2. Une mise en oeuvre institutionnelle délicate, liée aux pressions extérieures et intérieures

L'application de la constitution a fait l'objet, entre 1952 et 1989, d'une mise en oeuvre mouvementée, à laquelle les menaces externes et internes qui ont assailli le Royaume ne sont pas étrangères.

La Chambre des députés, entre 1952 et 1967, a subi sept dissolutions. Après cette date, le droit de prorogation de la chambre, reconnu au Roi par la Constitution, a permis une « survie à éclipses » 5 ( * ) de la législature de 1967.

Depuis 1989 s'est ouverte une nouvelle phase de la vie démocratique et parlementaire. La loi martiale a été abolie en 1991 et la légalisation des partis politiques est intervenue en 1992. Aujourd'hui la Jordanie compte ainsi quelque 27 partis politiques, l'opposition -modérée- étant principalement incarnée par le puissant Front d'action islamique. Le rythme électoral quadriennal a été depuis scrupuleusement respecté, jusqu'à la dissolution de la Chambre intervenue en juin 2001. En juillet dernier, le gouvernement a adopté une nouvelle loi électorale, aménageant quelque peu le système issu d'une précédente réforme engagée en 1993 par le Roi Hussein.

Le système électoral jordanien était fondé, lors des premières élections générales de 1989, sur un vote plurinominal à un tour. Ce système permettait à l'électeur de l'une des vingt circonscriptions du pays d'élire un nombre de députés proportionnel au poids démographique de cette circonscription.

Ce système présentait divers inconvénients : en premier lieu, les électeurs n'étaient pas placés sur un pied d'égalité : chacun pouvant, selon sa circonscription, avoir à désigner un nombre différent de députés. En second lieu, dans l'attribution de ses voix, il est apparu que les électeurs en utilisaient un certain nombre en faveur des membres de leur famille ou de leur clan, le reste pour désigner des représentants plus « politiques ». Dans cette dernière hypothèse, l'expérience avait démontré que l'opposition islamique avait ainsi largement bénéficié d'un vote de protestation, au profit des rares partis organisés de l'époque relevant de la mouvance islamiste.

En 1993, le roi Hussein modifia donc la loi électorale : il maintenait les circonscriptions plurinominales, mais les électeurs ne pouvaient plus choisir qu'un seul candidat dans leur circonscription (une personne, une voix), incitant le corps électoral à choisir entre ses priorités : le candidat du « clan » ou celui d'une mouvance plus politique, incitant ainsi à une « responsabilisation » de l'électeur.

En juillet dernier, le roi Abdallah, après avoir dissous la Chambre des députés, a de nouveau modifié la loi électorale devant régir la prochaine consultation -initialement prévue en 2001 et reportée à l'automne 2002. La loi maintient le système « 1 personne 1 voix », mais prévoit un redécoupage des circonscriptions et du nombre de leurs sièges, plus en phase avec la population qu'ils représentent. Parallèlement, la nouvelle loi prévoit de réduire de 19 à 18 ans l'âge requis pour voter ; elle porte de 80 à 104 le nombre de députés et, conséquemment, de 40 à 52 (la moitié du nombre des députés) l'effectif des sénateurs.

Le système électoral ménage, par ailleurs, une place spécifique aux minorités -ethniques ou religieuses- du pays qui disposent chacune de sièges réservés à la chambre des députés : chrétiens (un peu moins de 5 % de la population, 9 sièges) ; bédouins (6 sièges) ; circassiens (2 sièges), tchétchènes (1 siège). Ces deux derniers groupes, musulmans, sont les descendants de peuples caucasiens qui avaient fui vers l'empire ottoman, à partir de 1864, devant la progression des Russes dans le Caucase. Ils représentent environ 1 % de la population.

La place des chrétiens au sein du Royaume symbolise aussi une intégration réussie : leur rôle dans la société jordanienne, y compris dans les instances gouvernementales ne fait l'objet d'aucune discrimination. A cet égard, leur représentation parlementaire -10 % des sièges- traduit davantage la place qui leur est ainsi reconnue dans la société jordanienne que leur strict effectif (moins de 5 % de la population, soit environ 250 000). La majorité des chrétiens de Jordanie est constituée de Grecs orthodoxes (environ 80 000). Le reste se répartit entre catholiques de rite latin et Grecs catholiques, auxquels s'ajoutent de petites communautés catholiques syriennes et coptes.

L'une des ambitions du roi Abdallah II est également d'encourager le renouvellement du personnel politique, en élargissant son recrutement vers la communauté palestinienne et en favorisant les échanges avec le secteur privé. Le rajeunissement des élites politiques est un élément important de cette orientation qui a trouvé sa traduction concrète au sein des gouvernements nommés par le jeune monarque depuis son accession au trône. Dans cette logique, il a créé un conseil économique consultatif, destiné à élaborer les réformes pour une nouvelle politique économique et ouvert des postes de responsabilité à plusieurs générations issues des secteurs public et privé, auxquels les circuits traditionnels de promotion n'auraient pu permettre d'accéder.

Il reste que la sphère politique ainsi que la fonction publique et l'armée demeurent encore aujourd'hui majoritairement le domaine des Transjordaniens, alors que le monde économique est animé pour l'essentiel par les élites palestiniennes.

Le système tribal traditionnel demeure un élément important de la promotion des cadres dirigeants du Royaume, notamment dans la fonction publique et dans l'armée. Grâce à la mobilité et au dynamisme du secteur privé, une certaine souplesse permet toutefois à certains d'accéder aux responsabilités, par delà les réseaux classiques.

* 5 La Jordanie, Louis-Jean Duclos - Presses Universitaires de France.

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