IV. UNE COUR D'APPEL QUI DOIT GÉRER LA PÉNURIE

La cour d'appel de Colmar a une double mission puisqu'elle est à la fois juridiction d'appel et centre de gestion des crédits délégués. En conséquence, les difficultés auxquelles elle est confrontée sont doubles : en tant que juridiction, elle doit faire face aux conséquences de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes ; en tant que gestionnaire des crédits délégués par l'administration centrale, elle doit gérer la pénurie.

A. UNE COUR D'APPEL INQUIÈTE DES RÉPERCUSSIONS DE LA LOI DU 15 JUIN 2000 SUR LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE

La cour d'appel de Colmar est composée de cinq chambres et dispose d'un effectif budgétaire de 31 magistrats du siège et 7 magistrats du parquet.

Entre 1998 et 2001, 4 postes budgétaires ont été créés : 1 en 1998, 2 en 1999 et 1 en 2000. A l'origine, ces créations de poste visaient à réduire le stock des affaires en attente. Ainsi, elles ont permis le fonctionnement d'une chambre supplémentaire qui pallie à la surcharge d'activité de la chambre de la famille et de la chambre sociale.

Elles ont également permis de dégager entre 1/3 et 1/45de temps de travail d'un conseiller afin qu'il exerce les fonctions de magistrat délégué à la formation pour le ressort de la cour d'appel de Colmar.

Selon les propos du premier président, la poursuite de cette politique d'allégement des charges de travail de certains magistrats était nécessaire. Ainsi, il souhaitait soulager le service du conseiller délégué à la protection de l'enfance qui est l'interlocuteur privilégié des juges des enfants et de la protection judiciaire de la jeunesse et qui rapporte systématiquement tous les dossiers concertant les mineurs qui comparaissent devant la chambre spécialisée. De même, il souhaitait aménager le service du conseiller chargé de l'application des peines et renforcer la chambre des appels correctionnels pour réduire les délais de comparution.

L'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes n'a pas permis de réaliser ces projets car elle a détourné à son profit une partie des postes de magistrats nouvellement créés.

1. L'impact de la loi du 15 juin 2000 sur l'activité de la cour d'appel

Quatre dispositions concernent directement la cour d'appel.

* Le recours contre les décisions des cours d'assises

Les arrêts de condamnation peuvent désormais faire l'objet d'un appel devant une cour d'assises comportant 12 jurés. En ce qui concerne les cours d'assises du ressort de la cour d'appel de Colmar, elles sont amenées à juger en appel des affaires non seulement des cours d'assises du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, mais également des cours d'assises de Metz, Besançon et Nancy.

Il convient de remarquer que la situation concernant la cour d'assises dans le Haut-Rhin était déjà très tendue avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000. Cette dernière n'a fait qu'aggraver la situation.

Evolution de la charge de travail de la cour d'assises du Haut-Rhin

Objet

Cour d'assises du Haut-Rhin

1997

30

Nombre d'affaires jugées en

1998

22

1999

23

2000

34 (48 accusés)

Au 1 er octobre

2001

21

1997

8

Nombre de pourvois

1998

3

enregistrés en

1999

4

2000

8 dont 3 transformés en appel

Nombre d'appels

2001

3

Nombre d'affaires nouvelles enregistrées au 30.09.01

Sur 1 ère saisine 29

Sur appel en provenance de l'extérieur 9

1998

20

Nombre d'affaires en attente

1999

22

2000

36

Au 30.09.01

49

Délais d'audiencement détenus

10 à 11 mois

Délais d'audiencement libres depuis la mise en oeuvre de la loi du 15.06.01

Pas d'affaires fixées en 2001, priorité donnée aux détenus

Depuis 1999, deux conseillers sont désormais exclusivement affectés aux assises. En outre les audiences accaparent deux assesseurs qui doivent délaisser leur service habituel dans les tribunaux de grande instance. Par ailleurs, le greffe de la cour d'assises du Haut-Rhin est assuré par deux greffiers dont un travaille à temps partiel, ce qui gêne le bon fonctionnement du service.

Devant l'accroissement de l'activité de la cour d'assises du Haut-Rhin, le nombre des sessions a augmenté.

L'allongement de la durée des sessions

Années

1998

1999

2000

2001

Cour d'assises du Haut-Rhin

Nombre de sessions

4

6

6

7

Durée des sessions

10 semaines
+ 2 jours

15 semaines

14 semaines

21 semaines


Temps de préparation


5 semaines + 3 jours


8 semaines + 2 jours


8 semaines + 2 jours

Temps intermédiaire consacré à la préparation des assises

Alors qu'elles s'élevaient à 4 en 1998, 7 sont organisées pour 2001. En outre, leur durée tend à augmenter puisqu'elle est passée de 10 à 21 semaines pendant la même période. Les intersessions sont consacrées à la préparation des dossiers par les présidents.

Les conditions de travail sont difficiles.

Au vu des procès-verbaux des débats, il ressort que pour les 5 sessions déjà terminées en 2001, 20 dossiers ont été jugés sur 61 jours d'audience et que pour 46 jours d'audience, la journée de travail a dépassé 10 heures.

L'enchaînement des sessions et le travail inhérent au jugement d'une affaire ne permettent donc pas en l'état aux greffiers de récupérer les jours de congés auxquels donnent droit les dépassements d'horaires, et le passage aux 35 heures ne fera qu'aggraver cette situation.

Le rythme actuel d'activité des cours d'assises ne permet pourtant pas de juger les affaires dans un délai raisonnable puisqu'il s'écoule en moyenne 10 mois entre la notification et le début du procès des accusés détenus.

Depuis l'entrée en application de la loi du 15 juin 2000, la charge de travail s'est encore accrue. Ainsi, pour le premier trimestre 2001, la cour d'assises du Haut-Rhin a reçu 6 dossiers d'appel, ce qui correspond déjà à une session d'assises.

Dans la mesure où la loi du 15 juin 2000, pour les accusés détenus, a fixé à un an maximum le délai d'audiencement suivant l'ordonnance de mise en accusation (un délai identique a été retenu pour les appels), les procès des personnes qui comparaissent libres risquent de se trouver repoussés et le délai moyen d'audiencement allongé. Ainsi, la cour d'assises du Haut-Rhin n'a pas fixé d'audiencement d'affaires impliquant des accusés libres pour 2001 depuis l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000.


Une conséquence de la loi du 15 juin 2000 : l'allongement des délais d'audiencement pour les accusés « libres »... et pour les accusés détenus !

Avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000, les délais d'audiencement des accusés étaient en moyenne dans le Haut-Rhin de 280 jours pour les accusés libres et de 220 jours pour les détenus. Actuellement, ils sont de 300 à 330 jours pour les détenus et de 540 jours (soit 18 mois) pour les « libres ».

En septembre 2000, 42 dossiers étaient en attente de jugement. Fin septembre 2001, ce nombre s'élevait à 49. L'augmentation du nombre de sessions n'a permis d'absorber que 3 dossiers d'appel sur les 9 transmis par la chambre criminelle et le retard dans le jugement des affaires s'accentue.

Le respect d'un délai raisonnable de comparution exigerait rapidement la création rapide d'une troisième section.

Les magistrats de la cour d'appel ont également évoqué le problème de l'indemnisation des jurés de la cour d'assises . Alors qu'il est de plus en plus difficile d'obtenir des jurés, les modalités d'indemnisation de leur participation à la cour d'assises sont critiquables.

Les jurés perçoivent deux types d'indemnité :

- une indemnité de session, qui s'élève à 365,76 francs par jour ;

- une indemnité de perte de salaire qui correspond à 8 heures de SMIC, soit 352,76 francs (40,72 x 8). Cette dernière est versée uniquement aux jurés qui occupent un emploi et reste constante quel que soit le salaire réel du juré et quel que soit le nombre réel d'heures passées en audience. Or, comme il a été indiqué précédemment, les jurés sont souvent obligés de siéger plus de 10 heures par jour.

Par ailleurs, les jurés reçoivent leurs indemnités non pas à la fin du procès, mais à la fin de la session, soit, dans le cas le plus défavorable, près de sept semaines après. Non seulement ils ne touchent pas leur salaire, mais cette perte n'est pas simultanément compensée (au moins partiellement) par les deux indemnités mentionnées précédemment. Cette situation peut entraîner d'importants problèmes financiers aux jurés lorsque le procès dure pendant plusieurs semaines.

* L'indemnisation des détentions provisoires

Les personnes placées en détention provisoire et bénéficiant d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement peuvent faire l'objet d'une indemnisation. Jusqu'au vote de la loi du 15 juin 2000, cette procédure était assurée par une commission nationale siégeant à la cour de cassation. Désormais, elle est décentralisée et l'indemnité est allouée par décision du premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle a été prononcée la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement.

Selon les informations obtenues par votre rapporteur spécial, le premier président de la cour d'appel de Colmar a été saisi de 15 dossiers depuis le 1 er janvier 2001. Ce dernier a jugé la procédure excessivement longue et formaliste. Il a fait remarquer qu'elle était suivie par un greffier en sus de son activité habituelle.

* La juridictionnalisation des décisions du juge de l'application des peines

Les décisions du juge de l'application des peines, qui étaient jusqu'à présent des mesures d'administration judiciaire, deviennent de véritables décisions juridictionnelles. En conséquence, elle peuvent être attaquées par la voie de l'appel par le condamné, le procureur de la République et le procureur général. L'appel est porté devant la chambre des appels correctionnels. Cette réforme devait entrer en vigueur au 1 er janvier 2001. Toutefois, elle s'est avérée inapplicable à la date dite en raison d'effectifs insuffisants. La ministre de la justice en a donc repoussé l'entrée en application à juin 2001.

Selon les informations obtenues par votre rapporteur spécial, le nombre d'appel des décisions des juges chargés de l'application de peines portées devant la chambre des appels correctionnels est peu important pour l'instant (17), mais ce contentieux est appelé à se développer.

Le premier président de la Cour d'appel de Colmar a jugé indispensable la création d'un emploi de conseiller afin qu'il puisse assurer, de manière intermittente, la présidence d'une troisième section d'assises et celle de la juridiction régionale de la libération conditionnelle qui siège tous les mois à Ensisheim, parfois à Strasbourg et éventuellement à Oermingen. Ce poste supplémentaire permettrait également de renforcer la chambre des appels correctionnels.

* La réforme de la libération conditionnelle

Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d'une durée supérieure à 10 ans ou que la durée de détention, quelle que soit la peine prononcée, est supérieure à 3 ans, la libération conditionnelle relève de la compétence d'une juridiction régionale de la libération conditionnelle établie auprès de chaque cour d'appel.

Dans le ressort de la cour d'appel de Colmar, cette juridiction régionale est présidée par un conseiller (qui est également le président de la cour d'assises du Bas-Rhin) et est composée de deux juges de l'application des peines. Elle se réunit une fois par mois, principalement à la maison centrale d'Ensisheim et a été saisie jusqu'à présent de 12 dossiers, qui concernent tous des cas très lourds. Son greffe est assuré par un greffier du service correctionnel en sus de ses tâches habituelles.

* Des besoins supplémentaires en fonctionnaires de greffe

La loi du 15 juin 2000 précitée entraîne donc des besoins supplémentaires en matière de fonctionnaires de greffe évalués à 1 greffier et 2 agents de catégorie C.

La création de ces postes renforcerait ou permettrait de créer :

- le greffe de la cour d'assises du Haut-Rhin, dont le nombre de semaines d'audience a doublé entre 1998 et 2001 ;

- le greffe de la juridiction régionale de la libération conditionnelle ;

- le greffe du service de l'indemnisation des détentions provisoires ;

- le greffe de la chambre des appels correctionnels.

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