2. L'expatriation des « cerveaux » : un phénomène réel

Au delà des statistiques consulaires et des impressions d'ensemble qui s'en dégagent, la mission d'information a tenté d'obtenir un éclairage plus précis sur l'évolution récente de l' expatriation des français hautement qualifiés : scientifiques, ingénieurs, cadres .

L'étude de la situation aux États-Unis s'impose. La politique volontariste d'immigration sélective vient encore d'y être amplifiée, ce qui en fait le principal pôle d'attraction des compétences et des talents du monde entier. Les Français n'échappent pas à cette attraction, notamment dans les domaines de la science, de l'ingénierie et des technologies de l'information et de la communication. Leur présence outre-atlantique se développe dans ces secteurs.

Un point doit également être effectué sur la situation des jeunes scientifiques effectuant un stage post-doctoral . La proportion croissante de séjours à l'étranger et les difficultés d'insertion professionnelle en France, ont placé cette population au coeur des débats sur la « fuite des cerveaux ».

Enfin, la mission d'information a recueilli des indications sur les diplômés des grandes écoles qui montrent, ici encore, une propension croissante à l'expatriation.

a) Une puissante attraction du pôle américain à laquelle les Français n'échappent pas

C'est essentiellement autour des États-Unis que s'organisent les flux migratoires internationaux de main-d'oeuvre hautement qualifiée , et c'est donc vers les États-Unis que se tournent obligatoirement les regards, dès lors que l'on évoque la « fuite des cerveaux » ou la « guerre des talents ».

Cette capacité à capter les talents étrangers repose sur deux raisons principales : d'une part, l'attractivité propre de la première puissance économique et technologique mondiale, dont il n'est pas besoin de développer les différents déterminants, notamment en matière de financement de la recherche, et d'autre part, une volonté délibérée des autorités américaines de recruter, dans le monde entier, des spécialistes de haut niveau.

Le recours à l'immigration massive de personnels qualifiés répond au souci de soutenir la croissance économique et l'avance technologique américaine, en réduisant les tensions, voire les pénuries, sur le marché du travail national des spécialistes et en économisant le coûts et la durée de formation, grâce à l'appel à des personnes déjà formées.

Faut-il considérer aujourd'hui que dans ce contexte, la France voit ou pourrait voir un nombre croissant de ses chercheurs, ingénieurs, professeurs ou cadres de haut niveau entraînés dans ce courant confluant outre-Atlantique ?

Trois constatations s'imposent : l'attraction américaine se fait de plus en plus forte, elle touche en priorité les nations asiatiques, mais aussi un nombre significatif de Français.

L'octroi de visas temporaires de non-immigrants constitue aujourd'hui le moyen privilégié de faire entrer sur le sol américain des spécialistes étrangers.

Accordé pour une durée de trois ans, et renouvelable une fois, le visa dit « H-1B » est réservé aux spécialistes . Le quota annuel pour ces visas était fixé à 65 000 par an, mais à partir de 1997, il est apparu insuffisant face à l'ampleur des demandes émanant des industriels. Une loi de 1998 est venue une première fois relever ce plafond de 65 000 à 115 000 visas par an à partir de 1999. Ce nouveau plafond est lui-même apparu très vite insuffisant, le quota ayant été atteint. La législation fédérale a de nouveau été modifiée en octobre dernier pour porter le quota annuel à 195 000 visas pour les trois prochaines années 6 ( * ) .

Outre les visas « H-1B » existent d'autres visas temporaires de non-immigrants, pour les travailleurs ayant des compétences exceptionnelles (visa O) ou pour les spécialistes entrés dans le cadre de l'accord du libre-échange nord-américain (ALENA), qui a concerné 60 000 Canadiens (gens d'affaires, investisseurs, cadres, professionnels très qualifiés) en 1998.

En revanche, les États-Unis n'accordent qu'en nombre beaucoup plus limité aux spécialistes qualifiés, les visas permanents d'autorisation de travail ( green card ). Ces derniers sont répartis en plusieurs catégories (étrangers de haut niveau, cadres ou dirigeants d'entreprises multinationales, professions requérant des diplômes supérieurs ou personnes très hautement qualifiées). Le nombre de permis accordés pour ces catégories, n'était que de 15 600 en 1998, une partie des intéressés étant de surcroît des résidents temporaires déjà présents aux États-Unis qui bénéficiaient jusqu'alors du visa « H-1B ».

Les statistiques relatives à l'octroi des visas H-1B font apparaître que l'essentiel du flux provient d'Asie, mais que la part de la France n'est néanmoins pas négligeable .

Répartition par nationalités des visas temporaires de spécialistes

(visas H-1B)

(Source : Département d'Etat)

Nationalité

1997

1998

1999

Indiens

Britanniques

Chinois*

Japonais

Mexicains

Philippins

Allemands

Français

Australiens

Russes

31 684

6 927

4 626

2 929

2 785

2 653

2 088

1 894

1 436

1 357

40 246

6 342

5 573

2 878

2 320

2 759

2 242

2 110

1 665

1 395

55 047

6 665

5 779

3 339

2 419

3 065

2 451

2 633

1 651

1 619

*La statistique englobe les ressortissants de Chine Populaire (environ 70 %) et ceux de Taiwan (30 %).

Une statistique plus récente, portant sur les 5 premiers mois de l'année fiscale 2000 (du 1er octobre 1999 au 28 février 2000), signale que près de 1 200 Français ont obtenu un visa H-1B ou son renouvellement durant cette période, soit un nombre sensiblement égal à celui des Allemands, mais inférieur à celui des Russes (1 400), des Britanniques (2 600) et, bien entendu, des ressortissants asiatiques (34 400 Indiens, plus de 9 900 Chinois, 2 580 Philippins, 1 700 Coréens, 1 630 Japonais, 1 500 Pakistanais).

* 6 American competitiveness in the twenty-first century Act du 17 octobre 2000.

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