DEUXIÈME PARTIE
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LE FONDS DE FINANCEMENT DES TRENTE-CINQ HEURES : UN DÉFICIT STRUCTUREL, UNE EXISTENCE VIRTUELLE, UNE MENACE RÉELLE POUR LES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Croire que le choix de contrôler le « fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale » (FOREC) est né de l'opposition de la majorité sénatoriale à la politique de réduction du temps de travail relèverait au mieux d'un malheureux contresens et au pire du procès d'intention.

La loi du 19 janvier 2000, dite « loi Aubry II », est désormais une « loi de la République ».

Aussi le présent rapport n'a pas pour objet de se prononcer sur la pertinence de la loi sur la réduction négociée du temps de travail , mais sur la gestion du dossier du financement des trente-cinq heures par le Gouvernement.

Cette gestion -on n'ose utiliser le terme de « politique publique »- est à proprement parler catastrophique. Recettes surestimées, dépenses sous-estimées, erreurs constitutionnelles répétées : il est à espérer que la doctrine en écrive un jour l'histoire de manière complète et que celle-ci serve de (contre)modèle dans les écoles d'administration publique.

Encore faut-il rappeler que ce rapport n'aborde pas la question du financement des trente-cinq heures dans la fonction publique, qui relève de la compétence de votre commission des Finances sous réserve naturellement de l'impact de la réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière, qui concerne directement les finances sociales. Il ne s'agit ici que du financement de la réduction du temps de travail dans le secteur privé.

Le Gouvernement a fait le choix, pour tenter de compenser aux entreprises le coût salarial des trente-cinq heures, de leur accorder un allégement de charges sociales supplémentaire.

Les dépenses occasionnées par les trente-cinq heures dans le secteur privé correspondent ainsi à des pertes de recettes pour les organismes de sécurité sociale.

Le Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) a été créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Il a pour objet d'encaisser des recettes affectées et de rembourser, à travers ses dépenses, les régimes sociaux (régime général et régime agricole) de leurs pertes de recettes liées aux exonérations de cotisations de sécurité sociale.

Votre rapporteur s'en tiendra aux faits : un tel financement n'est pas assuré. Le déficit cumulé est de l'ordre de 30 milliards de francs sur les deux exercices 2000 et 2001.

Le Gouvernement ne s'est pas donné les moyens de financer sa politique ; il s'est employé dès l'origine à en faire supporter le poids à la sécurité sociale.

*

* *

Dès le 10 janvier 2001, à la suite des décisions du Conseil constitutionnel des 19 et 28 décembre 2000, votre rapporteur a été conduit à adresser un questionnaire 11 ( * ) à Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité.

Constatant notamment le caractère sommaire des réponses apportées à son questionnaire du 10 janvier, votre rapporteur a effectué, le 14 février 2001, une série de contrôles « sur pièces et sur place » à l'ACOSS, au ministère de l'Emploi et de la Solidarité (Direction de la sécurité sociale) et au ministère de l'Economie et des Finances (Direction du budget).

Le présent rapport constitue la synthèse des informations rassemblées à cette occasion.

I. LE FOREC : LE GRAND ÉCART DÈS SA NAISSANCE

Mesure phare du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, la création d'un établissement administratif chargé de financer la réduction du temps de travail a été, dès l'origine, un grand « trébuchoir » pour le Gouvernement.

L'idée initiale était de respecter formellement la loi du 25 juillet 1994 qui a posé le principe d'une compensation intégrale à la sécurité sociale des exonérations de cotisations sociales décidées par l'Etat, mais de la violer en réalité. Pour ce faire, la sécurité sociale devait verser une contribution à un fonds chargé de lui compenser intégralement ses pertes de recettes. Il suffisait d'y penser...

Las, dès avant le début de l'examen du projet de loi par le Parlement, le Gouvernement était contraint, par les partenaires sociaux, de revoir son dispositif tout en ayant de cesse de le réintroduire grâce à un système de « tuyauteries » opaque à dessein. La saga du FOREC avait commencé.

A. UN MÉCANISME PÉRIMÉ DÈS L'ORIGINE

La complexité du FOREC ne peut en effet se comprendre sans revenir longuement sur son schéma initial, consistant à faire participer les régimes sociaux au financement des trente-cinq heures.

En raison de charges sociales élevées, principalement sur les bas salaires, les politiques de l'emploi se sont développées depuis la fin des années soixante-dix en utilisant le recours aux exonérations de cotisations de sécurité sociale. Ces politiques avaient l'inconvénient de priver la sécurité sociale de ressources nécessaires à son équilibre. En conséquence, la loi du 25 juillet 1994 a posé le principe d'une compensation intégrale par l'Etat des exonérations de cotisations de sécurité sociale.

L'article 131-7 du code de la sécurité sociale dispose ainsi que « Toute mesure d'exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale, instituée à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l'Etat pendant toute la durée de son application » .

Dans le cadre de la réduction du temps de travail, compte tenu du surcoût salarial pour les entreprises, le Gouvernement a étendu la ristourne dégressive sur les bas salaires (jusqu'à 1,8 SMIC) et accordé une aide pérenne de 4.000 francs par an et par salarié.

1. L'équation improbable : financer les trente-cinq heures sans augmenter les prélèvements

En l'absence de modification du cadre légal, la compensation de ces exonérations de cotisations aurait fait l'objet d'une dotation budgétaire, inscrite sur les crédits du ministère de l'Emploi et de la Solidarité.

Un tel système aurait conduit à un gonflement important des dépenses publiques, puisque le coût supplémentaire représenté par les trente-cinq heures, en sus de la ristourne bas salaires dite « ristourne Juppé » (40 milliards de francs), était estimé dès 1999 à 65 milliards de francs.

Mais le ministère de l'Economie et des Finances a plaidé constamment pour éviter la création de dépenses budgétaires nouvelles et l'accroissement des prélèvements sur les entreprises.

Dès lors, cette situation a conduit le Gouvernement à envisager la contribution des organismes de sécurité sociale, et donc à modifier le cadre légal existant, pour les exonérations relatives à la réduction du temps de travail.

Il annonçait, dès l'exposé des motifs du projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail (la future « loi Aubry I ») et l'étude d'impact jointe au projet, que la règle de compensation intégrale prévue par l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale ne serait pas respectée : « Afin de tenir compte des rentrées de cotisations que l'aide à la réduction du temps de travail induira pour les régimes de sécurité sociale 12 ( * ) , cette aide donnera lieu, à compter du 1 er janvier 1999, à un remboursement partiel de la part de l'Etat aux régimes concernés. Cette disposition figurera dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, après concertation avec les partenaires sociaux sur le taux de cette compensation. » 13 ( * )

Votre rapporteur a pu prendre connaissance d'une note de la Direction du budget, en date du 15 février 1999, précisant que « le dispositif permanent d'aide à la réduction du temps de travail ne doit pas représenter un surcoût net pour les finances publiques » et préconisant « de s'orienter vers la mise en oeuvre d'un dispositif structurel d'aide à la réduction du temps de travail compatible avec les perspectives des comptes sociaux, strictement autofinancé par les retours attendus de la réduction du temps de travail pour les comptes des régimes » .

Soumis à cette équation impossible, financer les trente-cinq heures sans augmenter les financements publics , le Gouvernement a imaginé la théorie des « retours pour les finances publiques » afin de transférer aux organismes de protection sociale (UNEDIC et régimes de sécurité sociale) tout ou partie du financement de la réduction du temps de travail.

* 11 Le questionnaire et les réponses du Gouvernement sont reproduits en annexe du présent rapport.

* 12 L'UNEDIC ne semblait pas, à l'époque, concernée.

* 13 Projet de loi n° 512 (XIème législature) d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail, déposé le 10 décembre 1997.

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