Audition de M. Bernard KOUCHNER, Ministre délégué à la Santé

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Tout d'abord, merci, Monsieur le Ministre, d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes auditionné cet après-midi en tant que Ministre chargé de la santé dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le problème de l'utilisation des farines animales et les conséquences que cela a entraîné avec le développement de l'ESB ainsi que celles qui en résultent pour la santé des consommateurs. C'est bien sûr plus à ce titre que nous vous auditionnons.

Je ne vous apprendrai rien en vous indiquant que dans les commissions parlementaires les témoignages doivent avoir lieu après avoir prêté serment. C'est la raison pour laquelle je vais vous rappeler les conditions dans lesquelles fonctionne une audition. Je vous demanderai à la fin de bien vouloir prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Kouchner.

M. le Président - Je dois également demander à vos collaborateurs de bien vouloir prêter serment, car nous devons respecter les règles s'ils ont à s'exprimer à un moment ou un autre.

M. Salomon - Je le jure.

M. Brucker - Je le jure.

M. Voiturier - Je le jure.

M. le Président - Je vais dans un premier temps, si vous le voulez bien, vous passer la parole pour que vous puissiez nous donner votre sentiment sur cette affaire et ses conséquences sur la santé publique. Ensuite, si vous le permettez, nos collègues pourront vous poser les questions qu'ils souhaitent.

M. Bernard Kouchner - Merci, Monsieur le Président. Je suis très heureux d'être devant vous et de répondre avec le plus de précisions possible aux questions des sénateurs qui sont avec vous.

Ce sera peut-être un peu fastidieux pour vous qui connaissez le sujet -vous venez de plus d'entendre des spécialistes-, mais je me dois du point de vue du Ministre de la Santé de vous indiquer assez sommairement comment je vois la situation, comment nous l'avons vue et comment éventuellement nous la verrons.

Les maladies à prions sont devenues -elles ne l'étaient pas auparavant car nous ne les connaissions pas- une priorité pour le Ministère de la Santé à partir des descriptions des premiers cas iatrogènes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Je vous rappelle qu'il existe plusieurs formes de celle-ci :

La maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, que l'on connaît depuis le début du siècle (avec 80 à 90 cas par an) et dont l'incidence est stable.

Les formes familiales, d'origine génétique, qui sont extrêmement rares. Nous avons répertorié 62 cas depuis 1992.

Les formes iatrogènes. Nous déplorons aujourd'hui 84 cas, dont hélas 78 décès, sur les 1 000 enfants potentiellement contaminés qui avaient été traités par l'hormone de croissance extractive entre 1983 et 1985 en France, la première description de ces cas datant des années 1990.

On note plusieurs dizaines de cas mondiaux après utilisation de la dure-mère, c'est-à-dire en neurochirurgie, en stomatologie, en oto-rhino-laryngologie et en radiologie interventionnelle.

On note également quelques cas mondiaux après utilisation d'instruments neuro-chirurgicaux contaminés ou d'électrodes de stéréo-électroencéphalogramme.

2 à 3 cas mondiaux ont été détectés après des greffes de cornée.

En revanche, aucune transmission verticale (mère-enfant) ou par transfusion n'a été démontrée, ce qui résulte d'une étude européenne.

Nous avons concernant les premiers cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob pris rapidement des mesures de santé publique en France en renforçant la surveillance, à travers :

Depuis 1992 -j'étais Ministre de la Santé à l'époque-, le réseau de surveillance multidisciplinaire, l'INSERM, des neurologues et des biologistes.

Le centre national de référence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène, qui siége à la Pitié, avec déclaration obligatoire des encéphalopathies spongiformes subaiguës depuis 1996.

Le réseau coordonné par l'Institut national de veille sanitaire, depuis l'an 2000, c'est-à-dire l'INSERM (avec l'unité 360), les DDASS, les neurologues et le CEA.

Le réseau français est intégré dans une action concertée européenne, Biomed.

Nous avons également tenté de prévenir le risque iatrogène, des mesures ayant été prises et au fur et à mesure de l'évolution des connaissances scientifiques, car je vous rappelle que nous n'y connaissions pas grand-chose.

Elles ont concerné tous les risques connus, avérés ou théoriques, et se sont appuyées à chaque fois sur les avis d'instances comme le Conseil supérieur d'hygiène publique de France, le Comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes, dirigé par le Dr Dormont, ou les agences que nous avons créées au fur et mesure depuis 1992.

L'hormone de croissance extractive a été traitée dès 1987 puis remplacée par une hormone de synthèse dès 1988.

Nous avons décidé en 1992 que la maladie de Creutzfeldt-Jakob était une contre-indication aux dons d'organes et de sang et nous avons interdit l'utilisation de la dure-mère dès 1994, celle-ci ayant été remplacée par du tissu de synthèse. Je vous rappelle que la dure-mère était avec d'autres tissus ce qui était conservé de façon assez curieuse dans les frigidaires autour des salles d'opération, etc.

Enfin, des mesures spécifiques de prévention ont été prises contre la transmission par les instruments en milieu hospitalier dès 1995. D'ailleurs, nous poursuivons et nous modifions les consignes données aux établissements hospitaliers au fur et à mesure des connaissances, car bien entendu la situation évolue.

Concernant la sécurité sanitaire du médicament, nous avons évalué à partir de 1991 au cas par cas le risque le risque d'encéphalopathie spongiforme bovine avec la Direction de la pharmacie puis l'Agence du médicament.

Nous avons commencé par retirer les lyophilisats de foie de bovins, de testicules de taureaux, d'extraits d'hypophyses et de surrénales, etc., qui représentaient des fortifiants dont certains étaient utilisés par voie injectable.

Nous avons interdit les matériaux à risques spécifiés en 1992, 1996 et 1997 et l'embargo sur les produits bovins d'origine britannique date de 1991, alors que j'étais déjà Ministre de la Santé.

Nous avons en 1996 substitué progressivement des dérivés végétaux aux dérivés animaux et nous sommes partenaires d'une certification européenne pour les médicaments contenant des gélatines d'origine bovine depuis mars 2001, sachant que la revue de tous les dossiers d'AMM prend beaucoup de temps, mais qu'il faudrait savoir remplacer au mieux les gélatines, ce que nous ne savons pas faire actuellement.

Concernant les mesures de sécurité sanitaire et de précaution vis-à-vis des produits sanguins, nous avons dès 1992 exclu du don du sang les malades atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Nous avons en 1993 rappelé systématiquement les dérivés du sang issus d'un donneur ayant développé ultérieurement la maladie.

Nous avons en 1997 exclu les donneurs à risque (antécédents familiaux, traitement par hormones extractives, neurochirurgie, transfusés et greffés).

Nous avons en 1998 déleucocyté -l'on dit aujourd'hui « leuco-réduit », car le déleucocytage n'est jamais effectué complètement- les produits sanguins labiles, avec l'interdiction du plasma d'origine britannique.

Nous avons en décembre 2000 exclu du don du sang les personnes ayant séjourné plus d'un an en Grande-Bretagne entre 1980 et 1996.

La leuco-réduction des plasmas destinés au fractionnement a été rendue opérationnelle en avril 2001.

Nous avons procédé à la nanofiltration des médicaments dérivés du sang et à l'information des prescripteurs pour le respect strict des indications relatives aux produits sanguins.

Concernant la sécurité sanitaire des greffes, nous avons exclu du don les donneurs dits à risque, entre 1992 et 1996, et interdit les greffes de dure-mère, tympans, rochers.

S'agissant de la sécurité des dispositifs médicaux, nous évaluons le risque -j'aimerais en parler avec vous, car il est difficilement évaluable- en appliquant le principe de précaution depuis 1996.

Nous procédons à la vérification des procédures de désinfection, mais cela évolue, et nous prônons le développement du matériel à usage unique, ce qui est facile à dire, mais très difficile à mettre en place.

Enfin, nous avons mis en oeuvre le marquage CE et la traçabilité.

Pour revenir sur le matériel à usage unique, les premières tentatives faites pour les endoscopes ont été couronnées d'échecs, sachant que c'est horriblement difficile et que cela coûte très cher.

De plus, un certain nombre d'oto-rhinos nous font remarquer -même si nous devrons passer sur cela- que le prix de la consultation équivaut à peu près au tiers de celui de l'enveloppe de plastique destinée à protéger l'endoscope.

Pour les matériels à usage unique, par exemple en endoscopie digestive, nous entrons dans des domaines inimaginables. La désinfection des instruments et les mesures de stérilisation -nous avons envoyé la dernière circulaire il y a un mois- coûte plus de 650 MF, et nous ne sommes pas vraiment certains du résultat. C'est ce qu'indique en particulier le Comité du Dr Dormont.

Nous avons considéré pendant très longtemps -c'était une culture commune- l'encéphalopathie spongiforme bovine comme une maladie animale facile à éradiquer et qui concernait essentiellement la Grande-Bretagne.

En tout cas, l'encéphalopathie a probablement toujours existé, avec des cas sporadiques et rares, une tremblante ayant été décrite chez le boeuf en 1882, l'incubation moyenne étant à notre connaissance pour le moment -mais cela évolue- d'environ cinq ans.

Nous avons considéré initialement l'encéphalopathie comme une maladie animale fort proche de la tremblante du mouton, connue depuis des siècles et qui à notre connaissance n'a jamais présenté de danger pour l'espèce humaine.

Quant au suivi des épizooties et à la sécurité des denrées animales et alimentaires, ils sont juridiquement du ressort exclusif du Ministère de l'Agriculture, même si nous entretenons avec ce dernier des rapports excellents et une consultation permanente, ce qui n'était pas évident il y a dix ans.

Cette situation de connaissance partielle de la maladie a prévalu jusqu'au début 1996, quand nous avons eu connaissance de la description du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de son lien avec l'encéphalopathie spongiforme bovine.

Nous avions auparavant pris des mesures à titre de précaution, dont certaines à mon initiative. Par exemple, nous avons retiré les petits pots des pharmacies qui contenaient des cervelles ou des ingrédients animaux à risque, en particulier quand ils venaient d'Angleterre. Nous l'avons fait à notre initiative, en 1991 et 1992, pour éviter la contamination humaine.

L'encéphalopathie a toujours été considérée comme un problème transitoire dès lors que son origine était identifiée. Non seulement elle nous semblait beaucoup plus frapper les animaux et donc être du ressort du Ministère de l'Agriculture, mais elle nous paraissait également poser un problème transitoire.

Les farines animales de viande et d'os, qui ont permis le passage d'agents infectieux lors d'une modification des procédés de fabrication des farines en Grande-Bretagne, en 1982, la délipidation à l'hexane ayant été supprimée, nous semblaient encore une fois concerner les animaux.

Les animaux malades ont été initialement recyclés -ce qui est une autre faute- après l'arrêt de la délipidation, dans le circuit des farines, à un stade où l'épizootie n'était pas encore reconnue, ce recyclage n'ayant fait que l'amplifier.

Enfin, l'importation des farines britanniques a été interdite dès 1989 et l'utilisation des farines de viande et d'os pour les bovins dès 1990, par un arrêté que vous connaissez.

Voilà pourquoi la situation nous semblait à cette époque non pas maîtrisée, mais en voie de l'être. Par ailleurs, l'encéphalopathie spongiforme bovine nous a semblé pendant très longtemps être un problème qui ne concernait que le Royaume-Uni puisqu'il n'existait en France aucun signe d'épizootie, au début des années 1990, après la mise en place de la Brigade nationale d'enquête vétérinaire, sachant que la décision avait été prise d'abattre tout le troupeau lorsqu'un animal était atteint.

Enfin arrive la description d'un lien entre le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et l'encéphalopathie spongiforme bovine, en 1996, ce qui représente une nouvelle menace pour la santé publique.

Le premier cas est détecté en Grande-Bretagne, en 1994, et la description officielle arrive en mars 1996, sachant que depuis, hélas, 97 cas ont été répertoriés en Grande-Bretagne, 1 en Irlande et 3 en France, dont 2 décès.

La présentation clinique est très particulière : troubles neuropsychiatriques, pas d'élément pour une origine iatrogène, dépression, anxiété, etc. Il s'agit en fait d'un syndrome au départ relativement banal, mais il est aggravé par un syndrome démentiel, des douleurs très fortes, etc.

L'attention portée à partir de 1996 témoignait d'une infectiosité très différente de la maladie de Creutzfeldt-Jakob classique. En effet, l'agent semblait beaucoup plus virulent et la distribution de la maladie d'abord périphérique (organes lymphoïdes, rate, puis système nerveux, liquide céphalo-rachidien).

Quelle en est l'origine ? A moins que vous ayez des éclairages à ce sujet, nous n'avons que des hypothèses. S'agit-il de viandes broyées mécaniquement ? L'infectiosité est-elle due aux couteaux de boucherie contaminés par la cervelle dans les années 1980 ? S'agit-il en outre d'une prédisposition ou d'une susceptibilité génétique ?

Personne n'en sait rien. J'ai assisté pendant deux jours à une réunion à l'Académie des sciences, avec les meilleurs du monde et en particulier le Prix Nobel M. Prusiner : il existe en effet des hypothèses sur la distribution génétique, mais ce ne sont que des hypothèses.

On pense que l'incubation est très longue (au moins 10 à 15 ans), certains parlant d'une plus longue durée, sachant qu'il n'existe pas de traitement et que la moyenne d'âge des personnes atteintes est de 30 ans.

Nous avons réagi en terme de sécurité sanitaire, c'est-à-dire que nous avons tenté, par des circulaires, de prévenir la transmission de ce nouveau variant en milieu de soins.

Le risque réside dans une infectiosité supérieure, la distribution plus large de l'agent infectieux dans les tissus et le postulat d'une exposition large de la population à l'agent du nouveau variant, en général par voie alimentaire.

Concernant les mesures prises, nous avons garanti un haut niveau de sécurité et d'efficacité des soins, à travers une stérilisation des dispositifs médicaux, les meilleures techniques reconnues comme inactivantes, l'amélioration des conditions de désinfection des endoscopes -mais là aussi nous sommes imparfaits dans ce domaine- et le renforcement de l'utilisation du matériel à usage unique lors des contacts avec des tissus à risque.

Ces mesures ont bien sûr été prises après avoir été validées scientifiquement, en particulier par l'OMS et le Comité Dormont.

Nous avons mis en place une politique d'assurance qualité en stérilisation, en dépensant 652 MF. Je ne vous donne pas le détail, mais je le tiens à votre disposition.

Nous avons pris les mesures d'accompagnement des malades suivantes :

Information des professionnels de santé, qui n'avaient pas ce syndrome présent à l'esprit au début. De plus, il est multiforme. Il fallait donc les aider à établir leur diagnostic et à orienter les malades.

Création d'une cellule nationale de référence pour les professionnels afin de renforcer la connaissance des équipes soignantes et la prise en charge.

Recommandations pour assurer des soins de qualité, améliorer la vie quotidienne des malades et des familles (filières de soins, hospitalisation à domicile et soins palliatifs).

Prise en charge médico-sociale avec des aides financières d'urgence, des aides sociales et fiscales et une relation particulière entretenue avec les services sanitaires et sociaux.

Un véritable accompagnement -autant que faire se peut, car nous n'avons pas assez de personnel- psychologique de l'entourage.

Nous avons suivi avec une extrême attention tous les dossiers dépendant de l'agriculture, des douanes, de la consommation et de l'environnement et relatifs à l'encéphalopathie spongiforme bovine.

Je voudrais enfin attirer votre attention sur les problèmes qui demeurent. Concernant l'encéphalopathie, nous avons observé une forte contamination dans les années 1993-1995. Pourquoi ? Nous pensons que l'interdiction n'était pas respectée, que des fraudes massives avaient lieu et que les aliments étaient contaminés, y compris par les matériaux à risques spécifiés.

De plus, dans la mesure où le délai d'incubation est de 5 ans, nous avons besoin de recul pour connaître l'efficacité des mesures prises en 1996 et 1998 et surveiller les cas super naïfs, c'est-à-dire ceux qui concernent les animaux nés après les interdictions et particulièrement après les mesures de sécurité renforcées en 1996, 1997 et 1998.

L'agent peut-il passer à d'autres espèces ? Personne n'en sait rien. Nous avons s'agissant du porc (peut-être) quelques indications provenant d'Allemagne, mais elles sont peu recoupées. C'est simplement une conversation avec le Ministre de la Santé allemand qui a attiré notre attention sur ce point, mais rien n'a été confirmé.

L'agent ne pourrait apparemment pas s'attaquer aux volailles et aux poissons, tout d'abord parce qu'ils ne vivent pas assez longtemps et sans doute aussi parce que les volailles et en tout cas les poissons ont été très rapidement nourris avec des farines spécifiques, mais pas les mêmes.

Quant aux ovins et caprins -vous avez entendu à ce sujet une personne du Comité Dormont-, le risque est non négligeable que l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine puisse passer chez ces espèces, masqué par une tremblante.

Nous sommes très vigilants sur ce point. L'Agence de sécurité des produits alimentaires ayant diffusé un avis dont nous avons tenu largement compte avec le Ministère de l'Agriculture, étant entendu que tout ce que je vous indique a été rendu public. En effet, depuis que j'ai été Ministre de la Santé en 1991 et 1992, aucun document n'a été conservé secret, ma règle absolue étant de tout rendre public.

Enfin, je suis inquiet devant les problèmes environnementaux, sachant qu'il existe un risque de persistance de l'agent prion dans le sol, apparemment pendant jusqu'à trois ans. Faut-il faire un rapport entre le sol et la tremblante du mouton ? En tout cas, il faut sans doute régler au plus vite le problème du traitement des boues, de l'épandage des déchets liquides et de l'utilisation d'eau potentiellement à risque en agriculture, y compris dans les cultures maraîchères. Je suis très attentif à la qualité de l'eau de boisson, puisque c'est mon domaine, avec le Ministre de l'Environnement. Nous devons avancer vite dans ce domaine.

Nous devons également réfléchir au problème de la substitution, ce qui concerne 400 000 tonnes de farines animales et 270 000 tonnes de graisse. Cela demande un stockage complexe, leur destruction présentant des risques de pollution, y compris dans le sol et les eaux.

Nous devons nous interroger sur le remplacement par des farines végétales. Quelles seraient les conséquences pour la santé ? Les risques sont les suivants :

Risque chimique : contaminants, mycotoxines.

Risque biologique : OGM -ils ne me font pas très peur, mais il faut les surveiller-, bactéries, allergénicité.

Baisse de la qualité de la viande.

Conservation de moins bonne qualité, avec une oxydation.

Rejets de phosphore, de métaux et d'ammoniaque.

Il reste des mesures importantes à prendre : s'assurer de la mise en oeuvre effective et complète de celles déjà prises étant l'essentiel.

Si nous n'avons pas de suivi -c'est souvent le cas-, il faut auditer les installations et les circuits et assurer la transparence de ces contrôles, mettre en place des indicateurs de suivi et aboutir -je le demande depuis des années- à une harmonisation communautaire.

Il faut maintenir l'interdiction des farines et des graisses, réfléchir aux phosphates bicalciques et aux gélatines. La saisine du Comité Dormont est en cours mais, comme je vous l'ai indiqué, nous ne savons pas remplacer les enveloppes des médicaments très rapidement et nous ne pouvons pas supprimer immédiatement la majorité de ceux concernés, même si nous y travaillons.

Nous devons procéder à la sécurisation des rejets liquides et penser à la qualité de l'eau (épandages à proximité de stations de traitement) ainsi qu'à la surveillance stricte du risque ovin, ce à quoi nous travaillons avec le Ministère de l'Agriculture, la question étant de savoir si l'agent de l'ESB est passé aux ovins et aux caprins.

Nous devons aussi éviter au maximum la transmission inter-humaine, ce qui est mon rôle. Nous l'assumons au maximum à travers les activités de soins (pour la chirurgie et l'endoscopie), les dispositifs médicaux et les produits dérivés du sang et des greffes.

Voilà, trop brutalement et trop sommairement, ce que je voulais vous dire quant au rôle du Ministère de la Santé. Je vous ai présenté la chronologie des mesures prises, mais je serais ravi de répondre à vos éventuelles questions.

M. le Président - Merci Monsieur le Ministre. Vous avez évoqué dans votre discours des fraudes massives : vouliez-vous parler d'importations de farines animales ?

M. Bernard Kouchner - Oui.

M. le Président - Je pense que vous avez des preuves, parce que nous n'en avons pas forcément eues à travers les auditions que nous avons effectuées et auprès des personnes qui normalement sont concernées et auxquelles nous avons posé des questions.

Si vous avez des preuves réelles et formelles, cela nous apporterait des renseignements supplémentaires, ce qui serait parfait. Par conséquent, si c'est effectivement le cas, nous vous demandons les documents sur lesquels vous vous appuyez.

M. Bernard Kouchner - Je ne m'appuie que sur des hypothèses, mais je ne vois pas comment la maladie aurait pu persister dans nos troupeaux sans une utilisation probablement massive des farines animales après les interdictions.

Je n'ai aucune preuve de cela, mais j'ai hélas la conviction que, au-delà de notre pays, des ventes ont massivement eu lieu, en Europe Centrale et dans le Tiers Monde, ce qu'il est assez facile de savoir.

Cependant, pour ce qui concerne la France, puisque c'était interdit, je n'ai pas de preuve et je n'en ai pas recherché de façon policière. Hélas, les conséquences -en tout cas sur les troupeaux- ont été telles que, en dehors d'autres hypothèses qui sont toujours évocables -transmission par le sol ou verticale-, cela me paraît difficile à prouver.

Il apparaît, quand nous parlons avec des utilisateurs, que certains paquets ne portaient même pas la mention « produit protéinés d'origine animale ». Cependant, encore une fois, hélas, je n'ai pas de certitude à vous apporter dans ce domaine.

M. le Président - Merci. Je vais maintenant passer la parole à notre rapporteur, qui va vous poser des questions.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Ministre, j'ai relevé un certain nombre de points dans vos propos. Le premier concerne les pots pour bébés. Vous nous avez indiqué avoir en 1991-1992 procédé à leur retrait dans les pharmacies, notamment s'agissant de ceux dans lesquels étaient incorporées des cervelles en provenance de Grande-Bretagne.

J'en suis ravi. Ceci étant, nous avons noté, notamment en auditionnant M. Gérard Pascal, le Directeur du Comité vétérinaire permanent, que la demande de retrait a été annoncée officiellement en août 1992. Cela voudrait dire que, antérieurement, vous aviez déjà le sentiment qu'il fallait agir. Est-ce bien le cas ?

M. Bernard Kouchner - Honnêtement, je ne me souviens plus si c'était en août, mais en tout c'était en 1992. Je me souviens très bien que nous avions été alertés après les rapports Dormont sur les maladies à prions et l'hormone de croissance extractive. C'est à ce moment-là que la maladie de Creutzfeldt-Jakob est devenue une contre-indication aux dons du sang et d'organes, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France ayant rendu son avis.

Nous avons alors agi avec la Direction de la sécurité sanitaire de l'alimentation et nous avons en effet retiré des pharmacies des aliments pour bébés, dont des petits pots qui comportaient des abats et des cervelles.

M. le Rapporteur - Vous avez en fait anticipé la décision du Comité vétérinaire permanent, qui date d'août 1992.

M. Bernard Kouchner - Je ne me souviens plus du mois. Nous avons réagi en 1992, les médicaments ayant été en 1991 réévalués au regard du risque ESB, à travers l'embargo sur les produits bovins d'origine britannique dans les médicaments.

Je me souviens en particulier que cela concernait des extraits injectables avec des doubles ampoules, sachant que la suppression des petits pots a été un parcours difficile.

M. le Rapporteur - Quand vous dites que cela a été un parcours difficile, sous-entendez-vous que vous avez été confronté à certaines réticences ?

M. Bernard Kouchner - Oui, il fallait convaincre. Il est très difficile de dire à des personnes -cela fait référence à toute la pédagogie du risque que nous n'avons tenté de mettre sur pied que plus tard- que des petits pots, qui sont nécessairement l'aliment le plus évident pour les bébés, afin qu'ils croissent et embellissent, sont dangereux.

M. le Rapporteur - L'annonce de la transmission à l'homme a officiellement été faite en 1996. Ceci étant, on savait de par le décès d'un chat siamois anglais qu'il existait un passage de la barrière d'espèce.

M. Bernard Kouchner - Encore une fois, replacez-vous dans l'atmosphère de 1991-1992 : la maladie de Creutzfeldt-Jakob, avec l'hormone de croissance d'origine extractive, provenait de matériaux spécifiés et en particulier des cervelles. C'est ce qui nous a fait réagir pour les petits pots, sachant que nous n'avions pas de certitude et que c'était une mesure de précaution, comme l'on doit toujours en prendre.

J'ai reçu les familles et cela a été très difficile, car l'angoisse était très grande pour les enfants qui avaient été traités. C'est seulement longtemps après que nous avons fait le rapprochement avec une autre infection, le nouveau variant.

M. le Rapporteur - Vous nous avez indiqué que vous aviez des rapports réguliers avec vos homologues, et notamment avec les Allemands à propos du porc. Vous pourriez d'ailleurs peut-être nous en parler si vous avez quelques informations supplémentaires.

Vous devez également avoir sans doute des échanges de vues avec votre homologue anglais. Or, lors de notre séjour en Angleterre la semaine dernière, on nous a laissé entendre qu'une étude épidémiologique était basée sur l'analyse des coupes histologiques des amygdales des jeunes anglais depuis une dizaine d'années. Serait-il difficile pour votre Ministère de récupérer ces informations ? En effet, il serait important de voir, sur dix années, si effectivement les prions sont de plus en plus présents dans les amygdales de ces enfants. Il serait intéressant que nous puissions faire figurer cette information dans notre rapport.

M. Bernard Kouchner - Je ne pense pas que ce soit impossible. Nous pouvons très bien tenter d'obtenir ces informations auprès de mon homologue.

J'ai parlé des endoscopes, en tous cas chez les oto-rhinos, et de la nécessité de se méfier d'un trajet qui touche les amygdales, parce qu'une alerte a été donnée et parce que le test se fait en particulier au niveau de celles-ci : nous sommes là devant un problème de santé publique considérable, la question étant de savoir s'il faut utiliser un endoscope à usage unique ou des procédés plus anciens qui permettaient de ne voir qu'imparfaitement, sans endoscopie à fibre de verre, ou s'il faut consacrer suffisamment d'argent à la protection de l'endoscope à chaque fois. Il serait en tout cas en effet intéressant de disposer de cette publication anglaise.

M. le Président - Nous vous demandons officiellement de faire une démarche auprès de votre homologue anglais. Nous jugerons du résultat de votre efficacité, dont bien sûr nous ne doutons pas, Monsieur le Ministre.

M. Bernard Kouchner - Je vais essayer.

M. le Rapporteur - Nous ne doutons pas de votre efficacité, mais nous craignons la rétention de votre homologue. Nous sommes interrogatifs.

Ma troisième question fait suite à l'audition de M. Deslys, qui est intervenu dans l'heure précédente.

Concernant les tests de détection, il apparaît maintenant très clairement que le test Biorad est beaucoup plus précis et sensible que le test Prionics. En avez-vous eu confirmation vous-même au sein de votre ministère ? Cela semble assez patent de la part du spécialiste qu'est M. Dormont. Si c'est le cas, pourquoi n'est-il pas mis beaucoup plus couramment en oeuvre sur le territoire national ?

M. Bernard Kouchner - Le CEA et les chercheurs suisses étaient présents lors des deux journées à l'Académie des sciences. Je me trompe peut-être -il faudrait que mes collaborateurs me démentent-, mais la comparaison n'a pas été faite en ma présence.

M. le Rapporteur - Pouvons-nous dans les jours qui viennent attendre de votre part une recherche sur ce point confirmant ou infirmant la qualité supérieure du test Biorad par rapport au test Prionics ?

M. Bernard Kouchner - Oui, si la comparaison existe.

M. le Rapporteur - Il serait important que le Ministère de la Santé puisse nous donner son avis à ce sujet.

M. Bernard Kouchner - Nous allons essayer.

M. le Président - Cela ne doit pas dépendre du Ministère de la Santé dans la mesure où ces tests sont exclusivement réservés aux animaux. C'est la raison pour laquelle vous ne disposez pas nécessairement d'une étude sur la qualité et la capacité de ces tests, qui doivent être rapportés uniquement au Ministère de l'Agriculture.

M. Bernard Kouchner - Nous avons avec Jean Glavany la co-tutelle de l'AFSSA. J'ai vu son Directeur hier et nous avons fait un tour d'horizon des nouveautés, car je voulais vous présenter mes dernières connaissances, qui sont imparfaites, mais je lui poserai la question.

Nous en avons parlé s'agissant d'une publication qui a défrayé la chronique dans les jours qui ont suivi à partir d'un test sanguin éventuel, mais je crois qu'il y a beaucoup de bruit pour pas grand-chose pour le moment car, en revanche, j'ai parlé très directement avec le responsable du Commissariat à l'énergie atomique, qui était le chercheur en charge de ce problème.

En tout cas, c'est une piste très importante, et nous avons, avec le Ministre de la recherche dépensé beaucoup d'argent dans ce cadre, ce qui débouchera peut-être sur des développements, mais pour le moment c'est un peu prématuré. Après tout, cela signifie non pas forcément que le champ serait contaminant, mais qu'il existerait un marqueur.

M. le Rapporteur - Vous avez à juste titre parlé de la substitution des protéines animales par des protéines végétales, qui préoccupe également M. Glavany et M. Moscovici. Cependant, nous nous heurtons à la Commission européenne et notamment à M. Fischler, et il n'existe aucune ouverture sur ce point, à travers une éventuelle renégociation des fameux accords de Blair House.

Or -cela fera partie d'une des recommandations de notre rapport-, il serait important que nous puissions aller au-delà des demandes aimables à l'adresse de M. Fischler, car nous ne pouvons pas accepter cela.

Enfin, je comprends mal le « silence » du Ministère de la Santé face à ce problème, qui est depuis 1996 devenu un problème de santé publique, par rapport aux propos de Mme Gillot, il y a quelques mois, sur le nombre de cas futurs de nouveaux variants.

Est-ce à dire que vous ne confirmez pas les modélisations de M. Anderson ou de Mme Alpérovitch ? Quelle est votre analyse du degré de contamination éventuel de la population française ?

M. Bernard Kouchner - Concernant votre avant-dernière question, Monsieur le rapporteur, je n'ai pas peur des OGM. En revanche, je crains terriblement la dictature de l'incompétence.

Je pense que nous allons vers une grave crise de société si d'une part nous ne pouvons plus manger de viande alors que d'autre part nous nous méfions du progrès scientifique.

Je suis presque l'auteur de l'application à l'espèce humaine et à la santé du principe de précaution et je sais qu'il faut toujours l'appliquer, mais je sais aussi qu'il faut savoir raison garder.

La détresse paysanne est très grande, mais je n'aime pas les sociétés sans risques, ces derniers devant être connus, choisis et éventuellement assumés. Dans ce cadre, dire que nous nous protégerons de tout me paraît très dommageable pour la pensée en général et la pensée honnête en particulier.

Je pense personnellement qu'il faudrait en effet faire pression sur M. Fischler, que je connais puisque j'étais Président de la commission du développement et de la coopération du Parlement européen alors que ce digne homme était déjà Commissaire à l'agriculture et que je lui parlais déjà de la santé, en essayant d'éveiller son attention sans y parvenir.

Il appartient aux politiques de décider, non aux commissaires. En tout cas, je sais qu'il faudra un jour développer les cultures de substitution pour les protéines végétales et en général pour les céréales.

On ne parle pas du vrai sujet dans tout cela, à savoir la démographie mondiale. Si d'une part les individus sont beaucoup plus nombreux et que d'autre part l'on n'arrive pas à produire, je me demande comment ils seront nourris. En tout cas, le vieux dogme consistant à dire qu'il y a assez à manger sur la terre pour tout le monde est faux, d'autant plus que nous devons aujourd'hui, très légitimement, prendre des précautions, car nous avons été assez fous pour nourrir des ruminants avec de la viande. Nous l'avons tous accepté et nous n'avons pas protesté, moi non plus. Peut-être ne nous en sommes-nous pas rendu compte. De plus, c'était tellement facile, mais nous l'avons fait et cela ne fonctionne pas, ou en tout cas moins bien qu'avant.

Il faut avoir un vrai débat à ce sujet et, si votre rapport peut aller dans ce sens ou éveiller l'attention, vous aurez fait un travail formidable. J'appelle cela la pédagogie du risque.

Je reviens du Kosovo, qui est un endroit différent : la maladie concerne trois personnes, sachant que je déplore qu'elles soient atteintes et que j'ai développé des agences pour que le principe de précaution soit employé, ce que je ferai toujours, mais il faut savoir raison garder.

Voyons les conséquences et les difficultés qui sont devant nous. Quand je vois qu'en France il existe 750 000 cancéreux dont le système de santé ne tient pas assez compte et que l'on ne peut pas faire de prévention et de recherche suffisamment en amont, sans attendre que les personnes soient malades, je pense qu'il faut agir dans ce domaine et pour le reste, comme pour la maladie de Creutzfeldt-Jakob. De plus, je trouve un peu difficile de brûler les cultures.

M. le Rapporteur - Me permettez-vous, Monsieur le Ministre, d'être provocateur ?

M. Bernard Kouchner - Oui, je vous le demande.

M. le Rapporteur - Au sein de vos collègues et du gouvernement, j'essaie désespérément d'aborder ce sujet, qui est fondamental, avec Mme Voynet. Comme vous l'avez souligné -nous avons reçu l'an passé le Président de la FAO-, il existe 80 millions d'habitants et de consommateurs supplémentaires sur cette terre chaque année. Ce n'est pas à vous, qui revenez du Kosovo, que nous l'apprendrons. Or, il faudra bien trouver des solutions, non pas modernes, mais équitables, rationnelles et sécurisantes pour nourrir toutes ces personnes.

M. Bernard Kouchner - Vous avez raison, sachant que Mme Voynet est beaucoup plus souple que la moyenne des militants du parti Vert. Je crois qu'elle évolue et qu'elle évoluera. Ils se méfient terriblement, la meilleure façon de leur faire admettre l'évolution scientifique étant d'accepter les contrôles, le regard scientifique ainsi que l'audit et la révision permanents de nos notions. Je pense qu'ils l'accepteraient.

M. le Rapporteur - La loi sur la bio-vigilance, qui faisait d'ailleurs partie de la loi d'orientation agricole, avait formidablement encadré la problématique en question.

M. Bernard Kouchner - C'est ce que je crois personnellement, mais je comprends aussi que nous sommes dans une période où les dangers qui menacent la planète sont très présents au coeur des jeunes militants et des jeunes générations politiques. C'est sans doute un élément dont il faut absolument tenir compte.

Je voudrais également vous parler du nucléaire. Je pense que les risques sont dans ce domaine mal maîtrisés, mais qu'il faut continuer.

Concernant le Kosovo, l'uranium appauvri et la crise mondiale, j'ai dit à tout le monde de venir -y compris aux membres de Greenpeace, même si les militaires n'étaient pas contents car ils sont leur ennemis- pour que nous mettions nos compteurs de radiations les uns à côté des autres afin de comptabiliser les rayons alpha.

Je ne dis pas que tout est parfait, mais aujourd'hui tous les résultats crédibles et scientifiques à propos de l'uranium appauvri vont dans le sens de l'absence de conséquences. C'est ainsi : il faut contrôler et être transparent en permanence, ce que nous avons fait, sachant qu'il n'était pas facile au début, étant donné la culture d'un ministère et surtout celle du celui de la Santé, de rendre publics tous les rapports. C'était absolument révolutionnaire.

Concernant les modélisations, je sais ce que Mme Alpérovitch a dit. Il s'agit d'une double modélisation, à savoir de celle, éventuelle, des résultats anglais à partir de l'étude de l'absorption supposée, rapportée au nombre de troupeaux dans le cadre des fameuses fraudes dont je n'ai pas l'évidence ni la certitude en France, et d'une nouvelle modélisation par rapport à la France partant du postulat qu'il existerait -je n'étais pas là, mais je sais à peu près ce qui s'est passé- des dizaines de milliers de cas potentiels en Angleterre et en France. Cependant, cela n'a été contrôlé par personne et n'a absolument pas été validé scientifiquement ; c'est une hypothèse.

M. Prusiner, qui est l'homme de l'art, en répondant aux questions qui lui étaient posées -qui sont d'ailleurs en partie parues dans « Le Monde » et que vous avez sans doute lues-, a indiqué que personne n'était capable d'affirmer quoi que ce soit aujourd'hui dans ce domaine, ni dans un sens ni dans l'autre, c'est-à-dire ni par défaut ni par excès.

J'estime donc qu'il faut pour le moment continuer à appliquer la précaution la plus stricte, en essayant d'obtenir de l'argent pour la recherche.

Franchement, les chiffres du Ministère de la Santé n'étaient que des hypothèses que je ne peux ni infirmer ni confirmer.

Encore une fois, il s'agissait d'une maladie qui, en dehors de la façon dont elle peut potentiellement toucher les hommes depuis 1996 et de quelques cas, heureusement rares dans notre pays, concernait beaucoup les animaux et le Ministère de l'Agriculture.

En Angleterre, d'où vous revenez, l'on dit : « Jusqu'à l'abattoir, c'est le Ministère de l'Agriculture et ensuite celui de la Santé ». Nous pouvons grosso modo dire de même, mais nous sommes allés plus loin, parce que nous avons partagé les agences. L'agence majeure, celle de la sécurité alimentaire, est partagée entre le Ministère de l'Agriculture et celui de la Santé.

Nous nous voyons très fréquemment et, là aussi, nous avons décidé de rendre publics tous les rapports et toutes les publications de l'agence. Nous trouvons parfois que c'est trop tôt, même si elle nous prévient par décence avant, mais elle est libre de le faire, le public devant savoir.

M. Michel Souplet - Monsieur le Ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt et je vous rejoins sur la quasi-totalité de vos propos.

Nous sommes ici en commission non pour juger les personnes ni le passé, mais pour connaître la vérité et pour faire des propositions concrètes et applicables le plus rapidement possible.

Je voudrais revenir un instant sur la fiabilité des tests évoquée par mon collègue M. Bizet. Il nous a semblé comprendre cet après-midi, à travers les propos tenus par votre prédécesseur à cette table, que nous pouvions aujourd'hui disposer d'un test permettant de garantir quasiment à 100 % que la viande qui a été testée est saine, le délai qu'il faut pour permettre de l'affirmer étant d'environ 4 ou 5 heures.

Or, il se trouve que la viande est mise en stock pour réessuyage dans les abattoirs pendant plus de 5 ou 6 heures.

On serait susceptible aujourd'hui, si ces tests pouvaient être appliqués dans chaque abattoir, de dire pour tous les animaux abattus, au moment de les sortir du frigo, s'ils ont sains ou présentent un risque. Il serait formidable de pouvoir déjà apporter cette garantie, sachant que ce serait apparemment possible très rapidement.

Par ailleurs, nous voulons -vous comme nous- que la traçabilité soit la plus précise et la plus fiable possible, mais il faudra pour ce faire être extrêmement exigeant s'agissant de celle des produits français ainsi que de celle de ceux importés. Or, nous allons nous trouver, dans le cadre de la liberté mondiale du commerce, face à des personnes qui voudront nous envoyer, sous prétexte qu'une traçabilité existe, des produits qui seront beaucoup moins garantis que les nôtres. Comment pourrons-nous nous protéger sur ce plan ?

M. Bernard Kouchner - Ce n'est pas de mon ressort ; c'est évidemment le problème des douanes et celui du Ministère de l'Agriculture. Je comprends très bien que la traçabilité, concernant nos produits, soit au mieux, sachant que nous nous enorgueillissons, au Ministère de la Santé, d'avoir commencé à la mettre en place avec nos agences de façon très systématique depuis des années.

Concernant les contrôles aux frontières, le suivi, les certificats, les dispositifs électroniques de lecture, etc., je sais que beaucoup de systèmes sont étudiés, que Jean Glavany est très sensible à la question et que le Ministère l'Agriculture y travaille, mais je ne peux pas vous répondre, en ce qui me concerne, s'agissant de ces contrôles, qui sont manifestement plus douaniers que sanitaires.

Je sais qu'un test français est comparé à un test suisse, et il m'a semblé comprendre- mais là aussi c'est du domaine de l'agriculture, car il s'agit des animaux- que le premier serait apparemment plus sensible.

Il est en cours d'évaluation, mais je suis tout à fait content si cela vous a été affirmé car, si cela diminue la durée de séjour des carcasses au frigo pendant quelques jours, c'est évidemment très important.

M. Michel Souplet - Cela nous permettrait d'apporter très rapidement une garantie aux consommateurs français et de leur redonner confiance.

M. Bernard Kouchner - Tout à fait. Cela permettrait également de redonner confiance aux consommateurs étrangers, puisque nous exportions énormément, ce qui j'espère reprendra très rapidement.

M. Paul Blanc - Monsieur le Ministre, il semblerait qu'un rapport de l'Académie de médecine de 1990 indique qu'une contamination de l'ESB à l'homme ne serait pas à exclure. En avez-vous eu connaissance au ministère ?

M. Bernard Kouchner - Je fouille dans ma mémoire, mon cher confrère. Je ne crois pas, mais je ne connais pas tout. Je n'ai aucune raison de douter, si c'est ce qu'a indiqué l'Académie de médecine, qu'une communication a été faite dans ce sens, mais je ne m'en souviens pas ; je pourrais rechercher. Je suis arrivé au Ministère de la Santé en 1991 ; peut-être ceci explique-t-il cela.

M. Paul Blanc - Vous avez insisté sur les contaminations possibles à partir de fraudes sur les farines animales. Il semble, d'après les enquêtes que nous avons menées, qu'au-delà des fraudes s'est posé le problème des croisements de farines animales de bétail, sachant que celles destinées à l'alimentation des bovins avaient en effet été interdites, mais qu'elles continuaient à être utilisées. Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu interdire les farines animales pour toute alimentation de bétail, quel qu'il soit ?

M. Bernard Kouchner - Oui, mais il était très difficile de le savoir à l'époque, car nous étions dans un domaine extrêmement flou. Je trouvais en tant que médecin un peu excessives les mesures, que je jugeais parfois arbitrairement administratives, que nous prenions, en particulier pour retirer des produits médicamenteux du circuit.

Il aurait fallu le faire -je l'ai demandé quand je suis revenu au Ministère de la Santé- et il est évident que cela nous a effleurés à propos des volailles, des poissons et des porcs, mais ce n'est qu'à partir de 1996 que nous avons compris comment cela fonctionnait. Nous étions en 1991 et 1992, hélas, un peu bloqués dans notre raisonnement, car il n'était question que de l'hormone extractive.

J'ai officiellement demandé en 1998 au Comité national de sécurité sanitaire de le faire, mais nous aurions pu en effet y penser plus tôt.

Il m'a été indiqué -je crois me répéter- que pour les poissons cela avait très vite disparu, mais de toute façon les farines animales ont continué à nourrir les bovins. Sinon, il n'y a pas d'explications pour les animaux que l'on appelle naïfs -ceux nés après l'interdiction- et super naïfs, nés après 1996. Peut-être faut-il rechercher une autre hypothèse, mais je pense que nous pouvons nous satisfaire partiellement de l'explication de la consommation illicite de farines animales.

M. Paul Blanc - Vous avez demandé l'interdiction des produits d'origine animale dans les produits médicamenteux (extraits de foie, etc.). Est-ce surtout par apport aux conséquences des extraits d'hypophyse qui avaient été administrés et qui avaient provoqué des maladies de Creutzfeldt-Jakob ou pensiez-vous déjà à l'ESB à ce moment-là ?

M. Bernard Kouchner - Pour être honnête, il est tout à fait certain que c'était en rapport avec les terribles cas qui frappaient les enfants qui étaient traités par l'hormone extractive. Je me vanterais en indiquant que j'avais pensé à autre chose.

M. Paul Blanc - Oui, mais cette hormone était d'origine humaine.

M. Bernard Kouchner - Oui. Nous pensions même à ce moment-là qu'il s'agissait probablement également de la façon dont les hypophyses étaient extraites et conservées et qu'il existait un vrai trafic dont nous bénéficiions. N'oubliez pas qu'un contrôle était exercé par un pédiatre très fameux, etc. Nous pensions que les conditions d'extraction (en particulier dans les pays de l'est) étaient probablement responsables de la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène et nous avons, en allant un peu loin, retiré les petits pots des pharmacies.

Par rapport à la gélatine qui constitue l'enveloppe de bien des gélules, je continue à penser qu'il faut certainement agir en fonction du principe de précaution, mais il serait étonnant que l'agent infectieux se retrouve, après les traitements qu'elle a subis, dans la gélule qui entoure un antibiotique, même si c'est aujourd'hui une règle et qu'il n'est pas question d'y déroger.

A cette époque, honnêtement, je ne me souviens pas d'avoir pensé à un nouveau variant, puisque pour nous la maladie de Creutzfeldt-Jakob était à incubation très longue. Or, voilà qu'arrivent des enfants faisant l'objet d'une période d'incubation différente, ce qui est terrible.

M. Paul Blanc - Je suis tout à fait d'accord avec vous, de la même façon que j'ai été choqué, lors de nos différentes visites, par le nombre de carcasses parties à l'équarrissage pour deux cas et demi de maladies de Creutzfeldt-Jakob par rapport au nombre d'enfants qui meurent de faim dans le monde entier.

M. Bernard Kouchner - Un certain nombre de pays ont demandé à récupérer les carcasses, mais cela pose des questions considérables.

M. le Président - Il est vrai que quand on voit -comme cela a été notre cas au cours de nos différentes visites dans tous les abattoirs- des séries d'animaux manifestement sains abattus et la viande dépecée, puis traitée avant d'être envoyée directement à l'équarrissage, cela fait très mal, non seulement à ceux qui les ont élevés, mais aussi aux simples citoyens que nous sommes tous, ainsi que, comme le disait notre collègue M. Blanc -vous le savez mieux que quiconque-, par rapport à tous ceux qui meurent de faim dans le monde. Cependant, il est vrai que le principe de précaution fait que si nous l'appliquons chez nous, il doit être appliqué pour tous dans le monde entier.

M. Bernard Kouchner - Vous avez raison, mais un de vos collègues a posé une question sur le test qui pourrait nous permettre de savoir rapidement si les carcasses sont saines ou pas et peut-être de les consommer et des les exporter de façon presque complètement sûre.

M. le Président - Je reviens sur le problème des petits pots. Etait-ce à l'époque une décision purement française ou européenne ?

M. Bernard Kouchner - A ma connaissance, cette décision a été purement française.

M. le Président - En fait, aucune décision européenne n'a été prise.

M. Bernard Kouchner - Nous étions des précurseurs.

M. le Président - C'était bien surtout et avant tout par rapport au problème d'hormones de croissance, plutôt que par rapport à la maladie de Creutzfeldt-Jakob ?

M. Bernard Kouchner - Oui.

M. le Président - Monsieur le Ministre, merci.

M. Bernard Kouchner - Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je vais tenter de retrouver pour vous les documents que vous nous avez signalés.

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