Audition de M. Jean-Marc BOURNIGAL,
Attaché agricole à l'Ambassade de France à Rome

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes auditionné ce matin comme attaché agricole à l'ambassade de France à Rome, mais principalement compte tenu des postes que vous avez occupés.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bournigal.

M. le Président - Dans votre cursus, des passages indiquent que vous avez été adjoint d'attachés agricoles au poste d'expansion économique de l'ambassade de France à Londres entre 1988 et 1990 et que, par ailleurs, vous avez également été chargé de missions au ministère de l'Agriculture, en particulier auprès de M. Philippe Vasseur. Vous avez obligatoirement au cours de vos différentes missions, été au courant des problèmes qui nous intéressent tout particulièrement. Peut-être pouvez-vous nous dire dans un premier temps votre sentiment sur cette affaire et ensuite nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous poser.

M. Jean-Marc Bournigal - Je vais replacer mon cursus depuis les années 1988. J'ai commencé ma carrière dans le cadre du service national au Pôle d'Expansion de Londres où j'étais chargé du suivi des problèmes vétérinaires.

Je suis vétérinaire inspecteur en chef et j'ai été nommé à la Direction Générale de l'Alimentation en 1990 où j'ai commencé par m'occuper plus particulièrement des programmes d'assurance qualité dans l'agro-alimentaire et les aspects environnementaux, puis j'ai été responsable d'un bureau chargé de la tutelle de l'industrie agro-alimentaire dans les secteurs de la charcuterie et salaisons, de la volaille et de l'alimentation animale, de la restauration collective et, ensuite, conseiller du Directeur Général de l'Alimentation chargé des relations avec le cabinet.

En 1995, j'ai été nommé conseiller technique au cabinet de M. Philippe Vasseur où j'étais en charge des dossiers relatifs à l'Aménagement rural, au Développement rural, à l'Environnement et à tous les aspects sanitaires. J'ai été chef de la mission de coordination sanitaire internationale où j'ai été chargé des négociations internationales en matière sanitaire, du suivi des importations et du suivi du Comité Vétérinaire permanent à Bruxelles. Je suis depuis 1989 attaché agricole à l'ambassade de France à Rome.

Depuis le début de ma carrière, j'ai rencontré l'ESB à différentes reprises dans les postes successifs que j'ai occupés. Dès 1988-1989 (mon premier poste en Grande-Bretagne) c'était l'apparition d'une nouvelle maladie animale dans les années 1987, avec les premières mesures qui ont été prises par les Britanniques à partir de 1988 et une succession de mesures, aussi bien au niveau britannique qu'au niveau communautaire qui se sont enchaînées régulièrement sur maintenant plus de 10 ans.

Je crois que, globalement, deux phases sont apparues dans ce dossier. La première : apparition d'une nouvelle maladie animale et les mesures de lutte mises en place au niveau britannique et communautaire avec différents épisodes de prises de mesures unilatérales par certains Etats membres.

Il était question d'une nouvelle maladie animale où, sans que l'aspect transmission à l'homme n'ait été complètement écarté des réflexions, dans tous les cas, il n'était pas au coeur des décisions de cette phase.

La deuxième phase date de mars 1996 où le ministre de la Santé britannique a fait une déclaration devant le Parlement dans laquelle les autorités anglaises mettaient officiellement en avant un risque potentiel de transmission de la maladie à l'homme et, à partir de ce moment-là, les événements se sont accélérés, probablement peut-être à l'initiative de la France dans un premier temps car dès l'annonce de M. Stephen Dorrell devant le Parlement britannique, la France a mis en place un embargo sur les produits britanniques suivi d'une certaine accélération liée à une mobilisation plus importante de la communauté scientifique qui, pendant de nombreuses années, a été tenue à l'écart des réflexions techniques et des connaissances par leurs collègues britanniques. Quand la communauté scientifique française et celle des autres pays européens ont commencé à avoir accès à toute une série de données, il est devenu possible de lever les doutes et prendre des mesures de précaution alors qu'avant 1996 des études et des recherches étaient menées en Grande-Bretagne, dont la transmission aux collègues des autres pays européens était véritablement très limitée.

D'après ma connaissance personnelle, quand j'étais en 1988-1989 en Grande-Bretagne, le rôle d'une ambassade était de suivre ce qui se passe dans le pays d'implantation et d'informer régulièrement les autorités parisiennes des décisions prises en Grande-Bretagne. L'ambassade a tenu son rôle pendant cette période.

Il est vrai que la situation pouvait paraître (surtout a posteriori) peu claire, mais il est vrai qu'il s'agissait d'une nouvelle maladie animale. Nous avons recherché la source. Les publications n'étaient pas d'une grande clarté de même que les mesures prises par les Britanniques. Nous envoyions des informations régulières en France sans qu'une analyse globale puisse être faite dans des instances de réflexions périphériques car, au fur et à mesure que les données sortaient, les Britanniques donnaient des bribes d'information et prenaient des mesures.

M. le Président - Confirmez-vous que l'ambassade a envoyé en France les informations que l'on pouvait connaître à l'époque ? Sous quelle forme étaient-elles transmises ?

M. Jean-Marc Bournigal - Les formes habituelles de transmission : les télégrammes diplomatiques.

M. le Président - Que l'on peut retrouver à l'ambassade.

M. Jean-Marc Bournigal - A l'ambassade ou au Quai d'Orsay.

M. Paul Blanc - Cela transitait-il par le Quai d'Orsay ?

M. Jean-Marc Bournigal - Les télégrammes diplomatiques sont signés systématiquement par l'ambassadeur.

M. Paul Blanc - Il n'y a pas de transmission directement au ministère de l'Agriculture ou de la Santé.

M. Jean-Marc Bournigal - En général, non.

M. le Président - Normalement, le Quai d'Orsay retransmet ensuite aux différents ministères concernés.

M. Jean-Marc Bournigal - Oui.

Ensuite, la deuxième phase de ma carrière pendant laquelle j'ai eu à connaître l'ensemble de ce dossier a plutôt commencé en mars 1996, car plusieurs mesures ont été prises entre début 1990 et mars 1996 pour lesquelles je n'étais pas directement concerné. Quand en 1996, nous avons recommencé à prendre ce dossier lié aux déclarations du ministère britannique, des mesures étaient en place aussi bien au niveau communautaire qu'au niveau français :

Les interdictions d'utilisation des farines pour l'alimentation ont été mises en place en 1990 pour les bovins en France et, en 1994, ont été étendues à l'ensemble des ruminants.

Un réseau d'épidémio-surveillance existant depuis 1990 en France, avait permis de détecter quelques cas.

Les mesures d'éradication dès la découverte d'un cas, à savoir l'abattage de l'animal et du troupeau, étaient en place.

Les échanges avec les Britanniques étaient limités depuis le début les années 1990 aux animaux de moins de 6 mois et l'on ne pouvait recevoir sur le territoire français que de la viande désossée des animaux de plus de 30 mois.

C'était la situation en 1996.

La déclaration du ministère Britannique publique, devant le Parlement et la presse nous a énormément inquiétés car elle n'avait pas été préparée, et ses collègues des autres pays n'avaient pas été prévenus préalablement, ce qui n'est pas une pratique habituelle. Nous l'avons su le matin avant la communication. Ensuite, nous avons tenté désespérément d'avoir des informations complémentaires de la part des Britanniques. J'ai essayé d'avoir mon homologue au ministère de l'Agriculture. En désespoir de cause M. Vasseur et M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la Santé, avaient fait de même.

C'est dans ce climat d'inquiétude où nous ignorions ce qui sous-tendait la décision britannique, dans laquelle il n'entrait pas de communication scientifique, que l'on mettait en avant un risque. En l'absence de toute possibilité de clarification, il a été décidé au niveau du Premier ministre, de bloquer totalement la Grande-Bretagne et nous avons mis en place un embargo qui a été généralisé au niveau communautaire quelques jours plus tard.

Dès cette décision, tout le reste de la gestion de la crise s'est opérée en appliquant un principe relativement simple : le principe de précaution, qui est véritablement devenu à la mode, à partir de cette date et que nous avons tenté d'appliquer pendant toute la phase suivante.

Egalement, un principe de transparence car cette nouvelle annonce avait fortement inquiété les consommateurs, ce qui se traduisait sur le niveau de la consommation de l'ensemble de ces produits et la situation était catastrophique.

A partir de ce moment, nous avons regardé quels étaient les niveaux de connaissance que l'on pouvait avoir en France sur cet aspect particulier de la transmission de la maladie à l'homme et des modalités de transmission. Nous nous sommes alors aperçus que nos scientifiques, globalement, disposaient d'assez peu d'informations et, qu'ensuite, nous n'avions pas de structure ad hoc pour répondre au Gouvernement de façon continue, d'où la création le 17 avril du Comité Dormont, l'idée étant de rassembler dans une seule instance la totalité des données scientifiques capables d'apporter un éclairage médical vétérinaire ou universitaire sur cette problématique avec un triple objectif :

- Faire un inventaire des connaissances disponibles et notamment essayer d'avoir des contacts avec leurs homologues Britanniques pour voir quel était l'état des connaissances.

- Répondre ou accompagner le Gouvernement dans les différentes décisions qu'il était amené à prendre, ce qui s'est traduit par une série de questions qui ont été posées par l'ensemble des administrations concernées pendant des années à l'ensemble de la filière, sur les comportements non seulement sur les aspects alimentaires, mais sur tous les aspects sanitaires.

- Bâtir un cadre pour créer un programme de recherche digne de ce nom au niveau français, de façon à fédérer les différentes équipes françaises et à les mettre sur les pistes des recherches impérativement nécessaires.

Toute la difficulté de la crise était, pendant très longtemps et encore aujourd'hui, que nous avions à gérer des doutes. Le principe de précaution est une disposition très difficile à manier car nous gérons de l'incertitude, et prendre les décisions en gérant de l'incertitude et communiquer s'est révélé un exercice extrêmement difficile à mener pendant les mois qui ont suivi.

A partir de ce moment, une fois ce Comité créé, une première question a été très rapidement posée et les réponses se sont enchaînées. Les premières actions en direct sont venues plus tôt, car les 3 et 4 avril une première réunion a eu lieu au niveau de l'OMS sur l'ESB à partir de laquelle le Gouvernement avait pris la décision de retirer de la consommation humaine et animale les premiers matériaux à risques spécifiés des animaux nés avant juillet 1991 qui étaient la moelle épinière, le cerveau, les yeux, la rate, le thymus et l'intestin ; c'était la première préconisation donnée par l'OMS, qui indiquait que dans les pays connaissant des cas d'ESB, il convenait de prendre des mesures particulières pour que les tissus susceptibles d'être contaminés soient retirés de la consommation.

Dès ce moment et dès la création du Comité, le ministère de l'Agriculture, mais également tous les autres ministères, ont systématiquement, sur la base de chacun des avis scientifiques tant au niveau de l'OMS que du Comité sur les encéphalopathies spongiformes sub-aiguës transmissibles présidé par M. Dormont, suivi à la lettre les mesures préconisées par les comités scientifiques. A posteriori, l'on peut trouver apocalyptique d'ajouter le cerveau, l'oeil et la rate puis d'enlever un morceau.

Il faut être honnête, les avis scientifiques, tout au long de ces périodes, ont été assez variables. L'appréciation générale du risque de cette maladie au fur et à mesure de l'évolution de la connaissance a amené des modifications successives de la réglementation, qui ont été quelque peu difficiles à expliquer à la population mais, dans tous les cas, les mesures de précaution ont été prises systématiquement.

S'agissant des difficultés de gestion, puisque c'est peut-être ce qui vous intéresse, outre la difficulté de mise en place des mesures, notamment celles concernant le retrait des cadavres et des saisies d'abattoir de la fabrication de farines pour l'alimentation qui ont été extrêmement importantes à gérer puisqu'il y avait des farines un peu partout, le temps de réussir à déterminer les problèmes de stockage, d'incinération et de destruction avec la totalité des avis scientifiques pour trouver dans quelle industrie, pour assurer la protection des travailleurs, l'inactivation effective de l'agent et la mise en oeuvre de l'utilisation des incinérateurs comme les cimenteries, ont été pénibles à gérer pour tout le monde.

Cela a abouti également à une modification de la loi de 1975 sur l'équarrissage avec la création d'un service public. C'était une difficulté de mise en oeuvre liée à l'ampleur du système qu'il a fallu modifier, aux quantités, à la répartition sur le territoire, ce qui peut expliquer les difficultés que nous avons eues.

Les difficultés plus graves se situent dans les rapports que nous avons pu avoir avec nos partenaires Etat membres et la Commission.

Il est vrai que la France a pris les premières mesures dès le 4 et le 5 avril, suite à la réunion de l'OMS et, au fur et à mesure que le Comité Dormont prenait des mesures, systématiquement, elles ont été transmises à la Commission Européenne.

La création d'un comité multidisciplinaire avait été demandée par la France et par le Premier ministre au Président Santerre qui a répondu à cette attente, mais force est de constater que les avis scientifiques sur lesquels la France avait pris des mesures n'ont pas permis pendant de nombreuses années à la Commission d'obtenir une harmonisation communautaire en la matière. Ceci a amené la France non seulement à prendre des mesures sur son propre territoire mais à les étendre aux échanges intérieurs à partir du mois de septembre 1996 pour limiter l'importation des MRS et des aliments en contenant, de façon à assurer une cohérence de la mise en place des mesures qui avaient été prises au niveau français.

Je crois que c'est la principale difficulté rencontrée sur ce dossier, qui n'était pas forcément liée à la mauvaise volonté de la Commission qui, dès l'été 1996, avait fait des propositions qui allaient dans le sens des mesures prises en France. C'est surtout la division de l'Europe entre le clan des pays comportant des cas d'ESB et le clan des pays non atteints qui a joué.

Il est vrai que les avis scientifiques pouvaient toujours être lus à double sens, puisqu'à chaque fois on disait qu'il convenait de prendre des mesures pour les pays ayant des cas d'ESB ou dont le risque était avéré. Les autres pays n`ayant pas de cas d'ESB ont toujours considéré que le risque n'était pas avéré. Rétroactivement au vu du nombre de cas en Allemagne, en Espagne et en Italie, nous pouvons en sourire.

La grande difficulté a été là, et le levier a commencé à basculer à partir du moment ment où le nombre de pays avec des cas d'ESB est devenu plus important que le nombre de pays sans cas d'ESB. Nous avons finalement abouti à des mesures de retrait de MRS au niveau communautaire qui sont entrées en application en septembre 2000.

C'était la grande difficulté de la gestion de ce dossier outre celles d'ordre pratique, de mise en oeuvre de ses mesures qui ont été extrêmement lourdes.

M. le Rapporteur - S'agissant de votre période britannique, vous avez dit que, d'après vous, l'ambassade avait « fait son travail » et transmis les informations qu'elle avait recueillies ou que vous lui aviez fournies en la matière. Avez-vous l'impression avec le recul, que les autorités britanniques ont fait preuve de rigueur ou de désinvolture dans l'approche du phénomène et, dans un deuxième temps, rigueur ou désinvolture dans la transmission de l'information ?

M. Jean-Marc Bournigal - A la fin des années 80, l'organisation générale de l'Administration de contrôle en Grande-Bretagne était extrêmement faible. On sortait de la fin de la révision structurelle de l'Etat Britannique sur la période de Mme Thatcher et, en matière vétérinaire, la totalité des contrôles était passée dans les mains des communes qui avaient des employés locaux en la matière. Il n'existait plus véritablement de services d'Etat.

M. le Rapporteur - Le garde champêtre faisait office de ?

M. Jean-Marc Bournigal - Il n'y avait plus de services d'Etat en tant que tels ; les communes, les municipalités possédant un abattoir, embauchaient elles-mêmes le vétérinaire. Il existait néanmoins un vétérinaire dûment patenté conformément au droit communautaire en vigueur.

M. le Rapporteur - Sans aucune centralisation ni cohérence ?

M. Jean-Marc Bournigal - Les obligations de communication sont prévues dans les textes communautaires avec un minimum de flux de remontée d'informations, de façon que chaque pays puisse informer la Communauté qui établit des rapports annuels. Il n'y avait pas de structure d'Etat dans le sens où l'Etat était responsable des négociations communautaires et les autorités locales géraient la mise en place des mesures, ce qui ne rendait pas pratique la vision que l'on pouvait avoir de la réalité sur le terrain. Nous n'avions pas d'interlocuteurs avec une vision très horizontale de tout ce qui passait.

En matière d'ESB, quand la maladie a été identifiée, pendant un certain temps, la communication officielle britannique a toujours été minimaliste : « C'est une nouvelle maladie animale, une encéphalopathie existant déjà chez les moutons et dans toutes les espèces, y compris chez l'homme. Cela n'a rien d'extraordinaire ». Il a fallu regarder l'augmentation de la courbe ; au fur et à mesure que les cas augmentaient, l'inquiétude a grandi et les discours ont changé.

Dans un premier temps, c'était présenté comme étant une encéphalopathie banale puisqu'elle existait dans toutes les espèces de mammifères de façon étendue.

La communication vis-à-vis de l'étranger en la matière a toujours été très faible, car la Grande-Bretagne a dû en faire état à l'O.I.E. (qui est véritablement, dans le monde vétérinaire, la référence pour le suivi de tout ce qui concerne les maladies animales) en 1988-1989 en présentant cette maladie comme étant une encéphalopathie...

Quand les scientifiques ont commencé à isoler potentiellement l'origine car, compte tenu de l'augmentation du nombre de cas, ils sont arrivés à se demander pourquoi ils avait une explosion de cas à ce niveau, l'épidémiologie a rapidement démontré que nous étions face à une « anadémie », une contamination de source alimentaire. Les premières théories sont apparues ; « Soit c'est la tremblante qui est passée sur le bovin ou, plus probablement, une maladie préexistant chez les bovins et qui a été recyclée dans l'espèce à travers l'alimentation animale ».

La présentation initiale qui avait plutôt pour but de calmer les foules, était fondée sur le fait qu'il s'agissait d'une maladie animale sans problème particulier vis-à-vis de l'homme et ils mettaient en avant la comparaison avec la tremblante non transmissible à l'homme. Concernant la communication des décisions prises, la tradition britannique est de procéder à communications très simples. Ils sortent des petits communiqués de presse indiquant que telle réglementation sera mise en place, sans de publicité ni lettre d'avertissement particulières.

M. le Rapporteur - Sur votre période française de 1995 à 1997, sous le ministère de M. Vasseur, vous avez pris la décision de déterminer un embargo en 1996. Quels ont été les éléments déclenchants la réaction de la Commission Européenne ? Cela a-t-il été facile à gérer ?

M. Jean-Marc Bournigal - Nous étions dans un contexte où depuis les années 90 la Commission Européenne avait édicté toute une série de textes, aussi bien pour limiter les exportations d'animaux vivants que de produits ; avaient également été mis en place des systèmes de traitement des farines de 1994 avec la norme de 133 degrés, 20 minutes, 3 bars.

Le facteur déclenchant résidait dans la manière quelque peu impromptue dont le Gouvernement britannique a décidé de communiquer en la matière, sans avertir personne, sans communication technique préalable. Quand nous avons demandé à nos scientifiques s'ils étaient au courant d'éléments particuliers, ils n'en savaient pas plus que nous. Aucune réponse de la part des Britanniques et du monde scientifique, du côté français, quelque peu perplexe à l'égard de ce qui pouvait sous-tendre la communication du Gouvernement britannique en la matière.

Nous l'avons annoncé ainsi à l'époque : « Nous bloquons tout , nous attendons de voir ce qui se passe et nous verrons ensuite ». C'était dans cet esprit, alors que nous étions très inquiets, que nous avons pris l'assurance de voir comment réagissait la presse britannique à la communication faite au Parlement par le Gouvernement britannique. Nous nous sommes aperçus, le lendemain matin, en téléphonant dans quelques salles de presse que cela ferait la Une de tous les journaux en Grande-Bretagne. Cela allait « souffler très fort » le lendemain, sans que nous soyons capables du côté français de répondre quoi que ce soit à nos consommateurs globalement puisque, de toutes les manières, nous ne savions rien.

Le facteur déclenchant était inconnu. Nous savions que nous allions devoir répondre à une série d'interrogations et nous n'avions pas d'éléments ni pour dire que c'était vrai ni pour dire que c'était faux, mais c'était inquiétant.

La meilleure solution était de dire : « Nous fermons tout, nous attendons de voir ce que diront les Britanniques et sur quelle base ils ont pris cela et qu'ils s'expliquent » et le lendemain nous avons été capables de répondre qu'effectivement la France décidait d'un embargo .

La réaction de la Commission : toute mesure unilatérale d'une ampleur aussi importante est rarement bien reçue. Compte tenu du fait que la Commission n'avait pas beaucoup plus d'éléments que la France en la matière, le débat a tourné relativement court. Le lendemain, cela a soufflé extrêmement fort sur tous les pays européens, d'autres pays ont suivi la France et la Commission de même.

M. le Rapporteur - Durant votre période italienne, avez-vous pu recueillir des informations sur les quantités de farines importées par le Gouvernement italien et les entreprises italiennes, et savez-vous à quelle date les autorités italiennes ont pris des mesures pour les retraits des matériaux à risques, l'interdiction des farines pour les ruminants et les tests de dépistage ? Un décalage s'est-il produit par rapport à la position française ?

M. Jean-Marc Bournigal - Indéniablement. S'agit-il des importations de farines des années 80 ?

M. le Rapporteur - Surtout après.

M. Jean-Marc Bournigal - Traditionnellement, l'Italie n'est pas un grand importateur de farines. Les quantités doivent être relativement faibles. Il est possible de retrouver ces données, chaque pays ayant remis un rapport dans le cadre de l'évaluation des risques conduite au niveau communautaire. Sur la base du rapport italien, l'Italie se retrouvait dans une catégorie à risques, similaire à celle de la France.

L'exposition aux risques, en la matière, bien que probablement un peu plus faible en termes quantitatifs en raison de la proportion de leur système d'élevage et leur spécificité, est similaire. En matière de prise de décisions, l'Italie s'est calée sur les décisions communautaires. Les interdictions d'utilisation des farines pour l'alimentation des ruminants ont été prises en 1994, en même temps que la décision communautaire, et les retraits des matériaux à risques ont été imposés le jour de l'entrée en vigueur du texte à savoir en septembre 2000. Avant cette période, il n'existait aucune mesure spécifique en la matière.

Le réseau d'épidémio-surveillance a été mis en oeuvre depuis de nombreuses années mais, au regard des chiffres, nous nous apercevons que le réseau n'a jamais permis de détecter de cas d'ESB depuis la mise en place des tests au 1er janvier de cette année ; sur 60 000 tests réalisés à ce jour par les autorités italiennes, 11 cas ont été découverts, toujours grâce aux tests. Le réseau d'épidémio-surveillance n'a jamais fait remonter un seul cas en la matière.

L'Italie est un grand importateur d'animaux : nous expédions un million de bovins par an sur l'Italie (comme sur l'Espagne, l'Allemagne et la Pologne). Il ne s'agit pas uniquement des farines.

Le niveau de risques a été jugé par les experts communautaires comme étant similaire à celui de la France pour les échanges de farines et d'animaux, extrêmement importants depuis toujours.

M. le Rapporteur - Avez-vous le sentiment que les autorités italiennes réfléchissent à une réorientation de la politique agricole commune ou a-t-elle pris des distances ?

M. Jean-Marc Bournigal - Il est difficile de présenter la situation sous cette forme, car le Gouvernement en place en Italie est en période pré-électorale. Les chambres sont dissoutes et les élections se passeront en mai. La particularité du Gouvernement italien est d'avoir un ministre de l'Agriculture qui se trouve être le n° 2 des Verts et milite, depuis son arrivée à ce poste, pour une certaine réorientation de l'agriculture en faveur des produits typiques et biologiques. Aujourd'hui, l'Italie fait partie des pays qui demandent une réorientation de la politique agricole commune rapide et immédiate.

Il faut attendre un peu. Lors des négociations de l'agenda 2000, un groupe de pays s'était ligué (la Suède, l'Angleterre, le Danemark et l'Italie) et avait réussi à bloquer les négociations malgré des intérêts divergents.

Ce groupe s'est maintenu par la suite, s'est élargi l'année dernière au premier semestre (il a été dénommé le Groupe de Capri) avec l'arrivée des Pays-Bas. Il se réunira une fois avec l'Allemagne. Ce Groupe est le plus véhément, actuellement, dans les débats sur la réorientation de la politique agricole commune.

M. le Président - Nous vous remercions.

Votre carrière est tout à fait intéressante par rapport à l'ESB, car vous l'avez vécu à différents niveaux et vous avez bien retracé la qualité de ce qui s'est passé tel que vous l'avez vu et ressenti.

Merci beaucoup.

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