38. Audition de Mme Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement (11 juillet 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Madame la ministre, nous sommes heureux de vous accueillir à cette commission d'enquête.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Corinne Lepage.

Mme Corinne Lepage - Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, je me présente devant vous d'abord parce que c'est un devoir et un plaisir. Les sujets qui vous occupent sont des sujets que je connais. Néanmoins, il est clair que je n'ai plus aucune information provenant de l'Etat. Je ne suis pas parti avec mes dossiers sous le bras. Je les ai laissés, ce qui me paraît être républicain. Par voie de conséquence, je suis capable de répondre à des questions que vous souhaiteriez me poser sur la période où j'ai exercé mes fonctions de ministre de l'Environnement entre 1995 et 1997. Toutefois, je ne pourrai le faire qu'avec ma mémoire et non pas avec des documents qui sont en la possession du ministère de l'Environnement et qui sont donc aisément communicables à votre commission. Bien évidemment, je n'ai pas ces documents en ma possession. En revanche, je pourrai vous répondre en me remémorant la manière dont les choses se sont passées et les difficultés que nous avons pu rencontrer.

Si j'ai eu beaucoup à travailler sur le sujet des inondations, à aucun moment, lorsque j'étais ministre, il n'a jamais été question de la Somme. Je dois une parfaite honnêteté à l'égard de votre commission. Je n'ai jamais entendu parler de la Somme. Nous avons beaucoup parlé de la Loire et je suis allée dans le Sud-Est. C'est un sujet que je suivais de très près. J'ai passé une journée entière dans un PC de département (en l'occurrence le Vaucluse) pour voir son fonctionnement et je me souviens avoir été très impressionnée des efforts accomplis. Je me rappelle également l'angoisse qui avait été la mienne quand je me suis rendu compte que dans le département voisin, les responsables ne possédaient même pas les numéros de fax des personnes à prévenir en cas de problème. Je ne me réfère pas aux hautes sphères de l'Etat, je reste basique. Si un problème intervient, les personnes savent-elles qui prévenir ? Possède-t-on les numéros de fax ? A-t-on les numéros de téléphone de nuit des responsables ? Non, on n'avait pas tout cela. Je me suis donc rendu compte qu'il existait des disparités considérables d'un département à l'autre. Je suis allé à plusieurs reprises sur les bords de la Loire, avec le préfet Gérard. J'ai passé au moins deux ou trois journées à Orléans pour m'occuper des questions du plan Loire et notamment des questions d'inondation. Cependant, à aucun moment il n'a été question de problèmes d'inondation dans la Somme. Je suis allée sur la côte. Je suis allée m'occuper des problèmes de marées. Je me suis occupée des problèmes de chasse. J'ai visité les espaces protégés de cette région. Personne ne m'a jamais demandé si nous nous étions préoccupés des problèmes d'inondation. J'avoue ma faute, s'il y en a une. Je ne me suis pas préoccupée du problème des inondations dans la Somme. La Somme n'apparaissait pas comme étant un des endroits de France où la question des inondations semblait préoccupante. Je n'ai rien à cacher. Je suis d'une très grande transparence et d'une très grande honnêteté. Si faute il y a, vous le direz. Je n'ai pas travaillé sur la Somme à propos des inondations parce que ce n'était pas une région considérée comme présentant des risques.

Pour préparer la présente réunion, je me suis replongée dans un document fort intéressant, que j'avais commandé et qui est sorti en 1998 intitulé « Impact potentiel du changement climatique en France ». C'est un document de la mission Effet de serre. Je peux même vous en laisser un exemplaire.

M. le Président - J'ai ce document en ma possession.

Mme Corinne Lepage - J'avais commandé ce document en 1995. A l'époque, on m'avait dit qu'il était impossible à réaliser. J'ai constaté que les Anglais avait déjà réalisé ce type de rapport et j'ai donc considéré que nous étions en mesure de le réaliser. J'ai donc insisté. Ce rapport a fini par sortir en 1998. Il est fort intéressant car il analyse tous les effets potentiels du changement climatique sur l'hexagone. Cette question était pour moi tout à fait essentielle. J'aurai l'occasion de revenir tout à l'heure sur ce point. J'ai relu ce document pour préparer cette réunion. Je rappelle que ce document date de 1998. Or il n'y a pratiquement rien sur la Somme. Le seul point qui concerne spécifiquement la Somme est à la page 3 du chapitre intitulé « Impact à attendre d'une élévation du niveau de la mer sur les côtes françaises ». Je cite : « Des observations faites au cours des dernières décennies en particulier dans le marais charentais, le marais poitevin et en Baie de Somme, sans parler de la baie du Mont-Saint-Michel, conduisent à penser que c'est le troisième scénario qui prévaut ». Ce troisième scénario stipule que l'élévation du niveau de la mer n'aura aucune incidence car les marais pourront absorber. C'est le seul point relatif à la Somme dans ce rapport. Ma première observation est donc qu'on ne s'attendait pas à une inondation dans la Somme. On parlait de la Loire, éventuellement de Paris. On s'interrogeait sur les conséquences à Paris d'une crue comparable à celle de 1910. On pensait à la Loire, au Sud-Est. Je suis allé en Arles. A plusieurs reprises j'ai rencontré M. Vauzelles qui était très préoccupé, à juste titre, par l'état des digues dans la région d'Arles. A aucun moment nous n'avons pensé à la Somme. Nous n'avons pas été bons dans ce domaine.

M. Jean-François Picheral - Vous n'avez pas été alertée.

Mme Corinne Lepage - Non, je n'ai été alertée par personne. En réécrivant l'histoire, on pourrait se dire que j'aurais pu me poser la question. Or rien ne pouvait me conduire à me la poser.

M. le Président - Quand vous étiez au Crotoy, vous ne pensiez pas que cela pût arriver.

Mme Corinne Lepage - Absolument pas. Au Crotoy, nous avons parlé de la côte, des marées, de la culture, des nitrates, de la chasse, de tous les sujets sauf des inondations.

M. Jean-François Picheral - Une première inondation a eu lieu en 1995.

Mme Corinne Lepage - Une inondation a effectivement eu lieu lors de l'hiver 1994-1995. Apparemment, elle avait laissé peu de traces dans les esprits puisqu'on n'en a pas parlé. Nous sommes d'abord confrontés aux effets de situations locales : l'absence d'entretien du fleuve, les obstacles au phénomène d'évapotranspiration. Nous pourrons revenir sur ces points. Nous sommes également en face de phénomènes d'ordre beaucoup plus général. C'est pour cette raison que je me référais tout à l'heure au rapport de la mission Effet de serre. On parle beaucoup de changements climatiques en France. On se prépare à prendre des mesures afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Il m'apparaît d'une extrême urgence d'élaborer un véritable plan d'aménagement du territoire au regard des conséquences du changement climatique dans les vingt ans qui viennent. Monsieur le Président, vous avez dit avoir lu ce rapport. Vous avez vu que le changement climatique a des conséquences importantes sur les précipitations et les inondations. Cela implique la mise en oeuvre d'un urbanisme et d'un aménagement du territoire spécifiques pour toutes nos communes littorales et pour la Camargue. Le changement climatique aura également des conséquences pour l'agriculture. Des cultures vont se développer, d'autres vont souffrir. Le changement climatique aura des conséquences sur le développement de nos communes touristiques, notamment de montagne. Nous savons pertinemment qu'en-deçà de 1.500 mètres, dans quelques années, il n'y aura plus de neige. Il y a, à partir de ce document, urgence à mener une véritable réflexion en termes d'aménagement du territoire. En effet, cela me paraît un élément déterminent pour les plans régionaux et locaux, afin de nous préparer à ce qui de toute façon va se passer. Même si nous prenons des mesures aujourd'hui, nous ne pourrons échapper aux effets accumulés de la politique menée depuis trente ans. La réflexion très importante que vous menez sur la Somme pourrait ainsi être l'occasion de lancer un véritable plan de réponses hexagonales au changement climatique. Il faut agir. Nous devons nous préparer à affronter d'autres tempêtes, des inondations, des chaleurs inhabituelles comme celles que nous connaissons. Tout ceci va entraîner des bouleversements à l'échelle de notre pays. Je dirais que ma réflexion sur les évènements de la Somme est à la fois locale et globale. Les deux dimensions m'apparaissent confondues.

M. le Président - Vos propos confirment ce que nous avions constaté, c'est-à-dire l'absence de dispositif dans la Somme. Il faut compléter ce quadrillage administratif. Nous avons affaire à un territoire où tous les dispositifs d'alarme se perdent dans les sables car il n'y a personne pour les accueillir. Cela ne peut pas durer. Nous avons auditionné hier un ancien ministre qui nous a dit que la gestion de l'eau dépendait de trop de ministères. Il estime qu'il faudrait que la gestion de l'eau ne devrait dépendre que d'un seul ministère. Quel est votre avis sur ce point ?

Mme Corinne Lepage - C'est un problème plus général. Globalement, il me semble que notre organisation administrative est aujourd'hui totalement obsolète par rapport aux types de questions qui se posent. Nous sommes en face de difficultés qui posent des questions d'interface, c'est-à-dire d'horizontalité. Or nous avons une organisation qui est totalement verticale. Cela ne peut pas fonctionner. Dans les domaines de la sécurité alimentaire ou de la sécurité environnementale, on crée des agences parce qu'on n'est pas capable de s'organiser au sein du Gouvernement afin de traiter ces questions. Or la plupart des questions sont réellement des questions d'interface. Tant qu'on n'aura pas accepté de reposer de manière aussi dépassionnée que possible la question de l'organisation de l'Etat, on n'y arrivera pas. J'adhère totalement aux propos de cet ancien ministre. Il faut savoir que nous n'avons pas assez de crédits. Vous allez dire que les ministres pleurent tout le temps parce qu'ils n'ont pas d'argent. Il est tout de même vrai que nous manquons d'argent. Si vous n'avez pas d'argent pour la lutte contre les inondations, vous ne pouvez pas l'engager. Il existe incontestablement un problème plus général de gestion des finances publiques dans ce pays. En l'occurrence, la comptabilité publique est uniquement appréhendée en termes de flux. On ne compte que les recettes et les dépenses. Or nous sommes d'une certaine manière gestionnaires d'un patrimoine collectif. L'appauvrissement de ce patrimoine collectif a des conséquences. Il a un coût. Il faut en finir avec cette image de flux, qui suppose que l'environnement représente un coût qu'il convient d'éviter. Il faut plutôt mettre en avant une image de stock, qui assimile l'environnement à un patrimoine collectif qui rend toute une série de services. A cet égard, les Anglo-Saxons travaillent beaucoup aujourd'hui sur cette idée des services de la nature. Ce concept se développe considérablement. L'idée que la nature nous rend un certain nombre de services est quand même vraie. La façon de rémunérer ces services est une autre question. Or quand vous tenez une comptabilité d'épicier, en ne regardant que les dépenses et sans prendre en considération ce qui est perdu par ailleurs, vous parvenez toujours au résultat que nous avons aujourd'hui. Ainsi, les coûts de réparation deviennent sans commune mesure avec ce qu'auraient été les coûts de prévention. Malheureusement, c'est un discours qui passe très mal.

M. le Président - Le schéma des espaces naturels et ruraux est-il une amorce qui va dans le bon sens ? Quel jugement portez-vous sur cet outil ?

Mme Corinne Lepage - Je suis assez pragmatique. J'attends de voir la façon dont il fonctionne avant d'apprécier son efficacité. Tout outil qui permet d'obtenir une vision globale sur le plan territorial va dans le bon sens. Toutefois, il faut mettre en place les responsabilités et les moyens qui accompagnent la démarche. Il faut être excessivement pragmatique sur tous ces sujets. Il faut chercher l'efficacité, les outils les plus simples et les moins coûteux, en sachant que le mieux est parfois l'ennemi du bien. A vouloir trop bien faire, on finit par ne plus rien faire du tout.

M. Pierre Martin, rapporteur - Monsieur le Président, vous venez de poser la question que je voulais poser et qui concerne la gestion de l'eau. Il semble qu'il y ait à harmoniser à l'échelle du pays les services qui essaient de répondre à cette question sur le terrain. On a parlé des différents ministères. Il faut dire qu'aucun outil de prévention n'existait dans la Somme avant les évènements. Les services d'alerte n'existaient pas. Si un jour vous revenez aux affaires vous saurez qu'il peut y avoir des problèmes dans la Somme.

Mme Corinne Lepage - Je dirais que nous sommes maintenant vaccinés.

M. le Rapporteur - Même les meilleurs vaccins supposent des rappels.

Mme Corinne Lepage - Cela signifie tout de même que le principe républicain d'égalité devant la loi et devant les charges publiques est pertinent. En effet, à force de se focaliser sur certaines régions en oubliant que tous les Français ont les mêmes droits, on aboutit à des problèmes comme celui-ci. J'ajoute un élément qui va dans le sens de l'égalité. En l'occurrence, à mon sens, on sort des schémas connus. Je pense à la manière dont on gère le problème des inondations. On sait très bien combien les élus sont sensibles à ces questions. J'ai dû me battre par exemple à propos des atlas des zones inondables. On raisonne par rapport à la crue décennale ou centennale. Or je me suis souvent dit que j'étais complètement à côté du problème. La crue centennale n'a probablement aucun sens par rapport à ce qui se prépare. Comment anticiper, à la fois au niveau géographique et au niveau de l'importance des phénomènes, ce qui va nous arriver ? Nous avons un véritable effort d'imagination et de pragmatisme à accomplir.

M. Hilaire Flandre - Le pire n'est jamais certain.

Mme Corinne Lepage - C'est vrai, Monsieur le sénateur. Pour autant, il y a tout de même beaucoup de catastrophes naturelles. Je crois à la loi des séries. Toutefois, il me semble que les catastrophes que notre pays subit sont de moins en moins naturelles. La répétition fait que le pur aléa ne me paraît plus un phénomène explicatif suffisant.

M. Hilaire Flandre - Si on reprenait l'histoire des régions, je me demande si on ne retrouverait pas, sur un siècle, des phénomènes tout à fait semblables. Je suis d'une région qui ne craint pas a priori les inondations. Il s'agit de la plaine de Champagne. Or j'ai un ancêtre qui s'est noyé lors d'une inondation de la rivière La Retourne. En fait, il faut remonter cent ans en arrière pour obtenir un témoignage de ce phénomène. Beaucoup de gens pensent aujourd'hui qu'il est impossible qu'une inondation ait lieu aux abords de La Retourne. Pourtant, cela a existé. Dans beaucoup d'endroits, les mêmes phénomènes se reproduisent. On parle du réchauffement de la planète. Je veux bien croire que cela existe. Toutefois, si on regarde les statistiques de température, on s'aperçoit que nous avons déjà connu des températures aussi hautes à la même période de l'année.

Mme Corinne Lepage - C'est vrai, Monsieur le sénateur. Toutefois, si vous analysez sur une longue période, vous constatez que les dix années les plus chaudes du siècle sont les dix dernières. L'année la plus chaude, à l'échelle planétaire, a été 1998.

M. Michel Souplet - Cela ne veut pas dire qu'on ne retombera pas dans un cycle froid.

Mme Corinne Lepage - Si on retombait dans un cycle froid, cela signifierait que les émissions d'oxyde de carbone n'auraient eu aucun effet sur le réchauffement de la planète. Autrement dit, les scientifiques se seraient complètement trompés.

M. Michel Souplet - Ce ne serait pas la première fois.

Mme Corinne Lepage - C'est vrai. Néanmoins, je suis tout de même frappée, à la lecture des rapports préparatoires à la conférence de La Haye, de l'aggravation évaluée aujourd'hui par les experts par rapport à 1996. Autrement dit, en 1996, vous aviez un consensus scientifique sur le fait que la planète se réchauffait.

M. le Président - Il y avait débat à cette époque.

Mme Corinne Lepage - Le débat portait sur le fait de savoir si le réchauffement était de un ou deux degrés. Quand vous lisez le rapport publié en décembre 2000 avant la conférence de La Haye, vous vous apercevez que la situation a totalement changé. Certaines évaluations vont jusqu'à huit degrés. Cela n'a plus rien à voir. J'observe en outre une sorte de mea culpa de la part des scientifiques. Ils disent qu'il se sont trompé dans leurs évaluations car ils n'ont pas intégré l'effet exceptionnel du réchauffement déjà constaté et ils n'ont pas pris en compte notamment les effets des courants des océans. On est parti sur un système linéaire, alors que le système n'est pas linéaire et qu'il s'auto-entretient. Cela explique qu'on passe d'une échelle de deux à une échelle de six degrés. C'est tout de même une marge importante. Cela va d'ailleurs dans votre sens. On pourrait considérer que si les scientifiques ont fait une erreur de deux à six, ils pourraient bien faire une erreur entre deux et zéro. C'est possible. Je ne suis pas scientifique. Je lis beaucoup d'articles sur ce sujet. Les faits semblent néanmoins donner raison à l'existence d'un réchauffement de forte ampleur de la planète. Je ne pense pas seulement aux problèmes rencontrés dans notre pays. Je pense également aux phénomènes El Nino et El Nina, à l'accroissement de la désertification dans certaines régions du globe, etc. L'anticyclone des Açores, dans son déplacement, avait cette année un mois de retard. Personne ne peut en expliquer la raison.

M. Hilaire Flandre - C'est peut-être aussi la connaissance des effets qui nous fait penser qu'il existe des causes en amont. Je pense au phénomène de la surmédiatisation.

Mme Corinne Lepage - Je ne suis pas assez calée pour vous répondre. Pour autant, un phénomène est certain. En l'occurrence, nous sommes passés de 250 à 380 ppm d'oxyde de carbone et nous allons passer de 380 à 750 ppm. C'est un fait indiscutable. Le chiffre de 750 ppm correspond au scénario le plus optimiste. Le scénario le plus pessimiste laisse présager un chiffre de 1.000 ppm. J'en reviens à ce que je disais tout à l'heure. A mon sens, il est vraiment urgent de prendre des mesures dans notre pays afin de réduire nos propres émissions et surtout de mener des analyses très sérieuses sur les conséquences géographiques du phénomène, afin de mettre en place les investissements nécessaires en termes d'aménagement du territoire, très probablement en termes d'enterrement des lignes électriques, en termes d'infrastructures, de subventions agricoles, etc. Nous ne sommes pas aidés par la manière dont nous avons géré le sol. Pour préparer la présente réunion, j'ai relu beaucoup de documents, notamment sur l'argilisation des sols, la disparition des buissons, la politique de remembrement, la plantation de résineux au lieu de feuillus. Nous avons tout de même cumulé les effets. A mon avis, cela nous renvoie à des questions de fond sur la manière dont on prend les décisions. Cela nous renvoie à deux questions que nous avons déjà abordées. La première est la gestion du problème. Pour avoir une vue globale, il faut intégrer toute une série de données qui ne dépendent pas aujourd'hui du ministère de l'Environnement. La deuxième question est financière. On plante des résineux au lieu de feuillus parce qu'ils poussent beaucoup plus vite et sont beaucoup plus rentables. La France n'a-t-elle pas intérêt à aider les forestiers à planter des feuillus ? Je ne sais pas. Toutefois, il faut au moins se poser la question.

M. Jean-François Picheral - Les résineux sont très allergisants. Aujourd'hui, les contrôles de l'air tiennent autant compte de l'émission d'oxyde de carbone que de la présence de pollens de résineux.

Mme Corinne Lepage - On retombe sur une question bien connue, que j'ai rencontrée dans la gestion du marais poitevin. On nous dit qu'il faut absolument protéger les zones humides. Or quand vous donnez à un agriculteur qui vit de son travail 2.400 francs pour planter du maïs et 400 francs pour produire de l'herbe, il n'hésite pas. Il plante du maïs pour gagner sa vie. C'est normal et il n'y a rien à dire. Nous sommes donc confrontés à une question de fond. On ne peut pas demander à des gens qui vivent de leur travail d'être des saints.

M. le Rapporteur - Vous dites que la nature évolue. La société elle-même évolue. Nos concitoyens sont-ils aptes à supporter les évènements, alors qu'on leur montre à la télévision des images d'hommes qui vont sur la lune ? Chez eux, une pluie crée une inondation. Ils n'arrivent plus à comprendre. Les citoyens ne sont plus du tout préparés aux catastrophes. Ils ne savent plus supporter les catastrophes. Il y a peut-être une éducation à mettre en oeuvre.

Mme Corinne Lepage - Vous avez raison, Monsieur le sénateur. On touche une question peut-être plus profonde, qui est la place du progrès technologique et la foi absolue dans la science de la société. En définitive, on laisse transparaître l'idée que le progrès scientifique et technologique va permettre tout et n'importe quoi. Dès lors, les gens ne comprennent pas et n'acceptent plus les catastrophes naturelles.

M. le Président - Pour les inondations, quelle est la mesure pédagogique la mieux adaptée ?

Mme Corinne Lepage - La participation de la population, la mise en oeuvre d'enquêtes publiques, l'existence de mécanismes de concertation me paraissent des actions intéressantes. L'établissement d'un PPR ou d'un PPRI donne lieu à un véritable débat. J'ai d'ailleurs été frappée de constater qu'il n'y en avait pas dans la Somme. Dans le rapport de la Cour des Comptes de 1999, que j'ai relu pour préparer cette réunion et qui traite de la gestion du ministère de l'Environnement de 1990 à 1994, il est clairement indiqué que la Somme ne dispose d'aucun PPRI. Je n'ai pas vu, dans une des réponses des ministres au rapport de la Cour des Comptes, la moindre explication ou la moindre proposition pour une amélioration. Il me semble que tout ce qui va dans le sens d'une responsabilisation des personnes va dans le bon sens. Je reconnais qu'il n'est pas très facile pour les élus de mettre en exergue cette notion de responsabilité. Il faut expliquer aux citoyens qu'on ne peut pas en même temps râler parce qu'on vous interdit d'agrandir votre maison, qui est dans une zone inondable, et se plaindre dans le même temps des inondations. Il faut tout de même un petit peu de cohérence, aussi bien dans l'action publique que dans l'action privée.

M. le Rapporteur - Qui accepte un refus de permis de construire ? Aujourd'hui, on n'accepte plus un refus de permis de construire. On estime qu'on a le droit d'agir à sa guise sur son terrain. Comment faire prendre conscience de cette notion de responsabilité face au risque, alors qu'on n'a jamais connu le risque ? Nous sommes dans un département qui a vu les conflits mondiaux arriver. Nos parents et nos grands-parents savent que la vie n'est pas facile. Nous le savons nettement moins.

Mme Corinne Lepage - Nos enfants ne le savent plus du tout.

M. Hilaire Flandre - Je le dis à chaque fois, mais je crois que je vais le dire encore une fois. Nous avons connu dans notre département des Ardennes une inondation centennale en 1993, suivie d'une autre inondation centennale en 1995. Depuis cette date, les services d'alerte font état d'un risque d'inondation. Ils recommandent d'enlever les voitures des zones inondables. Or vous pouvez passer le lendemain du bulletin d'alerte. Les voitures sont toujours là.

M. le Président - La société n'a plus conscience des phénomènes.

M. Hilaire Flandre - Le drame de Strasbourg en est un exemple.

M. Michel Souplet - Les citoyens attendent simplement de trouver un responsable lorsqu'une catastrophe intervient.

Mme Corinne Lepage - A cet égard, l'histoire de Strasbourg m'a fait beaucoup réfléchir. Je suis d'une autre génération que les jeunes de maintenant. Je ne vais pas sous un arbre quand il y a un orage. Essayer de rechercher une responsabilité politique, quelle qu'elle soit, parce qu'un arbre est tombé et que tout le monde s'était précipité dessous, cela fait beaucoup réfléchir sur la notion de responsabilité individuelle. Aujourd'hui, l'accent est mis dans notre société sur la responsabilité des décideurs. Mais où est la responsabilité individuelle ? Pourquoi avons-nous perdu le sens de ce qu'est la responsabilité individuelle ?

M. Michel Souplet - Plus personne ne veut prendre de responsabilité.

Mme Corinne Lepage - Il faut donc demander aux gens de prendre leurs responsabilités. Certes, la responsabilité des décideurs existe. Cependant, chacun est également responsable de ce qui lui arrive.

M. Michel Souplet - J'en reviens au problème de l'eau. On a une réserve d'eau dont on n'est pas sûr du tout de son devenir. Je reprends une idée de M. Allègre. On devrait peut-être s'orienter vers la création de possibilités de réserves d'eau. Les nappes bougent. Néanmoins, on pourrait stocker de l'eau dans certains endroits du sous-sol comme on stocke du gaz. Aujourd'hui, le consommateur veut des légumes de qualité, tendre. L'industriel noue des contrats avec l'agriculteur sous réserve d'une irrigation. S'il y a irrigation, il y a forcément consommation d'eau. On nous dit qu'il faut changer le système et aller vers le goutte-à-goutte. Il est vrai que le goutte-à-goutte coûtera moins cher. Cependant, on nous dit cette année qu'il est heureux que nous n'ayons pas fait de goutte-à-goutte, cette politique ayant permis de vider quelque peu les nappes. Finalement, on mène des politiques au coup par coup, sans avoir de vision globale.

Mme Corinne Lepage - On en revient à la question posée tout à l'heure. On tourne toujours autour du même sujet. Il s'agit du problème de la gestion globale de l'eau. Il existe de multiples usages de l'eau. Nous sommes confrontés à des problèmes de quantité et de qualité. Certaines nappes phréatiques sont totalement inutilisables pour l'eau potable parce qu'elles sont polluées. Il s'agit vraiment d'un problème de gestion globale de la ressource. Il faut considérer que l'eau est une richesse et un patrimoine. Comment gérer ce patrimoine collectif ? C'est une question qui n'est pas simple car elle touche aux activités des agriculteurs, des industriels et des consommateurs. Il faudrait arriver à avoir une approche globale. La dernière directive communautaire sur ce sujet me paraît intéressante. Elle serait aussi intéressante si elle ne faisait pas cent cinquante pages.

Je voudrais revenir sur le problème des refus de permis de construire et des terres gelées du fait des inondations. Derrière cela se profile un problème que nous n'avons absolument pas résolu et qui n'est pas propre à ce sujet : le problème de l'égalité devant les charges publiques. Ce que je dis est à la fois vrai pour les collectivités publiques et les personnes privées. On pourrait d'autant plus exiger des gens qu'ils fassent un effort qu'ils auraient l'impression que cela est juste. Or il existe un sentiment d'injustice. Des citoyens vivent depuis plusieurs années sur un terrain. On leur refuse un permis de construire alors qu'il est accordé à leur voisin, qui vient de s'installer. Un sentiment d'injustice se crée. C'est vrai que ce n'est pas juste si on prend le sujet sous cet angle. Par contre, si on le prend sous l'angle de l'intérêt collectif qu'il y a à maintenir par exemple des zones d'expansion des crues, cela est juste. C'est juste à un niveau collectif et ça ne l'est pas à un niveau individuel. Ce que je dis au niveau des personnes est également vrai au niveau des collectivités locales. Pourquoi les maires se battent-ils pour réduire l'atlas des zones inondables ? Parce que cela a des conséquences indéniables sur le développement économique des communes. Ma question est donc la suivante. Comment faire pour rétablir l'égalité et la justice pour tous ces problèmes ? C'est vrai pour l'eau, mais ça l'est aussi pour toutes les servitudes d'urbanisme.

M. Hilaire Flandre - Je ne voudrais pas vous décevoir. Il faut commencer par supprimer la moitié de Paris. C'est là que réside le premier risque en termes de coût.

Mme Corinne Lepage - Il y a l'existant et ce qu'on fait après.

M. Hilaire Flandre - C'est trop simple.

Mme Corinne Lepage - Vous ne pouvez pas détruire tout Paris au motif que la ville est construite au bord de la Seine. C'est un peu difficile. Par contre, dans les mesures futures qu'on peut être amené à prendre, on peut prévoir des modes d'expansion d'une autre nature. Il faut d'abord réfléchir autour de l'idée de justice. Cela me semble très important. Les gens sont autant moins enclins à accepter cela qu'ils considèrent qu'on leur impose injustement une charge par rapport à d'autres. Tant que nous n'aurons pas trouvé la solution de justice, on aura beaucoup de mal à faire passer cette idée. Je ne dis pas que c'est facile.

M. Jean-François Picheral - Votre proposition est comparable à celle de M. Claude Allègre relative aux plans d'aménagement du territoire. Comment voyez-vous sa mise en oeuvre ? Qui sera en charge de sa mise en oeuvre ? Le ministère de l'Environnement ?

Mme Corinne Lepage - Je ne suis pas sûr que le regroupement de l'aménagement du territoire et de l'environnement soit la meilleure solution. Je verrais plutôt la mise en place d'un ministère de la prévention sanitaire, de l'environnement et de la consommation. L'axe santé-environnement me paraît être l'axe majeur. Ce regroupement de l'environnement, de la consommation et de la prévention sanitaire permettrait de donner à ce ministère à la fois l'amont, c'est-à-dire la direction générale de la Santé, et l'aval, c'est-à-dire la direction de la consommation et de la répression des fraudes. Nous disposerions alors d'un instrument réellement intéressant. Je ne suis pas certaine que le mariage de l'environnement et de l'aménagement du territoire soit la meilleure solution pour renforcer le poids de l'environnement.

M. Jean-François Picheral - M. Claude Allègre a fortement insisté sur le fait qu'il fallait tenir compte du sous-sol car personne n'en parlait jusque-là.

Mme Corinne Lepage - Il a complètement raison.

M. Jean-François Picheral - Les géo-sciences sont toutes nouvelles.

Mme Corinne Lepage - Nous sommes aujourd'hui confrontés partout à des problèmes de pollution des sols qui se terminent par des pollutions des eaux. Aujourd'hui, plus une seule opération industrielle de fusion-acquisition ne s'effectue sans une évaluation des passifs environnementaux et du coût de la remise en état. Beaucoup d'opérations ne se font pas parce que le repreneur refuse de payer le passif environnemental. Ainsi, un grand nombre de collectivités locales se retrouvent avec un grand nombre de friches industrielles, sources de pollutions. Cette question des sous-sols est problématique et n'a pas été suffisamment prise en compte.

M. le Président - Jusqu'à hier, personne ne se souciait du sous-sol, hormis les pétroliers.

Mme Corinne Lepage - J'avais très modestement lancé une série de 3.000 études de sites en 1996. Par ailleurs, le Parlement a refait le code minier. Les marnières et les carrières sont également problématiques. J'ai été frappé par les trous qui apparaissent dans les potagers en raison des effondrements du sol. C'est encore un autre sujet. Il ne s'agit pas d'un problème de pollution, mais bien d'effondrement. Tous ces sujets n'ont pas été traités. Je reviens sur la question du sénateur Picheral. En l'occurrence, que faire au niveau du plan ? Je laisse de côté la question de savoir si cela doit être réalisé par un pôle « aménagement du territoire-environnement » ou pas. Je pense qu'il faudrait partir d'une réflexion régionale. Je suis assez décentralisatrice dans l'âme. Des éléments sont globaux, mais le travail de base doit être régional. L'Etat doit mettre à la disposition des régions un certain nombre de grandes orientations. Le document que je vous ai remis contient de multiples données sur les températures, les reliefs, etc. Ces données doivent constituer un point de départ. Il est inutile de payer cinquante fois les mêmes études. Cela n'a pas de sens. Il s'agit de mettre à la disposition des régions les données de base dont on dispose au niveau national. Il faut ensuite demander à chaque région de travailler sur un plan de prévention du changement climatique à l'échelle de la région. Puis, il s'agit d'harmoniser ces travaux. Nous obtiendrons ainsi une véritable projection à vingt ans, qui permettra ensuite de remonter le temps. Lors de la prochaine signature des contrats Etat-Régions, il s'agit de définir les opérations qui devraient être favorisées et celles qui ne devraient pas l'être, d'apprécier si le droit de l'urbanisme doit être modifié, déterminer la politique en termes de grandes infrastructures, etc. Nous aurions une projection très intéressante sur l'avenir. Cela serait également bénéfique sur le plan économique. Cela ferait d'abord travailler des gens. En outre, ce serait un exercice très pédagogique. En effet, si vous faites cet exercice à l'échelle des régions, tous les groupes socio-économiques peuvent y participer. Le Conseil économique et social y participe. Le monde rural, le monde industriel et les consommateurs sont mobilisés. Chacun aura à se poser la question de l'impact du changement climatique chez lui et aura donc à se poser des questions à titre individuel. Chaque fois que l'on peut trouver des mécanismes dans lesquels on implique les gens, cela va dans le bon sens.

M. le Président - J'en reviens plus directement aux inondations. Il faut élaborer rapidement des PPR sur le territoire national. Quel avis avez-vous sur la réglementation actuelle en matière d'urbanisation, face aux risques d'inondation ? Comment imposer une nouvelle donne sans avoir une révolution ?

Mme Corinne Lepage - Le droit de l'urbanisme permet aujourd'hui de refuser un permis de construire en raison d'un risque d'inondation. La jurisprudence est constante sur ce sujet. Il n'y a pas l'ombre d'un problème. La jurisprudence est ancienne. La première date de 1987. Le Conseil d'Etat et les juridictions administratives exercent un contrôle sévère. Lorsqu'il existe de surcroît un PPR, la loi est inflexible. Même lorsqu'il n'existe pas de PPR, l'article R 111-2 du code de l'urbanisme permet de refuser un permis de construire. Nous disposons donc de l'arsenal juridique adéquat.

M. le Président - C'est donc la volonté d'application que nous n'avons pas.

Mme Corinne Lepage - Effectivement.

M. Jean-François Picheral - Les PPR n'existent pas depuis très longtemps.

Mme Corinne Lepage - Même sans PPR, l'arsenal juridique existe. La jurisprudence existe par exemple en matière de risque d'avalanche. En 1987 ou 1988, des condamnations ont ainsi été prononcées à Val d'Isère parce que des permis de construire avaient été délivrés dans des zones d'avalanche. Or il n'y avait pas à cette époque de PPR. Nous disposons de l'arsenal juridique. Il s'agit davantage d'un problème politique et pédagogique.

M. le Président - Un autre problème auquel nous sommes confrontés concerne la police des cours d'eau et de leur entretien. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Mme Corinne Lepage - Le droit est très clair sur ce sujet. Le curage relève de l'Etat ou des collectivités locales pour les cours d'eau domaniaux. Le curage appartient aux personnes privées pour les cours d'eau non-domaniaux. Le préfet peut parfaitement intervenir et obliger une personne à réaliser des travaux si l'intérêt public le justifie.

M. Hilaire Flandre - Nous avons eu connaissance d'une troisième classification, si je puis dire. Il s'agit des cours d'eau qui étaient flottables ou navigables, qui ont été déclassés et qui reste sous la gestion du ministère de l'Environnement.

M. le Président - En l'occurrence, les DIREN assure la gestion de ces cours d'eau déclassés. Or elles ont peu de moyens.

Mme Corinne Lepage - Il n'existe sûrement pas un centime sur les lignes budgétaires pour assurer l'entretien de ces cours d'eau. De plus, il n'il y a pas de fonctionnaires pour assurer la surveillance. Il n'existe pas de liens avec les DDE pour mettre en oeuvre des travaux.

M. Hilaire Flandre - Ces cours d'eau ne sont plus ni flottables, ni navigables. Ils ne sont pas retournés au domaine privé. Par conséquent, personne ne s'en inquiète.

M. le Président - Vous dites qu'il suffit d'appliquer le droit. Nous disposons d'un arsenal suffisant.

Mme Corinne Lepage - Le droit existe. J'ai essayé de m'occuper de cette question des curages des cours d'eau non domaniaux. J'avais déjà une petite idée derrière la tête. J'ai essayé de mettre en place des conventions entre les propriétaires privés et des associations. Je me suis heurté à toutes les difficultés de la terre. Bien que certaines associations de propriétaires étaient d'accord pour jouer le jeu, j'ai rencontré les pires difficultés pour mettre en oeuvre ces conventions.

M. Hilaire Flandre - Le Fonds de gestion de l'espace rural du ministère de l'Agriculture avait permis certaines avancées.

Mme Corinne Lepage - Il faudrait mettre en place des systèmes incitatifs sur le plan fiscal. Un propriétaire pourrait déduire les travaux de curage de ses impôts d'une manière ou d'une autre. Si aucune mesure fiscale n'est prise, on ne peut pas espérer du propriétaire qu'il investisse des milliers de francs dans le curage d'un cours d'eau. Il doit faire face à d'autres dépenses. De plus, à aucun moment le propriétaire d'un cours d'eau se dit qu'il peut avoir une responsabilité dans une inondation qui se situe à plusieurs kilomètres en aval.

M. Hilaire Flandre - On devrait plutôt lui donner une prime...

Mme Corinne Lepage - Le non-entretien du cours d'eau entrave tout de même le libre écoulement des eaux.

M. Jean-François Picheral - Je prends l'exemple du dernier texte de loi voté sur la forêt. La forêt ne rapporte rien aux propriétaires forestiers. Nous leur demandons en plus de la nettoyer. La nouvelle loi les aide beaucoup à assumer ces obligations. Il faudrait s'en inspirer pour l'entretien des cours d'eau.

Mme Corinne Lepage - Il faut reconnaître le service que les gens rendent ce à la collectivité. Il faudrait vraiment mettre en place des systèmes où les individus pourront s'y retrouver financièrement. Il faut qu'ils aient les moyens matériels d'entretenir les cours d'eau. Cela dit, l'Etat a les moyens d'agir. Une jurisprudence existe qui condamne un particulier lorsqu'il manque à ses obligations.

M. le Président - Les travaux réalisés dans le bassin de la Loire peuvent-ils servir de modèle pour l'aménagement du bassin de la Somme ?

Mme Corinne Lepage - Michel Barnier avait construit une vue d'ensemble de la gestion d'un fleuve. Cette démarche me paraissait équilibrée et intéressante. Des contestations se sont élevées de part et d'autre et l'équilibre initial a été rompu. Pour autant, la problématique générale m'apparaît une bonne chose. Il s'agit de mettre en place une vision d'ensemble de la gestion d'un fleuve. Cela permet à toutes les parties prenantes de discuter et de trouver des points de consensus sur la manière dont il faut agir. Cela crée des solidarités entre les gens d'amont et les gens d'aval. Tout ce qui peut aller dans le sens de la gestion collective me semble intéressant.

M. le Président - Vous nous apportez quelques confirmations.

Mme Corinne Lepage - La commission a-t-elle eu connaissance du rapport Bourrelier ?

M. le Président - Nous l'avons auditionné.

Mme Corinne Lepage - Monsieur Bourrelier est un spécialiste des risques naturels. Il a fait un rapport, à la fin de l'année 1997, sur ces questions. Par ailleurs, vous m'avez demandé de réfléchir à quelques propositions. Il faudrait peut-être toiletter la loi de 1982 sur les catastrophes naturelles. On pourrait y introduire la notion de vulnérabilité. On pourrait également intégrer la notion d'efforts réalisés pour réduire les risques, notamment en matière d'assurances. On n'a pas du tout parlé du volet des assurances. Pourtant, ce volet est très important. Les assureurs ont été parmi les premiers à tirer la sonnette d'alarme sur les problèmes des risques naturels, en disant qu'ils ne pouvaient plus payer. Cela a été l'occasion d'augmenter les primes.

M. le Président - Notre système est quand même exemplaire.

Mme Corinne Lepage - Effectivement. Il serait bien de mettre de l'argent sur la prévention. Plus on mettra de l'argent sur la prévention, mieux ce sera.

M. Jean-François Picheral - Je cite encore M. Claude Allègre. Il a dit que les Français préféraient gérer les crises plutôt que la prévention. Ce n'est pas faux. On préfère mettre en place des plans Orsec. L'organisation de la lutte contre les feux de forêt sur la côte méditerranéenne est un cinéma invraisemblable. Il est très difficile de mettre en place une véritable prévention.

Mme Corinne Lepage - Vous me demandiez les préconisations en matière d'urbanisation. Je vous ai dit que la loi existait pour les refus de permis de construire. La question que je me pose est la suivante. Je me demande si les dispositions prévues par le législateur, en matière d'installations classées pour la mise en servitude des sites pollués, pourraient être transposables pour des mises en servitudes de sites exposés à des risques d'inondation avec possibilité d'indemnisation.

M. Hilaire Flandre - On va poser des contraintes supplémentaires à des zones susceptibles d'être inondées parce qu'elles l'ont été une fois. Dans la vallée de la Meuse, aucun terrain n'est constructible. On va donc supprimer la possibilité de construire dans un certain nombre d'endroits. On demandera quand même aux gens qui construiront ailleurs, d'être solidaires de ceux amenés à supporter des risques. Je pense à la vallée de la Marne. Vous prenez le train de Reims à Paris. Tous les printemps, vous constatez que les pavillons sont sous l'eau. Il serait choquant que l'on continue à aider des zones inondées en permanence (y compris la région parisienne) au prétexte que les constructions préexistaient.

Mme Corinne Lepage - Comment fonctionne le système des primes d'assurances pour les gens qui subissent des inondations tous les ans ? A mon avis, les assureurs ne payent plus.

M. Hilaire Flandre - Au bout d'un certain temps, les assureurs doublent ou triplent la prime.

Mme Corinne Lepage - Il y a quand même des conséquences individuelles. Paris est complètement construit. Je travaille avec un certain nombre de collectivités de la couronne. Les plans se mettent en place. Des zones ne sont plus constructibles, par exemple dans le Val-de-Marne. Tant qu'on n'aura pas trouvé la solution d'équilibre entre les collectivités locales et entre personnes privées, on ne pourra pas avancer.

M. Hilaire Flandre - Il faut trouver un équilibre entre l'acceptation d'un risque identifié et l'interdiction absolue. Imaginez qu'on prenne une photographie aérienne de la Somme inondée et qu'on décide de rendre inconstructibles toutes les zones inondées. Cela devient ingérable. On peut quand même admettre que des gens aient les pieds dans l'eau de temps à autre. La ville de Charleville est par exemple habituée à des crues d'une hauteur de trois mètres. Pour moi, une crue d'un mètre n'est pas une inondation. Tout au moins, ce n'est pas de même nature. On peut admettre que certaines zones soient inondées. Une commune à côté de Charleville connaît une crue des eaux pratiquement chaque année. D'ailleurs, cela fait quatre ans qu'ils n'ont pas connu d'inondation. Les gens s'étonnent. Ils ont leurs bottes et leurs parpaings. Le jour de l'inondation, ils ferment leur porte de façon étanche et ils attendent la baisse des eaux.

Mme Corinne Lepage - Cela pose deux questions. Cela signifie d'abord que la puissance publique ne peut pas être responsable en cas de problème. Il ne peut pas y avoir de responsabilité du décideur public si cela s'est fait malgré lui.

M. Hilaire Flandre - Ce n'est pas malgré lui. Cela s'est fait antérieurement, mais ils s'y sont habitués.

Mme Corinne Lepage - Prenons l'exemple de décideurs publics qui demandent à des personnes privées de partir en raison des risques d'inondation. Si ces personnes restent, on ne peut pas envoyer la maréchaussée derrière chaque personne. Il faut donc, à un moment donné, une dispense de responsabilité du décideur public. Deuxièmement, un individu prend des risques et doit les supporter.

M. Hilaire Flandre - On doit aussi faire prendre conscience aux gens qu'ils doivent supporter les risques qu'ils acceptent. Or on va tout à fait dans le sens inverse. Le drame de Strasbourg est un exemple frappant. A chaque drame, on cherche forcément un responsable. Je ne suis pas sûr que ni le préfet, ni le maire de Strasbourg, ni aucun décideur public ait une responsabilité en la matière.

M. Jean-François Picheral - Ils étaient sous une tente.

M. le Président - La tente était sous un gros arbre.

M. Jean-François Picheral - L'arbre avait certainement été ébranlé par la tempête de 1999.

M. Hilaire Flandre - Un platane, ça casse comme du verre.

Mme Corinne Lepage - Il me semble, Monsieur le sénateur, qu'on ne fait plus suffisamment la différence entre le risque accepté et le risque subi. Les notions de risque accepté et de risque subi sont importantes. Elles sont à mon avis la seule manière de gérer à la fois le principe de précaution et le principe de liberté.

M. le Président - Nous arrêtons cette audition. Madame, je vous remercie.

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