Audition de M. Pierre CHEVALIER, Président de la FNB et de l'OFIVAL,
et de M. Pierre FOUILLADE, Directeur de l'OFIVAL

(13 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Pierre Chevalier, vous êtes président de la Fédération Nationale Bovine (FNB) et de l'Office National Interprofessionnel des Viandes, de l'Élevage et de l'Aviculture (OFIVAL). Monsieur Pierre Fouillade, vous êtes, quant à vous, directeur de l'OFIVAL. Vous êtes deux tous présents dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur les farines animales. Cette audition se fait sous serment. C'est pourquoi je vais être obligé, pour l'un et pour l'autre, de vous lire le texte rituel. Puis, je vous demanderai de bien vouloir jurer que vous direz toute la vérité, rien que la vérité.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Chevalier et Fouillade.

M. le Président - Monsieur Chevalier, quel est votre sentiment sur le problème posé par les farines animales ? Au nom des organismes que vous représentez, quelle est votre opinion sur l'épidémie de l'ESB qui aujourd'hui s'est développée dans notre pays ainsi que dans toute l'Europe.

M. Pierre Chevalier - M. le Président, si vous le permettez nous allons nous répartir la mission entre Monsieur Fouillade, directeur de l'OFIVAL et moi-même, président du Conseil de direction de cet établissement public. J'interviendrai dans un premier temps en tant que président de la fédération nationale bovine, fédération qui est favorable à tous travaux et à toutes initiatives permettant d'approcher la vérité sur les conditions dans lesquelles le cheptel français a été pollué par ces farines animales contaminées.

C'est au mois d'avril 1989 que la FNB a été avertie de cette nouvelle maladie, apparue en Grande-Bretagne. Au mois de mai 1989, nous avons demandé, auprès de la direction générale de l'alimentation, l'interdiction d'introduire les farines anglaises. A cette époque, nous avons été déçus par la décision qui avait été prise. En effet, seul un avis aux exportateurs avait été pris.

L'image de l'agriculture a été gravement détériorée par l'encéphalite spongiforme bovine. Je regrette que l'opinion publique ait une représentation simplifiée de la filière. L'éleveur est considéré comme responsable, voire comme un empoisonneur. C'est malheureusement l'image qui est ressortie de cette crise. Pourtant, quels que soient les gouvernements, nous avons bénéficié de la meilleure réglementation au sein de l'Union européenne. Cependant, force est de reconnaître que nous ne bénéficions plus de notre capital de confiance.

Les éleveurs ont le sentiment d'être des victimes dans cette affaire. La dernière décision relative au retrait des bovins accidentés du circuit de l'abattage, décision prise lundi matin, renforce quelque peu cette situation. La déclaration très limpide faite par Monsieur Martin Hirsch, directeur de l'AFSSA, et Madame Catherine Geslain-Lanéelle, directrice de la DGAL, exprimés devant la presse de façon très transparente, a été reprise par la presse de façon erronée. Les médias ont, en effet, affirmé que 2 â de l'ensemble des 21 millions de bovins français étaient contaminés ! Si la commission d'enquête peut faire progresser la vérité sur ces aspects, alors elle aura vraiment atteint un objectif.

M. le Président - Pouvez-vous repréciser quel est le nombre exact d'animaux concernés ?

M. Pierre Chevalier - Le taux de 2 â ne concerne pas, bien entendu, l'ensemble des bovins mais 15 000 animaux testés. Il ne s'agit, en aucun cas, de 2 â bovins malades sur les 21millions de têtes de bétail que nous comptons en France.

Sur le plan réglementaire, c'est au mois d'août 1989 que la suspension de la dérogation générale d'introduction des farines anglaises a été décidée. L'introduction de farines en provenance du Royaume-Uni était désormais soumise à dérogation particulière. Les farines étaient acheminées dans des usines spécialisées pour l'alimentation des animaux monogastriques. La dernière dérogation délivrée par la France date du mois de février 1990. Au cours du mois de juillet 1990, l'interdiction des farines d'origine animale dans l'alimentation des bovins a été décidée en France. Au mois de juin 1996, la France a décidé d'exclure les matériaux à risque des cadavres et des saisies de l'alimentation des farines destinées aux volailles, aux porcs et poissons. Cependant, ce n'est que le 1er octobre 2000 que l'Allemagne a décidé d'interdire l'introduction des cadavres dans la composition des farines animales. Force est donc de reconnaître les différences qui existaient entre les différents États membres de l'Union européenne.

Au plan des démarches volontaires, en 1997, la FNB a obtenu l'obligation du référencement des fabricants dans le cadre des cahiers des charges des certifications produits. Les fabricants sont tenus de respecter un code de bonnes pratiques pour éviter les contaminations croisées. En 1998, l'obligation du référencement a été élargie dans le cadre de la charte des bonnes pratiques d'élevage. Il s'agit d'un cahier des charges que nous avons mis en place de façon volontaire dans nos élevages comportant une obligation de référencement des fabricants.

Sur le plan judiciaire, la fédération nationale bovine a déposé une plainte contre X et a constitué partie civile au mois de juillet 1996 auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris. La fédération se porte partie civile dans toutes les affaires transmises au parquet par la brigade nationale d'enquête vétérinaire ou par la répression des fraudes. La communication de l'avancement des enquêtes judiciaires a mis en évidence que beaucoup de travail restait à faire. Les moyens dont dispose le juge Boizette aujourd'hui sont-ils suffisamment importants eu égard à la complexité de l'affaire ? Madame le juge elle-même nous a fait part de ses préoccupations à ce sujet.

Voici Messieurs les quelques propos introductifs que je souhaitais formuler. Je reste, bien entendu, à votre entière disposition pour toute question complémentaire.

M. Pierre Fouillade - L'OFIVAL est un établissement public industriel et commercial. Il compte environ 300 personnes. Son budget est de l'ordre de 6 milliards de francs, dont 1 milliard provient du budget national et 5 milliards proviennent de fonds communautaires. Nous gérons pour le compte du FEOGA un certain nombre de procédures. Nous gérons principalement l'intervention publique comme les mesures de retrait et les aides à l'exportation. Nous gérons également pour le compte du FEOGA le versement aux éleveurs de certaines aides concernant les bovins et les ovins. Enfin, les crédits nationaux sont plutôt utilisés pour le renforcement de la compétitivité de la filière dans son ensemble, de l'élevage à la distribution. Cette somme s'élève à environ de 1 milliard de francs sachant que, sur cette somme, nos frais de fonctionnement sont de l'ordre de 150 millions de francs par an.

Notre préoccupation essentielle est au coeur de la gestion des marchés et de l'économie de la filière bovine en général. Notre préoccupation essentielle concerne les niveaux de prix, la compétitivité de la filière, les possibilités d'exportation et le positionnement de la filière française par rapport aux autres filières européennes et mondiales.

Le problème des farines animales nous concerne bien évidemment. Au-delà de l'aspect réglementaire rappelé par le Président Chevalier, nous sommes concernés par l'incidence économique des dispositions. L'actuelle suppression concerne 400 000 tonnes de farines animales destinées à l'alimentation du bétail. Cette mesure a une incidence certaine au niveau des abattoirs puisque les produits qui servaient à fabriquer les farines animales étaient pour certains valorisés et vendus aux fabricants de farines. Aujourd'hui, ils ne peuvent plus l'être. La perte économique au niveau de l'abattage est de l'ordre de 2 milliards de francs.

Le plus grand impact économique concerne la filière volailles. La France est le premier exportateur européen de volailles dans le monde. L'alimentation de ces animaux utilisait des farines. Nous allons être aujourd'hui dans l'obligation de les remplacer par des produits plus onéreux. Les abattoirs utilisaient également les plumes ainsi qu'un certain nombre d'autres coproduits pour fabriquer des farines. Cette transformation était source d'une recette. Aujourd'hui, les études réalisées montrent que cette disposition induira une augmentation du prix de revient du poulet de l'ordre de 0,45 francs par kilogramme, soit une augmentation de 8 % du prix. Sur la filière porcine qui consommait jusqu'ici des farines animales, même s'il s'agissait de quantités moindres comparée à la filière volailles, l'incidence sur le prix de revient est bien plus faible. Elle est de l'ordre de 1 %.

M. le Rapporteur - Quelle était votre approche en matière de sortie de crise ? Allez-vous inciter les membres de la filière à s'orienter davantage vers un mode d'élevage extensif ? Allez-vous, au contraire, continuer sur cette même lancée sachant qu'il existe une incompréhension entre le monde rural et le monde urbain ?

M. Pierre Chevalier - Depuis la seconde guerre mondiale, nous avons été contraint de nous diriger vers l'autosuffisance agricole. Nous étions dans une situation déficitaire. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes lancés dans une amélioration technologique des productions agricoles. Cette amélioration était souhaitable pour que la France parvienne à une indépendance alimentaire. Il me paraît néanmoins difficile d'établir un parallèle entre la crise de l'ESB, la contamination par des farines animales et l'intensification des cultures, même si elle fut certes parfois excessive.

A l'origine, pourquoi avons-nous eu des farines animales contaminées en provenance de Grande-Bretagne ? C'est parce que les entreprises anglaises n'ont pas respecté la technologie conseillée par les scientifiques, à savoir traiter les farines à 133 degrés pendant 20 minutes sous 3 bars. Pourquoi avons-nous continué d'importer des farines animales anglaises alors que la Grande-Bretagne avait arrêté l'incorporation des farines animales en 1988 ? Pourquoi avons-nous arrêté de les importer en 1990 ? Pourquoi avons-nous importé entre 1987 et 1990 des abats contaminés en provenance de Grande-Bretagne ? Les quantités de farines importées nous conduiront peut-être, demain, à recenser d'autres cas de maladies de Creutzfeldt-Jakob. Nous espérons néanmoins que cela ne se produira pas.

Les éleveurs se demandent également pourquoi des contaminations croisées se sont produites. Pourquoi 90 % de nos cas d'ESB se retrouvent chez des animaux nés entre 1993 et 1995 alors qu'ils n'ont pas consommé de farines animales puisque celles-ci étaient interdites depuis 1990 ? Les exploitants possédant une production porcine ont-ils donné de l'alimentation de porc à leurs bovins ? C'est possible, voire évident. Les citernes ayant livré de l'alimentation de poulets ont-elles contaminé des cuves d'aliments destinés aux bovins ? Comment est fait le liant des condiments minéraux donnés à nos bovins ? En effet, ce liant est fait à base de graisses animales. Comment est faite la matière grasse animale ? Elle est faite avec la colonne vertébrale fondue et transformée en matière grasse. A-t-il pu y avoir transmission à partir de la matière grasse animale avant 1996 ?

Lorsque j'avais eu une mise à bât difficile sur mon exploitation, j'étais dans l'obligation de donner du lait reconstitué à mon veau. La matière grasse animale contenue dans le lait reconstitué pouvait-elle être contaminée ? C'est possible. Sur ma ferme, j'ai pu donner un aliment complémentaire à mes broutards et à mes génisses. Ce complément pouvait-il contenir des farines animales contaminées ?

Sur ma propre ferme où je produis du Charolais, je ne donne que de l'herbe et de l'ensilage d'herbe. Je ne donne absolument pas de farines animales à proprement dit. Pourtant, j'ai pu donner, avant 1990, des farines animales à mes génisses. Par conséquent, si un cas se déclarait aujourd'hui dans mon exploitation, il n'y aurait rien de surprenant.

Les condiments minéraux que j'ai pu donner après 1990 pouvaient être contaminés. Le lait reconstitué que j'ai donné occasionnellement suite à une mise bât difficile a pu contaminer un de mes veaux sans que je ne le sache.

Par ailleurs, le comportement sociologique du consommateur dans notre société a considérablement changé. Je crois que nous avons pris un virage considérable depuis 1996. Depuis cette date, le consommateur veut savoir quelle est l'origine, la provenance et la façon dont a été produite la viande qu'il retrouve dans son assiette. En partant de ce constat, nous devons nous diriger non pas vers une agriculture biologique car ce n'est pas ainsi que nous solutionnerons les problèmes. L'agriculture biologique ne représente que 1 % de l'agriculture française. De plus, demain, nous risquons de rencontrer des problèmes en matière de sécurité alimentaire.

Aujourd'hui, nous devons aller vers une agriculture plus raisonnée qui tient compte des préoccupations de l'ensemble de la population en matière d'aménagement du territoire et d'entretien de l'espace. Il est nécessaire d'agir avec plus de transparence. L'intensification à outrance ne correspond plus à la demande de la société en France, en Europe et dans le monde.

L'agriculture raisonnée doit s'appliquer dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. En effet, si la France applique seule une agriculture raisonnée, d'autres États membres s'empresseront de prendre nos parts de marché. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours dit, suite à la négociation de l'OMC, qu'il fallait associer les consommateurs à l'Organisation Mondiale du Commerce. La France n'a pas le droit de perdre des parts de marché vis-à-vis de ses voisins européens. L'Europe n'a pas le droit non plus de perdre des parts de marché vis-à-vis des pays tiers émergents.

M. Paul Blanc - La composition exacte des farines animales est-elle indiquée directement sur les sacs ?

M. Pierre Chevalier - Sur les sacs de farines animales, il est uniquement mentionné «protéines animales».

M. Paul Blanc - L'origine est-elle indiquée ?

M. Pierre Chevalier - Non.

M. Paul Blanc - Estimez-vous que l'étiquetage est suffisant ?

M. Pierre Chevalier - Après 1996, les éleveurs auraient souhaité que l'on impose une traçabilité des farines animales telle que nous l'avions fait pour la viande bovine. En effet, nous aurions souhaité retrouver les indications suivantes : où l'animal est-il né, où a-t-il été élevé, quel est son âge, quelle est sa race, son sexe et le nom de l'éleveur. Nous estimons que nous aurions dû exiger ces renseignements de la part des fabricants d'animaux pour bétail d'autant plus que la majorité des fabricants y sont aujourd'hui favorables.

M. Paul Blanc - Qui conseille l'éleveur en matière d'alimentation ? Est-ce le fabricant de produits ? Est-ce le vétérinaire ? Est-ce la coopérative ou encore le conseiller agricole ?

M. Pierre Chevalier - En France, le développement fait dans le cadre des chambres d'agriculture est un développement sans connotation sectorielle. Les SUAD (Services d'Utilité Agricole de Développement) peuvent fournir des conseils sur l'ensemble des productions qu'elles soient animales ou végétales. Ce conseiller n'a pas d'intérêt particulier si ce n'est le respect de l'équilibre économique de l'exploitation. Il peut apporter son conseil en matière d'alimentation, de progrès génétique et également sur des aspects sans grande connotation technique.

Les organisations économiques apportent également des conseils. C'est le cas notamment des groupements de producteurs. Il s'agit souvent d'un conseil technique objectif fourni par des techniciens et des ingénieurs. Ces conseils sont davantage spécialisés pour un secteur de production donné. Ils sont spécialisés soit sur la production bovine, soit sur la production ovine, soit sur la production porcine, soit sur la production avicole.

Des ingénieurs et techniciens appartenant à des firmes industrielles peuvent également apporter leurs conseils. Ici, le conseil a une connotation commerciale plus affirmée.

M. Paul Blanc - Tout le monde peut donc apporter son conseil.

M. Pierre Chevalier - Plusieurs acteurs peuvent intervenir. Néanmoins, leur conseil peut être différent. En France, le suivi vétérinaire des élevages est d'une grande rigueur. Le docteur vétérinaire praticien a un mandat libéral pour intervenir au niveau de l'élevage. Il a aussi un mandat sanitaire confié par l'Etat pour suivre les prophylaxies à caractère obligatoire. Dans ce cadre, il apporte un conseil sous contrôle du directeur des services vétérinaires.

M. Paul Blanc - Vous avez évoqué l'agriculture raisonnée. Jusqu'à présent, en particulier dans les zones de montagnes, il existait une prime « à la vache tondeuse » . Cette prime n'était-elle pas de nature à augmenter le nombre de têtes de bétail au détriment de la surface cultivée ? N'incitait-elle donc pas à utiliser des aliments de substitution ?

M. Pierre Chevalier - J'ai parcouru de nombreuses régions françaises y compris les zones que l'on qualifie d'intensive ou d'extensive. Je n'ai pas objectivement rencontré ce type de situations. Dans les productions bovine, ovine ou porcine, je ne suis pas persuadé que les résultats économiques d'une exploitation peuvent êtres basés sur de grandes surfaces même s'il peut exister quelques cas particuliers.

M. Paul Blanc - La situation s'est améliorée. Toutefois, je puis vous dire qu'avant 1992 il y avait des chasseurs de primes.

M. Pierre Chevalier - Je viens du Massif Central. Tous les résultats technico-économiques de nos exploitations de production de viande bovine ne présentent pas d'ambiguïté. Nos structures d'exploitation sont moyennes. Tous les éleveurs qui ont cherché à agrandir leurs troupeaux et leurs surfaces sans tenir compte des critères d'amélioration génétique et de conduite du troupeau avec rigueur obtiennent des résultats économiques catastrophiques.

M. Michel Souplet - Lorsque l'on écoute certains éleveurs ou certaines organisations de consommateurs, il est légitime d'être affolés. On doit même être affolé. Selon eux, on ne devrait plus rien manger du tout. Le danger découvert aujourd'hui existe peut-être depuis dix ou quinze ans, voire plus, puisque la tremblante du mouton existe depuis le 18ème siècle. J'estime qu'il faudrait relativiser ces problèmes. Ceci passe nécessairement par l'information. Actuellement, la désinformation tous azimuts règne. Il faudrait une information objective et réaliste qui redonne confiance aux consommateurs.

Aujourd'hui, nous risquons de voir nos marchés occupés par des viandes d'importation venant d'autres pays sans aucune traçabilité. Je ne suis pas persuadée que si nous effectuions des tests en Argentine, nous ne trouverions pas des microbes. Je me demande si nous ne pourrions pas envisager une campagne médiatique qui coûtera peut-être cher mais que les organisations professionnelles peuvent peut-être financer.

Certes, les chercheurs nous mettent en garde. Toutefois, lorsque nous leur demandons s'ils mangent de la viande de boeuf, ils nous répondent par l'affirmative. C'est uniquement sur les abats qu'ils ne peuvent apporter une réponse. Si nous pouvions redonner confiance sur le muscle alors la confiance reviendrait progressivement. Je crois que la France a apporté la preuve qu'elle était capable de garantir la sécurité alimentaire. Nous sommes aujourd'hui capables d'assurer par la traçabilité une qualité exceptionnelle des productions alimentaires. Toutefois, nous ne serons jamais capables de garantir le risque zéro puisqu'il n'existe pas.

Il faut également que le consommateur sache que ceci coûtera plus cher et qu'il peut toujours y avoir un risque, même infime. Cette affaire doit être relativisée. Cependant, je ne sais pas comment nous pourrions diffuser une information objective qui redonne confiance aux consommateurs. Par ailleurs, comment pouvons-nous insister sur l'impérieuse nécessité d'être aussi exigeant sur les produits importés que sur les produits internes à la communauté ?

M. Pierre Chevalier - Je crois qu'en plein coeur de la crise la vache folle il n'y avait rien à faire. Maintenant, nous allons peut-être pouvoir commencer à travailler. Au centre d'informations des viandes, nous menons une enquête SOFRES hebdomadaire sur la confiance des consommateurs. Je vous donne un exemple pour étayer mes propos. L'annonce du retrait des farines animales en France a fait chuté l'indicateur de perte de confiance des consommateurs de 70 % à 53 %. Pourtant, nos animaux ne mangent plus de farines animales depuis 1990. Ce résultat est donc incompréhensible. Je pense que la mise en place des tests systématiques produira le même effet même si au-delà de six mois les tests ne sont pas garantis.

Le ministère de l'Agriculture a entrepris une campagne de communication. Le directeur de l'OFIVAL peut vous parler de cette campagne de communication cofinancée par l'interprofession bovine française et les pouvoirs publics. Nous avons investi 15 millions de francs chacun dans cette campagne. Cette dernière sera menée auprès de nos consommateurs. Nous essayerons dans ce cadre d'expliquer des principes simples dans l'état actuel des connaissances scientifiques. Nous répéterons que le muscle n'est, en aucun cas, porteur du prion. Certes, l'information est essentielle. Toutefois, pendant la crise, une campagne de communication ne pouvait être réalisée.

M. Pierre Fouillade - Nous allons mener une campagne financée pour moitié par l'OFIVAL et le CIV. Cette campagne s'élève à 30 millions de francs. Vous avez peut-être déjà lu un certain nombre de pages dans le quotidien Le Monde expliquant des choses très simples dans le but de redonner confiance aux consommateurs.

M. Bernard Cazeau - En tant que président de la FNB et en tant qu'éleveur, que pensez-vous de la déclaration qui préconise la suppression des animaux de plus de 54 mois ?

M. Pierre Chevalier - Vous parlez sans doute de la préconisation faite par Monsieur Fischler et par Monsieur Byrne lors d'une conférence de presse à Bruxelles.

M. Bernard Cazeau - Non, je veux parler de la déclaration qui a été faite par Monsieur Luc Guyau, il y a quelques jours.

M. Pierre Chevalier - Je vous remercie de me poser cette question. Le lundi 6, 6 millions de téléspectateurs avaient regardé l'émission spéciale consacrée à la vache folle diffusée sur M6. La semaine précédente, une majorité de maires de France avait retiré la viande bovine des cantines. Dans mon propre canton où je suis Conseiller général, commune de 200 habitants uniquement rurale, les enfants ne mangeaient plus de viande bovine à la cantine. Pourtant, le maire est exploitant agricole et la responsable de l'association des parents d'élève est fille d'un éleveur de vaches limousines.

Le mardi 7, nous constations une chute de 54 % de l'activité des abattoirs. La consommation de boeuf en grande distribution chutait de 50 à 60 % . La consommation de viande bovine en restauration hors foyer, qui représente 30 % de la consommation en France, baissait de 50 %. La boucherie traditionnelle chutait également de 25 %.

La France consomme 1,5 million de tonnes de viande bovine. Nous enregistrions donc un excédent structurel de 750 000 tonnes de viande bovine ce jour-là. Après avoir consulté les scientifiques et les experts économistes, l'ensemble de la filière composée des éleveurs, des abattoirs, des industriels, des coopératives, des groupements de producteurs, des distributeurs (grandes surfaces, restauration hors foyer et boucherie traditionnelle) et des associations de consommateurs s'étaient regroupés.

La proposition formulée par Monsieur Guyau était l'émanation de l'ensemble de la filière. Toutefois, cette proposition a été annoncée de façon brutale. En effet, il n'a pas été précisé que nous envisagions de retirer les animaux les plus âgés en priorité. Il n'a pas été dit que ce plan se faisait sur dix ans ni que l'animal continuait de produire son veau ou son lait. Il n'a pas non plus été indiqué qu'en priorité nous allions faire consommer les animaux sous signe officiel de qualité. Nous proposions un véritable plan de retrait.

Quinze jours après cette déclaration, Messieurs Byrne et Fischler annoncent, non pas le retrait des animaux nés avant 1996, mais le retrait des animaux de plus de 30 mois ou des animaux testés. Le commentaire unanime de l'ensemble des médias à l'issue de cette déclaration a été : «Enfin, une bonne proposition de la commission».

Cette nuit, suite au conseil des ministres agricoles de la semaine passée, le comité de gestion en application de l'article 38 a décidé de retirer, à partir du 1er janvier 2001, tous les animaux de plus de 30 mois non testés. Êtes-vous prêts dans vos départements à tester tous vos animaux de plus de 30 mois, soit 3 millions de bovins, à partir du 1er janvier ? Aucun commentaire n'est fait aujourd'hui. Pourtant, la proposition de l'ensemble de la filière allait plus loin que cette mesure. En fait, il semblerait que nous ayons eu tort d'avoir eu raison trop tôt.

M. le Président - La décision est donc la même.

M. Pierre Chevalier - Notre proposition allait encore plus loin. L'Europe consomme 6 millions de tonnes de viande bovine. Nous enregistrons environ 50 % de baisse de la consommation dans tous les pays d'Europe. Si nous ne retirons pas de viande, nous risquons d'avoir 3 millions de tonnes dans les entrepôts frigorifiques de la Communauté européenne d'ici un an ou un an et demi.

En 1991, nous avions entreposé 1,3 million de tonnes stockées en Europe. Pourquoi notre situation était-elle équilibrée depuis 1997 et jusqu'en 1999 ? C'est parce que nous avions retrouvé l'équilibre d'autosuffisance de production de viande bovine en Europe. Aujourd'hui, notre objectif est de retrouver cet équilibre le plus vite possible. Si nous ne retrouvons pas cet équilibre, nous allons traîner les stocks pendant des années, stocks qu'on ne pourra jamais commercialiser.

Aujourd'hui, nous mettons en stockage privé des animaux que nous achetons à 11 francs le kilogramme. On les achète à 12 francs à l'éleveur comprenant les frais de mise en stockage. Au bout de deux ans, les frais de stockage s'élèvent à 5 francs par kilogramme. Ainsi, des animaux qui coûtent 12 francs et qui sont de basse catégorie devront être revendu à 17 francs dans deux ans si nous ne voulons pas perdre d'argent. Qui va acheter ce type de viande à ce prix ? Je crois que personne ne le fera.

M. Jean-Marc Pastor - Dans vos propos préliminaires, vous avez parlé de l'éleveur comme une victime. Je partage plutôt votre sentiment. La dernière déclaration du président de l'AFSSA a pu inquiéter le consommateur. Je souhaiterais connaître votre sentiment, en tant que FNB, par rapport à la position du gouvernement sur cette question de l'ESB.

Le gouvernement a semblé jouer le rôle de fer de lance par rapport aux autres pays européens. Le gouvernement a en effet osé parler de l'affaire et imposer un certain nombre de tests. Quel est votre sentiment par rapport à la position du gouvernement ? Quel est votre sentiment général par rapport à la déclaration du Président de la République qui a conduit un certain nombre de maires à prendre des arrêtés d'interdiction ?

M. Pierre Chevalier - Je ne souhaite pas revenir sur les raisons pour lesquelles nous avons continué d'importer entre 1987 et 1999. Il incombe à la justice de répondre à ces questions. Pourquoi n'avons-nous pas interdit l'importation des abats contaminés avant 1990 alors que l'interdiction existait en Grande-Bretagne ? La France n'est apparemment pas le seul pays en cause. Nous pouvons également nous demander pourquoi l'Allemagne a continué à importer. Pourquoi l'Allemagne a caché ses cas d'ESB ? Pourtant, le comité scientifique directeur a classé à taux à risque l'ensemble des pays de l'Union européenne. De plus, l'Allemagne est classée en taux de risque identique à la France, tout comme l'Italie, l'Espagne ou encore la Belgique ou la Hollande. Seuls le Portugal et la Grande-Bretagne présentent un taux de risque supérieur. Quant aux trois pays d'Europe du Nord, ils sont moins exposés au problème.

Dans la gestion de l'ESB depuis 1996 jusqu'à la crise actuelle, je crois que les trois précédents ministres de l'Agriculture, Messieurs Vasseur, Le Pensec et Glavany, ont fait un parcours sans faute. En 1996, la France a pris des décisions courageuses. Pourtant les critiques ont été nombreuses à l'encontre de l'embargo mis en place par Philippe Vasseur. La France s'est retrouvée complètement isolée. Ce n'est que par la suite que tous les autres pays nous ont suivi. La France a, par ailleurs, été le seul pays en Europe à mettre en place un système de traçabilité indiquant où a été élevé et abattu l'animal et indiquant toutes ces caractéristiques.

La Commission européenne propose aujourd'hui d'harmoniser les normes de traçabilité. Toutefois, les représentants des associations de consommateurs, en particulier Madame Nicoli, ne souhaitent pas accepter les propositions de la Commission portant sur l'étiquetage de la viande bovine en Europe. En effet, il est proposé d'appliquer des normes de traçabilité inférieures à celles qui existent actuellement en France. Les consommateurs veulent conserver l'étiquetage et la traçabilité dont nous bénéficions aujourd'hui.

Notre position a toujours été de dire que nous étions en faveur de la sécurité alimentaire. A cet égard, nous avons consenti des efforts considérables au niveau de l'ensemble de la filière. Ces efforts d'étiquetage ont coûté beaucoup d'argent même aux éleveurs. La seule erreur commise par la France est d'avoir démarré les tests sans qu'il n'y ait d'harmonisation communautaire. Aujourd'hui, tous les pays nous rejoignent. Ils avaient tous importé des farines contaminés et présentent aujourd'hui des cas d'ESB. Ces pays l'avaient jusqu'alors caché.

En France, la crise a démarré plus tôt. Maintenant elle se propage à l'ensemble de la Communauté européenne. Je regrette un peu le dysfonctionnement de l'Europe. Est-il normal de vouloir un élargissement et un renforcement de l'Europe alors que nous ne sommes pas capables d'assurer une sécurité alimentaire dans l'ensemble des États membres ? Ceci dénote d'un certain dysfonctionnement de l'Europe. Soit nous ne devions pas prendre des mesures de façon isolée, soit les autres États membres ont eu un comportement anormal par rapport à cette situation. Nous sommes véritablement des victimes. Les efforts consentis en France avaient permis d'augmenter de 1,6 % la consommation de viande bovine par habitant par rapport à la situation antérieure au 20 mars 1996. Nous étions parvenu à obtenir un résultat extraordinaire. Malheureusement, tout s'est effondré en l'espace de quelques heures suite à cette situation qui a créé des disparités intra-communautaires. Avant que la crise n'éclate en Allemagne, des GMS sur Toulouse distribuaient de la viande bovine allemande en certifiant qu'elle était sans ESB. Dans ma propre région, j'ai vu Leader Price faire de la publicité pour de la viande bovine d'origine espagnole.

M. Jean-Paul Emorine - Vous avez beaucoup parlé de communication. J'ai entendu dire que vous alliez investir lourdement en communication. Toutefois, il me semble nécessaire de communiquer sur des produits sérieux pour lesquels vous pourrez toujours apporter la preuve de la traçabilité. Par ailleurs, le terme «traçabilité» est aujourd'hui devenu à la mode. Les bovins bénéficient d'un document d'accompagnement. Cependant, pour ma part, je pense que c'est largement insuffisant pour les décennies à venir. La loi d'orientation agricole de 1999 a prévu de mettre en place l'indication géographique protégée. Il s'agit d'un engagement des éleveurs consigné dans un cahier des charges. Il s'agit également d'un engagement des fabricants d'aliments et des vétérinaires ou des groupements de défense sanitaire afin de qualifier un élevage dans son ensemble. Cette procédure recevra l'aval des NAO. Toutefois, il faudrait que cette procédure soit activée au niveau des organisations professionnelles. Je suis, pour ma part, assez sensible aux actions menées par les techniciens des chambres d'agriculture. Je souhaite qu'ils s'engagent rapidement vis-à-vis de ces indications géographiques protégées. Comment voyez-vous la mise en oeuvre de ces indications géographiques protégées ? Il me semble que ces indications présenteraient une traçabilité de fond afin qu'en cas de problème nous puissions retourner dans la chaîne. Par ailleurs, que pensez-vous de la maîtrise de la production entre le cheptel allaitant et le cheptel laitier ?

M. Pierre Chevalier - Au sein de la fédération nationale bovine, nous allons orienter nos éleveurs vers la qualification des élevages. Nous souhaitons véritablement les orienter dans cette direction même si ces contraintes sont fortes. Nous allons mettre en place une charte des bonnes pratiques d'élevage même si le cahier des charges de cette charte représente à peu près ce que doit faire l'éleveur quotidiennement dans son exploitation. Nous souhaitons mettre en place la qualification des élevages qui permettra d'avoir toute la transparence sur la conduite sanitaire de l'élevage. Le cahier des charges prendra en compte l'alimentation et obligera le fournisseur d'alimentation à apporter toute transparence. Le cahier des charges portera sur la conduite de l'élevage en général et sur les conditions ambiantes de l'élevage comme la ventilation. Nous souhaitons nous diriger dans cette direction afin également de répondre à la demande forte des consommateurs vers davantage de transparence. C'est en agissant de cette manière que nous allons renouer notre contrat de confiance avec le consommateur même si cela risque de prendre du temps. Force est de constater que nous avons de plus en plus d'élevages qualifiés.

Concernant la maîtrise de la production, notre situation est relativement équilibrée. Le cheptel laitier s'est stabilisé, voire diminué compte tenu des progrès génétiques réalisés dans ce secteur. La production laitière est de plus en plus maîtrisée compte tenu des quotas. Par conséquent, nous avons plutôt tendance à voir diminuer l'ensemble des animaux laitiers type reproducteurs. En Europe, nous assistons à une sensible augmentation du troupeau des races à viande. Nous comptons 11 millions d'animaux de races à viande en Europe dont 4,2 millions, soit 40 % en France. Si nous devons mener une politique de maîtrise de la production, doit-on éviter la production du jeune bovin type laitier pour lequel la consommation en France est seulement de 10 % ?

Nous proposons de remettre en place le retrait des veaux de 8 jours laitiers. Nous avons des quotas de vaches allaitantes qui permettent d'éviter des dépassements irrationnels de la production de viande bovine issue des races à viande. C'est une forme de maîtrise. Concernant la production de jeunes bovins, la France a une référence de 1,75 million de francs de primes au jeune bovin. Sur le plan économique, il est inconcevable de produire du jeune bovin laitier ou allaitant s'il n'y a pas la possibilité d'avoir une contribution financière et un soutien de la communauté européenne.

La production était maîtrisée avant la crise. Dans le cadre des négociations de l'OMC, l'Europe doit faire entendre sa voix par rapport aux Etats-Unis et aux autres pays producteurs, en particulier face au groupe de Cairns. L'Europe doit affirmer sa position économique sur les marchés des pays tiers ou sur les marchés des pays en voie de développement.

Roland du Luart - Je regrette que la confiance que les gouvernements successifs ainsi que la FNB avaient réussi à rétablir soit aujourd'hui remise en cause. Nous rencontrons un problème financier. Vous avez évoqué le retrait du veau de 8 jours. Je crois que c'est une bonne mesure. Cependant, elle a un coût. Nous évoquons également au niveau européen l'abattage des animaux de plus de 30 mois n'ayant pas subi de tests. Pourtant, nous savons que le test a, au maximum, une sécurité de 6 mois. Comment peut-on financer cet abattage systématique des animaux de plus de 30 mois ? Où va-t-on trouver l'argent nécessaire ? Je comprends la nécessité d'assainir le marché. Toutefois, a-t-on réellement les moyens de payer l'éleveur ? Je viens d'un département dans lequel la filière bovine est très importante. Le retrait de tous les quartiers de viande qui étaient valorisés représente un déficit de près de 2 milliards de francs non compensés. Quels sont les moyens financiers dont nous disposons pour sortir de la crise ? La mission essentielle de notre commission d'enquête est certes de rétablir la confiance. Toutefois, il faut également trouver les équilibres et éviter que l'ensemble des éleveurs soit ruinés et que les autres acteurs de la filière le soient également.

M. Pierre Fouillade - Concernant le rétablissement du marché, le chiffre de 3 millions de tonnes correspond à une année pleine. Peut-être péchons-nous par excès d'optimisme. Aujourd'hui, nous nous situons au creux de la vague. Nous voyons néanmoins refleurir un peu la consommation. En effet, les derniers résultats des panels Secodip montrent que la consommation est en train de repartir progressivement. Néanmoins, il est difficile de faire des prévisions. Nous n'allons pas rester avec une chute de la consommation de 50 %. Nous n'allons pas conserver 3 millions d'excédents.

Les décisions qui viennent d'être prises au comité de gestion de Bruxelles, le 12 décembre, en termes de volume de retrait du marché et de stockage public concernent 625 000 tonnes. Ce chiffre a été proposé dans le cadre budgétaire actuel. Certes, ce volume ne sera peut-être pas suffisant. Ceci dépendra de la vitesse à laquelle la consommation va reprendre. Nous pouvons espérer que dans les six prochains mois, la consommation remontera à 80 %. C'est, bien entendu, une hypothèse et non pas un calcul de probabilité. Nous savons néanmoins que ce chiffre ne remontera pas à 100 % immédiatement. De plus, certains consommateurs ont arrêté de manger de la viande bovine et ne souhaitent pas en reprendre. La baisse de la consommation est assez liée à la baisse du nombre de personnes qui consomment plus qu'à la diminution de la quantité consommée. Avec ces 625 000 tonnes, nous disposons des moyens d'agir. Nous disposons également de mesures de ponction immédiate, de mesures d'abattage et de mise en intervention des broutards pour rétablir l'équilibre.

Il est souvent dit que ce sont les entreprises disposant de vrais marchés et de vrais produits qui se défendent mieux. Cependant, force est de reconnaître que ce sont les entreprises qui ont les coûts fixes les plus élevés. Ce sont elles qui transforment le plus et qui apportent le plus de valeur ajoutée. Par conséquent, ces entreprises sont les premières à être mises en difficulté par la baisse de l'activité brutale de 50 %. La situation est assez différente pour les petites entreprises qui travaillent encore sur des filières de qualité ou qui ont des débouchés avec le commerce de détail plus qu'avec les grandes surfaces. Celles-ci sont peut-être un peu moins touchées par la crise. Les entreprises les plus affectés sont celles qui font beaucoup de transformation et notamment du steak haché. Pour ce produit, la baisse de la consommation peut atteindre 60 à 70 %.

Le problème est d'abord de retrouver de l'activité. Le gouvernement s'est donc attaché à effectuer de l'abattage. Tous ces animaux devraient aller à l'abattoir à un moment ou à un autre. Une circulaire devrait sortir prochainement portant sur des prêts bonifiés pour les entreprises. Ces prêts constitueront une aide immédiate. Ils devraient largement dépasser les 500 millions de francs qui avaient été évoqués lors des négociations.

Nous rencontrons également un problème plus structurel dans la mesure où le secteur de la viande bovine était déjà en très légère surcapacité avant que ne se déclare la crise actuelle. Nous sommes en train de rebâtir un programme de restructuration et de reconversion de certains outils dans le cadre d'une réorganisation d'ensemble de la filière. Nous souhaitons bâtir un dossier et le faire valider par la Communauté pour pouvoir aider les entreprises.

M. le Rapporteur - Je souhaiterais revenir sur les propos tenus par nos collègues, en particulier ceux tenus par Monsieur Emorine sur la traçabilité. Nous connaissons tous l'excellence de l'approche française. Néanmoins, auriez-vous des propos à formuler en ce qui concerne à la fois «le vif» et «le mort» ? Concernant «le vif», le document d'accompagnement bovin (DAB) date maintenant un peu. Je crois que nous pouvons imaginer quelques concepts nouveaux en ce domaine. J'aurais d'ailleurs pour ma part quelques suggestions à faire à la fin de cette commission d'enquête. Pour «le mort». Je pense en particulier au problème de la RHF (Restauration Hors foyer). La première phase initiée par Monsieur Vasseur avait été certes excellente. Je crois que nous avons des propositions supplémentaires à faire.

M. Pierre Chevalier - Il est peut-être envisageable de modifier ou d'adapter le document d'accompagnement des bovins que nous avons appelé depuis 1996 la carte d'identité ou le passeport afin que ce soit davantage compréhensible par les Français. Nous pouvons peut-être également envisager de modifier le livret de santé. A titre personnel, je n'y suis pas opposé. Sur le plan technique, des instituts ont travaillé sur la modernisation des boucles.

M. le Rapporteur - C'est juste une proposition que je souhaite faire au terme de cette commission d'enquête. Il me semble, en effet, qu'il pourrait exister une autre approche.

M. Pierre Chevalier - L'harmonisation communautaire nous a conduit à tendre vers la suppression du tatouage. Cette mesure rend plus difficile la tâche des abattoirs qui rencontrent des problèmes de lisibilité. Jusqu'à aujourd'hui, les boucles ont prévalu. Si nous pouvions installer une puce électronique sur chaque bovin, la lisibilité serait meilleure. Dans ce domaine, nous avons mené des recherches sur le cheval. Cependant, la recherche n'a pas encore donné satisfaction. Néanmoins, il est évident qu'une telle mesure pourrait amener davantage de transparence. Après la gestion de l'inventaire du cheptel, nous vivons une évolution même si celle-ci est relativement lente. Avec l'essor d'Internet dans les exploitations, dès qu'un animal naît, il est possible de l'enregistrer directement au fichier central départemental lui-même connecté au fichier national. Ainsi, il est possible d'avoir un inventaire de cheptel géré en temps réel. Certes, toutes les exploitations ne disposent pas de cette technologie et peut-être ne pouvons-nous pas le mettre rapidement en place dans les fermes. De toute façon, pour que le système soit plus transparent, nous sommes disposés à étudier toute proposition.

Concernant la traçabilité et l'étiquetage, il est nécessaire d'introduire la plus grande transparence possible dans la RHF. Il est certain que nous ne pourrons restaurer la confiance du consommateur tant que des mesures ne seront pas prises. Dans les cantines, comment restaure-t-on la confiance des parents d'élèves ? C'est en disant que l'on fera manger de la viande de la région. De plus, dans la RHF on ne trouve pas toujours les produits qui incitent à manger plus de viande. Nous pourrions hausser la qualité de la viande. J'espère que le retrait des animaux de plus de 30 mois se fera d'abord par ceux qui ont la moindre qualité gustative. Je souhaite que de cette crise nous puissions ressortir par le haut.

M. Paul Blanc - Que proposez-vous pour suivre la traçabilité des steaks hachés ?

M. Pierre Chevalier - Il faut procéder de la même façon en hissant la qualité vers le haut. Le sénateur du Luart devrait demander aux industriels de son département de rehausser la qualité des produits hachés qu'ils fabriquent.

M. le Président - Tout dépend de quels industriels vous voulez parler. Les industriels sont les mêmes dans l'Allier et dans la Sarthe. Certains de ces industriels ont travaillé correctement.

M. Pierre Chevalier - Lorsque les industriels importent de la viande bovine en provenance d'Espagne, lorsque la moelle épinière n'est pas retirée des carcasses, je pense que la viande ne devrait même pas franchir la frontière. Certes, ce n'est pas la faute de l'entreprise.

M. Pierre Fouillade - Je souhaitais ajouter un mot sur la traçabilité et sur l'harmonisation des DAB. Une étude est actuellement menée dans ce sens. C'est le projet IDEA. Je me tiens à l'entière disposition de la commission d'enquête pour vous fournir des informations à ce sujet.

M. le Président - Le fait que les éleveurs soient les victimes de cette crise m'inquiètent. Je crains que demain les éleveurs soient victimes d'un autre scandale et que vous vous retrouviez à nouveau impuissants face à la situation. Il est nécessaire de faire un travail en amont pour être certain de la sécurité de l'alimentation.

M. Pierre Chevalier - Aujourd'hui, je suis présent en tant que représentant de la FNB. Toutefois, on peut dire que l'ensemble de la filière est victime. Certaines entreprises qui emploient 300 salariés se retrouvent dans l'obligation de mettre 250 personnes au chômage technique. Pourtant, ce type d'entreprises contribuent grandement au fonctionnement de l'économie rurale. Aujourd'hui, toute l'économie rurale - artisans, commerçants, professions libérales - est affecté. Si des agriculteurs viennent à disparaître, nous ne pourrons plus mener la même politique d'aménagement du territoire dans nos communes rurales. Cette situation est d'autant plus dramatique que le secteur de l'élevage se situe essentiellement dans des zones de faible densité de population.

M. le Président - Je vous remercie de votre présence et de votre témoignage.

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