Audition de M. Jean-Philippe DESLYS,
Responsable du groupe de recherche sur les prions au CEA

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Jean-Philippe Deslys, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle que vous êtes ici en tant que responsable du groupe de recherche sur les prions au CEA.

Vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le problème des farines animales et leurs conséquences sur le développement de l'ESB et la santé des consommateurs.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Deslys.

M. le Président - Si vous le voulez bien, nous allons dans un premier temps vous laisser la parole pour que vous puissiez nous donner votre position et votre opinion sur les problèmes de l'ESB.

M. Jean-Philippe Deslys - Merci Monsieur le Président. Je vous rappelle que les maladies concernées, jusqu'à l'apparition de l'ESB, ne posaient pas de problème particulier, la maladie la plus fréquente chez l'homme étant celle de Creutzfeldt-Jakob, sous forme sporadique, à raison d'un cas par an et par million d'habitants, soit environ 80 cas par an en France.

Elle est dix fois plus rare sous sa forme familiale, et à chaque fois liée à une mutation du gène du prion, et les formes iatrogènes le sont encore plus, sauf en France, avec le problème lié à l'hormone de croissance.

Sur environ 980 patients traités entre janvier 1984 et juin 1985 avec des hormones de croissance d'origine extractive (qui étaient extraites d'hypophyses de cadavres), 76 ont développé cette maladie, soit près de 8 % de la population exposée.

Le Kuru est une maladie qui a disparu aujourd'hui. Elle a été découverte à la fin des années 1950 dans des tribus de Papouasie-Nouvelle Guinée -vivant à l'âge de pierre- qui pratiquaient des rites cannibales.

Aujourd'hui, avec le recul, cette expérience permet de dire que la période d'incubation de ces maladies chez l'homme, qui est silencieuse, peut aller de 4 ans -c'est l'âge le plus jeune qui ait été retrouvé- jusqu'à plus de 40 ans.

Nous trouvons parmi les maladies animales la tremblante naturelle du mouton et de la chèvre, maladie endémique décrite depuis environ 1700, qui ravageait les troupeaux de moutons au 18ème siècle, mais qui ne posait pas de problèmes à l'homme, les bergers, les vétérinaires et les bouchers ne développant pas plus de maladie de Creutzfeldt-Jakob que les autres catégories socioprofessionnelles.

Par ailleurs, dans des pays indemnes de tremblante, comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le taux de maladie de Creutzfeldt-Jakob est le même qu'ailleurs. Par conséquent, jusqu'à preuve du contraire, les maladies animales telles qu'on les connaissait n'étaient pas transmissibles à l'homme, ou en tout cas pas dans des proportions décelables avec les moyens épidémiologiques.

La maladie du dépérissement chronique des ruminants sauvages (la « chronic wasting disease ») a été décrite dans les années 1960 aux Etats-Unis, dans le Wyoming et dans le Colorado. C'est une sorte de tremblante qui touche les ruminants sauvages (daims, wapitis, etc.), qui a tendance à s'étendre.

On estime aujourd'hui qu'elle double tous les ans et qu'elle touche environ 10 % des animaux abattus. Une étude a montré récemment que, sur 133 animaux diagnostiqués positifs parce que cette maladie était recherchée chez eux par des tests, seuls trois présentaient des signes cliniques. C'est vous dire à quel point l'on peut passer à côté de ces maladies quand on ne les recherche pas.

Par ailleurs, l'attention du CDC a été attirée, car aux Etats-Unis trois chasseurs anormalement jeunes -ces maladies sont très rares chez les individus de moins de 40 ans-, de moins de 40 ans, qui chassaient ou qui étaient en relation avec ces contrées, ont développé une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cela a attiré l'attention sur le risque de transmissibilité de cette nouvelle maladie qui s'étend à l'homme, sans qu'aucun lien épidémiologique ait été retrouvé. Il s'agit simplement d'un signal d'alerte.

Reste bien entendu l'encéphalopathie spongiforme bovine, que vous connaissez tous.

Le début de la crise, en 1996, a correspondu à la démonstration épidémiologique que l'ESB était transmissible à l'homme. Ensuite, nous avons apporté au laboratoire la première preuve expérimentale de sa transmission, puisque les singes inoculés avec l'agent de l'ESB développaient exactement les mêmes lésions, tout à fait caractéristiques, que les patients atteints cette maladie. Vous pouvez voir ce que l'on appelle une « plaque floride ». Il s'agit d'une accumulation de la protéine de prion sous forme amyloïde entourée de légions de spongioses, d'où un aspect en fleur.

La seconde preuve expérimentale a été apportée en septembre 1997, tous ces travaux ayant été publiés successivement dans « Nature ». L'on s'est rendu compte que la signature biochimique était tout à fait particulière, elle a été baptisée de type 4.

Nous avons retrouvé exactement la même signature chez le premier patient français qui a développé cette maladie, qui n'est retrouvée dans aucune autre forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob en dehors du nouveau variant.

La troisième preuve expérimentale est la signature lésionnelle, c'est-à-dire la transmission à la souris. Nous sommes extrêmement démunis face à ces maladies, car nous n'en connaissons toujours pas l'agent de façon précise et parce que sérologiquement nous n'avons aucune possibilité puisqu'il n'existe pas de réactions immunitaires.

Nous ne décelons aucun micro-organisme au microscope, ni aucune protéine étrangère ou aucun acide nucléique spécifique, mais nous avons la chance dans notre malheur d'avoir des modèles expérimentaux extrêmement reproductibles.

Si une souris est inoculée à J zéro avec une souche donnée, six mois après, à une semaine près, tous les animaux de la boîte mourront en une semaine. Ce sont, sur ce plan, de véritables horloges biologiques. Cela peut servir notamment pour étudier les différentes souches qui existent ainsi que la répartition des lésions dans le cerveau.

Il s'agit de maladies dites spongiformes -donc qui créent des trous- qui peuvent être quantifiées, chacune des souches ayant sa signature, c'est-à-dire qu'elle s'attaquera préférentiellement à telle ou telle zone du cerveau, d'où des signes cliniques plus particuliers. Vous avez ici la démonstration qu'au niveau du bulbe la tremblante n'entraîne aucune lésion alors que l'agent de l'ESB crée des trous partout.

La démonstration a très clairement été faite que la même souche est responsable de la contamination des bovins en Grande-Bretagne et en France, de différents animaux de zoo, de chats, et d'hommes développant une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Le problème supplémentaire rencontré chez l'homme réside non seulement dans cette transmission primaire du bovin à l'homme, mais aussi dans les risques de transmission secondaires.

On pensait jusqu'à présent que la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne posait pas de problèmes particuliers en dehors de ceux que je vous ai décrits pour l'hormone de croissance et les instruments neurochirurgicaux, directement en contact avec le système nerveux central.

Par exemple, les études épidémiologiques n'ont jamais révélé de corrélation entre la transfusion sanguine et le risque de développer une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cependant, cela risque d'être différent avec la nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

En effet, on retrouve la protéine anormale du prion non seulement dans les amygdales, mais aussi dans la rate, les ganglions lymphatiques et au niveau de l'intestin, tout le système réticulo-endothélial étant contaminé. Cela signifie en d'autres termes que le niveau de contamination du sang, surtout avec une souche nettement plus virulente, n'est pas le même que celui qui était précédemment connu et que, par conséquent, l'on ignore le risque encouru.

Vous pouvez voir sur la diapositive l'amygdale du deuxième patient français et du troisième, qui est toujours vivant à ce jour.

Un article va vous être distribué dans lequel il a été démontré que chez le singe la souche gardait ses propriétés en passage secondaire, avec toujours exactement la même signature, et gagnait en virulence, la période d'incubation étant raccourcie de moitié. Enfin, elle se transmet remarquablement bien par voie intraveineuse, ce qui attire l'attention sur les risques de transmission secondaire.

Concernant les risques liés à l'agent de l'ESB, plus de 180 000 bovins ont développé cette maladie au Royaume-Uni et l'on approche les 300 en France. De plus, l'on estime à environ 900 000 les bovins affectés censés être rentrés dans la chaîne alimentaire humaine. Ils y sont rentrés, car la période économique moyenne en Angleterre est d'environ deux ans et demi et parce que la période moyenne d'incubation de cette maladie est de cinq ans, aucun diagnostic n'étant possible avant l'apparition des signes cliniques.

Le problème réside dans le fait que plus de la moitié des bovins affectés sont rentrés dans la chaîne alimentaire avant l'interdiction des abats à risque. Cependant, cela ne pose pas de problème s'ils y sont rentrés suffisamment jeunes, car cet agent n'a pas eu le temps de s'accumuler à des taux détectables. Ce sont la cervelle et la moelle épinière qui sont dangereuses dans ces maladies.

Il faut se souvenir que les expériences qui ont été menées ont montré très clairement que, lorsqu'une souris est inoculée à partir d'une vache développant naturellement une maladie, cet agent n'est retrouvé que dans le système nerveux central et périphérique, ainsi que dans les ganglions para-vertébraux apparentés eux aussi au système nerveux, et pas ailleurs.

On en trouve dans l'iléon et notamment au niveau des plaques de Peyer uniquement dans un cas : quand l'animal a été contaminé avec de très fortes doses par voie orale.

On le retrouve aussi, dans les contaminations naturelles, dans les ganglions lymphatiques et ailleurs, mais à des taux tellement bas qu'il est indétectable, sachant qu'il faut traquer ce qui est dangereux.

Par ailleurs, le nombre de cas naïfs (nés après l'interdiction des farines) ne décroît pas comme prévu. L'on imaginait il y a quelques années que le problème serait résolu en 2000 puis en 2001, mais nous voyons bien qu'il n'en est rien.

L'agent de l'ESB est transmissible aux moutons par voie orale à faible dose (0,5 gramme suffit) et il se répartit comme la tremblante, ce qui signifie qu'on le retrouve dans tous les tissus périphériques à des taux importants et, en d'autres termes, qu'il peut potentiellement devenir endémique chez le mouton, comme l'agent de la tremblante.

Or, le problème réside dans le fait -on a déjà dû vous l'indiquer- que l'on ne peut pas faire cliniquement la différence entre la tremblante et l'agent de l'ESB. Par ailleurs, si co-infection il y a, on peut imaginer si l'on est optimiste que, par un phénomène de compétition de souche, la tremblante, qui est endémique, occupe la niche écologique et donc va éviter le développement de ce nouvel agent, ce qui est classique en infectiologie. En revanche, on peut également envisager un maintien des deux souches en même temps, que l'on ne saurait pas différencier de façon simple.

L'agent de l'ESB est certainement transmissible à l'homme par voie orale. 96 cas ont été enregistrés au Royaume-Uni. A également été détecté en Irlande le cas d'une personne qui avait vécu très longtemps au Royaume-Uni auparavant. Enfin, 3 cas ont été enregistrés en France.

Le futur nombre de cas humains est extrêmement difficile à modéliser. Les premières modélisations en prévoyaient entre 80 et plus de 500 000, mais elles ont été affinées et l'on en prévoit désormais entre 63 et 136 000, sachant qu'il s'agit d'extrêmes, les hypothèses les plus raisonnables allant de quelques centaines à quelques milliers de cas.

Dans la mesure où la période moyenne d'incubation n'est pas connue, nous ne savons pas si les cas que nous enregistrons actuellement correspondent au pic de l'épidémie, auquel cas ce serait malheureux pour les patients qui ont développé la maladie, mais très rassurant pour le reste de la population. En revanche, si la période d'incubation est très longue, cela signifie que ce que nous constatons actuellement correspond à des cas anormalement courts qui annoncent une énorme vague. C'est le fond du problème.

Vous pouvez voir l'évolution de la maladie chez l'homme au Royaume-Uni à partir de 1995, mais des variations de la durée de la phase clinique sont liées au fait que plus les personnes sont jeunes, mieux elles résistent, sachant que l'âge moyen du décès est de 29 ans, même si le plus jeune patient décédé avait 14 ans. Grosso modo, plus le patient est jeune, mieux il se défend contre la multiplication de l'agent, mais vous pouvez constater par année d'apparition une progression importante, même si nous n'avons pour le moment aucune idée de l'allure que prendra cette évolution dans les années à venir.

Par ailleurs, il semblerait d'après le Professeur Robert Will, responsable du groupe de surveillance de ces maladies chez l'homme au Royaume-Uni -c'est simplement une impression pour le moment-, que la maladie touche davantage les classes défavorisées, qui sont les plus à même de consommer des préparations de mauvaise qualité contenant notamment de la cervelle et de la moelle épinière, qui sont à l'origine des problèmes.

L'apparition de ces nouveaux cas amène à se poser des questions ainsi qu'à confondre les cas humains liés à des contaminations anciennes et à les mélanger avec les cas bovins qui sont en train d'apparaître, mais ce sont des éléments complètement différents, d'autant que toute une série de mesures de précaution ont été prises dans l'intervalle.

Quand on fait figurer sur un même graphique les cas britanniques et les cas français, on ne voit pas apparaître les cas français à cause de la différence d'échelle (180 000 contre 300) ; ils sont complètement écrasés. Par conséquent, le risque provient bien, aussi bien au Royaume-Uni qu'en France, des cas britanniques.

La France est surtout concernée, car nous étions malheureusement le principal importateur de viande britannique ou de produits bovins d'origine britannique. Nous savons que 5 à 10 % de notre consommation provenait de Grande-Bretagne et qu'il s'agissait apparemment non pas des meilleures vaches, mais plutôt de vaches laitières de réforme, qui sont les plus dangereuses. Même si l'embargo a été très efficace en 1996, le risque est lié aux importations de produits britanniques.

Quant aux abats à risques, nous ne parvenons pas à obtenir des chiffres précis, ce qui est très ennuyeux. Ils diffèrent à chaque fois que nous nous adressons à une source différente et il est à ma connaissance impossible d'avoir des chiffres précis concernant le cerveau et la moelle épinière. Nous ne disposons donc que de chiffres généraux sur les exportations d'abats britanniques.

Or, nous constatons malheureusement qu'entre 1987 et 1988 ces exportations ont été multipliées par 20, les abats à risque ayant été interdits en 1989 au Royaume-Uni et en 1990 en France, des transferts massifs ayant pu avoir lieu, comme cela a été observé avec les farines contaminées pour les bovins.

C'est une période particulièrement dangereuse, puisque la cervelle et la moelle épinière étaient incorporées de façon parfaitement légale dans la nourriture.

Cela dépend des habitudes des pays, mais en Angleterre, d'après ce qui m'a été expliqué, la cervelle et la moelle épinière n'étaient pas consommées en tant que telles. En revanche, elles pouvaient être utilisées dans les viandes séparées mécaniquement, dans les viandes hachées, dans les hamburgers ainsi que dans certaines saucisses et pâtés et jusqu'à 10 % dans certaines saucisses, soit 10 grammes de cervelle dans une saucisse de 100 grammes.

Cela recouvre en termes de risque la notion de dilution, d'où l'intérêt de l'analyse du Cluster de Keniborough (Leicestershire). Il nous est rapporté que cinq cas anormaux ont été détectés dans un village particulier.

Il s'est avéré après analyse -avec tous les biais pouvant exister quand on essaie de reconstituer des cas témoins avec 20 ans de retard- que le point commun était un boucher qui avait des pratiques particulières, interdites en France depuis 1965, mais qui étaient encore légales en Angleterre et qui existaient encore dans de très rares endroits, à savoir qu'il procédait lui-même à l'abattage et à la découpe des animaux, ce qui a généré un phénomène de concentration.

En cas d'animal contaminé, ce n'était pas redistribué sur des centaines de personnes, comme avec les produits industriels, mais c'était au contraire localisé et concentré, les chiffres étant significatifs.

D'après l'explication donnée, ce sont les couteaux qui servaient à découper le bifteck qui étaient contaminés, mais j'ai une analyse complètement différente. En effet, seuls quelques milligrammes restent sur la lame d'un couteau puis se retrouvent sur la viande. Or, si quelques milligrammes suffisent à contaminer un homme, qu'en est-il de la moelle épinière qui pèse 200 grammes et de la cervelle, qui en pèse 500 ?

Je veux bien que l'on m'explique que la cervelle n'était peut-être pas retirée, car cela obligeait à casser la tête, mais le boucher était obligé d'extraire la moelle épinière puisqu'il découpait les carcasses. Par conséquent, il faut se demander à mon sens ce qu'il faisait exactement de la moelle épinière, sachant que dans la profession de boucher l'on ne jette pas grand-chose et qu'il était légal de la réutiliser.

M. Paul Blanc - Il avait une spécialité qui incorporait la moelle.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Au cours de notre voyage de 48 heures en Angleterre, c'est le seul endroit où il nous a été clairement indiqué que des abats étaient incorporés dans la fabrication des steaks hachés et que cette pratique s'était éteinte avec le temps, mais l'on ne nous a évidemment pas donné de date claire.

M. Jean-Philippe Deslys - Je suis content que vous me l'indiquiez, car c'est par déduction que je suis arrivé à cette conclusion. J'ai été incapable de trouver quelqu'un pour me répondre.

M. le Rapporteur - Dieu sait si les personnes auxquelles nous nous sommes adressés ont été avares d'informations, mais nous avons au moins eu celle-ci.

M. Jean-Philippe Deslys - J'ai procédé à deux représentations de la situation (au 9 mai et au 16 octobre 2000) pour essayer de comprendre ce qui s'est passé, car j'ai été très frappé par l'évolution des cas.

Il s'agit de représentations par année de naissance et d'apparition pour établir une sorte de moyenne, sachant que des animaux ont été contaminés tôt et que quand en France un cas est décelé tout le troupeau est abattu. Cela fait apparaître en 1988 et en 1989 le phénomène qui correspond à l'importation massive des farines britanniques.

Au moment où elles ont été interdites au Royaume-Uni, l'Irlande a divisé par 3 ou 4 ses importations, en passant de 700 à 200 tonnes, la France les a doublées, en passant de 7 000 à 15 000 tonnes, la Belgique et la Hollande les ont multipliées par 4 ou 5, etc.

Paradoxalement, la Suisse n'a importé aucune farine britannique, mais c'est elle qui a enregistré le plus grande nombre de cas. Ceci dit, elle a importé des farines d'ailleurs, notamment de Belgique, et j'ai cru comprendre qu'une farine qui revenait dans un autre pays et était remélangée prenait l'étiquette du nouveau pays, et ce indépendamment de la fraude.

De plus, incontestablement, l'on ne parvenait à obtenir aucun détail sur ce qui se passait en Angleterre. J'ai demandé pendant des années ce que devenaient ces farines : cela relevait plus du secret défense que d'autre chose.

J'ai été très étonné, car il m'avait été indiqué au départ que ces farines ne voyageaient pas, parce que cela coûtait cher en raison des tonnages, et qu'elles n'allaient pas très loin. Or, 20 000 tonnes ont été importées en Indonésie en 1996. En fait, les notions de diffusion limitée sont complètement fausses et ces farines ont pu voyager très loin. De plus, il faut tenir compte des périodes d'incubation, raison pour laquelle le phénomène se poursuit.

Par année d'apparition en France, la subdivision en fonction de l'âge est intéressante. En effet, toutes les tranches sont touchées au départ, car les farines rentrent et l'on en donne à tout le monde mais, à partir de 1996, la proportion correspondant aux bovins de quatre ans augmente jusqu'à atteindre 40 % en 1998, ce qui est complètement anormal. Le fait que des bovins de 4 ans développent la maladie anormalement tôt signifie qu'ils ont été contaminés tôt avec des doses importantes, à un moment où ils n'auraient jamais dû recevoir la moindre farine. En fait, ils ont développé la maladie plus rapidement à un moment où tout était censé être verrouillé.

Comment expliquer que, quand les farines animales pouvaient rentrer légalement et massivement, les cas étaient relativement peu nombreux -même si je veux bien admettre qu'il y ait des trous dans l'épidémio-surveillance, mais pas à ce point-, alors que leur nombre a augmenté ensuite ? Nous avons l'impression que les farines sont rentrées et ont été recyclées.

Nous savons aujourd'hui que les systèmes de traitement des farines ne suffisaient pas. Il faut raisonner en seuils. Quand un système est moyennement efficace et que la charge infectieuse est faible, le taux infectieux est suffisamment diminué pour ne plus contaminer personne. En revanche, si le système est alimenté avec des doses importantes, l'on passe au-dessus du seuil fatidique et l'on peut amplifier l'agent infectieux. C'est en tout cas ma lecture de la situation.

Vous me répondrez que les farines, même françaises, n'auraient pas dû rentrer dans l'alimentation des bovins, sachant qu'elles avaient été interdites, mais ils ont été contaminés anormalement jeunes.

J'ai posé des questions pour comprendre ce qui se passait, car cela annonçait un phénomène extrêmement désagréable, qui est à suivre. En effet, si un bovin de 4 ans est contaminé, cela signifie que son petit frère, qui a mangé des produits un peu moins contaminés, développera la maladie à cinq ans, son autre petit frère à six ans, etc.

Il m'a été répondu que les paysans qui ont des porcs ou des volailles pour lesquelles ces farines étaient autorisées -y compris les farines britanniques, si j'ai bien compris-, ne décident pas du moment de sacrifier les animaux. Ce choix revient à la coopérative et ils ne sont pas maîtres du système. C'est la raison pour laquelle leurs silos étaient de temps à autre à moitié pleins.

De plus, dans la mesure où cet aliment n'est pas en fin d'engraissement utilisable pour les animaux en début d'engraissement, il était repris par les usines.

Enfin, il était impropre à la consommation par les vaches laitières parce qu'il contenait des antibiotiques et toute une série d'éléments incompatibles, mais il pouvait être utilisé pour les veaux. C'est une explication qui me semble logique s'agissant de ce qui m'a été décrit comme des « silos hôpital ».

Il faut par ailleurs tenir compte du phénomène des lacto-remplaceurs. Des animaux jeunes buvaient autre chose que du lait et l'on a découvert que les lacto-remplaceurs contenaient des graisses animales. Or, il semblerait que certaines d'entre elles servaient à cuire les farines et pouvaient ensuite rentrer dans l'alimentation. Je vous livre pour le moment les pistes que j'ai pu trouver afin d'essayer de comprendre, uniquement à partir de l'analyse des courbes.

Le phénomène a été augmenté en 2000 de façon artificielle pour deux raisons : la mise en place des tests, qui correspondent à une augmentation d'environ un tiers des cas et, comme en Suisse, un processus d'attention accrue. Par exemple, un vétérinaire qui n'aurait pas fait son travail en laissant passer une vache qui présentait des signes cliniques qui a ensuite été repérée lors des tests a des retours de ce manque d'efficacité. En tout cas, le résultat est là, le nombre de bovins de cinq et six ans contaminés commençant à augmenter, sachant qu'en 2001, surtout de par les tests réalisés à très grande échelle, de nombreux faits seront démasqués.

Ces fameux tests sont tous basés sur la détection d'une protéine anormale, celle du prion expliquant la résistance de ses agents ; elle forme une coque résistante.

Dans l'hypothèse du prion, la protéine anormale est l'agent, alors que dans d'autres des éléments supplémentaires viennent s'ajouter mais, dans tous les cas, cette coque est indispensable pour expliquer la résistance à la dégradation. Elle résiste à la chaleur, notamment sèche. Par exemple, un bout de cerveau que l'on a eu le malheur de laisser sécher même avant de l'autoclaver devient résistant, de même s'il est traité au formol ou à l'éthanol. Elle résiste également aux ultrasons, aux rayonnements ultraviolets, aux radiations ionisantes et à quasiment tous les processus chimiques d'inactivation, ce qui signifie clairement que les méthodes culinaires ne servent strictement à rien.

La protéine anormale du prion existe sous une forme normale chez tous les mammifères, mais elle est dégradée si l'on fait agir une protéase.

Elle a sous sa forme anormale tendance à s'accumuler, ce qui est normal car, dans la mesure où elle résiste à la dégradation, la cellule n'arrive pas à s'en débarrasser, tout au moins pas très efficacement. En effet, si elle était complètement résistante, les animaux ne mettraient pas des mois à mourir. L'incubation serait très rapide, de même que la mort.

Le problème réside dans le fait qu'aucun anticorps ne reconnaît actuellement spécifiquement la forme anormale de la PrP, ce qui implique que dans toutes les techniques l'on doive se débarrasser soigneusement de la forme anormale qui très souvent chez le bovin présente la majorité de PrP.

Il s'agit d'un changement de conformation. La protéine normale comporte une partie non structurée et une partie globulaire (c'est-à-dire structurée) composée principalement d'hélices alpha -on en retrouve par exemple dans la laine- consistant en enroulements torsadés. C'est d'ailleurs ce qui permet à la laine d'être étirée.

En revanche, elle acquiert sous sa forme anormale une structure en feuillets beta. Il s'agit de feuillets parallèles ou anti-parallèles qui donnent la rigidité, comme dans la soie, raison pour laquelle elle résiste autant à la traction.

Quatre tests ont été évalués. Je m'étais attendu en Europe à ce que l'agriculture s'en préoccupe, car, d'après moi, la meilleure méthode était un test sensible, en mettant ainsi en place un verrou naturel à l'abattoir, ce qui permet de ne plus laisser passer de bovins dangereux.

Or, c'est la DG XXIV qui a développé ce test dans le cadre de la protection du consommateur. Cela a mis du temps à se mettre en place, en particulier pour trouver des échantillons négatifs, car personne ne voulait en fournir, ce que la Nouvelle Zélande a finalement fait.

En fait, sur les dix tests initialement soumis aux experts européens, quatre ont été sélectionnés :

Le test britannique, développé par la Société Wallac, basé sur une technique de Delfia avec de l'immuno-fluorescence ;

Le test suisse, développé par la Société Prionics, basé sur un western blot ;

Le test irlandais, développé par la Société Enfer. Il s'agissait d'un test Elisa simple, l'antigène étant placé directement sur une plaque en plastique ;

Le test français, développé par notre laboratoire, qui était plus compliqué dans la mesure où nous voulions qu'il soit très sensible, avec une étape de purification et un système Elisa de type sandwich très classique.

Le test A a été recalé, car c'était le moins sensible des quatre. En l'occurrence, parmi des bovins cliniquement atteints, l'on a retrouvé des faux positifs et des faux négatifs, ce qui signifie que certains cas positifs n'étaient pas détectés alors que certains cas négatifs étaient considérés comme positifs.

Les trois autres tests ont été sélectionnés sur le plan européen, tous les bovins cliniquement positifs ayant été bien identifiés, sans aucune erreur sur les cas négatifs.

Ce qui nous a surtout intéressés est la deuxième partie, c'est-à-dire le test de sensibilité sur les dilutions successives.

Le test suisse s'est révélé le moins sensible des trois, le test irlandais trois fois plus sensible que ce dernier et le test français trente fois plus. Par conséquent, comparé au test A (le test anglais), le test français était trois cents fois plus sensible.

Nous pouvons dire « Cocorico », mais cela ne résout pas tous les problèmes, et ce n'était pas cela le plus intéressant, la question étant de savoir si le consommateur est réellement protégé.

Je vous rappelle le principe du test. Il comporte deux étapes et part d'un morceau de tronc cérébral, sachant qu'il est très important de partir de l'obex, zone du cerveau dans laquelle s'accumule en premier lieu cette protéine anormale.

Le nerf vague innerve tout le tube digestif, ce qui signifie que n'importe quel endroit du tube digestif contaminé finira par contaminer l'une des petites fibres du nerf vague, ce qui remontera tout le long de celui-ci jusqu'à son noyau, qui se situe au niveau de l'obex.

Dans d'autres zones du cerveau -nous en avons fait l'expérience-, les protéines anormales sont cent fois moins nombreuses, voire mille fois moins ; c'est arrivé dans un cas. C'est la raison pour laquelle il faut prendre garde à tenir compte de la bonne zone, sachant qu'au départ elle était placée dans le formol pour l'immunohistochimie, donc non disponible pour ce genre de technique.

Une homogénéisation est nécessaire afin de travailler sur un produit solubilisé ou en suspension. Il s'en suit un traitement de dix minutes par la protéinase K et une centrifugation de cinq minutes, ce qui permet un résultat très rapide, puis on resolubilise et l'on pratique un test de type ELISA, qui demande moins de quatre heures.

Un premier anticorps placé sur une plaque en plastique piège la protéine, tandis qu'un second anticorps détecte une autre partie de celle-ci et donne un signal.

Toute cette étude a été réalisée sous la surveillance de personnes de la DG XXIV, qui allaient jusqu'à cadenasser nos congélateurs à la fin de la journée pour s'assurer que nous ne faisions pas autre chose. C'est inhabituel dans le domaine de la recherche, mais cela permet que les résultats ne puissent pas être contestés.

Ce qui à mon sens va vous intéresser le plus est un article que nous avons publié dans « Nature », en janvier dernier, afin de montrer l'intérêt d'un test sensible pour protéger le consommateur.

Théoriquement, il nous a été expliqué que ce n'était pas possible et, déjà avant les études, il nous avait été signalé que les tests ne fonctionneraient pas. Par conséquent, tout le monde a été surpris de voir que c'était possible.

Cependant, ce n'est pas le fait d'effectuer un test plus sensible que les autres qui est intéressant pour protéger les personnes ; il est intéressant de ne pas laisser passer un élément dangereux. Or, la dose minimale infectieuse par voie orale chez l'homme n'est pas connue, ce qui est un premier obstacle.

Par ailleurs, deuxième obstacle, l'on sait parfaitement que le système nerveux central est contaminé tardivement, ce qui signifie que l'on ne peut rien faire pendant toute une période. Il n'existait donc théoriquement aucun moyen de s'en sortir, mais c'est un raisonnement fallacieux, ce que je vais vous démontrer.

Si vous prenez un échantillon et que vous procédez à des dilutions, vous pouvez comparer un test biochimique comme celui que nous avons développé -nous avons en l'occurrence tenu compte de la version industrielle du test, car nous ne sommes qu'un institut de recherche ; il ne nous appartenait pas de le développer et il a été transféré à un industriel- à l'inoculation à la souris par voie intra-cérébrale.

Lors d'une dilution au millième, on détecte tout avec le test biochimique et l'on ne tue plus qu'une souris sur 14 par voie intracérébrale, ce qui est au-dessous de la DL50 (dose létale 50 %), qui est le gold standard dans le cadre de ces maladies. L'on s'est basé sur cet élément pour annoncer que seuls le cerveau et la moelle épinière étaient concernés, que la viande n'était pas dangereuse, que le lait ne posait pas de problème, etc.

Une fois ce type de résultat obtenu, on peut avoir un raisonnement extrêmement simple. L'on sait de façon expérimentale que les souris inoculées par voie intra-cérébrale sont cent fois plus sensibles que les bovins contaminés par voie orale.

Vous entendrez dire parfois que les bovins sont mille fois plus sensibles que les souris : c'est exact s'ils sont contaminés par voie intracérébrale, car il est existe une barrière d'espèce, mais c'est une situation peu courante.

Ce sont les bovins contaminés par voie orale qui nous préoccupent. Or, l'on sait expérimentalement qu'ils sont cent fois moins sensibles. Par exemple, avec 100 milligrammes d'homogénat que nous avions utilisée précédemment, nous avions de quoi tuer 200 souris contre seulement deux bovins.

Par ailleurs, un homme contaminé par voie orale -sachant qu'il existe a priori une barrière d'espèce- sera moins sensible qu'un bovin dans le même cas, ou au pire aussi sensible, étant entendu que tous les scientifiques ne sont pas d'accord sur cette analyse, qui me semble pourtant être du bon sens.

J'en ai parlé avec Stanley Prusiner. Il estime que nous n'avons aucune preuve. Ceci dit, il considérait également, jusqu'à fin 1999, que le nouveau variant n'était pas lié à l'agent de l'ESB, car cela ne correspondait pas à sa théorie et parce qu'il n'en avait pas la preuve expérimentale entre les mains. Or, il a changé d'avis depuis 1999.

Si un test du type souris était systématiquement utilisé à l'abattoir, cela permettrait d'éliminer tout ce qui est dangereux pour la souris et donc tout ce qui l'est pour le bovin et pour l'homme, le seul problème étant qu'il faut un à deux ans pour obtenir une réponse dans le cadre du test de la souris.

Dans la mesure où il est désormais techniquement possible d'avoir une réponse en quelques heures et où les abattoirs ont la chance d'avoir ce qu'ils appellent une phase de ressuyage -une nuit s'écoule avant que la bête soit découpée-, si vous utilisez un test de ce type, vous donnez la réponse avant que la bête soit découpée en petits morceaux et vous pouvez donc la retirer de l'alimentation.

Une fois cette démonstration faite, je me suis dit que le problème était réglé et que tout le monde sauterait de joie en pensant que la filière était sauvée puisque l'on avait les moyens de protéger le consommateur. Or, je ne sais pas si vous avez eu la même impression que moi, mais je n'ai noté aucune réaction nulle part. Pour le moment, alors que ce type de test est utilisé, personne n'explique qu'il permet de protéger les personnes, ce qui me surprend énormément.

M. Michel Souplet - Nous allons l'expliquer.

M. Jean-Philippe Deslys - Merci, mais je n'ai pas entendu de débat scientifique à ce sujet et, quand j'en ai parlé aux Britanniques, ils m'ont répondu que ce n'était pas sûr. Cela semble pourtant très logique, mais apparemment il existe un frein.

M. le Président - C'est uniquement une question de seuil de sensibilité, ce dernier n'étant pas très élevé. C'est la raison pour laquelle tout le monde est méfiant s'agissant de ce test.

M. Jean-Philippe Deslys - Le problème est que les personnes raisonnent en voulant rechercher la particule infectieuse, sachant que l'on se situe au-dessous d'un seuil dangereux.

M. le Rapporteur - A mon avis, si le test le plus sensible avait été choisi, cela aurait participé à un état de psychose de l'opinion publique parce que de plus en plus d'animaux contaminés auraient été détectés.

M. Jean-Philippe Deslys - Si vous raisonnez par rapport aux animaux détectés, alors qu'il faut le faire par rapport à ceux que l'on laisse passer et qui ne présentent pas de danger.

M. le Rapporteur - Nous sommes bien d'accord.

M. Jean-Philippe Deslys - Dans un cas l'on raisonne en termes d'épidémiologie, pour essayer de trouver le plus possible de cas, et dans l'autre en termes de protection du consommateur, sachant que ce qu'on laisse passer, quoi qu'il arrive, (même si nous nous battons entre nous sur l'origine du prion ou sur d'autres sujets) n'est plus son problème puisqu'il a la garantie que ce qui arrive dans son assiette n'est pas dangereux.

Un autre raisonnement faux qui a cours consiste à se poser la question de savoir combien de temps avant l'apparition des signes cliniques les cas sont détectés, mais j'aurais tendance à vous dire que nous nous en moquons. Ce qui compte est non pas de savoir que la vache va développer la maladie dans trois jours, six mois ou trois ans, mais de s'assurer que ce qui arrive dans l'assiette n'est pas dangereux, la courbe de réplication de l'agent étant un autre problème, qui est posé aux scientifiques.

M. le Rapporteur - Ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent de passer maintenant à une deuxième phase en utilisant un test beaucoup plus sensible et très clair comme celui-ci ? Je souhaite en tout cas que nous y arrivions à travers notre rapport, en le démontrant grâce à vos travaux.

M. Jean-Philippe Deslys - Cela me semblerait logique.

M. le Président - Oui, mais ce n'est pas ce qui est fait pour l'instant.

M. Jean-Philippe Deslys - Je ne sais pas pourquoi le message ne passe pas.

M. le Rapporteur - Nous sommes en train de faire un distinguo entre le test de Biorad et celui de Prionics.

M. Jean-Philippe Deslys - Nous pourrions aussi parler du test d'Enfer, qui est également bon.

M. le Rapporteur - La presse s'est déjà émue, il y a quelque temps, en indiquant qu'il existait en effet une première approche du problème, mais qu'elle était loin d'être totalement sécuritaire, et je pense que nous ne pourrons pas nous en satisfaire très longtemps.

M. Jean-Philippe Deslys - Il existe un ensemble de mesures complémentaires, celles qui sont prises étant bonnes. L'élimination des abats à risque, de la cervelle et de la moelle épinière s'inscrit dans une logique absolue. Cependant, il faudrait que le système soit cohérent, notamment s'agissant des farines, certaines situations étant pour moi complètement incohérentes. La majorité des farines correspondent à des animaux déclarés bons pour la santé humaine dont les abats à risque ont été supprimés et qui de plus subissent un traitement qui n'existe pas chez l'homme (134 degrés-3 bars). Or, l'on considère cela comme dangereux.

M. le Président - C'est un problème d'image. Vous avez raison : les farines sont devenues parfaitement sécurisées.

M. Jean-Philippe Deslys - Je vous ai parlé de la majorité des farines, mais pas de la cervelle et de la moelle épinière ou de la partie des bovins contaminée, qui eux doivent être considérés comme à risque, prendre une filière différente et faire l'objet d'un traitement spécifique.

Si l'on mélange tout, l'on arrive à des tonnages tels que les résultats sont moyens pour tout le monde. Il est beaucoup plus rentable de cibler ce qui est dangereux et de vérifier que ce qui ne l'est vraiment pas ne fait l'objet d'aucune fraude, en le traitant comme un déchet et non plus comme un produit à risque.

M. le Président - De toute façon, on sépare bien les matériaux à risque aujourd'hui, les farines devenant tout à fait utilisables.

M. Jean-Philippe Deslys - Tout à fait, d'autant plus que les bovins de plus de 30 mois sont testés, ce qui à mon sens devrait également être le cas de ceux de plus de 24 mois. D'ailleurs, l'Allemagne a changé sa politique justement à la suite de l'utilisation du test français, car elle trouvé 2 bovins de 28 mois contaminés qu'elle n'aurait jamais détectés autrement.

Des personnes déclarent que c'est dangereux, mais sinon ces bovins n'auraient pas été détectés, car ils ne présentaient pas de signes cliniques, et seraient passés dans l'alimentation.

En effet, plus les tests seront sensibles, plus l'on descendra bas, mais cela devrait au contraire être une garantie de travail bien fait au lieu d'affoler les personnes, sachant qu'un contrôle à partir de 24 mois serait à mon sens plus logique qu'à partir de 30 mois.

M. le Rapporteur - Quelques départements utilisent le test Biorad à travers leurs laboratoires d'analyse, mais ils sont marginaux.

M. Jean-Philippe Deslys - Cela se passe de façon curieuse en France. Au départ, tel que nous avions conçu le test -sachant que nous sommes des scientifiques et que nous considérons la situation à l'échelon de notre laboratoire-, nous calculions le seuil de sensibilité très simplement. Nous ajoutions des négatifs dans la plaque et nous en faisions la moyenne. Le seuil était fixé à deux fois et demi la moyenne des négatifs et cela fonctionnait à chaque fois.

Cependant, les industriels nous ont indiqué que c'était compliqué pour eux et que ce ne serait pas accepté s'ils devaient envoyer des homogénats, etc., raison pour laquelle ils ont voulu utiliser un incrément fixe.

Ils ont en l'occurrence ajouté 90 milli DO, ce qui ne change rien pour nous dans la mesure où les négatifs se trouvent au niveau du tampon.

Cependant, quand ils ont mis cela en place sur le terrain avec des personnes qui n'avaient peut-être pas la même façon de travailler -certaines d'entre elles ne savaient apparemment même pas utiliser une pipette au départ-, ils ont obtenu des négatifs beaucoup plus hauts, l'ajout d'un incrément fixe dans ces conditions par rapport à un tampon qui lui ne bouge pas faisant que certains négatifs sont au-dessus du seuil.

Ma position est de dire en tant que scientifique qu'il faut revenir à notre méthode, qui permet d'éviter ces variations, mais celle retenue par les industriels est d'ajouter un autre incrément fixe pour tenir compte des négatifs trouvés sur le terrain.

C'est ce qu'ils ont fait dans tous les pays d'Europe et notamment en Allemagne et en Belgique, où cela a été accepté par la Commission européenne, sachant que leurs tests sont un peu moins sensibles que les nôtres mais qu'ils continuent à l'être dix fois plus que celui de Prionics. Cela se passe très bien, mais cela n'a pas été accepté en France. La DGAL veut maintenir l'incrément précédent, puis faire des calculs entre celui-ci et le nouveau. Ils ont à mon sens une approche très curieuse du problème.

Enfin, d'autres tests sont en cours d'évaluation. L'un d'entre eux permet de détecter la maladie dans le sang -il a été décrit comme tel- des moutons et des hamsters, mais il n'est pas tellement reproductible pour le moment, et il est très loin d'être utilisable.

Le laboratoire de Stanley Prusiner a développé un DO aux Etats-Unis, sachant qu'il avait déjà tenté d'en déposer un précédemment, mais qu'il n'était pas au point. Il le fait évaluer par la Commission européenne et espère le commercialiser.

Les Anglais représentent deux tests. De même, les Hollandais sont concernés, mais je n'ai pas de précision à ce sujet.

Prionics développe un test Elisa -le western blot étant très lourd et peu pratique pour les séries importantes-, mais j'en ignore la sensibilité.

Enfin, nous poursuivons pour aller un peu plus loin, notamment pour les moutons, ce test fonctionnant également pour ces derniers, pour lesquels il est beaucoup plus sensible. Cela permettrait de disposer d'un outil afin d'éliminer systématiquement à l'abattoir, si on le souhaite, tous les animaux atteints de tremblante. Il ne reste qu'à le valider.

De manière plus générale, en ce qui concerne notre groupe et son sujet de recherche, je suis moi-même médecin de formation. J'ai mis en place le groupe et me suis intéressé plus particulièrement, au début, à la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène, à la mise à place de modèles expérimentaux, puis au développement du test.

Corinne Lasmezas, qui est vétérinaire, a procédé pour sa part à toutes les expériences de transmission à l'animal, aussi bien chez les souris que chez les primates. Elle s'oriente aujourd'hui vers d'autres approches, avec des optamères et la recherche de récepteurs.

Jean-Guy Fournier et Nicole Sales sont des spécialistes de la morphologie. Nous voulons désormais utiliser tous nos outils pour étudier ce qui se passe réellement au niveau des cellules.

Karim Adjou est vétérinaire et spécialiste de la thérapeutique, étant entendu que nous recherchons de nouvelles approches thérapeutiques dans la mesure où nous sommes confrontés à un très important problème.

Emmanuel Comoy qui travaillait avec moi, a rejoint Biorad et a assuré le transfert du test chez les industriels.

Des étudiants se sont occupés de la transmission par voie orale ainsi que de la recherche de récepteurs et de nouvelles approches pour rechercher des gènes dérégulés qui pourraient servir de nouveaux marqueurs.

Enfin, nous avons des techniciens pour nous aider.

M. le Rapporteur - J'ai noté dans votre exposé quelques points qui correspondent à autant de questions. Avez-vous une approche des tests ante-mortem ?

M. Jean-Philippe Deslys - Les tests qui existent actuellement dans ce domaine sont effectués sur les tissus accessibles que sont les amygdales, la troisième paupière et les ganglions, qui sont limités au mouton.

A cet égard, je ne vous ai pas précisé que, s'agissant des tests auxquels nous avons procédé sur les dilutions, nous avons effectué des vérifications chez les animaux au stade pré-clinique, en trouvant la même corrélation entre la souris et le test biochimique.

Le test ante-mortem est possible chez le mouton. Quant au sang, c'est une question de sensibilité. Nous avons de premiers indices grâce à l'approche de Marie-Jo Schmerr et nous devrions être capables de détecter la protéine anormale chez le mouton dans le sang.

La seconde cible sera l'homme, sachant que ce sera plus difficile, que les tests devront être encore plus sensibles et que si nous parvenons à un résultat ce sera mauvais signe pour la transfusion sanguine. Cela posera également des problèmes d'éthique, la question étant de savoir comment procéder pour les patients dont il aura été démontré qu'ils sont en période d'incubation de la maladie et pour lesquels il n'existe pas de traitement pour le moment. C'est la raison pour laquelle nous essayons avec acharnement de trouver de nouvelles voies thérapeutiques.

En revanche, nous ne voyons pas comment faire pour les bovins dans la mesure où nous ne trouvons pas de protéines anormales dans leur sang. Cependant, un article est récemment paru dans « Nature médecine » qui indique qu'en cas de maladie un gène est dérégulé, le marqueur qui stimule normalement la différenciation des érythrocytes étant abaissé. C'est très curieux, car cela signifie que c'est un mécanisme complètement indirect.

Personne ne comprend quel est le mécanisme, raison pour laquelle nous avons recherché d'autres approches -par PCR- pour trouver de nouvelles cibles. Cela modifierait le problème si elles étaient applicables pour le sang,.

En tout cas, à court terme, aucun test ne sera utilisable avant au moins un an -c'est un grand minimum- différemment de ce qui est fait actuellement.

M. le Rapporteur - Concernant la problématique de la transfusion sanguine, les Américains, dans le cadre des dons du sang, ont pris la précaution d'écarter certaines personnes.

M. Jean-Philippe Deslys - Celles qui ont séjourné plus de six mois en Grande-Bretagne et dix ans en France, mais je pense que le Canada a été encore plus restrictif. C'est un principe de précaution. A partir du moment où le nombre de cas est impossible à prévoir, avec des patients en incubation potentiellement porteurs, c'est relativement logique si cela ne perturbe pas l'équilibre transfusionnel du pays. Il est tellement plus simple de procéder de la sorte ! Cela fait partie des mesures globales en termes de précaution.

Il existe également des mesures techniques qui consistent en la déleucocytation, le sang contenant grosso modo des globules rouges et des produits stables. Les produits labiles peuvent être déleucocytés, c'est-à-dire être débarrassés des globules blancs en passant dans des filtres qui vont les retenir, avec une grande efficacité, 90 % de l'infectiosité étant considérés comme liés aux globules blancs. Ceci dit, que l'efficacité de déleucocytation soit égale à un facteur de 10, 100 ou 10 000, cela ne changera pas grand-chose ; il restera toujours 10 % que vous ne pourrez pas toucher.

De plus, ces agents ont la propriété de se coller partout sur les membranes et si l'on vous indique que les globules rouges n'en contiennent pas on ne peut pas oublier que l'on n'est pas capable de concentrer ces derniers suffisamment pour les injecter.

C'est facile pour les globules blancs, car les cellules sont peu nombreuses, mais les globules rouges représentent un volume important, un cerveau de souris pesant 400 milligrammes. L'on ne peut pas y injecter plus de 20 microlitres, ce qui montre les limites du système.

Concernant les produits labiles, il est également possible de procéder à des nanofiltrations. Le LFB (laboratoire de fractionnement du sang) a développé ce genre de technique sur les facteurs anti-hémophiliques, mais j'ignore où il en est exactement. En tout cas, ce sont là aussi des techniques reconnues comme efficaces, qui diminueront énormément le risque. Cela semble raisonnable ajouté au facteur de dilution.

M. le Rapporteur - Qu'en est-il de la contamination éventuelle du lait ?

M. Jean-Philippe Deslys - Je ne vous ai pas parlé de la contamination de l'environnement, qui est également un problème.

L'on n'a jamais rien trouvé pour le lait, mais là encore le facteur de dilution est énorme et l'on est limité dans ce que l'on peut inoculer. Par ailleurs, l'on ne s'est pas spécifiquement intéressé, à mon sens, au lait d'animaux atteints de mammite, etc., qui contient des cellules, d'autant plus quand il provient d'une vache infectée. J'ai appris à cet égard que les vaches développaient d'autant plus de mammites qu'elles sont traitées avec des hormones de croissance, qui elles-mêmes sont théoriquement interdites en France, mais pas aux Etats-Unis, où elles sont utilisées à très grande échelle.

Concernant l'environnement, nous observons une contamination de tout le tube digestif. Cela commence par les plaques de Peyer, qui sont les premiers relais et -nous l'avons noté chez les souris que nous avons étudiées- dans les endroits faisant l'objet d'une concentration anatomique de cellules du système immunitaire, mais les cellules qui sont dispersées dans la paroi sont contaminées et c'est à la fin de la maladie le cas de tout le tube digestif, sachant que chez la souris la répartition n'est pas la même en fonction des souches.

Dans le cas de la tremblante, tout le tube digestif est contaminé, alors que pour l'ESB c'est uniquement le cas des plaques de Peyer, toutes les souches ne se comportant pas de la même façon. Il est important de le retenir.

Qu'en est-il chez les moutons ? Il a toujours été indiqué officiellement que les fèces n'étaient pas dangereux. Cependant, j'ai effectué des calculs pour voir s'ils étaient dangereux ou pas, sachant qu'une souris produit par jour 1 gramme de crottes pour un poids de 20 grammes, ce qui est représente un volume de dilution énorme. Je vous déconseille d'ailleurs d'injecter des matières fécales concentrées dans le cerveau d'un animal, car en général cela se passe mal.

Tous ces phénomènes mis bout à bout vous expliquent pourquoi nous ne parvenons pas à nous y retrouver, mais il faut également tenir compte d'un phénomène de logique. Par exemple, un pays comme l'Islande n'arrivait pas à se débarrasser de la tremblante malgré des campagnes très dures d'éradication, sachant qu'il a pour caractéristique des hivers très rudes, les animaux étant confinés dans des étables pendant tout ce temps.

A l'inverse, l'Australie et la Nouvelle Zélande, qui ont importé des moutons très contaminés de Grande-Bretagne du temps du Roi George III, s'en sont débarrassés naturellement, sans campagne. J'ai donc l'impression qu'un facteur de transmission horizontal pourrait être lié aux fèces et pas seulement au placenta, comme certains l'ont dit.

J'en ai discuté notamment avec les spécialistes américains avec lesquels nous collaborons justement pour explorer ce phénomène dans le cadre du « Chronic Wasting Disease ».

Quand les animaux sont maintenus en captivité, la maladie se répand beaucoup plus rapidement. Ce sera par exemple le cas de 100 % des cerfs mulets (« mule deer ») maintenus dans cet état, ce qui n'est pas lié au placenta, (la placentophagie étant un système classique de défense contre les prédateurs, afin de pas laisser traîner un tissu sanguinolent dans l'environnement).

M. le Rapporteur - Cela voudrait dire que la concentration de fèces dans un environnement relativement limité peut entraîner une pollution tellurique importante.

M. Jean-Philippe Deslys - Les champs à tremblante sont connus. L'on sait que certains champs ont été contaminés pendant des années. Paul Brown a mené « l'expérience du pot de fleurs », en mélangeant de la cervelle infectée à de la terre dans un pot de fleurs qu'il a enterré dans son jardin pendant trois ans. Quand il l'a déterré puis a récupéré la terre, cela avait perdu moins d'un facteur 60, alors qu'il avait mis plusieurs millions d'unités infectieuses.

Cela pose également des problèmes pour les instruments. L'on raisonnait par rapport à ce que l'on savait desorber mais, quand on inocule la souris directement par une tige en acier qui a été contaminée, puis lavée et rincée, même si l'on ne détecte plus rien sur celle-ci, elle se révèle infectieuse pour la souris, ce qui pose problème.

M. le Rapporteur - Par conséquent, on ne peut pas exclure la contamination environnementale, loin de là.

M. Jean-Philippe Deslys - Non.

Je ne suis pas trop inquiet pour les bovins dans la mesure où l'on ne trouve pas ces agents à des niveaux détectables dans le tube digestif, ce qui signifie que les maladies seront peu nombreuses. En revanche, les données changent pour le mouton et la chèvre, de même qu'il faut se poser des questions sur les stations d'équarrissage. Que font-elles de leurs effluents liquides ? Que se passe-t-il dans les stations d'épuration ? Que deviennent les boues d'épuration ensuite ? etc.

Nous parvenons en laboratoire à diluer d'un facteur 1 000 à 10 000 un cerveau infectieux avant de perdre le signal. Par conséquent, si le seuil diminue d'un facteur semblable, on se rend bien compte, en plus des autres arguments que j'ai développés, que cela apporte une sécurité, mais il faut vérifier qu'il n'existe pas de maillon faible. Il faut savoir comment nettoyer et décontaminer l'abattoir, quoi faire des effluents, etc.

Il m'a été demandé au moment de la mise en place des tests s'il fallait les réaliser en P3, alors que paradoxalement les ouvriers retiraient la moelle épinière à main nue dans les abattoirs, ce qui était totalement incohérent.

Si l'on commence à dire qu'il faut absolument des P3 pour analyser des bouts de cervelle, il faut mettre tous les abattoirs en P3, en étant logique jusqu'au bout.

A l'inverse, s'agissant des tests, les bonnes pratiques de laboratoire suffisent, étant entendu qu'il ne faut pas s'amuser à jeter à l'égout certains éléments. Il suffit que les laborantins portent des blouses, des masques et des gants pour travailler proprement, dans une pièce qui ne soit pas ouverte aux quatre vents et qui ferme avec une porte, ce qui n'est pas extraordinaire, les effluents devant être décontaminés proprement. En appliquant ces mesures simples, qui ne coûtent pas cher, le résultat est une propreté cent ou mille fois supérieure à celle que l'on trouve dans les abattoirs. Il faut une gradation ; sinon cela ne sert à rien.

M. le Rapporteur - Les USA nourrissent aussi leurs animaux avec des farines animales et utilisent le même process : comment se fait-il qu'ils n'aient enregistré aucun cas avéré de maladie ?

M. Jean-Philippe Deslys - Le phénomène actuel est dû à la conjonction de deux facteurs : une dose suffisamment infectieuse au départ et une amplification. Les USA ont apparemment réussi à verrouiller suffisamment leurs frontières pour éviter des importations trop importantes d'Angleterre.

D'ailleurs, si nous suivons ce qui s'est passé à partir de l'Angleterre, nous nous rendons compte que les pays géographiquement les plus proches se sont retrouvés en première ligne, en dehors de la Suisse, pour des raisons commerciales tout à fait particulières.

Nous savons que les USA ont rencontré des problèmes dans le Vermont, avec des troupeaux de moutons qu'ils ont importés en 1996, juste avant les mesures d'embargo, et qu'ils viennent seulement de les sacrifier, après une bataille juridique effarante.

Si j'ai bien compris, d'après les informations en ma possession, les moutons qu'ils ont importés ont développé des signes de tremblante quelque temps après. Ils ont été mis en quarantaine mais, du fait des particularités juridiques en vigueur aux USA, ils n'ont pas pu être sacrifiés et ont donc été maintenus.

Un scientifique a procédé à un essai et a trouvé un western blot positif, avec un profil un peu bizarre, ce qui a été ensuite amplifié et bloqué par les avocats. Les prélèvements n'étaient pas disponibles et cela a été une procédure extraordinaire. Je n'arrive pas à titre personnel à comprendre comment, à partir du moment où l'on sait qu'un problème de santé publique se pose, un troupeau touché n'est pas abattu. C'est l'avantage des services vétérinaires, mais c'est plus compliqué aux USA.

Quant aux farines, j'ignore si les USA en ont importé ou non. Ils ont en effet la possibilité d'amplifier le risque de par leur système, mais ils ont sur nous un avantage avec les tourteaux de soja. Ils n'avaient pas le même besoin de supplémenter, ce qui renvoie à la notion de dose. Si l'on en reste à des doses suffisamment basses, cela ne pose pas de problème.

M. Paul Blanc - Vous avez indiqué qu'à votre connaissance l'importation des abats a été multipliée par 20.

M. Jean-Philippe Deslys - Ce sont les chiffres que m'a fournis Mme Brugère-Picoux.

M. Paul Blanc - Il y a là une discordance avec ce qui nous a été indiqué ce matin.

Vous pensez donc que les tests tels qu'ils sont pratiqués aujourd'hui peuvent être qualifiés de sécuritaires. Cela signifie que, s'ils sont négatifs, il n'y a pas de raison d'avoir suffisamment de concentration de prion qui puisse contaminer.

M. Jean-Philippe Deslys - Je considère à titre personnel que c'est en cela qu'il manque une phase. Il faudrait qu'un débat contradictoire ait lieu entre scientifiques, sur cette base, pour savoir s'ils considèrent que le niveau de sécurité apporté par le niveau de sensibilité d'un test utilisé dans telle et telle conditions est garanti. En effet, mon raisonnement a été validé sur le plan scientifique -il a été publié dans une revue du type « Nature »-, mais cela s'est arrêté là.

M. Paul Blanc - Si tel est le cas, il n'est pas la peine de développer des tests plus sensibles.

M. Jean-Philippe Deslys - Plus les tests seront sensibles, plus vous aurez une garantie, ce qui est toujours préférable. Si je pouvais effectuer un test encore plus sensible, je serais encore plus content. Ceci dit, le fait d'en être arrivé là avec la souris...

M. Paul Blanc - Nous avons atteint un seuil de sécurité.

M. Jean-Philippe Deslys - Nous atteignons un seuil qui semble extrêmement satisfaisant.

M. Jean Bernard - Quand nous sommes allés dans le Doubs, on nous a parlé de la repopulation des élevages qui avaient été supprimés sans qu'aucune mesure de désinfection ait été prise.

M. Jean-Philippe Deslys - S'il s'agit d'élevages bovins, cela me gêne peu, car la transmission n'est pas horizontale parmi ceux-ci.

M. Jean Bernard - Je le sais, mais cela pose problème aux yeux des ressortissants qui ont eu à subir cela. Ils se sont interrogés sur le fait de remettre des animaux dans un milieu suspecté d'être infectieux.

M. Jean-Philippe Deslys - C'est la tremblante qui pose problème, l'Islande ayant mis en place des mesures drastiques. Elle a enlevé la couche superficielle de terre, en traitant largement le sol à la chaux vive.

Ce qui se dit s'agissant des élevages est que, dès qu'un cas positif est détecté, il faut que le troupeau ait été éliminé dans les six mois. L'on ne s'en sort pas en attendant deux ou trois ans.

Cependant, cela dépend des modèles. Je vous décris le modèle le plus extrême, la chronic wasting disease, qui a un comportement anormal et peut toucher 100 % des animaux, ce qui est très spectaculaire, mais le taux est estimé à 2 % chez les moutons, qui sont pourtant parqués, et l'on considère que chez le bovin il n'existe pas de transmission horizontale et que tout a été transmis via les aliments contaminés.

Quant à la transmission materno-foetale, elle est estimée dans 10 % des cas au cours des derniers mois de gestation, sachant que l'expérience n'était pas parfaite puisqu'elle avait été menée sur des animaux qui avaient été partiellement nourris avec des farines contaminées.

M. Jean Bernard - Il nous a été indiqué qu'en Australie la tremblante a été éliminée quasiment naturellement.

M. Jean-Philippe Deslys - En effet. C'est apparemment la concentration des animaux qui augmente le risque.

M. Georges Gruillot - Le délai d'incubation semble avoir une relation directe avec la dose. Plus elle augmente, plus il est réduit.

M. Jean-Philippe Deslys - Jusqu'à une certaine limite. Je vais prendre l'exemple de la souris, car c'est le plus simple. Si je me prends un homogénat à 25 %, 10 % ou 1 %, cela ne changera rien à trois jours près. En revanche, si je dilue d'un facteur 10 supplémentaire, les souris mourront une semaine plus tard, si je le fais à nouveau un mois plus tard, etc. La mortalité sera au début toujours de 100 %, mais à la fin quelques animaux survivront, puis 50 %, puis 99 % et en définitive plus aucun d'entre eux ne mourra.

M. Jean Bernard - Avez-vous des échanges avec les laboratoires qui travaillent dans le même domaine de recherche que vous ?

M. le Président - Notre collègue veut savoir si vous avez des contacts avec des laboratoires tels que le vôtre qui travaillent sur le même problème et si vous échangez vos connaissances.

M. Jean-Philippe Deslys - Enormément de collaborations ont été favorisées par les programmes de recherche initiés en France. Les premiers ont commencé en 1994 et les plus importants en 1996. Il s'agissait de programmes faits pour fédérer les personnes et pour obliger de nouvelles équipes à s'impliquer.

Dans la mesure où nous avions le savoir-faire et les installations, nous avons collaboré avec beaucoup de personnes, le même phénomène s'étant produit sur le plan européen. Je pense que notre laboratoire est aujourd'hui celui qui a développé le plus grand nombre de collaborations européennes et françaises, ce qui a été très efficace.

Les PRR (Projets de Recherche en Réseau) ont été le second phénomène efficace, à travers des actions coordonnées ou assez libres, mais de façon plus incitative. L'un des buts était par exemple de développer les anticorps.

M. le Président - Nous avons reçu la semaine dernière, en Angleterre, le Pr Will. Partagez-vous sa façon de concevoir l'évolution de la recherche sur cette maladie ?

M. Jean-Philippe Deslys - Le Pr Will est très ouvert -nous avons en revanche, des difficultés à obtenir des informations d'autres collègues- sachant que sa spécialité est l'épidémiologie chez l'homme.

M. le Rapporteur - Nous croyons savoir que depuis une dizaine d'années, quand les enfants anglais subissent une extraction des amygdales, cela donne lieu à des coupes histologiques, ce qui permet de commencer à avoir une photographie de la quantité de prions qui existe chez ceux ayant fait l'objet de ce type d'opération. Avez-vous des échos sur les interprétations aujourd'hui possibles ? Un document m'a été promis.

M. Jean-Philippe Deslys - Vous aurez donc plus d'informations que nous.

M. le Rapporteur - Il m'a été promis, mais je ne suis pas certain que nous l'aurons ; c'est le problème.

M. Jean-Philippe Deslys - Il est très difficile d'avoir des informations, sachant que ce sont au début les équipes de Cellenge qui s'étaient attelées à cela.

Je ne sais pas si les techniques utilisées à l'époque étaient les plus sensibles, car les prélèvements étaient formolés, donc inutilisables pour les autres techniques ensuite.

Par ailleurs, les collectes ont commencé après la période la plus à risque, étant entendu qu'avant 1996 il n'existait officiellement aucun risque pour l'homme, raison pour laquelle personne ne se préoccupait de ce genre de sujet.

Théoriquement, les individus n'ont plus été du tout exposés à partir de 1996. Il faut voir à partir de quel âge les enfants se font enlever les amygdales mais, le temps que cela se mette en place, il est très probable que l'on ait affaire à une population située au-delà de la période la plus dangereuse. Il sera difficile, à l'intérieur de celle-ci, qui ne sera plus assez représentative, de rechercher un événement que l'on espère être rare, surtout en n'utilisant pas la technique la plus efficace.

M. Michel Souplet - Depuis que notre commission travaille, je me suis aperçu que nous sommes en France relativement en avance sur le plan de la recherche, des tests, etc. Cependant, je suis surpris : on nous parle de 98 cas d'humains atteints en Grande-Bretagne -après qu'il ait été question de 85 personnes-, d'un cas en Irlande et de trois en France, dont le troisième date déjà de plusieurs années.

On ne semble entendre parler de cas dans aucun autre pays du monde. Nous camoufle-t-on la vérité, notamment s'agissant des pays traditionnellement exportateurs, ou fait-on en sorte que cela ne transpire pas ?

En effet, cela devient très grave. Nous parlons de traçabilité pour satisfaire les consommateurs français ou européens et nous allons consentir des efforts énormes, mais nous serons concurrencés par les importations d'animaux provenant d'autres pays qui nous diront n'avoir jamais détecté aucun cas. J'aimerais que nous parvenions à savoir si des personnes meurent et sont malades ailleurs.

M. Jean-Philippe Deslys - Tout le monde a pu constater que, tant qu'aucun test n'a été effectué, aucun cas n'a été détecté chez les bovins dans plusieurs pays d' Europe, cette certitude de l'absence de cas ayant même conduit à une absence totale de mesures de précaution. Par exemple, l'Allemagne a continué à incorporer de la cervelle et de la moelle épinière jusqu'en novembre, sachant que les produits pouvaient parfaitement revenir chez nous dans le cadre du libre commerce.

Par ailleurs, les cas sont encore très peu nombreux chez l'homme, tout le monde espérant que nous en resterons là. De toute façon, quand bien même beaucoup de cas feraient leur apparition, nous serions toujours dans la situation où il s'agirait des personnes qui ont été contaminées le plus tôt et avec les doses les plus fortes, dans le pays qui totalise 98 ou 99 % des cas et chez le principal importateur, à savoir la France. Quant à l'Irlande, la personne touchée vivait auparavant en Angleterre. Par conséquent, la situation est complètement logique pour le moment. En revanche, nous devrions voir apparaître des cas ailleurs si le nombre de ceux qui existent en Grande-Bretagne et en France croît de façon importante. Nous sommes pour le moment dans une période d'incubation courte.

M. le Président - Nous avons pu vous poser toutes les questions que nous souhaitions. Merci beaucoup pour la quantité et surtout la qualité des renseignements que vous nous avez fournis. Vous nous avez fait comprendre un certain nombre de choses.

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