si c'est dans une directive européenne, rien n'empêche l'entreprise belge de vous indiquer d'où viennent ces farines. Dans l'entreprise, il y a bien, à un moment donné, un certificat qui donne l'origine de ces farines, même si elle ne fait que du commerce.

La directive n'empêche pas les denrées de circuler au niveau européen et on peut parler du passé mais aussi de l'avenir. Quand on parle de traçabilité, si on reste dans ce contexte, il suffira qu'un produit circule au niveau de l'Europe pour ne pas connaître son origine de départ.

La réponse qui vous a été faite, à mon avis, ne peut pas satisfaire le monde agricole, parce que si on devait rester sur cette position au niveau européen, je ne vois pas à quel titre vous pourriez faire de la traçabilité.

J'ai une autre question à vous poser. Dans le secret de fabrication, on vous donne les ingrédients et non pas le niveau de ces ingrédients, et vous avez très bien répondu sur ce point. Cela dit, quand on parle de traçabilité, je ne vois pas au nom de quoi on ne peut pas arriver à connaître la fabrication des aliments. Quand vous achetez certains produits, même si une concurrence se fait automatiquement, on doit vous donner la composition des ingrédients.

On ne pourra pas, au niveau français, mettre en place une traçabilité définitive si on ne peut pas aller plus loin dans la composition de ces aliments. Je ne vous pose pas beaucoup de questions, mais je trouve anormal qu'en 1996, on s'appuie sur une directive pour vous dire : "vous n'avez pas à nous demander d'où vient cette farine animale puisqu'elle vient d'Europe".

M. Jean-François Hervieu - Sur la traçabilité elle-même, effectivement, un acheteur peut toujours demander l'origine, mais, dans la mesure où il n'y a pas de traçabilité et où la farine est indiquée comme étant belge, elle change de nationalité, elle devient belge ou hollandaise et l'acheteur ne peut pas savoir, si son vendeur veut le lui cacher, s'il y a une origine de Grande-Bretagne.

M. Jean-Paul Emorine - Vous sentez bien que c'est néanmoins la vraie question qui est posée aujourd'hui, même si on ne va pas refaire le passé.

On est pour l'Union européenne, mais on peut connaître quand même le pays d'origine de la denrée. Au titre de la traçabilité, on n'échappera pas à cette notion ni à la décision qui a été prise dans les Vosges et que M. Grémillet exposait tout à l'heure. Si vous dites aux fournisseurs d'aliments : "on veut tout connaître", vous verrez qu'ils vont s'y plier.

Je suis très heureux de vous entendre, parce que, lorsque les gens ne voulaient rien vous dire en matière de composition des aliments, c'est la preuve que cela cachait quelque chose. Cela ne cachait pas que les ingrédients : s'il n'y avait eu que cela à donner, ils l'auraient sans doute fait.

M. Jean-François Hervieu - Sur le raisonnement, on vous suit totalement. Cependant, je tiens à vous donner un exemple qui est lié au même problème : la Hollande est aujourd'hui dispensée de l'abattage d'animaux de plus de 30 mois au prétexte qu'il n'y a pas d'animaux malades chez elle. On peut s'interroger. Le résultat européen est là. On a donc le même problème.

La deuxième question que vous posez concerne les farines animales. La réglementation oblige à écrire : "farines venant d'animaux terrestres". C'est la formule utilisée. Par conséquent, ces farines peuvent provenir de bovins comme de porcins ou de volailles ; elles peuvent aussi contenir de la viande, de la plume ou des os. On est incapable de savoir ce qu'on a réellement dans un aliment à partir d'une telle définition. C'est la réglementation de base.

M. le Président - Quel est aujourd'hui votre sentiment sur les dernières mesures qui ont été prises par l'AFSSA à propos des ovins ?

M. Jean-François Hervieu - Vous voulez parler de la fièvre aphteuse ?

M. le Président - Non. Je parle de la mesure consistant à retirer les abats à risques, le crâne, etc., par rapport à la tremblante.

M. Jean-François Hervieu - Je pense que c'est une approche de précaution qui est normale. Au niveau de l'AFSSA et du Conseil scientifique européen, les approches ont été sensiblement les mêmes et, compte tenu des démarches et des recherches qui sont faites actuellement, il apparaît qu'en retirant les matériaux à risques sensibles, on répond largement au principe de précaution.

Je pense que nous pouvons en rester là en ce qui nous concerne. Nous n'avons pas d'autres éléments qui nous permettent de penser qu'il faut agir différemment. Je ne sais pas si M. Grémillet a des éléments supplémentaires à apporter sur ce sujet.

M. Daniel Grémillet - Je ne suis que paysan et non pas scientifique. Cependant, pour nous aussi, en tant que paysans, il est important que le scientifique parle lorsqu'il a des éléments, y compris quand ils ne sont pas affirmés, c'est-à-dire quand il a des éléments de suspicion. Il est important qu'il nous informe et, surtout, qu'il informe les politiques pour que chacun prenne ses responsabilités. Le rôle du scientifique est de chercher et le rôle du politique est de décider.

A contrario, il est très dangereux que les scientifiques se mettent à exprimer des craintes qui ne se sont pas identifiées pour l'instant.

C'est important parce que, aujourd'hui, il y a un vrai débat sur ce dossier. J'ai juré tout à l'heure et je ne voudrais pas que mon propos soit considéré comme une affirmation mais, en tant qu'éleveur et responsable, on m'explique aujourd'hui que certaines choses pourraient être mises en avant, notamment sur le fait qu'au départ, contrairement à ce qu'on avait expliqué, l'ESB pourrait venir des farines animales anglaises qui traitaient à la fois des moutons et des bovins, y compris des moutons qui avaient la tremblante, alors qu'au début, on nous disait que ce n'était pas possible. Aujourd'hui, c'est une chose qui n'est plus exclue.

On nous a dit aussi que l'interdiction d'utiliser les farines a concerné, dans un premier temps, les bovins et non pas les ovins, si bien que les ovins ont eu légalement le droit de consommer plus longtemps des farines animales. Aujourd'hui, toujours d'après les scientifiques (encore une fois, je ne fais que rapporter des éléments que l'on nous donne en tant qu'éleveurs et responsables et il faut trier là-dedans), on nous explique qu'un nouveau variant possible de cette maladie serait passé du bovin à l'ovin, après un premier passage de l'ovin au bovin, mais sous une autre forme qui aurait des différences très nettes par rapport aux bovins. En effet, d'après les scientifiques, il semblerait que, pour les bovins, seul le système nerveux pourrait transmettre la maladie et non pas le muscle et qu'en revanche, pour ce qui est des ovins, il y aurait moins de certitudes sur le fait que le muscle ne puisse pas transmettre la maladie.

Je voudrais aussi que l'on évoque un autre point, si nous avons un peu de temps, après celui des farines animales : celui des graisses animales. En effet, on s'aperçoit qu'aujourd'hui, la plupart des animaux contaminés sont nés en 1994 ou 1995. Comme on connaît le temps d'incubation, cela veut dire que ces animaux ont été contaminés très jeunes, souvent dans la première année de leur existence, à une période où ils peuvent consommer des aliments d'allaitement, qui sont composés --il suffit de prendre les étiquettes-- à 50 % de lait en poudre et à 50 % soit de produits végétaux, soit de graisses animales.

Or les scientifiques ont démontré aujourd'hui que les graisses animales pouvaient, elles aussi, être porteuses et transmettre le fameux prion puisque, dans le traitement de ces graisses, on pouvait trouver des matériaux à risques.

C'est aussi un élément nouveau. N'oublions pas que les graisses animales étaient encore autorisées il y a très peu de temps, y compris dans notre pays. C'est donc un élément qu'il faut intégrer également.

Pour reprendre l'image de 1996, je pense que, dès lors que l'on sait, il faut gérer les problèmes et non pas les cacher. Il faut les gérer et voir où il y a risque ou non de manière très transparente.

M. le Rapporteur - Je voudrais revenir sur l'éleveur des Vosges, dont j'ai oublié le nom, qui a eu un cas d'ESB dans son exploitation et chez lequel, après prélèvement, vous avez découvert des fragments d'os le long des parois de son silo. Accréditez-vous l'hypothèse, qui court de plus en plus, selon laquelle les contaminations croisées sont plus des contaminations issues d'un problème de retour de fins de silo plutôt qu'une contamination in situ dans l'exploitation agricole elle-même ?

Cette hypothèse s'appuie sur l'argumentation suivante. Dans un but de bonne pratique commerciale, soit sur un atelier volailles, soit sur un atelier porcs, lorsqu'un industriel de la transformation de farines récupérait une partie d'un silo, on considère qu'il y avait ensuite incorporation de ces retours de silo dans d'autres aliments pour animaux en utilisant deux formulations qui, techniquement, étaient les plus simples à élaborer : la formulation "aliments complémentaires pour les jeunes bovins" et la formulation "aliments pour les truies". Il paraît que c'est au sein de ces deux types d'aliments qu'il était plus facile d'incorporer ces retours de lots.

C'est une thèse qui semble se développer. Avez-vous des informations là-dessus et accréditez-vous cette thèse ?

M. Daniel Grémillet - Il est certain, sur l'aspect alimentaire, que les bovins peuvent consommer des produits beaucoup plus souples que d'autres espèces. Par exemple, le porc est un animal qui a besoin d'une alimentation très précise, qui est beaucoup plus sensible que le bovin.

M. le Rapporteur - J'ajoute que cette thèse accréditerait également l'hypothèse que les animaux seraient contaminés précisément dans leur jeune âge. On a parlé des lacto-remplaceurs au travers des graisses, mais, juste après les lacto-remplaceurs, dans la période de transition, on a l'aliment "jeunes bovins" et on pourrait imaginer que les animaux seraient contaminés dans leur première année d'existence.

M. Daniel Grémillet - Tout à fait. Dans les auditions qui ont été faites à Créteil par l'expert, il me semble que c'est M. Jean-Jacques Réveillon qui nous a expliqué que chaque usine d'aliment avait un silo "infirmerie" qui contenait tous les retours des lots d'aliment. Je ne le retrouve pas précisément dans mes notes, mais je sais qu'une personne nous a effectivement parlé de ce problème de fin de lots, de restes de camion, voire de reprises d'aliments, lorsqu'une bande est terminée et qu'il y a un vide sanitaire, avec des produits retraités. Pour cette personne, ces produits pouvaient repartir dans l'alimentation des bovins.

Cela fait partie d'une autre source. La contamination croisée ne s'arrête pas aux mélanges dans les camions mais va effectivement jusqu'aux restes de fabrication.

M. le Président - Je pense que nous avons fait le tour de ce que nous avions à vous demander. Nous vous remercions d'avoir répondu à cette audition, en espérant que les choses s'arrangeront pour tout le monde parce que cela devient difficile.

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