C. DES PROPOSITIONS POUR L'OUVERTURE D'UN DÉBAT

Les institutions et les pratiques américaines ne sont évidemment pas transposables telles quelles en France.

Pour autant, l'étude détaillée de l'organisation et du fonctionnement des institutions économiques américaines est riche de deux types d'enseignements pour l'amélioration de l'information économique en France.

En premier lieu, l'étude des États-Unis souligne de manière générale l'interdépendance des bonnes pratiques : pour améliorer l'information économique et pour accroître effectivement la pluralité des analyses économiques, il est nécessaire de développer simultanément la transparence des administrations publiques, la diffusion des informations statistiques, les transferts d'expertise des administrations publiques vers les institutions indépendantes et les moyens de fonctionnement de ces institutions indépendantes.

Telle était d'ailleurs déjà l'analyse du rapport Lenoir-Prot : la création de nouveaux instituts d'analyse économique entre 1979 et 1981 participait alors du même élan, aujourd'hui stoppé, que la loi du 17 juillet 1978 relative à l'accès du public aux documents administratifs.

Il ne servirait ainsi à rien de créer un institut indépendant chargé notamment d'évaluer le coût de propositions de loi fiscales si cet institut ne dispose pas des données statistiques collectées par la direction générale des impôts.

En second lieu, l'étude détaillée du fonctionnement des institutions économiques américaines invite à l'ouverture d'un débat sur l'adaptation de certaines bonnes pratiques.

Les propositions qui suivent visent ainsi à compléter celles qui ont été formulées en janvier 2001 dans le rapport de la commission des finances du Sénat sur « Les lacunes de l'information statistique relative aux administrations publiques » 70 ( * ) et surtout celles qui sont actuellement en débat au Sénat dans le cadre de la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.

Ces propositions n'ont à ce stade d'autre but que d'ouvrir un débat. Elles sont donc délibérément formulées de manière assez générale.

1) Informer les citoyens, et les journalistes, de leurs droits en matière d'accès aux documents administratifs . Ces droits sont en effet méconnus. Les pages d'accueil des sites Internet des ministères pourraient ainsi systématiquement proposer un chemin d'accès vers des pages détaillant les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 relatives à l'accès aux documents administratifs et expliquant les modalités à suivre pour demander un document non publié.

2) Préciser les dispositions de la loi du 17 juillet 1978 relatives à l'accès aux documents administratifs de manière à garantir un accès effectif, dans des délais raisonnables, aux documents communicables d'intérêt général détenus par l'administration.

3) Compléter la loi du 17 juillet 1978 par des dispositions relatives à l'accès aux documents administratifs via le réseau Internet, de manière à tenir compte de l'évolution des technologies au cours des deux dernières décennies.

4) Mieux distinguer , pour la Banque de France comme pour les principaux ministères, entre la communication institutionnelle et politique, l'information factuelle du grand public et les études économiques , qui sont parfois présentés de manière étroitement entremêlée, notamment sur leurs sites Internet.

5) Evaluer les avantages de la politique de l'INSEE et d'Eurostat consistant à vendre les statistiques au regard des entraves induites pour la recherche économique indépendante.

6) Diffuser plus largement les fichiers de micro-données fiscales et sociales nécessaires à l'évaluation des politiques publiques . Les réticences des administrations État et de la CNIL vis-à-vis de la transmission des fichiers de données statistiques individuelles à des chercheurs indépendants ne sont pas sans fondements juridiques, éthiques et scientifiques. Pour autant, le développement d'une réelle contre-expertise en matière fiscale et sociale suppose que ces fichiers de données soient accessibles aux chercheurs indépendants. En tout état de cause, ces fichiers devraient être transmis sur demande, selon des modalités à définir, à la Banque de France et aux experts mandatés par le Parlement.

7) Renforcer les garanties statutaires et procédurales à l'indépendance scientifique de l'INSEE et des services statistiques ministériels, par exemple en prévoyant des procédures de nomination et de révocation particulières pour leurs directeurs.

8) Organiser la diffusion des données relatives à la situation financière des administrations publiques selon les mêmes modalités que celle des statistiques de l'INSEE relatives à la conjoncture économique. En tout état de cause, l'ensemble des données dont dispose le ministère de l'économie et des finances en matière de finances publiques devrait être transmis, sans entraves et sans délais, au Parlement et à la Banque de France.

9) Développer la publication par le ministère de l'économie et des finances des fiches techniques détaillées de « chiffrage » du coût des dispositions législatives en discussion.

10) Accompagner les projets de loi de règlement d'une analyse rétrospective et comparative de la qualité des prévisions associées au projet de loi de finances initiale.

11) Diffuser gratuitement les modèles économiques utilisés par l'administration et encourager l'accessibilité des économistes et des statisticiens de l'administration, afin de favoriser les transferts d'expertise.

12) Promouvoir les lieux et les temps (colloques, séminaires) d'échanges techniques des économistes de l'administration avec les experts indépendants, comme avec un public plus large.

13) Accroître la contribution scientifique de la Banque de France aux débats publics . En effet, la Banque de France est extrêmement prudente en matière d'études économiques, puisqu'elle ne diffuse pour l'essentiel que des études très descriptives et des travaux de recherche théoriques. Cette prudence se justifiait pleinement lorsque la Banque de France n'était pas indépendante, puis lorsque la Banque de France conduisait la politique monétaire dans une période délicate. Cependant, depuis l'avènement de l'Union économique et monétaire, cette prudence n'a plus vraiment ses raisons d'être. L'ouverture de la Fed renforce d'ailleurs sa crédibilité et sa légitimité.

14) Accentuer le développement des systèmes d'information de l'administration sur elle-même et les capacités de contrôle de ces systèmes d'information, notamment par la Cour des Comptes.

15) Assigner pour objectif aux corps d'inspection et de contrôle d'être eux-mêmes des administrations exemplaires . Cette idée, qui peut paraître iconoclaste en France, constitue pour les Américains une mesure de bon sens. Ils estiment en effet, non sans fondements, que pour accroître la crédibilité de ses admonestations et de ses préconisations, un corps de contrôle « dédié à la bonne administration », comme l'est le General Accounting Office (GAO), doit d'abord balayer devant sa propre porte et notamment rendre lui-même des comptes.

16) Prendre en compte les impératifs d'une meilleure évaluation des politiques publiques lors de la construction de ces systèmes d'information des administrations publiques. Il est ainsi surprenant que le projet Copernic de refonte des systèmes d'information de la direction générale des impôts n'ait pas aussi pour objectif de permettre une meilleure appréciation des effets économiques de la fiscalité.

17) Engager une réflexion sur les relations financières entre l'État et les organismes de recherche indépendants, afin d'accorder une souplesse accrue aux institutions publiques, d'une part, de remettre les institutions privées sur un pied d'égalité, d'autre part. Les institutions indépendantes privées sont en effet victimes d'une distorsion de concurrence : elles sont légalement contraintes de « soumissionner » aux appels d'offre publics en facturant leurs services à leur coût complet, alors que les centres de recherche parapublics, dont les charges salariales sont déjà largement prises en charge par des subventions de fonctionnement, facturent leurs études au coût marginal, qui est bien inférieur. Inversement, les règles de la comptabilité publique et de la fonction publique peuvent parfois constituer des handicaps sérieux pour les centres de recherche publique, par exemple pour la rémunération de leurs jeunes chercheurs ou pour le défraiement des experts étrangers invités à des colloques.

18) Renforcer les moyens et/ou le nombre des organismes indépendants conduisant des études économiques appliquées à la décision publique, par exemple via la création d'un ou de deux nouveaux organismes pluridisciplinaires répondant aux six conditions énoncées par le rapport Lenoir-Prot (notamment une taille critique et un statut garantissant leur indépendance), ayant explicitement pour mission d'établir des ponts entre la recherche universitaire et les débats publics, et disposant d'une « force de frappe » suffisante dans un ou plusieurs des principaux domaines où la contre-expertise indépendante fait aujourd'hui défaut (fiscalité, finances publiques, évaluation des politiques publiques, micro-économie et éducation).

Concrètement, ces nouveaux organismes devraient être nécessairement financés sur fonds publics, le modèle des Think Tanks , qui sont financés par le mécénat privé, apparaissant peu transposable.

La création de ces nouveaux organismes pourrait cependant emprunter plusieurs modalités non exclusives : la création d'une nouvelle institution indépendante sous l'égide de la Fondation nationale des sciences politiques, le statut de l'OFCE ayant à tous égards fait ses preuves ; le renforcement des moyens permanents des conseils indépendants ; le changement de statut d'institutions existantes et/ou la réorientation de leurs missions vers un rôle plus large d'animation des débats publics ; le regroupement, déjà envisagé par le passé, de plusieurs laboratoires parisiens prestigieux ; la constitution dans une grande ville de province d'un institut de recherche d'obédience universitaire, 71 ( * ) ou la création d'instituts interrégionaux d'évaluation des politiques publiques.

19) Décloisonner la haute fonction publique , notamment en l'ouvrant aux universitaires, aux chercheurs du CNRS et aux experts des institutions indépendantes, afin de stimuler à moyen terme le développement d'une contre-expertise en matière de choix publics.

En effet, aux États-Unis, le recrutement d'universitaires et de chercheurs des Think Tanks irrigue et diversifie l'expertise des administrations. Inversement, le recrutement de cadres des agences fédérales par les Think Tanks leur confère une réelle connaissance des préoccupations et du fonctionnement des administrations, donc une réelle expertise opérationnelle en matière de politiques publiques. Enfin, les débouchés offerts par la haute fonction publique aux économistes des universités et des institutions de recherche indépendantes les incitent à se tourner vers la recherche appliquée.

20) Développer et diversifier la demande publique de contre-expertise économique. Il serait ainsi légitime que les collectivités locales participent au financement d'organismes de recherche économique indépendants de dimension nationale, comme c'est déjà le cas en Allemagne, où les six grands instituts de conjoncture sont largement financés par les Länder.

* 70 Rapport du Sénat n°203, 2000-2001.

* 71 Comme cela avait été suggéré en 1995 par M. Jean-Paul Fitoussi, président de l'OFCE, lors de son audition par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'information du parlement (Cf. « De l'information du Parlement au contrôle du Gouvernement », rapport de l'Assemblée nationale n° 2063, 1995, p.72).

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